samedi 27 décembre 2014

journal d'il y a cinquante ans


Dimanche 27 Décembre 1964                    



Deo gratias. – Magnificat anima mea Dominum et exultavit spiritus meus in Deo salutari meo. Qui respexit humilitatem ancillae suae, qui fecit mihi magna qui potens est, et sanctum nomen ejus. – Gloria Christo qui natus es ex Virgine, cum Patre et Spiritu Sancto. – Eructavit cor meum verbum bonum : dico ego opera mea Regi, lingua mea calamus scribae velociter scribentis. – Noël.

Garçons heureux d’être ici, de vivre Noël. Joie du ski dans la « profonde ». Ciel couvert cet après-midi. Froid pendant la remontée. Descente le long des pylones. Hugues, Christian, Emmanuel, Vincent, moi. Beaucoup de joie. Tas de neige, poussière blanche, légère. Larges virages en chasse-neige. Anxiété pour savoir si cela tournera. Foncer en « trace directe ». Les sapins qui arrivent. Et l’on recommence. Et l’on est heureux. Et autour de moi, ils sont heureux. Nous. Toi, Seigneur. Remontée seul, sur une benne. Seul avec Toi.

Ce matin, neige était allante,  légère. Piste classique, avec Bernard, Jean-Marie, François, d’autres garçons. Film. Photo. Paysages merveilleux. On est dedans.

Ce soir, messe, sermon merveilleux du Curé. Effort, et illumination. Seigneur Jésus, apprenez-nous à être généreux.

L’autre soir, avant la messe de minuit. Discussion. Méditation. Etudes par petits groupes sur l’ensemble des textes de l’Avent. Je crois que cela a fait du bien. Seigneur, la journée est trop courte pour te prier pour ceux que l’on aime.

Avant-hier, prière-méditation par Benoît. « Je vous le déclare : vous neme verrez plus désormais jusqu’eau jour où vous pourrez dire : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ». Evangile St Etienne.

Hier soir, prière par Jean-François. Jean, aimé avec prédilection par le Christ. Humanité profonde, merveilleuse du Christ. Confiance. Faire confiance, alors pas de problème, a répété Jean-François. Quelle joie en l’écoutant.

Hier, un bon tiers du groupe à la messe de 17 h 3. Action de grâces. Confession. Examen de conscience guère lumineux. Mais rencontre du Christ. Pénitence : offir ma vie au Christ. Ensuite, nous avons marché sur la route, avec le Père Rôle eschatologique du prêtre au XXème siècle. Se vouer totalement, sans retour, au Christ.

Je crois que le rpoblème de « mon orientation » est inifiniment simple. Et que ce qui le fait paraître difficile, c’est que je suis entravé par énormément de choses, par moi-même (cf. conseil du Père pendant ma confession : selibérer du mal, se libérer de nous-mêmes).

Obviam Christo, oui ou non. Appel d’amour (cf. le Père Lamande). Le royaume des cieux, conquis par les violents (cf. sermon du Curé, ce soir).

Ambitions politiques que je ressens sont louables, mais combien limitées, alors que je peux me donner totalement au Christ.

J’ai le sentiment, ce soir, que le problème est très clair. Suivre le Christ à la trace. Me donner entièrement à Lui. Etre son prêtre. Entrer dans la Compagnie de Jésus. Ren+oncer à mes ambitions, pour ne servir que l’ambition et toute l’ambition du Christ, rachetant l’humanité. 

C’est même curieux, combien les choses me paraissent simples ce sir. Combien ma vocation ne fait aucun doute, et combien je manque de générosité. Et comme le pire ennemi de ma vocation, c’est moi-même. Toute cette indécision, voulue par Dieu, c’est le résultat de mon égoisme.

Action de grâces, ce soir, aux côtés de Michel. Marche à l’Hôtel de la Poste, sans dire grand-chose. Je peux compter sur sa prière.

Seigneur, je t’offre ma joie, que ma joie soit tienne puisque c’est Toi qui me la donne. Ce garçon (Denys) qui fredonnait tou à l’heure, son cœur débordant de joie. Emm. « L’abandon des affections les plus pures ».

Seigneur, merci de toute mon âme.
Merci de m’entrainer à ta suite.
Merci du passé, du présent, si chaud et heureux.
Merci de l’avenir que tu me prépares.

Merci de ces garçons cotoyés, aimés.
Merci de ces résultats de l’ENA.
Merci de la neige, des arbres, du ciel bleu au couvert.
Merci des joies de la photo,
des découvertes du Curé ou du Père.
Merci de tout,
du chagrin d’hier, de l’espérance de ce jour,
de l’espérance de demain,
de la souffrance, du doute, du froid 
d’hier, d’aujourd’hui, de demain.
De ce cafard du début du camp,
de cette joie lumineuse d’aujourd’hui,
de cette réflexion sur les textes de ‘lAvent,
 de ces parties de bridge,
       de ces discussions- exposés politiques.

MERCI

Seigneur, mon Dieu,
mon Roi, mon maître,
mon frère,
plus intérieur à moi-même,
plus vrai, plus existant que moi

Toi qui existais avant moi,
Toi qui m’aimes
Toi qui aime ceux que j’aime,
Toi pour qui des hommes quittent tout,
Toi, mon Dieu.
Pater noster, Notre Père.
Christ ressuscité d’entre les morts,
Esprit qui nous fait respirer et aimer. 

+[1]



[1] - croix scoute, dite de Jérusalem

mardi 23 décembre 2014

journal d'il y a cinquante ans


Mercredi 23 Décembre 1964                     19 h 50



Installé à Abriès [1] . Peu de gens. Temps correct. Télésiège ne fonctionne pas.

Vu le Curé ce soir, avec Michel. Un contemplatif. Un regard. Une flamme intérieure, une joie, communicative.

Tout aujourd’hui, guère de joie en moi. J’attends l’ami qui me donnera à boire [2]. Celui qui me donnera à boire,à vivre, à chanter. Michel, très occupé avec Philippe C. [3]. Une ou feux de mes phrases à l’emporte-pièce lui fait penser que je juge les autres. Le courant ne passe pas. M’aime-t-il ? Peut-être m’a-t-il aidé aujourd’hui ? Mais je n’ai pas eu la douceur humaine de le savoir.

Christian, quelques phrases, mais j’ai l’impression qu’il n’y a pas réciprocité. Si je me livre, et actuellement je ne puis donner que de l’incertitude, lui, ne se livre pas.

Je suis demandeur. Je suis faible et pauvre. Ma joie a passé. Je ne sais où aller. Et cependant surnaturellement, donc réellement, je sais que Dieu continue à m’emmener, mais je ne sais où. Seigneur où es-Tu ? Tu es là, mais où est ton chemin. Où m’emmènes-Tu ?

Demain, vigile de la Nativité. Transcendance et toute-puissance du Seigneur
- fait de Paul, l’Apôtre des Gentils
- enceint la Sainte Vierge de son Fils par l’intervention de l’Esprit
- fait comprendre cela et l’accepter à St Joseph

Au Seigneur appartient la terre et tout ce qui la remplit, l’univers et tous ceux qui l’habitent.  Chant d’Entrée

Les participants à ce camp en tireront-ils tout le parti ? se rapprocheront-ils de Toi, suivant ton plan. Alors qu’il me faut porter ce camp [4], je ne puis me porter moi-même.

Seigneur, prends en main ce camp. Prends ma vie. Prends tout ce que j’aime. Donne-moi tout. Fais-moi connaître ce que tu veux. Seigneur, vous savez bien que je vous aime. Et que je suis dans la joie de ta venue à Noël.

Ce soir, Seigneur, je t’offre ma tristesse, mon inquiétude quant à l’avenir, la peine d’être séparé de mes parents, ma déception devant Michel. Je t’offre, tout ce que j’aurai voulu dire ce soir à la prière. Je t’offre, tout-même qui t’offre à travers moi.


[1] - Hautes-Alpes, le Queyras… j’y emmène une quinzaine de mes anciens scouts, les aînés

[2] - réminiscence d’une fiche de lecture et d’un dialogue, récent à Solesmes, avec le Père Hôtelier, Jacques Meugniot

[3] - un de ses amis, étranger à notre groupe qu’il a souhaité que nous emmenions, fortes études scientifiques
[4] - de ski. Nous logeons dans le rez-de-chaussée d’une ferme désaffectée, salle commune et hygiène, cuisine minima

complimenter une femme ?

dimanche 21 décembre 2014

rencontres par bribes


Messe très priante. Sortie passionnante. Notre cher Alain de L., ne parvient pas à dormir, faire le vide, chez un de ses fils demain : les veufs de femmes handicapées font encore moins leur deuil, surtout dans les débuts, trop de formes de rupture et de départs. Beau visage quoique vieilli, atteinte probable de quelque maladie dégénérative, il tremble, nous ne nous connaissons que de vue. Un troisième formant groupe, s’apercevoir souvent sans s’adresser la parole, nous le faisons à présent, à mon initiative. J’évoque les transports en commun, le regard est une rencontre, parfois aucun texte, mlais c’est inoubliable. Il acquiesce, je dis : même dans le métro, il en doute davantage, mais les mariages et les enfants dans les transports publics. Moins banal et surtout un véritable métissage que les unions se formant dans le travail ?Un magnifique poney, noir anthracite, admirablement tenu, le front blanc, un large trait seulement, une natte pour une partie de la queue, une coiffe entre les oreilles faisan,t bois de rennes, les enfants, dont Marguerite tour à tour. Emmanuelle, Marie et Fanny, chacune avec bonnet de Noël. Les yeux beaux de la mère, le visage fatigué. 35 hectares dans le commune voisine, le poney, donc puis logement social ici, le poney dans un centre équestre dont elle a pu le retire : dix neuf ans pour le confier chez mon amie Josiane. Départ du père et mari, elle philosophe, mieux vaut être seul… que, mais je suis scandalisé. Elle espère pouvoir habiter Vannes, les deux filles ont l’air heureuses. L’épouse ou est-ce d’un autre ? de celui des trois pour tout à l’heure qui me paraît atteint de je ne sais quoi, branlant du chef… soudain, l’à peine perceptible dissymétrie des yeux, mais un vert doux et ardent, c’est le regard de Charlotte RAMPLING. Le disant à celle qui me fait face, probablement mon âge ou pas loin, elle ne peut le croire, y croire … un compliment. Je l’assure de la vérité, et sans doute ai-je la grâce de lui faire plaisir pour longtemps.

jeudi 18 décembre 2014

le portrait qui s'affine

journal d'il y a cinquante ans



ouverture d'un troisième cahier - toujours manuscrit -, que je titre ainsi

Omnia quaecumque voluit, Dominus fecit
Tout ce que le Seigneur a voulu, il l’a fait
              
              Ps. 134
                               Vêpres . Mercredi



A M O U R

C R E D O

E S P E R A N C E

au milieu des pleurs, du doute, de l’inquiétude
au milieu des questions, au milieu du passé et de l’avenir
dans l’angoisse de rater ma vie,
dans l’inquiétude de na pas avoir la vocation
dans l’ardeur et la soif de tout désir

dans toute illumination du corps et du cœur, dans toute joie, dans tout
                
                                                                                                                     Vendredi 18 Décembre 1964


Dans quelques jours, je serai fixé pour l’E.N.A.. Le résultat étant maintenant si proche, je n’ai plus acuune impression. Mais, au fond, je suis resté détendu jusqu’à la fin. Un résultat positif me causera beaucoup de joie, certes. Mais j’ai tellement l’impression que tout cela est peu, que tout cela n’est pas l’objectif que je voudrai de tout mon être, atteindre, que cette joie sera superficielle. J’en aurai une beaucoup plus porofonde, beaucoup plus calme et beaucoup plus vraie si j’entrais demain au noviciat, sûr que Dieu m’y appelle.

Entrer au Noviciat sera de toute façon, une folie, un risque, un pari total et définitif sur le Christ. En poursuivant l’ENA, en me mariant, j’ai l’impression – pour l’instant – que je manquerai totalement ma vie.

Comme il est dur de m’abandonner à Toi, Seigneur, sans savoir où Tu me mènes.

« Soyez toujours joyeux dans le Seigneur. Je le répète : soyez joyeux ! Votre sérénité dans la vie doit frapper tous les regards, car le Seigneur n’est plus loin. Ne vous inquiétez de rien ; mais dans toutes vos prières et supplications, en même temps que vous remerciez Dieu, exposez-lui vos besoins. Et que la paix de Dieu, qui dépasse tout ce que nous pouvons imaginer, garde votre cœur et vos pensées, dans le Christ Jésus notre Seigneur. »

Philipp. IV  4.7
3° Dim. Avent

Cet Epître m’a beaucoup frappé. Comme la liturgie est précise, et qu’elle fournit à notre vie tout son itinéraire. C’est merveilleux de joie et de simplicité. Evidence du travail de l’Esprit Saint qui nous fait respirer individuellement au rythme de la vie liturgique de la communauté ecclésiale, à travers l’espace et le temps.

Du coup, dès dimanche soir, j’ai lu l’Epître aux Philippiens, que je n’avais jamais lue entièrement, à la suite.

A la vérité, je l’ai lu, comme on prendrait connaissance de la lettre d’un ami, qui a plus d’expérience et de joie que vous. Et par instants, je me voyais dialoguant avec saint Paul. Car je crois que nous aurions beaucoup sympathisé, et que nous avons beaucoup de points communs.
Mais lui, il s’est abandonné entièrement à la volonté de Dieu. Il est vrai que Dieu l’a bousculé (chemin de Damas). C’est ce qui doit me rassurer. Que Dieu ne perd pas de vue ses enfants. Et qu’en définitive, il sonde les reins et les cœurs, et qu’il répond – et au-delà – au désir de tout notre être de Le voir, de Le connaître, de nous reposer en Lui, pour goûter le bonheur qui ne finit jamais.

Après la soirée, nous sommes allés en groupe manger une soupe à l’oignon (que je n’ai pas aimée) au Pied de Cochon, puis à la messe à Notre Dame. Messe en 25’, à 7 h. A 5’ près, nous eussions pu communier et j’avais par moment envie de demander au prêtre de ralentir [1]. Comme une messe sans communion est mutilée. Comme j’éprouve un besoin presque physique de prier à tout moment de la journée.

Sermon simple et hésitant. Mais comme le fond est toujours le même : humilité de Jean Baptiste, affirmation de la vérité, s’abandonner à la volonté de Dieu. Je suis vraiment frappé de cette convergence.

J’ai assisté à une seconde messe à 7 h 30 pour pouvoir communier et suis sorti, accablé de sommeil, mais Jésus était en moi.


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Soirée du 12 Décembre, aux salons de l’Amérique Latine, incontestablement réussie [2]. J’y ai pris grand plaisir, et aimerai beaucoup recevoir. Cadre épatant. Bon orchestre. Modes ravissantes. Papa et Maman détendus.

En comparant, puisque beaucoup étaient là, les jeunes filles avec qui je sors, je donne la palme à Irène B. Son visage, impossible à décrire, tant il a le flou rêveur du charme, m’a hanté pendant ces derniers jours. Ce sont surtout ses yeux et son sourire qui m’ont à nouveau frappé (je l’avais remarquée, et avais été ébloui, chez les D. l’an dernier, elle avait alors robe courte rouge et cheveux noirs tombant plus bas que les épaules). Beaucoup de douceur. Je me demande si je lui plais.


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Mercredi matin, reçu la réponse de Marie José T., ne peut se rendre à notre rendez-vous de vendredi après-midi. J’ai été de mauvaise humeur toute la matinée. Peut-être à cause de cela.

Je crois que la Providence a bien fait, et que la situation eût pu être bien compliquée. Comment se rencontrer, lorsqu’on est résolu à ne pas s’engager ?

Aspect extérieur polygame, parce que je ne suis pas fixe. Et je ne suis pas fixé, parce que je ne peux l’être, que je sens très bien que je ne peux m’engager pour l’instant aussi bien d’ailleurs dans la vie religieuse, que dans le mariage.

Comme le Seigneur a encore à faire en moi !


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Reçu la visite – pendant une heure – jeudi dernier (hier) de Michel. Je ne sais s’il l’a ressenti, mais grande difficulté à nous comprendre, à communier, à nous exprimer. Mais peut-être que notre dialogue et nos silences, ont-ils été plus vrais, un peu comme la prière desséchante, comme le besoin indicible de Dieu, est la plus belle prière qui soit ?

M’a fait remarquer, que je ne trouvais pas grand-monde de « bien ». Qu’au fond, je ne savais peut-être pas les découvrir ? c’est peut-être vrai. En tout cas, c’est grave. Cela vient peut-être du fait que je suis très exigeant. Et qu’il y a une différence entre aimer et trouver « bien sous tout rapport ». J’aime quelqu’un, dans la mesure où je le sens perfectible, où je pressens qu’il veut se parfaire, et où je sens qu’il est à la trace de Dieu, docile à son amour, où je ressens que Dieu est à l’œuvre en lui.

Avec cette définition, je devrais aimer tout le monde, c’est d’ailleurs ce à quoi le Christ m’appelle et effectivement en regardant tout être sous cet angle, non par ce qu’il est, ce qu’il veut, mais ce que Dieu a fait, et fait en lui, ce que Dieu veut qu’il fasse et qu’il soit, on ne peut pas ne pas aimer cet être, ce garçon.

Jean Philippe [3] avec qui je parle longuement après la soirée à l’Eléphant Blanc, mercredi soir. Désires-tu la Foi ? Non. En as-tu la nostalgie ? Non. Et confiance en Dieu, qui lui donnera d’aimer, quand Il le voudra. Prière, et chapelet (mal dit) le soir, pour Jean-Philippe [4]. Intelligent. Séduisant . mais qui risque de tout manquer. Et je ne peux rien faire pour lui que prier. PRIER.

Emmanuel [5], passionné, sympathique – je veux tout et tout de suite. Une carrière où il aura des responsabilités, des contacts, où il bougera, où il sera debout. Certes, beaucoup veulent cela inconsciemment. Mais l’entendre dire et proclamer dans la bouche d’un garçon de 15 ans. Comme on se sent pauvre et incapable de lui dire ce qu’on voudrait lui dire. Comme on est impuissant à le conseiller, à l’aider à choisir. Il est vrai que pour l’instant, il n’y a pas à choisir, mais à vivre, à découvrir, à acquérir le sens de Dieu, l’intuition de Dieu à l’œuvre dans notre vie quotidienne. Encore une fois prier pour lui, l’entourer d’affection. Avait déjà lu le grand Meaulnes, comme Jean-Philippe d’ailleurs.


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Ce soir, messe à 18 h 15 à Saint-Philippe. Communion. Coup d’œil au panneau d’affichage de l’ENA. Téléphoner à la maison. Dîner chez les D.

Peut-être vas-tu bouleverser ce petit programme, Seigneur ? Peut-être vas-tu boulevser ma vie, Seigneur ? In manus tuas, Domine, commendo spiritum vitamque meas.

Depuis que j’ai quitté Solesmes, il y a en ce moment exactement une semaine, BESOIN DE PRIER, BESOIN DE DIEU comme jamais je ne l’avais connu encore autant ressenti. Je ne peux plus me passer de Dieu. Capture de Dieu. Même quand je ne pense plus à Lui (ce qui se trouve la plupart du temps), j’en garde la nostalgie. Je ne peux plus vivre sans Lui. Lui seul peut me donner la vie, l’Amour le, Bonheur. Lui seul peut se donner à moi, qui suis pécheur, impur, égoïste, voleur, qui suis misérable et orgueilleux.

Mon âme attend plus sûrement le Seigneur, qu’un veilleur n’attend l’aurore.

Ce qui compte, ce ne sont pas les fautes passées, avouées ou inavouées et dont j’ai le grand remord, car elles ont taché ma vie et m’ont éloigné de Dieu ? mais c’est l’acte que je vais faire et qui déplaît à Dieu, c’est ce que je vais refuser au Seigneur, c’est ce que je vais refuser à son amour, c’est cette coupure, c’est ce non, que je dirai. Tout le reste n’est que désespérance. Alors que Dieu est Amour. Quoniam in aeternum misericordia ejus !

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01 h 45

Dîner chez les Davout. Rentré tard à la maison.

Reçu à l’E.N.A.   44° sur 62

Guère de joie, d’enthousiasme. Cette absnece de réaction de ma part, m’étonne d’ailleurs. J’aurai cru que j’aurais été plus heureux. J’ai même été un peu déçu par ma place… J’aurais été consterné d’être collé. Mais je m’étais fait à l’idée d’être reçu en somme [6]. Bien qu’intellectuellement, je me rende compte que c’est satisfaisant (quoique certains : Fontrojet, Faure, ne m’aient pas fait forte impression). Je suis content et sans plus. Je sens trop que rien n’est résolu. Maman me disait : tu as ce que tu veux [7]. Mais précisément, l’ENA, et même peut-être la diplomatie – toutes ces carrières, ce n’est pas ce que je veux. Je ne sais d’ailleurs pas ce que je veux. Et c’est ce qui fait mon insatisfaction. J’ai surtout besoin de voir clair. De savoir si Dfieu m’appelle. Le fait d’être admis à l’ANE ne me comble pas, ne m’unifie pas. Je ne sais pas davantage ce que sera ma vie.

Ce soir, aussi paradoxal que cela soit, un peu de cafard, de tristesse. Alors qu’on pourrait croire que c’est un aboutissement, un succès auquel j’ai travaillé depuis des années, il ne s’agit, j’en ai l’impression, que de quelque chose comme un peu petite, peut-être très importante, mais qui n’est pas l’essentiel. Je snes bien que je devais être reçu. Plus pour mes qualités et ma personnalité que pour le travail réellement fourni. Et puis, je récolte un peu le temps passé à la Troupe, et tant de gens (scouts, parents, amis) oint souhaité ce succès. Et pourtant je ne suis pas heureux ce soir. D’ailleurs, c’est le signal du départ. Arrachement plus ou moins proche d’avec la famille, les parents, les scouts [8].

Maman avait du chagrin ce soir. Peut-être parce que – moi partui – elle n’aura plus personne à qui faire confiance. C’est au moins ce qu’elle dit. Je le comprends bien. Et me rends compte combien le dialogue avec Papa est difficile à renouer, et peut-être c’est le dialogue durable et possible. J’ai bien conscience que je laissera un grand vide et que Claude [9] et moi, avons été les espérances de Papa et Maman. Et puis aussi, j’aurais dû avoir l’air plus heureux devant eux, plus satisfait. J’ai dû leur faire de la peine, et cela me fait du chagrin. Comme ils accepteraient mal, comme ils seraient révoltés (Maman surtout), si j’entrais dans un ordre religieux. Ce serait pour eux, un effondrement. Ce soir est bien triste.

Seigneur, prends ma peine et celle des miens.
Fais que je m’abandonne à ta volonté,
que je t’aime dans l’ENA et ses carrières,
si c’est cela ton dessein sur moi.

Seigneur, je suis pauvre et triste
Aie pitié de moi et des miens.

De moi qui ne suis nullement comblé
qui vais être séparé de tous ceux que j’aime,
qui tourne une page de ma vie, une page que j’ai
beaucoup savourée et longuement contemplée.
Fais-moi entrer hardiment dans ton inconnu.
Aie pitié de moi. Viens à mon secours.

Des miens que je vais quitter,
dont l’équilibre va être difficile à trouver,
des miens que j’aime par-dessus tout,
que je voudrais heureux et unis.

Des miens qui ne sont peut-être pas préparés
à accueillir ta volonté sur moi.

Seigneur, fais de moi ce que tu veux
Loué sois-tu pour ce résutat
Loué sois-tu à travers cette tristesse de ce soir
à travers la joie de demain,
à travers les jours que tu me donneras.
Loué sois-tu, quoi qu’il arrive,
Pourvu que tu ne m’abandonnes pas.

Faire action de grâces pour ce résultat. Rendre heureux Papa et Maman, en étant heureux de ce résultat (ce que je suis quand même).
De toute mon âme, de tout mon esprit
Kyrie Eleison
Kyrie Eleison
Kyrie Eleison
Christe Eleison
Christe Eleison
Christe Eleison
Kyrie Eleison
Kyrie Eleison
Kyrie Eleison

Un succès est peut-être plus lourd à porter qu’un échec. Si le succès doit être ma croix, Seigneur, fais-la moi accepter. Donne-moi d’être simple et joyeux, donne-moi de m’émerveiller de ce résultat, de m’en réjouir puisque c’est ta volonté évidente.

Ce que Dieu me demande pour l’instant
– surmonter grâce à Lui, cette tristesse et ce cafard, et rendre heureux les autres
– Le louer pour ce résultat et l’en remercier
– m’en remettre à Lui pour tout

+




[1] - c’est l’époque à laquelle il reste d’obligation d’être à jeun depuis minuit, pour pouvoir communier. Les décrets conciliaires changeront complètement cela, au moins en discipline, au point de nous faire perdre toute tempérance avant d’aller censément nous recueillir

[2] - à l’occasion des dix-huit ans de mes soeur et frère jumeaux : Marie-Charlotte et Hugues, elle est donnée par mes parents, en compagnie des C., et marque familialement le retour (qui s’avèrera précaire en 1967) à une certaine aisance, que nous avions perdue plus de deux ans auparavant : dettes de jeux de mon père, dont nous découvrions l’addiction. Déménagement pour obtenir une « reprise », de l’appartement de nos enfances 21 boulevard de Beauséjour à la Muette, dans l’ouest parisien et emménagement très à l’étroit, 148 avenue de Wagram. Nous voici aussi grandement réinstallés (j’ai de nouveau une chambre grande et qui me plaît) : 2 avenue Hoche en adresse, en fait le long de la rue de Courcelles, devant le parc Monceau et sa grille grandiose

[3] - cousin de Laetitia de V., qui m’a occupé de cœur à partir de l’été 1960 : « rallye cours de danse » puis, dans le suite, de nombreuses soirées dansantes ensemble

[4] - de V. aussi – du même cours de danse à nos seize-dix-sept ans ; sans en être conscient, je crois bien l’avoir désiré physiquement ; nous retrouvant en séjour linguistique en Angleterre, l’été de 1958 ? mais assez loin l’un de l’autre, nous sommes allés à Hastings, divers lieux publics « interdits aux chiens et aux Français » et avons tenté de faire passer le temps dans un cinéma projetant un film naturiste ; jeunes et ultra-pudiques, nous nous sommes vite enfuis

[5] - un de « mes » scouts à la 119ème-121ème Paris, grand nom de la noblesse d’Empire  – des parents attentifs et chaleureux, songeant peut-être à moi pour leur jeune fille Hélène

[6] - je l’ai été sans préparation, généralement d’une année à l’époque, pour ceux qui sortaient de Sciences-Po. – admissible 20ème sur près de mille candidats, ai-je su ensuite : j’ai donc été « mauvais » à l’oral

[7] - elle me l’a dit aussi, à ma nomination, si peu de mois avant sa mort : tru aimes bien quand même qu’on te dise : « Monsieur l’Ambassadeur » - je crois que j’étais alors dans le même état d’esprit qu’à l’automne de 1964

[8] - le service militaire que, depuis la fin alors récente : Juillet 1962, on commence de dire : national

[9] - mon frère aîné de dix ans, né au Caire en Décembre 1933, alors interne des hôpitaux de Paris . hôpital Foch

la fiancée et aujourd'hui

mercredi 17 décembre 2014

vendredi 12 décembre 2014

jeudi 20 novembre 2014

journal d'il y a cinquante ans


23 heures 10                     Vendredi 20 Novembre 1964


Impression de chaleur, d’étouffement. Depuis quelques jours, démarche plus lourde, traits tirés. Peu d’humour. Trop de sérieux. C’est le concours. Le travail est abrutissant, même si la matière (comme ce soir, la littérature française) ne l’est pas.

*
*     *


Vu le Père Lamande, mercredi soir.
Au début, j’ai eu l’impression que nous ne nous comprenions pas. N’avait pas lu mes notes. (Les lira avant Noël). Lorsque je lui ai donné les résultats de l’écrit, ma dit qu’il n’y avait plus de problème. Je lui ai expliqué qu’il demeurait
– m’a montré tous les risques, et les désagréments de la vocation, tout ce à quoi il me faut renoncer (carrière, femme)
– a insisté sur le fait que mon choix devait être total, irréversible, définitif
– que la vocation était l’AMOUR, un amour pour Dieu, et c’est tout.
M’a dit
– qu’il refusait de me parler de la période où il m’a le mieux connu : Petit Collège
– de ne pas prendre de décision avant le service militaire, que le service me ferait beaucoup de bien.

A la fin de notre entretien, je crois qu’il avait compris combien ma position est parfois inconfortable, et qu’il est des moments où je souffre réellement de ne pas voir clair, d’errer dans un couloir où toutes les portes sont fermées.

En lisant mon analyse d’écriture, a déclaré
– que je serai très dangereux comme supérieur religieux (cf. Boyau)
– qu’il était indispensable que je sois bien dirigé.
Qu’au fond, je n’étais pas encore en possession de ma personnalité (ce qui est normal à mon âge) et que le bien et le mal étaient tous deux latents en moi.


Trajets, en revenant de l’INS, mardi et mercredi derniers, avec Olivier F.
– est simple, et lui-même. Pas besoin de prendre des gants. Dit facilement ce qu’il pense, simplement. Beaucoup de finesse et de délicatesse. Séduisant au fond.
– pratiquement pas d’idées bien personnelles. Ce qu’il avoue lui-même. N’a au fond guère de caractère. A conscience, et ne regrette pas, d’être le prototype-même de l’élève de l’ENA, semblable à d’autres
– vg. politiquement au centre, mais la politique de l’intéresse pas. C’est l’administration, la gestion qui l’intéresse. Epouser une femme riche, est pour lui une ambition véritable. Ne semble pas avoir de « problèmes ». Guère de profondeur. Mais infiniment de gentillesse, et une intelligence simplifiant les choseds. Je ne lui ai pas posé de questions sur ses croyances.
  chose curieuse (du moins je le crois), s’est assez ouvert à moi, sans que je lui ai fait tellement de confidences en retour.

*
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Conférence de Hallstein [1], hier soir, à la Faculté. Très applaudie. Le mot « politique » particulièrement. Unité politique. Communauté politique. Prise de position capitale : la dégense devra être intégrée si l’on veut faire l’Europe, contre toute menace de désintégration à l’intérieur ou d’écrasement à l’extérieur. En quoi, rejoint les thèses gaullistes.

Je suis de très près ces questions, conscient de l’enjeu formidable de la partie qui se joue. Les Etats-Unis ont tout intérêt – ils l’ont bien compris maintenant – à ce que l’Europe ne se fasse pas. Pour cela, ils dévoyent systématiquement l’Allemagne [2]. La force multilatérale n’a d’autre but que d’amarrer définitivement une partie de l’Europe à l’Amérique, laissant de côté toute l’Europe de l’Est, et compromettant considérablement tout projet d’Europe.

Il faut choisir : l’Europe atlantique n’existe pas. Il faut choisir la Communauté atlantique ou la Communauté européenne. Je choisis la Communauté européenne, dussè-je dire non à la Communauté atlantique.

Si à court terme, l’on peut être pessimiste, on peut être optimiste pour l’avenir. Les Etats-Unis éveillent de plus en plus de méfiance. Il n’y a plus de lien sentimental avec eux (seul Kennedy aurait pu les maintenir). La conscience (ou le nationalisme) européen se fait de plus en plus sentir. Tôt ou tard, l’Europe se fera, contre les Etats-Unis, s’il le faut.

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Guère le temps de penser à la vocation. Ne la désire que dans la mesure où c’est le plan de Dieu sur moi. Sinon, je souhaite que la question soit enterrée. Mais je ne peux l’enterrer. La question reste latente sans pour autant que je puisse la résoudre. Je fais confiance à Dieu pour m’aider à la résoudre quand il m’indiquera de lui poser la question. J’attends calmement. Et la vie religieuse me devient indifférente. Que Dieu tranche en moi. Après tout, c’est lui qui m’a choisi et non pas moi. Il ne m’abandonnera pas. J’ai la foi et cela commande tout mon avenir, mais pas encore assez mon présent.

En tout cas, faire la volonté de Dieu est ma raison d’être. Et je ne serai pas heureux sans cela. C’est cela qui est capital. Quelle est la volonté de Dieu sur moi ? que je ne puisse jamais dire, comme Gide : « C’est à ma taille aussi que j’avais taillé mon bonheur… Mais j’ai grandi. A présent, mon bonheur me serre. Parfois, j’en suis pres étranglé ! ».

Mon Seigneur !
Je n’ai guère la force de te prier.
Je suis fatigué, aveugle.
Je ne vois plus rien.
Le concours barre tout.
Je ne sais plus rien.
Si ce n’est que Tu m’aimes.
Et que j’ai choisi de Te suivre partout.
Et que la vie n’a de sens qu’en Toi.
Et que je ne peux – et ne veux – être heureux qu’en toi.
Je confie, comme tous les soirs, à Ta mère
ma vocation
Si Tu m’appelles, fais-le moi savoir, et donne-moi la force de Te suivre.
Seigneur, exauce-moi. Même si je ne puis ce soir, formuler ma prière. Viens la chercher au fond de mon cœur.
Je ne peux l’élever jusqu’à toi.
Tant, je suis fatigué, et sans horizon.

Seigneur, je Te confie tout mon être, tout mon avenir,
tout mon présent. Cette nuit et ce demain.
Et ces oraux de l’ENA.
Et l’effort de mes camarades, et leur appréhension.
Et mon effort et mon appréhension.
Seigneur, sans Toi je ne puis rien.
Je m’accroche à Toi, et je sens de plus en plus,
que si j’ai la Foi, c’est bien grâce à Toi qui T’es révélé
à moi, à moi qui ne suis qu’un pécheur et
qu’un égoïste forcené.

Credo in unum Deum,
je crois à Ton amour.
Je crois en Toi, unique source de tout amour,
Toi qui es Amour, Toi qui es tout
et qui fais mon bonheur.
Toi, Seigneur, que je veux suivre
dans quelque état que ce soit.

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[1] - Walter Hallstein, président de la Commission du Marché commun, à Bruxelles. Il inaugure ces fonctions et cette institution après avoir été ministre des Affaires étrangères de son pays, la République fédérale d’Allemagne, sous l’autorité du chancelier Adenauer. Il avait alors inauguré aussi ces fonctions pour l’Allemagne d’après-guerre et énoncé la doctrine qui porte son nom : rupture avec tout Etat qui reconnaîtrait la République démocratique allemande (on disait alors le régime de Pankow). C’est l’époque où la discussion ne porte pas sur un amoindrissement des compétences de la Commission, mais sur la définition-même de l’entreprise européenne : politique ou pas ? ce qui constitue le débat : fédéralisme ou pas

[2] - dirigée depuis Septembre 1963 par le chancelier Ludwig Erhard, sans la moindre affinité avec le général de Gaulle