dimanche 29 mai 2022

 

Il y a quatre-vingt ans se déroulait l’innommable ! Un texte inédit de Maurice Rajsfus

 

L’Étoile jaune et la rafle du Vél’ d’Hiv


paru dans lundimatin#340, le 29 mai 2022



Il y a 80 ans aujourd’hui, le 29 mai 1942, une ordonnance nazie rendait le port de l’étoile jaune obligatoire pour les juifs, dès l’âge de 6 ans. S’ensuivit la stigmatisation, l’exclusion, la déportation et pour beaucoup la mort. En guise de commémoration, nous publions ce texte inédit de Maurice Rajsfus, célèbre militant et historien de la répression, que nous ont confié ses enfants et ses éditeurs. Rédigé à l’occasion du 75e anniversaire de la rafle du Vel’ d’Hiv, ce texte aussi poignant qu’affûté revient sur ses souvenirs d’enfance, lorsque il fallut porter l’étoile, raser les murs et craindre à chaque instant, le zèle de la police française. Et comme il en va tout au long de l’œuvre de Maurice Rajsfus, il ne s’agit pas seulement de se souvenir mais aussi et d’abord de déceler ce qui dans l’histoire, continue malheureusement de résonner dans le présent : « Les forces de l’ordre ne font pas de politique, nous a-t-on toujours expliqué. »

L’Étoile jaune et la rafle du Vél’ d’Hiv

Il y a soixante-quinze ans se déroulait l’innommable !

Deux ans après leur arrivée à Paris, les autorités nazies avaient décidé de nous affubler de cette abominable étoile jaune, par une ordonnance datée du 29 mai 1942. Nous en avions été avertis par voie de presse. Ce qui est certain, c’est que notre police française avait été chargée d’en faire la distribution, contre la remise de quelques points de notre carte de rationnement textile. Cette assignation à se décorer était spécifiée de façon particulièrement ambiguë : nous n’étions pas dans l’obligation de porter cette étoile jaune infamante, mais il nous était interdit de sortir de notre domicile sans l’arborer visiblement.

Une date avait été fixée pour porter cette décoration : le dimanche 7 juin 1942. Dès ce jour, les fidèles mercenaires de la Gestapo qui portaient l’uniforme de la police française allaient se livrer à une véritable chasse au faciès, interpellant tous ceux qui n’avaient pas le bon profil, pour contrôler leur identité. Dès ce même jour, nous avions été soumis à n’emprunter que le wagon de queue dans le métro parisien. Ce n’était là qu’un hors-d’œuvre puisqu’une autre ordonnance nazie, datée du 9 juillet 1942, interdisait aux porteurs de l’étoile jaune de fréquenter la plupart des lieux publics, hormis la rue et les transports en commun. Ne nous restait que la liberté de respirer un air contaminé par la sinistre bonne volonté de nos policiers qui ne savaient rien refuser à l’occupant nazi, espérant sans doute des primes au mérite pour leur performance et les félicitations d’une hiérarchie qui avait délibérément choisi son camp.

Malgré l’horreur de cette mise à l’écart, le pire était à venir. Une semaine plus tard, alors que le soleil n’était pas encore levé, l’armée répressive, exclusivement constituée de bons citoyens, fidèles à la consigne de l’ennemi héréditaire, se mettait en marche, à Paris et dans sa banlieue. Des coups violents ébranlaient les portes de notre petit logement. Comme dans un rêve, j’entends hurler :

« Police !

Ouvrez ! »,

à plusieurs reprises.

Ce n’est pas un rêve, c’est un cauchemar. Déjà deux policiers s’affichent dans l’encadrement de la porte que ma mère vient d’ouvrir. Depuis mon lit, j’aperçois deux cerbères en uniforme de la police française.

Les ordres brutaux qui m’ont arraché au sommeil, et les apparitions de ces hommes qui repoussent ma mère, me font comprendre que tous les récits entendus quelques années plus tôt sur les pogroms qui s’étaient déroulés dans la Pologne natale de mes parents paraissent se réaliser ici, au pays des droits de l’homme.

Nous sommes le 16 juillet 1942, à l’aube ; le jour commence à poindre et résonne dans ma tête, comme autant de coups de tonnerre :

« Police !

Ouvrez ! »

Soixante-quinze ans plus tard, cette injonction brutale ne cesse de me revenir en mémoire. Comme si cela ne tarderait pas à se reproduire. Je sais bien que ce ne sera plus jamais le cas, mais, tant d’années plus tard, comment ne pas comprendre cette antipathie réservée aux policiers lorsqu’il m’arrive d’en croiser un dans la rue ou dans les transports en commun. Nul ne peut ignorer que, de nos jours, cet ordre hargneux :

« Police !

Ouvrez ! »

est réservé à d’autres parias qui ont la malchance de n’avoir pas de papiers d’identité en règle ou, tout aussi grave, d’afficher une couleur de peau peu conforme à celle tolérée par les racistes, dont il n’est pas possible d’exclure nombre de nos policiers dont les anciens étaient redevenus « républicains », à la fin du mois d’août 1944, après avoir été aux ordres de la Gestapo, relayés par le pouvoir de Vichy.

Combien de fois, dans mon sommeil agité, ai-je pu réentendre cette vocifération, éructée par des hommes armés contre des familles sans défense dont ils ne pouvaient ignorer qu’elles étaient peut-être vouées à disparaître dans les camps de la mort nazis :

« Police !

Ouvrez ! »

Dans quel état d’esprit pouvaient être ces hommes qui, sans trop se poser de questions, accomplissaient cette tâche abjecte qui leur était dévolue, sans qu’ils envisagent de la refuser ? Se mettre au service de l’occupant nazi ne leur avait pas posé de problème de conscience. Bien plus tard, je serais en mesure d’apprendre qu’aucun de ces dizaines de milliers de bravaches n’aura refusé de se déshonorer, tout en arguant, par la suite, qu’ils avaient été résistants dans l’âme. Tous avaient accepté d’utiliser ces mots brutaux pour signifier que leurs victimes ne faisaient plus partie du pays réel :

« Police !

Ouvrez ! »

Ces hommes, que l’occupant nazi n’avait même pas désarmés, obéissaient aveuglément à une hiérarchie qui, de son côté, trouvait tout à fait naturel de pourchasser une minorité, à l’imitation de leurs collègues allemands qui, depuis près de dix ans, s’étaient habitués à ces opérations d’épuration pour satisfaire l’ambition de leur Führer qui avait promis de rendre l’Allemagne judereïn, c’est-à-dire nettoyée de ses Juifs.

Dans cette France, qui avait connu, peu de temps avant, le Front populaire, les xénophobes et les racistes prenaient leur revanche. Tous ravis de voir les occupants nazis se livrer à la chasse aux Juifs, avec comme hommes de main ces policiers et gendarmes qui, comme sous la République, ne connaissaient pas la désobéissance aux ordres reçus. D’où ces missions criminogènes effectuées parfois avec la satisfaction du devoir accompli. Peu importait qu’au cours de ces descentes de police seraient embarqués des femmes et des jeunes enfants, de même des vieillards grabataires. Presque tous ces hommes d’ordre, à la nuque raide, seront réhabilités la Libération venue, et même décorés collectivement de la Légion d’honneur pour être entrés en résistance à la 25e heure.

De Gaulle ayant remplacé Pétain au pouvoir, tous ces mercenaires aux ordres de la Gestapo durant plus de quatre ans avaient déjà oublié leur passé honteux, tentant même de convaincre les Français, enfin libérés, qu’ils n’avaient cessé de lutter pour les protéger. Il n’en reste pas moins que les patriotes ordinaires – ceux qui ne font pas de politique – avaient déjà pardonné leurs « errements » à ces policiers désormais au service de la République retrouvée. Tous, même les plus immondes, allaient être réintégrés rapidement, avec avancement dans les grades pour certains. Comme il était loin le temps des ordres aboyés :

« Police !

Ouvrez ! »

À la limite, ils auraient même juré n’avoir jamais prononcé l’injonction menaçante. Leur rappeler le contraire aurait constitué une atteinte à leur honneur. Serviteurs de l’État, quel qu’il soit, nos policiers et gendarmes – il ne faut cesser de le rappeler – n’avaient jamais envisagé de refuser les missions qui leur étaient confiées par la Gestapo. C’est ainsi que, du 14 mai 1941 au 30 juillet 1944, près de 76 000 Juifs vivant dans ce pays – surtout des étrangers – avaient été raptés par leurs soins et, parmi eux, quelque 11 000 enfants qui ne reviendront pas des camps de la mort. « Nous ne faisions qu’obéir aux ordres de nos chefs », expliqueront ces bravaches qui n’avaient jamais entrevu la possibilité de changer de métier. Nombre d’entre eux se justifieront, avec cet argument stupéfiant : « Si nous n’avions pu exécuter les ordres, d’autres auraient effectué les rafles à notre place, et peut-être même plus brutalement. »

« Police !

Ouvrez ! »

Ceux-là auraient même enfoncé les portes si elles ne s’étaient pas ouvertes aussi rapidement que ces hommes d’honneur l’exigeaient. Ce qui est certain, c’est que ces policiers, persuadés d’avoir accompli « convenablement » leur tâche, ajoutaient souvent les injures et la brutalité lorsque leurs victimes n’obéissaient pas suffisamment rapidement à leur injonction. Comment qualifier ces hommes d’ordre qui n’hésitaient pas, le cas échéant, à embarquer sur des civières des vieillards grabataires et des femmes dont l’accouchement paraissait imminent – sans oublier quelques aveugles. Comment procédaient-ils lorsque, sur la liste qui leur avait été remise, se trouvaient des sourds et des muets ? Et puis, comme ils devaient plaisanter entre eux lorsqu’ils avaient été chargés d’interpeller un curé juif, portant l’étoile jaune. Cela existait !

« Police !

Ouvrez ! »

Ces parias en soutane n’allaient pas attendre longtemps avant de rejoindre le royaume des cieux. Comment oublier que le doux poète Max Jacob, converti au catholicisme, allait mourir au camp de Drancy, en 1943 ?

Les forces de l’ordre ne font pas de politique, nous a-t-on toujours expliqué. Moyennant quoi ces hommes en uniforme de la police française se sont avérés exécuteurs de la pire des politiques : celle de l’extermination systématique d’une population sans défense. Bien sûr, si ces mercenaires sans vergogne participaient alors, avec conviction, à l’éradication de la minorité juive vivant en France, c’est que cela ne les choquait pas outre mesure. Nous savons, d’expérience, que nos policiers et gendarmes, s’ils ne sont pas xénophobes, n’apprécient guère les étrangers et que, s’ils ne sont pas racistes, ils détestent les Arabes, de nos jours, comme ils exécraient les Juifs, de l’été 1940 à l’été 1944. Ironie de l’histoire, comme le statut des Juifs du 3 octobre 1940 prévoyait l’exclusion des Juifs de la fonction publique, il s’était trouvé quelques policiers de mauvaise origine chassés de l’institution répressive. Devenus également des parias, ils allaient porter l’étoile jaune, en zone occupée, mais seront relativement protégés de la déportation, car citoyens français.

Comment ceux-ci se seraient-ils comportés si, restés à leur poste, ils avaient été chargés de rafler des « coreligionnaires » ? Il suffit de se reporter aux exactions commises par les policiers juifs du ghetto de Varsovie pour être convaincus qu’en période troublée, les sentiments humanistes n’ont plus leur place. Chacun songeant surtout à sauver sa vie, au détriment de celles des autres ; l’illusoire communautarisme s’effaçant devant la menace pesant sur celui qui fera tout pour échapper au sort commun.

Soixante-quinze ans après l’action innommable conduite par des policiers bien français, le temps paraît avoir fait son œuvre. C’est dans une indifférence aussi générale que les bons Français de France assistent sans broncher à la montée accélérée d’un racisme antimaghrébin et, plus généralement, antimusulman. Sans être mauvais prophète, il faut être bien persuadé que si nos policiers étaient chargés, de nos jours, de rafler quelques dizaines de milliers de familles originaires d’Afrique du Nord, aux fins d’expulsion, la mission serait effectuée sans le moindre refus d’exécution – avec enthousiasme même. Il serait alors possible d’entendre de nouveau :

« Police !

Ouvrez ! »

… et sans attendre, les béliers qui font désormais partie de l’arsenal policier, seraient mis en œuvre pour enfoncer toutes les portes. Cette fois, non plus dans l’indifférence générale, comme le 16 juillet 1942, mais avec l’approbation d’une population bien convaincue de la nécessité de cette intervention permettant l’éradication d’une possible génération d’intégristes musulmans. Sans négliger la satisfaction intime des auteurs de cette opération : « Si nos anciens livraient leurs proies aux bourreaux nazis, avec pour destination Auschwitz, nous, au moins, limitons notre action à la préparation d’une expulsion de masse… »

Avec l’état d’urgence tel qu’il peut être interprété désormais, quiconque aurait fait les frais d’une simple délation pourrait être emprisonné et placé sur la liste des proscrits, sans même que la justice puisse émettre son avis. Le temps des justiciers des mauvaises causes est revenu bien plus rapidement qu’il aurait été possible de s’y attendre. La loi des suspects, avec ses plus mauvais effets, risque d’être de retour, avec l’arrivée au pouvoir de ces Républicains intransigeants pour qui l’État de droit ne serait plus qu’une image du passé. Bien sûr, la guillotine n’est plus de saison, mais si la peine de mort a été abolie en octobre 1981, les policiers – qui ne sont pas des justiciers comme les autres – disposent de toute une panoplie d’armes létales qu’ils peuvent utiliser sans même qu’il leur soit nécessaire d’invoquer la légitime défense pour en justifier l’usage.

* *
*

Impossible pourtant d’oublier cette horrible rafle du 16 juillet 1942, qui a fait de moi un orphelin à perpétuité. Devenu apprenti sertisseur-joaillier après la déportation de mes parents, je traînais mon chagrin au fil des courses que mon patron me faisait faire. Je ne cherchais ni pitié ni compassion, craignant surtout les face à face où les gens me regardaient avec une curiosité malsaine à la vue de mon étoile jaune, lorsqu’ils ne s’écartaient pas de moi comme si j’étais porteur d’une maladie contagieuse. Dans le métro, où je ne pouvais fréquenter que le wagon de queue, pas un sourire pour ce jeune garçon sinistrement étranger à ses compagnons de voyage. C’était un peu comme une punition supplémentaire venue augmenter ma détresse. Dans la rue, je rasais les murs, évitant le regard des policiers en patrouille, armés jusqu’aux dents. Fréquemment la mitraillette en bandoulière.

Régulièrement, j’apprenais que l’un des clients de mon patron avait été raflé la veille. Il m’est même arrivé d’avoir été envoyé chercher un bijou chez un joaillier et de trouver porte close, les scellés ayant été apposés sur la porte de l’appartement servant également d’atelier. Dans cette circonstance, j’avais rapidement pris le large, craignant la possibilité de la présence d’un policier à proximité de l’immeuble, en planque pour embarquer quelque possible victime de cette répression raciale animée par des policiers avides de résultats. Visiblement, cette porte avait été fracturée, avant que l’accès n’en soit interdit par les scellés. Les auteurs de cette incursion, outre l’injonction habituelle :

« Ouvrez !

Police ! »

auraient pu ajouter, ce qu’ils avaient sans doute réalisé :

« Ouvrez !

Ou on enfonce la porte ! »

Cela sans la moindre hésitation, accompagnés parfois d’un serrurier, car les portes des professionnels de la joaillerie étaient souvent blindées. Nos policiers, parfois recrutés au temps du Front populaire, n’hésitaient jamais à mal faire. Ce que je pouvais constater un matin de février 1943, devant la porte vandalisée de ce joaillier de la rue Geoffroy-Marie, à cent mètres de l’atelier qui m’employait.

Avec ma sœur qui poursuivait ses études, notre plus grande chance c’était d’avoir été oubliés, aussi bien par la Croix-Rouge que par les services sociaux de la mairie de Vincennes. Je n’avais pas encore quinze ans, et ma sœur tout juste dix-sept. L’un et l’autre, en fin de journée, nous nous retrouvions, étonnés d’être toujours en liberté, sous le regard peu convivial d’une concierge qui, à l’évidence, n’aimait pas les étrangers et, par conséquent, leur progéniture. En délicatesse avec le propriétaire qui s’inquiétait de ne plus recevoir régulièrement le loyer de notre pauvre petit logement, la concierge ne faisait que relayer le ressentiment de son patron-vautour.

Faute de ne pas connaître quelques élans généreux, non pas pour me plaindre mais témoigner d’un minimum de solidarité à mon égard, je n’avais pas tardé à généraliser ma rancœur contre ces bons Français de souche qui s’accommodaient tranquillement des méfaits de l’Occupation dès lors que leur subsistance pouvait être assurée, grâce au marché noir. Le seul envers qui j’éprouvais une réelle reconnaissance était encore ce patron d’apprentissage qui n’avait pas hésité à embaucher un apprenti porteur d’une étoile jaune – ce qui n’était pas interdit mais pouvait risquer de le rendre suspect en un temps où la délation était devenue un sport national.

Après le drame vécu avec ma sœur, tous deux désespérés, nous n’avions pas eu droit au soutien d’une cellule psychologique, comme cela se fait de nos jours pour les victimes d’attentats. Bien entendu, ce ne pouvait être le cas, car nous avions été assaillis au nom d’une raison d’État – fut-elle proche du régime nazi. Dans ma mémoire blessée ne cesseront jamais de résonner ces mots chargés de haine, braillés par ceux-là même que l’on qualifiait encore de l’appellation de gardiens de la paix :

« Ouvrez !

Police ! »

Après la lourde épreuve de l’intrusion des policiers avait suivi la séparation d’avec nos parents. Nous nous retrouvions à l’air libre, ma sœur et moi. Désormais, notre prison se situerait à l’extérieur, après le départ de l’autobus où mon père et ma mère avaient été contraints de monter, vers une destination encore inconnue. M’attendait un nouveau constat de l’horreur connue depuis l’aube de 16 juillet 1942 : de retour le premier dans notre petit logement, j’avais eu la mauvaise surprise d’y trouver la concierge, fort occupée à secouer la porte du buffet, dans l’espoir de s’emparer d’un éventuel butin. Tentative de pillage, il n’y a pas d’autre mot. S’étant vue remettre les clés par les policiers, après notre arrestation, la « bignolle » n’avait même pas eu besoin de crier :

« C’est la concierge !

Ouvrez ! »

C’était l’image déformée d’une triste société ayant remisé son humanisme au vestiaire. Dans la rue, j’avais eu le sentiment de ne pas exister car les regards ne s’attardaient pas sur moi. Comme si cette étoile qui me collait à la peau pouvait me rendre invisible. Brutalement séparé de mes parents, je n’avais plus le moindre recours. En cette fin d’après-midi de juillet, où la chaleur était forte, les rares passants n’avaient que faire de ce garçon qui, ayant perdu ses repères, ne comprenait pas encore ce qui lui était arrivé, quelques heures plus tôt. Comme un sinistre leitmotiv lui revenaient en mémoire ces mots éructés par des policiers peu soucieux de savoir quel serait le sort de leurs victimes :

« Police !

Ouvrez ! »

Pour ceux qui n’étaient pas au travail, c’était les vacances et, dans ce quartier de Vincennes, les quelques passants croisés ignoraient sans doute que, quelques rues plus loin, un petit pavillon avait été transformé en prison provisoire. Par ailleurs, chez ceux qui, depuis leur fenêtre, avaient pu assister au drame qui se jouait de l’autre côté de cette rue Louis-Besquel où une geôle collective avait été ouverte par les soins de la police française, désireuse de satisfaire les autorités nazies, nulle émotion visible.

Autre constat, tout aussi étonnant : alors que j’avais dû traverser Vincennes pour informer la meilleure amie de ma sœur du drame qui venait de nous frapper, je n’avais pas rencontré le moindre soldat allemand. Étonnant, évidemment, car Vincennes était devenu ville de garnison pour l’armée occupante. À moins de deux cents mètres du lieu où nous avions été provisoirement enfermés, les casernements proches du donjon, ainsi que le fort neuf et la caserne des dragons, à l’orée du bois, fourmillaient habituellement d’uniformes vert-de-gris. Pas un Allemand dans les rues de Vincennes. L’occupant tentait peut-être de convaincre la population que cette opération répressive relevait surtout de la volonté du pouvoir de Vichy de nettoyer la France de ses Juifs.

* *
*

Au terme de cette journée qui s’était déroulée dans une chaleur éprouvante, un violent orage s’était abattu sur la région parisienne, comme pour laver le crime commis par ces mercenaires ayant oublié qu’ils avaient été – parfois – des policiers républicains.

Maurice Rajsfus, 2017
Rescapé de la rafle du Vél’ d’Hiv’

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Les Éditions du Détour republient les livres de Maurice Rajsfus, militant et historien de la répression Maurice Rajsfus. Vous retrouverez notamment sur le même sujet La Rafle du Vél’ d’Hiv, La Police de Vichy, avec une préface d’Arié Alimi, Opération étoile jaune ainsi que Paris, 1942 – Chroniques d’un survivant.

En partenariat avec l’association des ami.e.s de Maurice Rajsfus
www.mauricerajsfus.org

Maurice Rajsfus - survivant de la shoah . fondaeur de l'Observatoire des libetés publique

 

wikipédia à jour au 12 Mars 2022 – consulté le dimanche 29 Mai, après avoir reçu son texte sur la rafle du Vel’d’Hiv.







Maurice Rajsfus

Image dans Infobox.

Maurice Rajsfus à Orléans (maison des associations), en septembre 2005.

Biographie

Naissance

9 avril 1928




10e arrondissement de Paris

Décès

13 juin 2020

(à 92 ans)
Antony

Sépulture

Cimetière de Cachan

Nom de naissance

Maurice Plocki

Nationalité

Française

Activités

Journaliste, écrivain

Fratrie

Jenny Plocki

Autres informations

Partis politiques

Parti socialiste unifié
Parti communiste français (1944-1946)
Parti communiste internationaliste (1946-1950)

Membre de

Syndicat national des journalistes

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Maurice Rajsfus, pseudonyme de Maurice Plocki, né le 9 avril 1928 à Paris 10e et mort le 13 juin 2020 à Antony (Hauts-de-Seine), est un écrivain, journaliste et militant français.

Il est auteur de nombreux livres dans lesquels il a abordé les thèmes du génocide des juifs en France, de la police et des atteintes aux libertés. En 1994, il a cofondé l'Observatoire des libertés publiques1,2, qu'il préside.



Biographie

Né en 1928 dans le 10e arrondissement de Paris3, Maurice Plocki — qui prendra comme pseudonyme le nom de sa mère4 — est le fils de Mushim Plocki et Riwka Rajsfus, Juifs polonais arrivés en France au début des années 1920. Ils ont été mariés par le maire d'Aubervilliers, Pierre Laval, « alors encore avocat pacifiste »5. Ses parents gagnent alors leur vie comme marchands forains, vendant des bas et des chaussettes dans les villes de la banlieue Nord de Paris4.

Rescapé de la rafle du Vél’ d'hiv’

En juillet 1942, alors qu'il a 14 ans, il est arrêté avec ses parents et sa sœur aînée, Eugénie/Jenny, 16 ans, lors de la rafle du Vélodrome d'Hiver par un policier « un temps voisin de palier […]. Lorsque, en 1988, Rajsfus tentera de l'approcher (« pour comprendre »), le retraité l'éconduira d'un brutal : « Ça ne m'intéresse pas ! » Il n'a cessé depuis d'incarner cette « police de Vichy au passé trop présent, sans remords et sans mémoire »5. Maurice Rajsfus est relâché avec sa sœur à la suite d'un ordre aléatoire excluant les enfants juifs français de 14 à 16 ans de la rafle5 ; ses parents ne reviendront pas6.

Au lendemain de la guerre, il est « "Jeune communiste" à 16 ans, et participant aux Brigades de travail en Yougoslavie, puis exclu à 18 ans pour "hitléro-trotskisme", militant de la IVe Internationale avant 1950, puis du groupe Socialisme ou barbarie avec Lefort et Castoriadis, mobilisant le mouvement des Auberges de jeunesse contre la guerre d'Algérie dès 1955 et président de Ras l'Front de 1991 à 1999 »5.

Créateur de l'Observatoire des libertés publiques

Un an après que, le 6 avril 1993, Makomé M’Bowolé a été tué7,8,9 d'« une balle dans la tête à bout touchant »10 alors qu'il était interrogé, menotté, au commissariat des Grandes Carrières (18e arrondissement de Paris)5, Maurice Rajsfus fonde l'Observatoire des libertés publiques, qui publie un bulletin mensuel, Que fait la police ?. Il y démontre par l’exhaustivité des faits que ces meurtres ne sont ni des dérapages fortuits ni des accidents, mais l’aboutissement d’une violence systémique et quotidienne, toujours exercée au nom du maintien de l’ordre public.

Pour lui, le lien entre passé et présent est constant, notamment dans la surveillance de la police : « Ils ont volé des années de vie à mes parents. Tous ont participé aux rafles quand ils étaient requis. Pratiquement pas un seul n’a démissionné. Si la police française ne s’était pas mise aux ordres, jamais il n’y aurait eu autant de dégâts. Il y a eu 250 000 déportés de France, dont 76 000 Juifs, les autres étant, pour l’essentiel, des communistes et des gaullistes… Et que dire de ce policier qui, rendant compte à la préfecture de sa mission, ose écrire, le 22 juillet : "Le Vél’ d’Hiv’ est évacué. Il restait 50 Juifs malades et des objets perdus, le tout a été transféré à Drancy" »11.

Après 20 ans de recherches et près de 6 000 « faits divers » policiers relatés12, Maurice Rajsfus met fin au bulletin Que fait la police ? en avril 2014.

Antisioniste

Définissant le sionisme comme un « projet présenté comme "généreux" par ses initiateurs », il considère qu'il « a rapidement dérivé en une entreprise également raciste »13. En parallèle, il dénonce l'utilisation de l'accusation d'antisémitisme qui est, selon lui, devenue « une arme brandie contre tous ceux qui s’opposent au sionisme, idéologie active qui ne saurait souffrir la moindre critique »14.

Il publie, en 1990, Palestine : chronique des événements courants, 1988-1989 et L'Ennemi intérieur : Israël-Palestine, livres dans lesquels il décrit Israël comme « une démocratie sous haute surveillance » et dénonce les exactions de l'armée israélienne15.

Études et recherches

N'ayant longtemps eu que le certificat d’études, puisqu'il quitta le collège à 14 ans, Maurice Rajsfus a cependant passé un doctorat en sociologie en 199216.

Il a été à plusieurs reprises membre du jury des Big Brother Awards France, et a préfacé le livre Big Brother Awards. Les surveillants surveillés (2008)17. Toutefois, il n'a pas une formation académique dans le domaine de l'Histoire. Pierre Vidal-Naquet note dans sa préface du livre de Maurice Rajsfus consacré à l'Union générale des israélites de France (UGIF) que « Entre Maurice Rajsfus et moi, il y a, dois-je ajouter, une autre différence. Je suis, il n'est pas un "historien de profession" », et il estime qu'« Il y a parfois à discuter sur la façon dont Maurice Rajsfus aborde le matériel historique, mais "Messieurs les Historiens" − et je ne m'excepte pas du lot − auraient dû commencer »18.

Décès

Maurice Rajsfus meurt le 13 juin 2020 à Antony19. Les Éditions Libertalia, qui l'avaient édité, annoncent : « Maurice Rajsfus vient de nous quitter après un combat inégal de six semaines contre la maladie. Nous poursuivrons ses combats pour la justice et l'émancipation. Ami, ta rage n'est pas perdue ! »20. Il est inhumé le 18 juin 2020 dans le cimetière communal de Cachan21, en présence notamment, outre ses enfants Michelle et Marc et ses petites-filles, de l'adjoint au Logement de Paris, Ian Brossat, de l'ancien candidat du parti NPA (alors LCR) à l'élection présidentielle Olivier Besancenot, du journaliste David Dufresne ou encore de la maire de Cachan, Hélène de Comarmond.

Publications

  • Des Juifs dans la collaboration, L'UGIF (1941-1944), préface de Pierre Vidal-Naquet, éd. Études et Documentation Internationales, 1980 (ISBN 2-85139-057-0 et 978-2851390578).

  • Des Juifs dans la collaboration : Une terre promise ? (préf. Pierre Vidal-Naquet), vol. 2 : Des Juifs dans la collaboration : l'UGIF (1941-1944) : précédé d'une courte étude sur les Juifs de France en 1939, Paris, EDI : Études et documentation internationales (BNF 34637339), puis l'Harmattan (BNF 35080365), 1er janvier 1980, 403 p., contient un choix de témoignages et documents (ISBN 2-85139-057-0, EAN 978-2851390578, OCLC 6892798, BNF 36255558, lire en ligne [archive]).

  • Sois Juif et tais-toi ! 1930-1940 – Les Français « Israélites » face au nazisme, éditions de l'Atelier, 1981 (ISBN 978-2851390646).

  • Retours d'Israël, , éditions L'Harmattan, 198722

  • Jeudi noir, Paris, éditions L'Harmattan, 1988 (ISBN 2-7384-0039-6) (sur la rafle du Vélodrome d'Hiver).

  • Les Silences de la police – 16 juillet 1942-17 octobre 1961, avec Jean-Luc Einaudi, éd. L'Esprit frappeur, 2001 (ISBN 2-84405-173-1), sur la rafle du Vel' d'Hiv' et le massacre des Algériens à Paris du 17 octobre 1961.

  • Palestine, chronique des événements courants, 1988/ 1989, éditions L'Harmattan.

  • La Rafle du Vél’ d’Hiv’, collection « Que sais-je ? », éditions PUF.

  • N'oublie pas le petit Jésus ! – L'Église catholique et les enfants juifs (1940-1945), Manya, 1994 (ISBN 2-87896-096-3).

  • La Police de Vichy, Les forces de l'ordre françaises au service de la Gestapo 1940-1944, Le Cherche midi, 1995 (ISBN 2-86274-358-5).

  • La police hors la loi – Des milliers de bavures sans ordonnances depuis 1968, Le Cherche midi, 1996 (ISBN 2-86274-466-2).

  • Les Français de la débâcle – Juin-septembre 1940, un si bel été, Le Cherche midi, 1997.

  • Mai 68 – Sous les pavés, la répression, Le Cherche midi, 1998.

  • La Censure militaire et policière 1914-1918, Le Cherche midi, 1999.

  • Souscription pour l'édification d'un monument au Policier Inconnu, L'Esprit frappeur, 1999.

  • De la victoire à la débâcle 1919-1940, Le Cherche midi, 2000.

  • 1953, un 14 juillet sanglant, collection « Moisson Rouge », Agnès Viénot éditions, 2003.

  • La Libération inconnue – À chacun sa résistance, Le Cherche midi, 2004 (sur la Libération et la Résistance).

  • Drancy, un camp de concentration très ordinaire, 1941-1944, Le Cherche midi, 2005 (ISBN 2-86274-435-2), sur le camp de Drancy.

  • Le Chagrin et la colère, Le Cherche midi, 2005.

  • La France Bleu Marine – De Marcellin à Sarkozy (mai 1968-octobre 2005), L’Ésprit frappeur, 2005.

  • Moussa et David, dessin de Jacques Demiguel, Tartamudo, 2006.

  • Candide n'est pas mort, Le Cherche midi, 2008.

  • Portrait physique et mental du policier ordinaire, éd. Après la Lune, 2008 (ISBN 2352270448 et 978-2352270447).

  • Les mercenaires de la République, Éditions du Monde libertaire, 2008, (BNF 41269779), (OCLC 234041168).

  • À vos ordres ? Jamais plus !, Éditions du Monde libertaire, 2009.

  • 17, rue Dieu et autres cris de colère, Le Temps des cerises, 2009 (ISBN 978-2-84109-750-0).

  • L'Intelligence du Barbare, Éditions du Monde libertaire, 2010 (ISBN 978-2-915514-36-0).

  • Le Petit Maurice dans la tourmente, 1940-1944 – Quatre ans parmi les sous-hommes (bande dessinée), dessin de Mario et Michel D’Agostini, avec le soutien du Mémorial de la Shoah, éd. Tartamudo, 2010.

  • Je n'aime pas la police de mon pays – L'aventure du bulletin Que fait la police ? (1994-2012), illustrations de Siné, Faujour et Tignous, éditions Libertalia, collection « À boulets rouges », 2012 (ISBN 978-2918059240).

  • La Rafle du Vél' d'Hiv (adaptation théâtrale de Philippe Ogouz), éd. Le Cherche midi, 2003 (ISBN 978-2749101583).

  • Avec Daniel Giraud, Patrick Schindler, René Schérer, Criminalisation de l'immigration, répression policière : arguments pour l'émancipation sociale, Éditions du Monde libertaire, 2006, (OCLC 470536333).

Notes et références

  1. Stéphane Dupont, Maurice Rajsfus. Retours d'Israël (compte-rendu) [archive], Politique étrangère, Année 1987, 52-4, pp. 1021-1022

Annexes

Sur les autres projets Wikimedia :

Cinéma

  • L'An prochain, la révolution, un film de Frédéric Goldbronn, prod. et dist. Cauri Films, 2010 - vidéo couleur, 71 min.

Théâtre

Une adaptation théâtrale, La Rafle du Vél' d'Hiv, a été réalisée et jouée en 2004 par Philippe Ogouz d'après trois livres de Maurice Rajsfus : Opération étoile jaune (Le Cherche midi), Chroniques d'un survivant (Noésis), La Rafle du Vél' d'Hiv, (PUF).

Articles connexes

Liens externes

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