mercredi 10 décembre 2008

lire " Le Sourire innombrable " - Jacqueline de Romilly

Mercredi 10 Décembre 2008



j'écris à Jacqueline de Romilly – son livre éd. de Fallois . Janvier 2008 . 120 pages


" Le Sourire innombrable "

Ces rues de Passy et autres me sont très familières. Ma mère a vêcu la fin de sa vie au 15 rue Raynouard et nous avions dans mon enfance habité durablement de l’autre côté du « petit train de ceinture » au 21 boulevard de Beauséjour. Allant au petit collège des Jésuites rue Louis David, puis au moyen et au grand rue Franklin, je faisais tout cela à pied. Il y avait trois horloges de la gare de la Muette à ce qui était le cinéma Alexandra et est devenu un monoprix, que jouxte heureusement aujourd’hui un nouveau cinéma. Il y avait trois ou quatre librairies, à l’ancienne, avec seuil et marches en bois, caisse surélevée et personnel en blouse pour la partie papeterie d’une d’elle. Julien Green décrit le trajet des tramways en 1919 depuis la place de Passy.
« Faisant », il y a vingt cinq ans et dans un climat d’amours pluriels, assez compliqué à vivre, ce que les Grecs de maintenant appellent « la ligne stérile » parce que cette ligne d’îles – dont Volegandros – n’est que très rarement desservie dans son entier et force donc à des séjours assez longs, dans chacune, j’ai vêcu une autre expression, mais de Homère : la plaine liquide. Le bateau laid et à vapeur s’oubliait, les complexités que je m’étais données, également, et je me reposai enfin, rien qu’à regarder s’enfuir et venir cette plaine. Je vous ai lue dans le désordre, m’accrochant à une page, continuant, puis rebroussant chemin pour voir comment cela avait commencé. Je n’ai compris qu’à la fin, c’est-à-dire en venant à votre début introduisant aux cocasses coincidences des innombrables Lusset…, que vous aviez eu le dessein de nous donner des histoires drôles. Mais quel charme, un charme drôle ou un drôle de charme, il m’a semblé même que vous nous donniez un certain portrait. De vous. Comique, décalage, mots : produits d’une certaine éducation par votre mère, un don acquis plus que natif, un don de sagesse par le recul du rire et sourire. Les surnoms en secret (votre page 81), la place du comique dès l’instant où les circonstances deviennent graves (votre page 100), le salut au corps évacué, si gênant pour l’hôtelier, corps et cortège (votre page 114) et se réfugier dans le souvenir des moments de comique et d’amusement partagés. … il est assez naturel de vouloir se défendre contre le tragique, que l’on connaît trop bien et auquel on refuse de se laisser aller. Si ce n’était pas là une des formes de la sagesse, je me demande bien ce qui le serait. (votre page 115).

Je n’ai pas été enseigné à cette sagesse et je ne l’ai pas rencontrée chez d’autres, inconnus ou familiers. Vous me donnez donc – à tous vos lecteurs, aussi – quelque chose que je ne soupçonnais pas. De Gaulle, dit-on, se plaignait qu’on ne le fit jamais rire, lui qui voisinait et rencontrait le tragique, en avait-il donc besoin !

En revanche, les mots : ces petits glissements de sens aboutissent parfois à ce que j’appellerais des mots heureux. Ce sont des mots que l’on remarque, qui ont quelque chose d’inattendu, mais qui traduisent des aspects sympathiques ou attendrissants… C’était vrai, et fort bien dit. (votre page 35). J’ai toujours été émerveillé par la langue et le vocabulaire, le vocabulaire… car la grammaire est simple, juste et irréprochable… de gens dits modestes. Milieux ruraux qui sont à nouveau les miens, lapsi des étrangers parmi lesquels, en poste diplomatique j’ai beaucoup vêcu, et maintenant les mots de notre fille – mariage unique et tardif – elle a quatre ans. Par proichain courrier, je vous en adresserai un florilège. Les « beurs » : rencontres en transports en commun, y ajoutent des accents et des rythmes dont nos beaux quartiers n’ont pas idée parce qu’ils ont perdu l’argot parisien des années 30 et encore 50, et que le franglais ou le ton docte tiennent lieu de parler juste.