jeudi 12 octobre 2017

la bifurcation - récit . premier jet - 1






Commencer est difficile, le projeter est au préalable oublier que ce sera difficile et que tout sera imprévu. Projeter de commencer ignore le risque de l’impasse, de l’inertie, de l’échec qui entame bien plus qu’une œuvre inachevé ou un chemin barré, qui atteint ce dormeur apercevant qu’il ne fait rien de sa vie. Il ne saura, qu’ayant échoué, préférer la fécondité et la tranquille plénitude d’une quelconque contemplation à ce qu’il avait cru monumental et achevé parce qu’il l’aurait fait et construit.

C’était le milieu du jour, l’endroit lui était devenu de plus en plus cher. Il se l’appropriait chaque fois davantage, y venant, s’y arrêtant, stationnant la voiture devant plusieurs colonnades de troncs chacun magnifiques. Il ne levait les yeux qu’allongé sur les épines de ces pins, un peu plus loin là où va commencer la mer par la saillie des racines, par le sable puis la vase, les graviers, les rochers sans accident qu’elle découvre tranquillement et sans la rumeur habituelle de l’océan qu’ailleurs il était allé, souvent, les années précédentes, écouter, seul.

Il y avait des bouquets au-dessus des troncs, parfois, les épines s’étaient accumulés comme d’énormes moutons de poussières sur des étals de branches et ne tombaient pas. D’autres frondaisons se compliquaient plus légères. Les horizons – là – n’existaient pas. Le golfe était fermé, d’où il était, aucune embouchure à distinguer, mais une géographie qu’il avait parcouru et qui déterminait de si nombreuses routes, étroites, plates, disponibles comme une éternité où l’on serait déjà arrivé et qu’il serait permis de s’approprier en temps et en espace. Il y avait l’eau et depuis le parterre des pins faisant plafond, voute, ogives le ciel ne se voyait pas. Il n’était pas même logique.

Les troncs par les colonnades qu’ils formaient lui indiquèrent cet après-midi là qu’il était qu’il comprenne. Plus que leur tranquillité à chacun, plus que le rythme de leurs alignements, pourtant, au total, ils étaient peu nombreux, la vingtaine là où ils étaient si réguliers, davantage mais sans suggestion que quelques dessins ou formes qui leur étaient propres, de l’autre côté du chemin qui finissait presqu’à la pointe. Un peu plus loin, hors les arbres, se faisait ainsi la séparation entre le plan d’eau, seulement compliqué par les contours des rivages, et une façon d’étang intérieur. La mer se prêtait à des dimensions différentes et se laissait devant lui dominer par les terres, tandis que derrière lui elle laissait pressentir qu’elle deviendrait un peu plus loin, davantage libre de quelques derniers caps et avancés, l’océan.

Il regarda les alignements, sans lever les yeux puisqu’il était debout, et comprit.

Quelque part, il s’était trompé. Il aurait du prendre par là. Non, par ici. Ce n’était pas qu’une fois, souvent il s’était trompé. Il n’avait pas vu la direction, la bonne. Mais à quel point de vue ? Vu d’aujourd’hui, ce semblait si abstrait. Ce qu’il comprenait n’était pas la direction qu’il aurait du choisir ou prendre. Ce n’était pas non plus qu’il eût préférable qu’il se laisse prendre. A y réfléchir, il n’avait jamais été choisi ni pris, quelque prière qu’il fit pour que cela lui arrive. Non ! Il comprenait qu’il avait depuis longtemps, depuis toujours peut-être avancer sur… le mot ne lui vint pas, mais l’image lui était suggérée, peut-être par les petites routes qu’il commençait de connaître : il les avait parcourues, elles se devinait de l’autre côté de l’eau, aucun arbre, mais des remblais et des marais entre l’eau et leur sol. Rouler ? marcher ? avancer ?  le long de … mais de quoi ? sur… mais sur quoi ? une route toute faite ? des murs ? des paysages ? un chemin déjà tracé ce qui oblige le mot et le fait : l’emprunt. Une vie d’emprunt ? une carrière d’emprunt ? un livre censément écrit par lui : emprunté ? Des autres amours que ceux qui s’étaient offerts à lui ou l’avaient accepté ? Un modèle, venant de qui ? suggéré par quoi ? un idéal ? la précaution pour de ne pas devenir autre ? Le choix avait-il été existé ? et pourtant il lui sembla soudain devant les quatre alignements, sans âge, sans mouvement, apparemment sans vie, mais si présents, si suggestifs, qu’il y avait eu une bifurcation et qu’il l’avait manquée, qu’il ne l’avait pas même remarquée. Quand ? à quel moment ? où ?


Reniac, à ma table de travail, jeudi 12 octobre 2017
12 heures 15 à 12 heures 49