ouverture d'un troisième cahier - toujours manuscrit -,
que je titre ainsi
Omnia quaecumque voluit, Dominus fecit
Tout ce que le Seigneur a voulu, il l’a
fait
Ps. 134
Vêpres .
Mercredi
A M O U R
C R E D O
E S P E R A N C E
au milieu des pleurs, du doute, de
l’inquiétude
au milieu des questions, au milieu du
passé et de l’avenir
dans l’angoisse de rater ma vie,
dans l’inquiétude de na pas avoir la
vocation
dans l’ardeur et la soif de tout désir
dans toute illumination du corps et du
cœur, dans toute joie, dans tout
Dans quelques jours, je
serai fixé pour l’E.N.A.. Le résultat étant maintenant si proche, je n’ai plus
acuune impression. Mais, au fond, je suis resté détendu jusqu’à la fin. Un
résultat positif me causera beaucoup de joie, certes. Mais j’ai tellement
l’impression que tout cela est peu, que tout cela n’est pas l’objectif que je
voudrai de tout mon être, atteindre, que cette joie sera superficielle. J’en
aurai une beaucoup plus porofonde, beaucoup plus calme et beaucoup plus vraie
si j’entrais demain au noviciat, sûr que Dieu m’y appelle.
Entrer au Noviciat sera de
toute façon, une folie, un risque, un pari total et définitif sur le Christ. En
poursuivant l’ENA, en me mariant, j’ai l’impression – pour l’instant – que je
manquerai totalement ma vie.
Comme il est dur de
m’abandonner à Toi, Seigneur, sans savoir où Tu me mènes.
« Soyez toujours joyeux dans le Seigneur.
Je le répète : soyez joyeux ! Votre sérénité dans la vie doit frapper
tous les regards, car le Seigneur n’est plus loin. Ne vous inquiétez de
rien ; mais dans toutes vos prières et supplications, en même temps que
vous remerciez Dieu, exposez-lui vos besoins. Et que la paix de Dieu, qui
dépasse tout ce que nous pouvons imaginer, garde votre cœur et vos pensées,
dans le Christ Jésus notre Seigneur. »
Philipp. IV 4.7
3° Dim. Avent
Cet Epître m’a beaucoup
frappé. Comme la liturgie est précise, et qu’elle fournit à notre vie tout son
itinéraire. C’est merveilleux de joie et de simplicité. Evidence du travail de
l’Esprit Saint qui nous fait respirer individuellement au rythme de la vie
liturgique de la communauté ecclésiale, à travers l’espace et le temps.
Du coup, dès dimanche soir,
j’ai lu l’Epître aux Philippiens, que je n’avais jamais lue entièrement, à la
suite.
A la vérité, je l’ai lu,
comme on prendrait connaissance de la lettre d’un ami, qui a plus d’expérience
et de joie que vous. Et par instants, je me voyais dialoguant avec saint Paul.
Car je crois que nous aurions beaucoup sympathisé, et que nous avons beaucoup
de points communs.
Mais lui, il s’est abandonné
entièrement à la volonté de Dieu. Il est vrai que Dieu l’a bousculé (chemin de
Damas). C’est ce qui doit me rassurer. Que Dieu ne perd pas de vue ses enfants.
Et qu’en définitive, il sonde les reins et les cœurs, et qu’il répond – et
au-delà – au désir de tout notre être de Le voir, de Le connaître, de nous
reposer en Lui, pour goûter le bonheur qui ne finit jamais.
Après la soirée, nous sommes
allés en groupe manger une soupe à l’oignon (que je n’ai pas aimée) au Pied de
Cochon, puis à la messe à Notre Dame. Messe en 25’, à 7 h. A 5’ près, nous eussions pu
communier et j’avais par moment envie de demander au prêtre de ralentir [1].
Comme une messe sans communion est mutilée. Comme j’éprouve un besoin presque
physique de prier à tout moment de la journée.
Sermon simple et hésitant.
Mais comme le fond est toujours le même : humilité de Jean Baptiste,
affirmation de la vérité, s’abandonner à la volonté de Dieu. Je suis vraiment
frappé de cette convergence.
J’ai assisté à une seconde
messe à 7 h 30 pour pouvoir communier et suis sorti, accablé de sommeil, mais
Jésus était en moi.
*
*
*
Soirée du 12 Décembre, aux
salons de l’Amérique Latine, incontestablement réussie [2].
J’y ai pris grand plaisir, et aimerai beaucoup recevoir. Cadre épatant. Bon
orchestre. Modes ravissantes. Papa et Maman détendus.
En comparant, puisque
beaucoup étaient là, les jeunes filles avec qui je sors, je donne la palme à
Irène B. Son visage, impossible à décrire, tant il a le flou rêveur du charme,
m’a hanté pendant ces derniers jours. Ce sont surtout ses yeux et son sourire
qui m’ont à nouveau frappé (je l’avais remarquée, et avais été ébloui, chez les
D. l’an dernier, elle avait alors robe courte rouge et cheveux noirs tombant
plus bas que les épaules). Beaucoup de douceur. Je me demande si je lui plais.
*
*
*
Mercredi matin, reçu la
réponse de Marie José T., ne peut se rendre à notre rendez-vous de vendredi
après-midi. J’ai été de mauvaise humeur toute la matinée. Peut-être à cause de
cela.
Je crois que la Providence a bien fait,
et que la situation eût pu être bien compliquée. Comment se rencontrer,
lorsqu’on est résolu à ne pas s’engager ?
Aspect extérieur polygame,
parce que je ne suis pas fixe. Et je ne suis pas fixé, parce que je ne peux
l’être, que je sens très bien que je ne peux m’engager pour l’instant aussi
bien d’ailleurs dans la vie religieuse, que dans le mariage.
Comme le Seigneur a encore à
faire en moi !
*
*
*
Reçu la visite – pendant une
heure – jeudi dernier (hier) de Michel. Je ne sais s’il l’a ressenti, mais
grande difficulté à nous comprendre, à communier, à nous exprimer. Mais
peut-être que notre dialogue et nos silences, ont-ils été plus vrais, un peu
comme la prière desséchante, comme le besoin indicible de Dieu, est la plus
belle prière qui soit ?
M’a fait remarquer, que je
ne trouvais pas grand-monde de « bien ». Qu’au fond, je ne savais
peut-être pas les découvrir ? c’est peut-être vrai. En tout cas, c’est
grave. Cela vient peut-être du fait que je suis très exigeant. Et qu’il y a une
différence entre aimer et trouver « bien sous tout rapport ». J’aime
quelqu’un, dans la mesure où je le sens perfectible, où je pressens qu’il veut
se parfaire, et où je sens qu’il est à la trace de Dieu, docile à son amour, où
je ressens que Dieu est à l’œuvre en lui.
Avec cette définition, je
devrais aimer tout le monde, c’est d’ailleurs ce à quoi le Christ m’appelle et
effectivement en regardant tout être sous cet angle, non par ce qu’il est, ce
qu’il veut, mais ce que Dieu a fait, et fait en lui, ce que Dieu veut qu’il
fasse et qu’il soit, on ne peut pas ne pas aimer cet être, ce garçon.
Jean Philippe [3]
avec qui je parle longuement après la soirée à l’Eléphant Blanc, mercredi soir.
Désires-tu la Foi ?
Non. En as-tu la nostalgie ? Non. Et confiance en Dieu, qui lui donnera
d’aimer, quand Il le voudra. Prière, et chapelet (mal dit) le soir, pour
Jean-Philippe [4].
Intelligent. Séduisant . mais qui risque de tout manquer. Et je ne peux
rien faire pour lui que prier. PRIER.
Emmanuel [5],
passionné, sympathique – je veux tout et tout de suite. Une carrière où il aura
des responsabilités, des contacts, où il bougera, où il sera debout. Certes,
beaucoup veulent cela inconsciemment. Mais l’entendre dire et proclamer dans la
bouche d’un garçon de 15 ans. Comme on se sent pauvre et incapable de lui dire
ce qu’on voudrait lui dire. Comme on est impuissant à le conseiller, à l’aider
à choisir. Il est vrai que pour l’instant, il n’y a pas à choisir, mais à vivre,
à découvrir, à acquérir le sens de Dieu, l’intuition de Dieu à l’œuvre dans
notre vie quotidienne. Encore une fois prier pour lui, l’entourer d’affection.
Avait déjà lu le grand Meaulnes, comme Jean-Philippe d’ailleurs.
*
*
*
Ce soir, messe à 18 h 15 à
Saint-Philippe. Communion. Coup d’œil au panneau d’affichage de l’ENA.
Téléphoner à la maison. Dîner chez les D.
Peut-être vas-tu bouleverser
ce petit programme, Seigneur ? Peut-être vas-tu boulevser ma vie,
Seigneur ? In manus
tuas, Domine, commendo spiritum vitamque meas.
Depuis que j’ai quitté
Solesmes, il y a en ce moment exactement une semaine, BESOIN DE PRIER, BESOIN DE DIEU comme jamais je ne l’avais connu encore
autant ressenti. Je ne peux plus me passer de Dieu. Capture de Dieu. Même quand
je ne pense plus à Lui (ce qui se trouve la plupart du temps), j’en garde la
nostalgie. Je ne peux plus vivre sans Lui. Lui seul peut me donner la vie,
l’Amour le, Bonheur. Lui seul peut se donner à moi, qui suis pécheur, impur,
égoïste, voleur, qui suis misérable et orgueilleux.
Mon âme attend plus
sûrement le Seigneur, qu’un veilleur n’attend l’aurore.
Ce qui compte, ce ne sont
pas les fautes passées, avouées ou inavouées et dont j’ai le grand remord, car
elles ont taché ma vie et m’ont éloigné de Dieu ? mais c’est l’acte que je
vais faire et qui déplaît à Dieu, c’est ce que je vais refuser au Seigneur,
c’est ce que je vais refuser à son amour, c’est cette coupure, c’est ce non,
que je dirai. Tout le reste n’est que désespérance. Alors que Dieu est Amour. Quoniam in aeternum misericordia
ejus !
________________________________
01 h 45
Dîner chez les Davout.
Rentré tard à la maison.
Reçu à l’E.N.A. 44° sur 62
Guère de joie,
d’enthousiasme. Cette absnece de réaction de ma part, m’étonne d’ailleurs.
J’aurai cru que j’aurais été plus heureux. J’ai même été un peu déçu par ma
place… J’aurais été consterné d’être collé. Mais je m’étais fait à l’idée
d’être reçu en somme [6].
Bien qu’intellectuellement, je me rende compte que c’est satisfaisant (quoique
certains : Fontrojet, Faure, ne m’aient pas fait forte impression). Je
suis content et sans plus. Je sens trop que rien n’est résolu. Maman me
disait : tu as ce que tu veux [7].
Mais précisément, l’ENA, et même peut-être la diplomatie – toutes ces
carrières, ce n’est pas ce que je veux. Je ne sais d’ailleurs pas ce que je
veux. Et c’est ce qui fait mon insatisfaction. J’ai surtout besoin de voir
clair. De savoir si Dfieu m’appelle. Le fait d’être admis à l’ANE ne me comble
pas, ne m’unifie pas. Je ne sais pas davantage ce que sera ma vie.
Ce soir, aussi paradoxal que
cela soit, un peu de cafard, de tristesse. Alors qu’on pourrait croire que
c’est un aboutissement, un succès auquel j’ai travaillé depuis des années, il
ne s’agit, j’en ai l’impression, que de quelque chose comme un peu petite, peut-être très importante, mais
qui n’est pas l’essentiel. Je snes bien que je devais être reçu. Plus pour mes
qualités et ma personnalité que pour le travail réellement fourni. Et puis, je
récolte un peu le temps passé à la
Troupe, et tant de gens (scouts, parents, amis) oint souhaité
ce succès. Et pourtant je ne suis pas heureux ce soir. D’ailleurs, c’est le
signal du départ. Arrachement plus ou moins proche d’avec la famille, les
parents, les scouts [8].
Maman avait du chagrin ce soir.
Peut-être parce que – moi partui – elle n’aura plus personne à qui faire
confiance. C’est au moins ce qu’elle dit. Je le comprends bien. Et me rends compte
combien le dialogue avec Papa est difficile à renouer, et peut-être c’est le
dialogue durable et possible. J’ai bien conscience que je laissera un grand
vide et que Claude [9] et moi, avons été les
espérances de Papa et Maman. Et puis aussi, j’aurais dû avoir l’air plus
heureux devant eux, plus satisfait. J’ai dû leur faire de la peine, et
cela me fait du chagrin. Comme ils accepteraient mal, comme ils seraient
révoltés (Maman surtout), si j’entrais dans un ordre religieux. Ce serait pour
eux, un effondrement. Ce soir est bien triste.
Seigneur, prends ma peine et celle des
miens.
Fais que je m’abandonne à ta volonté,
que je t’aime dans l’ENA et ses
carrières,
si c’est cela ton dessein sur moi.
Seigneur, je suis pauvre et triste
Aie pitié de moi et des miens.
De moi qui ne suis nullement comblé
qui vais être séparé de tous ceux que
j’aime,
qui tourne une page de ma vie, une page
que j’ai
beaucoup savourée et longuement
contemplée.
Fais-moi entrer hardiment dans ton
inconnu.
Aie pitié de moi. Viens à mon secours.
Des miens que je vais quitter,
dont l’équilibre va être difficile à
trouver,
des miens que j’aime par-dessus tout,
que je voudrais heureux et unis.
Des miens qui ne sont peut-être pas
préparés
à accueillir ta volonté sur moi.
Seigneur, fais de moi ce que
tu veux
Loué sois-tu pour ce résutat
Loué sois-tu à travers cette
tristesse de ce soir
à travers la joie de demain,
à travers les jours que tu
me donneras.
Loué sois-tu, quoi qu’il
arrive,
Pourvu que tu ne
m’abandonnes pas.
Faire action de grâces pour
ce résultat. Rendre heureux Papa et Maman, en étant heureux de ce résultat (ce
que je suis quand même).
De toute mon âme, de tout
mon esprit
Kyrie Eleison
Kyrie Eleison
Kyrie Eleison
Christe Eleison
Christe Eleison
Christe Eleison
Kyrie Eleison
Kyrie Eleison
Kyrie Eleison
Un succès est peut-être plus
lourd à porter qu’un échec. Si le succès doit être ma croix, Seigneur, fais-la
moi accepter. Donne-moi d’être simple et joyeux, donne-moi de m’émerveiller de
ce résultat, de m’en réjouir puisque c’est ta volonté évidente.
Ce que Dieu me demande pour l’instant
– surmonter grâce à Lui, cette tristesse
et ce cafard, et rendre heureux les autres
– Le louer pour ce résultat et l’en remercier
– m’en remettre à Lui pour tout
+
[1] -
c’est l’époque à laquelle il reste d’obligation d’être à jeun depuis minuit,
pour pouvoir communier. Les décrets conciliaires changeront complètement cela,
au moins en discipline, au point de nous faire perdre toute tempérance avant
d’aller censément nous recueillir
[2] - à
l’occasion des dix-huit ans de mes soeur et frère jumeaux :
Marie-Charlotte et Hugues, elle est donnée par mes parents, en compagnie des
C., et marque familialement le retour (qui s’avèrera précaire en 1967) à une
certaine aisance, que nous avions perdue plus de deux ans auparavant :
dettes de jeux de mon père, dont nous découvrions l’addiction. Déménagement
pour obtenir une « reprise », de l’appartement de nos enfances 21
boulevard de Beauséjour à la
Muette, dans l’ouest parisien et emménagement très à
l’étroit, 148 avenue de Wagram. Nous voici aussi grandement réinstallés (j’ai
de nouveau une chambre grande et qui me plaît) : 2 avenue Hoche en
adresse, en fait le long de la rue de Courcelles, devant le parc Monceau et sa
grille grandiose
[3] -
cousin de Laetitia de V., qui m’a occupé de cœur à partir de l’été 1960 :
« rallye cours de danse » puis, dans le suite, de nombreuses soirées
dansantes ensemble
[4] - de V.
aussi – du même cours de danse à nos seize-dix-sept ans ; sans en être
conscient, je crois bien l’avoir désiré physiquement ; nous retrouvant en
séjour linguistique en Angleterre, l’été de 1958 ? mais assez loin l’un de
l’autre, nous sommes allés à Hastings, divers lieux publics « interdits
aux chiens et aux Français » et avons tenté de faire passer le temps dans
un cinéma projetant un film naturiste ; jeunes et ultra-pudiques, nous
nous sommes vite enfuis
[5] - un de « mes »
scouts à la 119ème-121ème Paris, grand nom de la noblesse
d’Empire – des parents attentifs et chaleureux, songeant peut-être à moi
pour leur jeune fille Hélène
[6] - je
l’ai été sans préparation, généralement d’une année à l’époque, pour ceux qui
sortaient de Sciences-Po. –
admissible 20ème sur près de mille candidats, ai-je su
ensuite : j’ai donc été « mauvais » à l’oral
[7] -
elle me l’a dit aussi, à ma nomination, si peu de mois avant sa mort : tru
aimes bien quand même qu’on te dise : « Monsieur
l’Ambassadeur » - je crois que j’étais alors dans le même état d’esprit qu’à
l’automne de 1964
[8] - le service militaire
que, depuis la fin alors récente : Juillet 1962, on commence de
dire : national
[9] - mon frère aîné de dix
ans, né au Caire en Décembre 1933, alors interne des hôpitaux de Paris .
hôpital Foch
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