vendredi 17 mars 2023

mercredi 15 mars 2023

Axel de Fersen

 

wtkipédia à jour au 15 mars 2022 ; consulté le 17, en lien avec la fuite de Varennes



Axel de Fersen


Hans Axel von Fersen2.jpg

Portrait par Carl Frederik von Breda,
vers 1800, château de Löfstad, Suède.

Fonctions

Grand Maréchal du Royaume

1801-1810

Johan Gabriel Oxenstierna (en)

Magnus Stenbock (d)

Commandant de régiment (d)
Régiment Royal-Suédois

1783-1791

Titre de noblesse

Comte

Biographie

Naissance

4 septembre 1755
Stockholm

Décès

20 juin 1810 (54 ans)
Stockholm

Nom de naissance

Hans Axel von Fersen

Nationalité

Drapeau de la Suède  Suédois

Formation

Université technique de Brunswick



Activités

Diplomate, homme politique, militaire

Famille

Fersen (en)

Père

Fredrik Axel von Fersen

Mère

Hedvig Catharina De la Gardie

Fratrie

Hedvig Eleonora von Fersen
Sophie Piper
Fabian Reinhold von Fersen (en)

Autres informations

A travaillé pour

Université d’Uppsala

Grade militaire

Major général

Conflit

Guerre d'indépendance des États-Unis

Distinctions


Liste détaillée

Fersen coa.png

Blason

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Hans Axel von Fersen, appelé aussi Axel von Fersen le Jeune ou surtout en français Axel de Fersen, né le 4 septembre 1755 à Stockholm et mort le 20 juin 1810 dans la même ville, est un comte suédois, célèbre pour son rôle de favori auprès de la reine de France Marie-Antoinette.

Biographie

À Versailles

Il est le fils du feld-maréchal Fredrik Axel de Fersen et de la comtesse, née Hedwige-Catherine de La Gardie, et frère de la comtesse Piper et de la comtesse Klinckowström. Cousin de la maîtresse du futur roi de Suède et dame d'honneur (Hovmästarinnan) de la reine Sophie-Madeleine, la comtesse Löwenhielm, née Augusta von Fersen, et d'Ulrika von Fersen, il a pour tante la fameuse scientifique Eva Ekeblad.

En 1774, achevant son Grand Tour d'Europe destiné à parfaire son éducation, il arrive à la cour de France, où il fait vive impression par son physique avantageux. Le comte de Creutz, ambassadeur de Suède, écrit à son sujet au roi Gustave III :

« De tous les Suédois qui ont été ici de mon temps, c'est celui qui a été le mieux accueilli dans le grand monde. Il a été extrêmement bien traité dans la famille royale. Il n'est pas possible d'avoir une tenue plus sage et plus décente que celle qu'il a tenue. Avec la plus belle figure et de l'esprit, il ne pouvait manquer de réussir dans la société, aussi l'a-t-il fait complètement. »

Le 30 janvier, il rencontre la dauphine Marie-Antoinette, incognito, au bal de l'Opéra. Il rentre ensuite en Suède, puis revient à la Cour de France en août 1778. La reine, qui ne l'a pas oublié, en le voyant dit « C'est une vieille connaissance ! » et toute la Cour note qu'elle traite avec une attention particulière le jeune homme. Au cours de l'hiver 1779, il devient l'un des familiers de la reine, et collectionne les conquêtes féminines. Mais Fersen rêve également de se battre.

Il demande à rejoindre le corps expéditionnaire français qui part en Amérique. Le roi de Suède, à qui le comte de Creutz a fait part de l'inclination de Marie-Antoinette, intervient, et Fersen obtient d'être nommé aide de camp du comte de Vaux, qui doit commander les troupes. Finalement, le corps expéditionnaire ne part pas, et Fersen rentre au château de Versailles, très dépité. Il fait le siège du comte de Vergennes et du prince de Montbarrey, ministre de la Guerre. Le 20 janvier 1780, il est nommé colonel attaché à l'infanterie allemande, et part enfin pour les Amériques fin mars 1780, où il participe à la guerre d'indépendance des États-Unis sous les ordres du comte de Rochambeau.

La guerre d'indépendance américaine

Il se fait apprécier de Rochambeau qui l'appelle son « premier aide de camp », se lie avec le duc de Lauzun qui lui promet le brevet de colonel commandant sa légion, et le marquis de Ségur, qui lui promet également de le nommer colonel en second. Fersen se conduit brillamment au siège de Yorktown en Virginie. Grâce à l'intercession de Marie-Antoinette, il obtient, en octobre 1782, la place de colonel en second du régiment Royal-Deux-Ponts. Il déclare alors à son père qu'il souhaite rester en Amérique jusqu'à la fin du conflit, et ensuite passer au service de Gustave III.

Retour à Versailles

Il rentre de campagne en juin 1783, et se rend à Versailles où il obtient, toujours par la faveur de Gustave III et de la reine, le Royal-Suédois en pleine propriété. La rumeur va alors bon train à la cour[réf. nécessaire]. En septembre, il quitte Versailles et rejoint Gustave III qui se rend incognito en Italie. Tout en multipliant les conquêtes féminines, il entretient à partir de novembre une double correspondance suivie avec Marie-Antoinette, officielle adressée à la reine de France, et personnelle, secrète, adressée à « Joséphine »1.

En juin 1784, Fersen revient à Versailles, dans l'entourage de Gustave III qui voyage toujours sous le nom de « comte de Haga », et qui ne va pas tarder à le gratifier d'une pension de 20 000 livres annuelles, qui lui permet de mener bon train à la cour. En juillet, il rentre en Suède pour huit mois. Il revient ensuite en France prendre possession de son régiment, à Landrecies, près de Valenciennes, et partage son temps entre la cour et son régiment.

En 1787, il part quelques semaines pour accompagner Gustave III dans sa guerre en Finlande contre Catherine II de Russie. Au printemps 1789, son père est arrêté pour avoir pris parti pour les droits de la noblesse dans le conflit qui oppose Gustave III à son aristocratie, après des revers dans la guerre (que Gustave III mènera finalement à terme après la bataille navale à Svensksund). Marie-Antoinette lui ordonne alors de rentrer à Paris. En juin, inquiet pour la reine, il prend un logement à Versailles. Les proches de la famille royale prennent mal l'installation de Fersen près de la reine, redoutant que cela n'attise la haine des courtisans envers elle[réf. nécessaire]. Fersen devient un favori du couple royal.

La Révolution

En 1791, Fersen participe à la fuite de Varennes dont il est l’un des principaux organisateurs. Devenu l'amant d'Eleonore Sullivana, il lui emprunte les 300 000 livres nécessaires pour la préparation de la fuite. Fersen escorte lui-même la famille royale, la nuit du 20 juin, jusqu'à Bondy, mais Louis XVI refuse qu'il les accompagne plus avant. Fersen doit rejoindre la place-forte de Montmédy, où se dirige la famille royale, en passant par la Belgique. Mais, mal préparée, la fuite échoue et les fugitifs sont reconduits à Paris.

Article détaillé : Fuite de Varennes.

Fersen continue à correspondre avec Marie-Antoinette. Il se rend à Vienne pour avertir la cour de l'empereur et le décider à l'action. Mais Léopold II temporise, et Fersen, se sentant berné, parle à la reine de trahison. Lui-même est désorienté par les rumeurs faisant de Barnave l'amant de la reine[réf. nécessaire]. Il quitte alors Vienne pour Bruxelles.

Les lettres échangées entre Marie-Antoinette et Axel de Fersen entre juin 1791 et août 1792 montrent la nature de leur relation3,4. Alex de Fersen reçoit une lettre de Marie-Antoinette, datée du 4 janvier 1792, où elle l'assure de son amour : « je vais finir, non pas sans vous dire mon bien cher et tendre ami que je vous aime à la folie et que jamais jamais je ne peux être un moment sans vous adorer »5.

En février 1792, Fersen revient en France et rencontre la reine, puis le roi, en secret. Il veut leur faire part d'un nouveau plan d'évasion par la Normandie. Louis XVI refuse toute nouvelle tentative de fuite. Fersen rentre alors à Bruxelles retrouver Éléonore sa maîtresse, et aider à la préparation d'une coalition européenne contre la Révolution française. C'est lui qui inspire, en juillet, le « manifeste de Brunswick », l'ultimatum des armées austro-prussiennes aux révolutionnaires français. Il croit fermement à la victoire rapide de la coalition et imagine même le rétablissement de la royauté.

Enfin, en 1793, après l'exécution de Louis XVI, il espère encore sauver la reine. S'imaginant que tout est le fruit des intrigues des Orléans, il pense acheter les meneurs du « parti d'Orléans », Laclos, Santerre ou Dumouriez. Quand Dumouriez fait défection et rejoint les Autrichiens en mars, Fersen y voit la fin des révolutionnaires, et imagine déjà Marie-Antoinette régente. En août, quand il apprend la nouvelle du transfert de la reine à la Conciergerie, il essaie d'obtenir du prince de Cobourg qu'il marche sur Paris, mais c'est en vain. Il ne peut pas non plus empêcher l'exécution de la reine le 16 octobre 1793.

En Suède

Mort de Fersen.

Rentré en Suède, il se consacre ensuite à sa carrière. En 1792, Gustave III est assassiné et, comme tous ses anciens favoris, Fersen se trouve en disgrâce entre 1792 et 1796, période de régence de Charles de Södermanland, futur Charles XIII, frère du roi assassiné. Quand Gustave IV Adolphe monte sur le trône, il retrouve ses offices et dignités. En 1797, il est envoyé pour représenter son pays au traité de Rastatt, mais la délégation française proteste, et il doit se retirer.

En 1801, il est nommé riksmarskalk (Grand maréchal du royaume), ministre et chancelier d'Uppsala, mais il perd la faveur royale en s'opposant fermement à l'entrée en guerre de la Suède contre la Prusse, voulue par Gustave IV, pour punir celle-ci d'avoir refusé d'envahir la France.

Jusqu'à la fin de sa vie, il tente en vain de se faire rembourser les sommes avancées aux souverains français.

En 1809, quand Gustave IV est chassé par un coup d'État militaire, Fersen ne prend pas parti, mais tout le monde soupçonne ses sympathies pour le jeune prince Gustave, fils de Gustave IV. En 1810, Christian-Auguste, frère cadet de Frédéric-Christian II, duc de Schleswig-Holstein-Sonderbourg-Augustenbourg, de la branche cadette des souverains du Danemark, est élu prince héritier de Suède. Il prend alors le nom de Charles-Auguste, et est adopté par le nouveau roi Charles XIII, oncle du roi déchu. Mais ce nouvel héritier meurt peu après. La rumeur accuse Fersen de l'avoir empoisonné. Le 20 juin 1810 (date anniversaire de la fuite à Varennes), en vertu de ses fonctions de riksmarskalk, Fersen est chargé d'escorter le corps du prince dans Stockholm. Une émeute se forme et Fersen meurt lapidé et piétiné par la foule, en présence de nombreuses troupes qui n'interviennent pas. Il est probable que Charles XIII ait saisi l'occasion de se débarrasser aisément de l'un des leaders gustaviens.

Références

Thomas Fersen a choisi son nom de scène en référence à Axel de Fersen.6

Son personnage fait partie du manga Lady Oscar et de ses adaptations, notamment en anime.

Notes et références

Notes

  1. Née à Lucques, Anna-Éléonora Franchi, née le 12 juin 1750, fille d'un costumier de troupe de comédiens ambulants, débute à douze ans comme ballerine au théâtre de Lucques, puis à La Fenice de Venise. Elle y épouse en 1768 un camarade, Martini, puis, à sa mort, devient la maîtresse du duc de Wurtemberg (avec qui elle a un fils et une fille illégitimes, M. et Mlle de Francquemont, cette dernière Eleanore de Francquemont étant la future mère d'Alfred d'Orsay), puis de Joseph II du Saint-Empire, frère de Marie-Antoinette. Expulsée par Marie-Thérèse d'Autriche, elle s'exile à Paris où elle se marie en 1776 à Mr Sullivan, frère d'un diplomate anglais. Ce dernier l'emmène aux Indes où il fait fortune. En 1790, elle prend un nouvel amant plus riche, Quintin Craufurd (en), qui l'enlève et l'emmène à Paris. Devenue la maîtresse du comte de Fersen elle lui avance les 300 000 livres nécessaires pour la préparation de la fuite de Varennes. Après la mort de Sullivan en Inde, elle se marie à Quintin Craufurd. Après la rupture de la paix d'Amiens, Talleyrand qui est l'ami du couple royaliste, obtient leur radiation de la Liste des émigrés et le droit d’établissement en France dans l’hôtel Craufurd (futur Hôtel Matignon). Elle meurt le 14 septembre 18332.

Références

  • Evelyn Farr, Marie-Antoinette et le comte de Fersen : La correspondance secrète, Archipel, 6 avril 2016, 384 p. (lire en ligne [archive]), « Chronologie »

  • Jacques de Lacretelle, Talleyrand, Hachette, 1964, p. 213

  • « Des chercheurs percent l'énigme des lettres de Marie-Antoinette à son amant », LeFigaro.fr,‎ 6 juin 2020 (lire en ligne [archive], consulté le 6 juin 2020).

  • Vahé Ter Minassian, « Le mystère des lettres de Marie-Antoinette à son amant révélé par un scanner », Lemonde.fr,‎ 1er juin 2020 (lire en ligne [archive], consulté le 6 juin 2020).

  1. michel, « Thomas Fersen -interview- à Istres » [archive], sur MusiK Please, 5 janvier 2017 (consulté le 20 novembre 2020)

Voir aussi

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Bibliographie

Biographies

Par ordre chronologique de parution :

  • Le comte de Fersen et la Cour de France, extraits de ses papiers, publiés par son petit-neveu le baron R. M. de Klinckowström, 2 tomes, Paris, 1878.

  • Baron R. M. deKlinckowström, Le Comte de Fersen et la cour de France, 2. vols, Firmin-Didot, 1877–1888.

  • Emile Baumann, Marie-Antoinette et Axel de Fersen, Grasset, 1931

  • (sv) Ture Nerman, Fersenska mordet (Le Meurtre de Fersen), Stockholm, 1933.

  • Roger Sorg, « Fersen officier français et Marie-Antoinette (Documents inédits) », dans Mercure de France, 15 juillet 1933, tome CCXLV, no 842, p. 314-336 (lire en ligne) [archive]

  • Françoise Kermina, Hans-Axel de Fersen, Perrin, 1985.

  • Évelyne Lever, Marie-Antoinette, Fayard, 1991.

  • Herman Lindqvist, Axel von Fersen, Stock, 1995

  • Simone Bertière, Marie-Antoinette, 2002

  • Françoise Wagener, L'énigme Fersen, Albin Michel, 2016

  • Evelyn Farr, Marie-Antoinette et le comte de Fersen : La correspondance secrète, Archipel, 6 avril 2016, 384 p. (lire en ligne [archive])

  • Évelyne Lever, Le grand amour de Marie-Antoinette : Lettres secrètes de la reine et du comte de Fersen, Éditions Tallandier, 2020, 384 p., 14,5 x 21,5 cm (ISBN 9791021043046, présentation en ligne [archive]).

  • Isabelle Aristide-Hastir, Marie-Antoinette & Axel de Fersen. Correspondance secrète, Michel Lafon, 2021.

Romans historiques et biographies romancées

Articles connexes

Liens externes

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Antoine Barnave - décisif et humain, sans doute le meilleure de la Févoltion . ses thèses, sa pitié

 

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Antoine Barnave

Antoine-Pierre-Joseph-Marie Barnave.jpg

Portrait présumé d'Antoine Barnave peint par Joseph Boze, musée Carnavalet, 1791.

Fonctions

Député aux États généraux de 1789

13 mai 1789 - 30 septembre 1791

Maire de Grenoble

Biographie

Naissance

22 octobre 1761
Grenoble

Décès

29 novembre 1793 (à 32 ans)
Paris

Nom de naissance

Antoine-Pierre-Joseph-Marie Barnave

Nationalité

française



Formation

Université Grenoble-Alpes

Activités

Homme politique, avocat

Autres informations

Partis politiques

Club des jacobins
Club des Feuillants

signature d'Antoine Barnave

Signature

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Antoine-Pierre-Joseph-Marie Barnave, né à Grenoble le 22 octobre 1761 et mort guillotiné à Paris le 29 novembre 17931, est un homme politique français

Biographie

Les débuts

Anonyme, Antoine Barnave, château de Versailles.

Issu d’une vieille famille protestante de la haute bourgeoisie de Grenoble, fils de Jean-Pierre Barnave, avocat auprès du Parlement de Grenoble, et de Marie-Louise de Pré de Seigle de Presle, Antoine Barnave suit des études de droit à Grenoble et obtient le diplôme de bachelier, puis de licencié en droit à l’université d'Orange (1780). En 1783, il est choisi parmi les jeunes avocats pour prononcer le discours de clôture du Parlement de Grenoble. Il se fait remarquer par son indépendance d’esprit en discourant sur « la division des pouvoirs ». Comme la plupart des représentants de la bourgeoisie, il souhaite qu’« une nouvelle distribution de la richesse entraîne une nouvelle distribution du pouvoir ». La même année, il perd un frère plus jeune.

Lors de la journée des Tuiles du 7 juin 1788, Barnave rédige un libelle L'Esprit des Édits, appelant à soutenir le Parlement de Grenoble suspendu par le pouvoir central, et se rapproche d’un autre avocat promis lui aussi à un bel avenir, Jean-Joseph Mounier. Barnave et Mounier vont obtenir la réunion des députés des trois ordres du Dauphiné le 21 juillet au château de Vizille. La résolution de Mounier réclamant le rétablissement des parlements provinciaux et la convocation des États généraux y est adoptée. Le 7 janvier 1789, Mounier et Barnave sont élus représentants du Tiers état à cette assemblée.

L’Assemblée nationale : le triumvirat

Barnave joue rapidement un rôle important, d’abord au sein de la députation du Dauphiné en soutien de Mounier. Ce dernier penche pour un compromis monarchique, s'opposant à la prise du pouvoir par la Constituante. Barnave s’éloigne alors de lui et va constituer avec Adrien Duport et les frères Charles et Alexandre de Lameth, un groupe d'action politique dénommé le « triumvirat », siégeant à l'extrême gauche de l'Assemblée. Le 22 juillet 1789, au lendemain du lynchage de l’intendant général Foullon et de son gendre Berthier de Sauvigny, il monte à la tribune et réplique aux députés indignés par cet acte : « Messieurs, on veut vous attendrir en faveur du sang versé hier à Paris. Ce sang était-il donc si pur, qu'on n'osât le répandre ? », phrase qui passe à la postérité, et à laquelle quelqu'un, dans l'assemblée, répliqua : « Oh ! le tigre ! », surnom féroce qui resta à Barnave.

Barnave est un des rares orateurs à pouvoir rivaliser avec Mirabeau. Il acquiert par son éloquence un peu froide et son ardent amour pour la liberté une influence et une popularité importantes. Après les Journées des 5 et 6 octobre 1789, les monarchiens sont effondrés et Barnave obtient gain de cause contre son ancien ami Mounier sur le soutien de l’Assemblée au veto suspensif du Roi (alors que Mounier préconisait un veto absolu). Le triumvirat Duport, Barnave et Alexandre Lameth est classé « à gauche » et participe à la création de la société des Amis de la Constitution et de la Liberté, qui deviendra le Club des jacobins. Ils intriguent afin d’écarter Mirabeau et La Fayette du pouvoir, craignant qu’ils ne confisquent l’un comme l’autre la Révolution à leur profit.

En mai 1790, un conflit ponctuel oppose l’Espagne et l’Angleterre et pose le problème du pacte de famille franco-espagnol, et donc des pouvoirs du roi en matière de déclaration de guerre. Cette question oppose vivement Barnave à Mirabeau et l’Assemblée vote finalement une motion de compromis : « Le droit de la paix et de la guerre appartient à la Nation. La guerre ne pourra être décidée que par un décret du Corps législatif sur la proposition formelle et nécessaire du roi et sanctionné ensuite par Sa Majesté ».

Buste d'Antoine Barnave par Jean-Antoine Houdon, (musée de Grenoble).

Le 1er août, Barnave est élu maire de Grenoble. Il accepte dans un premier temps, mais se désiste quelques mois plus tard, invoquant les contraintes de son mandat. Il accède à la présidence de l’Assemblée constituante le 25 octobre 1790 pour une durée de quinze jours. Sa popularité atteint son apogée.

Cependant Barnave et ses amis, partisans du suffrage censitaire, défendent le droit de propriété. Ils se sentent dépassés par une gauche démocrate et égalitaire. Barnave est attaqué par Brissot, membre fondateur de la Société des Amis des Noirs, qui lui reproche dans son journal Le Patriote français ses prises de positions coloniales conservatrices sur le statut des « gens de couleurs ». En novembre 1790 Brissot publie même en ce sens une brochure intitulée Lettre ouverte à M. Barnave. Car le député du Dauphinois suivait le Club Massiac, dont faisaient également partie les frères Alexandre et Charles Lameth. Ainsi, au cours de débats à l'assemblée constituante, Barnave s'exclama : « le nègre ne peut croire qu'il est l'égal du blanc »2. Cette position ternit sa popularité auprès de nombreux patriotes, et figure dans l'acte d'accusation qui l'envoie à l'échafaud en novembre 1793 sous la Terreur3. Il ne réussit dans un premier temps à empêcher le vote d'un décret qui accordait l'égalité des Blancs avec une partie des hommes de couleur libres (les propriétaires citoyens actifs et non les affranchis) le 15 mai 1791. Mais le 24 septembre 1791, dans un nouveau contexte de régression feuillante, il parvient à faire abroger le décret, rompant complètement avec les jacobins qui le radient du club le lendemain. Le vote du 24 septembre sera au contraire accueilli avec satisfaction par Marie-Antoinette4.

Carte d’entrée à la salle du Manège signée par Barnave.

En décembre 1790, Barnave, qui se représente à la présidence de l’Assemblée, est battu par Charles Antoine Chasset. Le triumvirat, attaqué sur sa droite par Mirabeau, est de plus en plus déconsidéré au Club des jacobins, malgré leurs positions communes lors de l’affaire du serment à la Constitution civile du clergé ou celle de l’émigration des tantes du roi (Mmes Adélaïde et Victoire). La motion Barnave écarte ainsi de l’Assemblée tous les ecclésiastiques refusant de prêter serment au maintien de la Constitution civile (janvier 1791). Mais on reprochait à Barnave de s'être battu en duel en août 1790 pour régler un différend, et de sacrifier ainsi à des pratiques d'Ancien Régime5. À l’occasion de la tentative de fuite de Mmes Adélaïde et Victoire, Barnave dépose un amendement pour interdire à tout membre de la famille royale de s’éloigner de Paris.

Après la mort de Mirabeau, la Cour cherche de nouveaux alliés, notamment auprès du triumvirat. Barnave et ses amis fondent le 27 avril un nouveau journal, le Logographe, qui affiche sa confiance dans une monarchie limitée. Barnave et Lameth sont attaqués par Robespierre et les anti-esclavagistes sur la question des droits de gens de couleur qui revient en discussion, puis Robespierre obtient, contre l’intervention de Duport, un vote de l’Assemblée sur la non-rééligibilité de ses membres. Le triumvirat contrôle toujours au Club des jacobins le fameux Comité des correspondances, lien essentiel avec les sociétés provinciales affiliées, mais l’extrême gauche, très minoritaire à l’Assemblée, progresse dans les clubs (Clubs des jacobins et des cordeliers).

La fuite du roi

Caricature de Barnave en politicien jouant double jeu.

Lors de sa tentative de fuite (21 et 22 juin 1791), Louis XVI est arrêté à Varennes. Barnave est envoyé par l’Assemblée, en compagnie de Pétion et de Latour-Maubourg, pour ramener la famille royale à Paris. Les trois députés rejoignent la berline royale au lieu-dit du Chêne fendu, sur la commune de Boursault.

Pendant les trois jours que dure le voyage de retour, Barnave est touché par les malheurs de Marie-Antoinette. Il entame avec elle une correspondance secrète par l’intermédiaire du chevalier de Jarjayes. Il rejoint alors les monarchistes constitutionnels du club des Feuillants, ce qui lui vaut la haine du peuple parisien et des jacobins lesquels dénoncent « Barnave noir derrière, et blanc devant ». Le 15 juillet 1791 il prononce devant l’assemblée un discours sur « L’inviolabilité royale, la séparation des pouvoirs et la terminaison de la Révolution française6 ». Il exhorte le roi, par l’entremise de sa correspondance avec Marie-Antoinette, à se rallier sincèrement à la Constitution, à condamner les menées des émigrés, et obtenir de l’empereur romain germanique, frère de la reine, la reconnaissance du nouveau régime.

Pendant le mois d’août et jusqu’au 30 septembre, date de clôture de la Constituante, Barnave et les modérés, malgré l’opposition de Robespierre et de la gauche, arrivent à sauver la monarchie, sans pour autant lui assurer les moyens de son action.

Quant à Marie-Antoinette, elle joue manifestement un double jeu7. Elle cherche en effet avec l’énergie du désespoir à sauver sa famille et la monarchie. Bien qu’en réalité elle n’adhère pas aux idées de Barnave concernant la soumission du roi à la constitution, elle se montre touchée et intéressée par les arguments du révolutionnaire. Elle écrit ainsi à Mercy en parlant de Barnave et du club des Feuillants :

« Quoiqu’ils tiennent toujours à leurs opinions, je n’ai jamais vu en eux que grande franchise, de la force et une véritable envie de remettre de l’ordre et par conséquent l’autorité royale. […] Quelques bonnes intentions qu’ils montrent, leurs idées sont exagérées […]8. »

En écrivant à son frère, elle mentionne également l’éloquence captivante de Barnave9.

L’armoire de fer

Barnave reste à Paris jusqu’au 5 janvier 1792. Il continue à prodiguer ses conseils à la Cour par la correspondance ou les entrevues secrètes avec Marie-Antoinette. Il conseille notamment au roi de se servir de son droit de veto contre les décrets sur les émigrés et sur les prêtres réfractaires. Il se retire ensuite à Grenoble, mais à la suite de la journée du 10 août 1792, une correspondance compromettante pour lui est découverte dans l'armoire de fer du cabinet du roi au palais des Tuileries.

La fin

Barnave emprisonné, gravure d'Alexandre Lacauchie, XIXe siècle.

Arrêté le 19 août dans sa maison familiale de Saint-Egrève, il est incarcéré dans la prison de la citadelle de la Bastille, puis au couvent de Sainte-Marie-d’en-Haut, transformé en prison politique. En juin 1793, il est isolé au fort Barraux. L’approche des armées sardes près de la nouvelle frontière entraîne son transfert à la prison de Saint-Marcellin. Il n’y reste que peu de temps, la Convention demande sa comparution devant le Tribunal révolutionnaire. Le 18 novembre il est incarcéré à la Conciergerie.

Son procès se tient les 27 et 28 novembre. Malgré la plaidoirie qu’il prononce lui-même, il est condamné à mort et guillotiné10 le 29 novembre 1793, en même temps que l’ancien garde des Sceaux, Duport-Dutertre.

Antoine Barnave est inhumé à la chapelle expiatoire à Paris.

L’œuvre

En prison, Barnave écrit De la Révolution et de la Constitution, qui ne paraîtra qu’en 1843 sous le titre Introduction à la Révolution française. Ses manuscrits sont alors publiés par M. Bérenger sous le titre d’Œuvres de Barnave, et seront réimprimés à plusieurs reprises à partir de 1960.

L’ouvrage de Barnave entend montrer que la Révolution est l’aboutissement d’une longue évolution depuis le Moyen Âge, que la propriété agraire amena la formation de gouvernements aristocratiques. Selon lui le développement du commerce et de l’industrie entraîna la transformation des sociétés agraires traditionnelles, un progrès de la bourgeoisie qui afficha son désir de plus en plus irrésistible de participer au gouvernement. Le livre de Barnave frappa Jean Jaurès et Albert Mathiez.

La bibliothèque municipale de Grenoble détient de nombreux manuscrits de Barnave et de sa mère :

  • Œuvres, publiées par Mme Saint-Germain sa sœur11, mises en ordre et précédées d'une notice historique sur Barnave par Mr Béranger de la Drôme, Paris, Jules Chapelle et Guiller, 1843, 4.tomes en 2.vol., in-8, CXL-248-408-390-424, pp. portrait, 2 fac-similés (première et unique édition des Œuvres de Barnave) Numérisé sur gallica [archive].

  • Rapport sur les colonies, et décret rendu sur cette affaire par l'Assemblée Constituante le 28 septembre 1791, sanctionné par le Roi le 29 du même mois. Paris, Imprimerie de la Feuille du Jour, non daté [1791], in-8, 63.pp.

Autres publications

  • Cinq discours d’Antoine Barnave12.

  • Discours d’Antoine Barnave sur « L’inviolabilité royale, la séparation des pouvoirs et la terminaison de la Révolution française »13 prononcé le 15 juillet 1791 devant l’Assemblée constituante.

  • Rapport fait à l’Assemblée nationale, le 8 mars 1790, au nom du comité des colonies, Paris, De l’Imprimerie nationale, 1790, 22 p. (lire en ligne [archive]).

  • Rapport fait à l’Assemblée nationale, sur les colonies, au nom des Comités de Constitution, de Marine, d’Agriculture, de Commerce & des Colonies, le 23 septembre 1791, Paris, De l’Imprimerie nationale, 1791, 12 p. (lire en ligne [archive]).

Hommages

  • Le musée de la Révolution française à Vizille expose un tableau de grande taille de Barnave dans l'escalier des droits de l'Homme et du citoyen. Par ailleurs, ce musée a installé son buste à côté de celui de Jean-Joseph Mounier, dans l'emplacement matérialisé de l'ancienne salle du Jeu de paume, détruite par un incendie en 1865.

  • Plusieurs municipalités ont donné son nom à une de leurs rues :

Grenoble, sa ville natale
Saint-Martin-d'Hères (Isère)
Valence
Bourg-lès-Valence (Drôme)

Notes et références

  • Jean-Jacques Chevallier, Barnave ou les deux faces de la Révolution, Presses Universitaires de Grenoble, 1979.

  • Jacques Thibau, Le temps de Saint-Domingue, l'esclavage et la révolution française, Paris Jean-Claude Lattès, 1989 ; Jean-Daniel Piquet, L'émancipation de Noirs dans la Révolution française (1789-1795), Paris, Karthala, 2002, p. 107-111.

  • Jean-Jacques Chevallier, Barnave ou les deux faces de la Révolution, Presses universitaires de Grenoble, 1979.

  • Dans son discours Barnave s’attache également à défendre la propriété privée : « Si la Révolution fait un pas de plus, elle ne peut le faire sans danger ; dans la ligne de la liberté, le premier acte qui pourrait suivre serait l’anéantissement de la royauté ; dans la ligne de l’égalité, le premier acte qui pourrait suivre serait l’attentat à la propriété. ».

  • Marie-Antoinette suit partiellement les conseils de Barnave, mais joue sur le pourrissement de la situation en incitant son frère, l’Empereur, à déclarer la guerre.

  • Stefan Zweig, Marie-Antoinette ["Marie Antoinette, Bildnis eines mittleren Charakters"], Paris, B. Grasset, 1933, p. 334-335

  • Antonia Fraser, Marie-Antoinette, Flammarion, 2007, p. 496

  • Au passage de la charrette, une bande de royalistes se réjouit : « Alors, Barnave, ce sang-là est-il donc si pur ? ».

  • Claudine Charlotte Julie Barnave épouse Christophe Etienne Saint-Germain.

  1. Lire sur le site de l’Assemblée nationale. [archive]

Voir aussi

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Bibliographie

  • Pierre d’Amarzit, Barnave, le conseiller secret de Marie-Antoinette, éd. Le Sémaphore, 302 p. (ISBN 2-912283-21-3 et 978-2912283214)

  • Correspondance secrète entre Barnave et Marie-Antoinette, recueillie et présentée par Alma Soderajelm, annotée et préfacée par Georges Lefebvre, Paris, Armand Colin, 1937

  • Jean-Jacques Chevallier, Barnave ou les deux faces de la Révolution, Presses universitaires de Grenoble, 1979 (Paris, Payot, 1936)

  • Marie-Antoinette - Correspondance (1770-1793), établie et présentée par Evelyne Lever <Années 1791 et 1792>

  • Michel Vovelle, « Antoine Joseph Pierre Marie Barnave », in Patrick Cabanel et André Encrevé (dir.), Dictionnaire biographique des protestants français de 1787 à nos jours, tome 1 : A-C, Les Éditions de Paris Max Chaleil, Paris, 2015, p. 164-165 (ISBN 978-2846211901)

  • Francesco Dendena, « L’expérience de la défaite, la rencontre avec l’histoire : Barnave et ses écrits historiques », La Révolution française [Online], 10, 2016, lire en ligne [archive]

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Barnave (1761-1793)

Barnave : L'inviolabilité royale, la séparation des pouvoirs et la terminaison de la Révolution française (15 juillet 1791)



Né en octobre 1761, fils d'avocat, et lui-même avocat à 21 ans au Parlement de Grenoble, Antoine Barnave prononce en 1783 un discours sur la nécessité de la division des pouvoirs. Il s'engage dès 1787 dans le mouvement d'opposition à la réforme des assemblées provinciales. Lors de la Journée des Tuiles il condamne le despotisme et les édits de mai. Il participe aux États du Dauphiné réunis à Vizille en juillet 1788. En 1789, à vingt-huit ans, il est élu député du tiers état de Grenoble aux États généraux et y défend la réunion des ordres et le vote par tête conformément au mandat impératif que les députés du Dauphiné ont reçu des États de Romans. Brillant orateur, épris de liberté, il est proche de Lameth et de Duport avec lesquels il forme le « triumvirat » et s'oppose à La Fayette et Mirabeau.

Le 1er août 1790 il est élu maire de Grenoble. Il siège au comité colonial dès sa création en mars 1790. En octobre 1790, au sommet de sa popularité, il est élu Président de l'Assemblée nationale constituante. En janvier 1791 il défend le club jacobin contre le club monarchique qu'il considère comme « un ramas de factieux ». Mais après avoir tenté d'accélérer la révolution et avoir défendu la liberté comme membre du comité des colonies, il refuse la reconnaissance de la citoyenneté aux gens de couleur des colonies. Le 22 juin 1791, avec Pétion et Latour-Maubourg, il est envoyé comme commissaire par l'Assemblée à la rencontre du roi arrêté à Varennes afin d'escorter le retour de celui-ci à Paris. Il est alors touché par les malheurs de la famille royale et discute longuement avec la reine Marie-Antoinette. Une fiction est propagée visant à faire croire à l'enlèvement du roi par les aristocrates afin que celui-ci pût être arrêté et ramené à Paris en dépit de son inviolabilité. Le 25 juin l'Assemblée décrète que le roi sera suspendu de ses fonctions jusqu'à nouvel ordre.

À l'Assemblée, les débats du 13 au 16 juillet portent sur l'inviolabilité du roi et les pouvoirs qui lui seront reconnus par la Constitution. Les républicains réclament la déchéance du roi. Le 14 juillet 1791 Robespierre demande que la question de l'inviolabilité royale soit posée à la Nation. « Si un roi appelait sur sa patrie toutes les horreurs de la guerre civile et étrangère ; si, à la tête d'une armée de rebelles et d'étrangers, il venait ravager son propre pays et ensevelir sous ses ruines la liberté et le bonheur du monde entier, serait-il inviolable ? [...] Le roi est inviolable ! Mais les peuples ne le sont-ils pas aussi ? Le roi est inviolable par une fiction ; les peuples le sont par le droit sacré de la nature ; et que faites-vous en couvrant le roi de l'égide de l'inviolabilité, si vous n'immolez l'inviolabilité des peuples à celle des rois ? » L'abbé Grégoire, Pétion, Buzot, Vadier demandent que Louis XVI soit jugé par une Convention nationale.

Le 15 juillet, à la tête des constitutionnels, Barnave prononce un discours décisif : « Je place ici la véritable question. Allons-nous terminer la Révolution, allons-nous la recommencer ?... Un pas de plus serait un acte funeste et coupable ; un pas de plus dans la ligne de la liberté serait la destruction de la royauté ; un pas de plus dans la ligne de l'égalité, la destruction de la propriété. » Il souhaite la consolidation de la monarchie constitutionnelle et défend ardemment l'inviolabilité du roi « principe conservateur de toute monarchie constitutionnelle » qu'il parvient à faire proclamer. Mais l'Assemblée ne se prononce pas sur la fin de la suspension des pouvoirs du roi. Le club des Cordeliers mené par Danton fait circuler une pétition réclamant la République et demandant que la Nation juge le roi : elle recueille 6 000 signatures. Le club des Jacobins se divise et, le 16 juin, Barnave avec Duport et les Lameth, arguant de leur qualité de fondateurs du club, entraînent ceux de ses membres partisans du maintien de la monarchie, notamment les députés, au couvent des Feuillants. Le 17 juin les Cordeliers appellent les Parisiens à venir au Champ-de-mars signer la pétition déposée sur l'autel de la patrie élevé pour le 14 juillet et réclamant que l'Assemblée revienne sur sa décision.

L'Assemblée apprend que deux hommes découverts sous l'autel et pris pour des traîtres ont été décapités par des pétitionnaires. Elle déclare les pétitionnaires réclamant la République criminels de lèse nation et, par crainte d'une émeute, envoie La Fayette protéger l'ordre public. La Fayette, malgré un coup de feu tiré en sa direction, n'estime pas nécessaire de disperser les manifestants venus réclamer la déchéance du roi. La loi martiale est pourtant décrétée. Le soir, Bailly fait boucler les issues de l'esplanade ; la garde envoyée sur place, entendant un coup de feu, tire en l'air puis, sans sommation, dans la foule. Le « massacre du Champ-de-mars » qui s'ensuivit créera un fossé déterminant entre constitutionnels et républicains, entre modérés et révolutionnaires.

Après la séparation de l'Assemblée constituante, Barnave, critiqué pour ses prises de position et surnommé Monsieur Double-Visage, se retirera à Grenoble. Mais il sera arrêté après la découverte, à la suite de la journée du 10 août 1792, d'un document compromettant intitulé Projet du comité des ministres, concerté avec MM. Alexandre de Lameth et Barnave.

Incarcéré pendant 15 mois à Grenoble, puis à Fort-Barraux et Saint-Marcellin, il est transféré à Paris et sera condamné par le Tribunal révolutionnaire qui l'enverra à l'échafaud en novembre 1793, à l'âge de trente deux ans.

M. Barnave (il monte à la tribune où il est accueilli par les applaudissements d'une grande majorité de l'Assemblée) :

Messieurs, la Nation française vient d'essuyer une violente secousse ; mais, si nous devons en croire tous les augures qui se manifestent, ce dernier événement, comme tous ceux qui l'ont précédé, ne servira qu'à presser le terme, qu'à assurer la solidité de la Révolution que nous avons faite. Déjà la Nation, en manifestant son unanimité, en constatant l'unanimité de ses forces au moment de l'inquiétude et du péril, a prouvé à nos ennemis ce qu'ils auraient à craindre du résultat de leurs attaques. Aujourd'hui, en examinant attentivement la Constitution qu'elle s'est donnée, elle va en prendre une connaissance approfondie, qu'elle n'eût peut-être pas acquise de longtemps si les principes de la moralité paraissant en contradiction avec ceux de la politique, si un sentiment profond, contraire dans ce moment à l'intérêt national, n'eût pas obligé l'Assemblée à creuser ces grandes et importantes questions, et à démontrer à toute la France ce que savaient déjà par principe ceux qui l'avaient examinée, mais ce que la foule peut-être ne savait point encore ; je veux dire la nature du gouvernement monarchique, quelles sont ses bases, quelle est sa véritable utilité pour la Nation à laquelle vous l'avez donné.

La question qui vous est soumise présente évidemment deux aspects différents : la question de fait, la question de droit ou constitutionnelle. Quant à la question de fait, je me crois dispensé de la discuter par le discours éloquent qu'a prononcé à cette tribune celui des opinants qui a, immédiatement avant moi, soutenu la même opinion. Je me plais à rendre justice, je ne dirai pas seulement à l'étendue des talents, mais à l'âme véritablement noble et généreuse qu'il a développée dans cette grande circonstance. (Applaudissements) Il a, dis-je, suffisamment examiné le fait ; je vais brièvement examiner la loi. Je vais prouver que la Constitution veut la conclusion que vos comités proposent ; mais je dirai plus, je dirai qu'il est utile dans les circonstances, qu'il est bon pour la Révolution que la Constitution la commande ainsi.

Je ne parlerai point avec étendue de la nature et de l'avantage du gouvernement monarchique ; vous l'avez plusieurs fois examiné, et vous avez montré votre conviction en l'établissant dans votre pays. Je dirai seulement : toute Constitution, pour être bonne, doit porter sur ces deux principes, doit présenter au peuple ces deux avantages : liberté, stabilité dans le gouvernement qui la lui assure. Tout gouvernement, pour rendre le peuple heureux, doit le rendre libre. Tout gouvernement, pour être bon, doit renfermer en lui les principes de sa stabilité ; car autrement, au lieu du bonheur, il ne présenterait que la perspective d'une suite de changements. Or, s'il est vrai que ces deux principes n'existent, pour une grande Nation, comme la nôtre, que dans le gouvernement monarchique, s'il est vrai que la base du gouvernement monarchique et celle de ces deux grands avantages qu'il nous présente est essentiellement dans l'inviolabilité du pouvoir exécutif, il est vrai de dire que cette maxime est essentielle au bonheur, à la liberté de la France.

Quelques hommes dont je ne veux pas accuser les intentions ; à qui même, pour le plus grand nombre, je n'en ai jamais cru de malfaisantes ; quelques hommes qui peut-être cherchent à faire en politique des romans, parce qu'il est plus facile de travailler ainsi que de contribuer à l'utilité réelle et positive de son pays, cherchant dans un autre hémisphère des exemples à nous donner, ont vu en Amérique un peuple occupant un grand territoire par une population rare, n'étant environné d'aucun voisin puissant, ayant pour limites des forêts, ayant toutes les habitudes, toute la simplicité, tous les sentiments d'un peuple presque neuf, presque uniquement occupé à la culture ou aux autres travaux immédiats qui rendent les hommes naturels et purs, et qui les éloignent de ces passions factices qui font les révolutions des gouvernements ; ils ont vu un gouvernement républicain établi sur ce vaste territoire : ils ont conclu de là que le même gouvernement pouvait nous convenir. Ces hommes dont j'ai déjà annoncé que je n'attaquais pas les intentions, ces hommes sont les mêmes qui contestent aujourd'hui le principe de l'inviolabilité : or, s'il est vrai que sur cette terre une population immense est répandue ; s'il est vrai qu'il s'y trouve une multitude d'hommes exclusivement occupés à ces spéculations de l'esprit qui exercent l'imagination, qui portent à l'ambition et à l'amour de la gloire ; s'il est vrai qu'autour de nous des voisins puissants nous obligent à ne faire qu'une seule masse pour leur résister avec avantage ; s'il est vrai que toutes ces circonstances sont positives et ne dépendent pas de nous, il est incontestable que le remède n'en peut exister que dans le gouvernement monarchique. Quand le pays est peuplé et étendu, il n'existe, et l'art de la politique n'a trouvé que deux moyens de lui donner une existence solide et permanente : ou bien vous organiserez séparément les parties, vous mettrez dans chaque section une portion de gouvernement, et vous fixerez ainsi la stabilité aux dépens de l'unité, de la puissance et de tous les avantages qui résultent d'une grande et homogène association. Ou bien si vous laissez subsister l'union nationale, vous serez obligé de placer au centre une puissance immuable, qui, n'étant jamais renouvelée que par la loi, présentant sans cesse des obstacles à l'ambition, résiste avec avantage aux secousses, aux rivalités, aux vibrations rapides d'une population immense agitée par toutes les passions qu'enfante une vieille société.

La solidité de ces maximes étant reconnue décide notre situation. Nous ne pouvons être stables dans notre existence politique, que par un gouvernement fédératif qu'aucun jusqu'à ce jour n'a soutenu dans cette Assemblée, que la division en 83 départements a été destinée à prévenir, et suffit seule à rendre absurde, qu'il est, je pense, inutile de repousser ; ou par le gouvernement monarchique que vous avez établi, c'est à dire en en remettant les rênes du pouvoir exclusif dans une famille par droit de succession héréditaire.

La liberté trouve son origine dans les mêmes principes. On vous a hier développé d'une manière savante, et qu'il est utile de mettre sous vos yeux, cette indépendance des deux pouvoirs, qui est la première base du gouvernement représentatif et monarchique. Là le peuple, qui ne peut lui-même faire ses lois, qui ne peut lui-même exercer ses pouvoirs, les mettant entre les mains de ses représentants, se dépouille ainsi passagèrement de l'exercice de sa souveraineté, et s'oblige à le diviser entre eux; car il ne conserve sa souveraineté qu'en en divisant l'exercice entre ses délégués ; et s'il était possible qu'il la remît tout entière dans un individu ou dans un corps, dès lors il s'ensuivrait que son pouvoir serait aliéné. Tel est donc le principe du gouvernement représentatif et monarchique ; les deux pouvoirs réunis se servent mutuellement de complément, et se servent aussi de limite ; non seulement il faut que l'on fasse les lois, et que l'autre les exécute. Celui qui exécute doit avoir un moyen d'opposer son frein à celui qui fait la loi, et celui qui fait la loi doit avoir un moyen de soumettre l'exécution à sa responsabilité ; c'est ainsi que le roi a le droit de refuser la loi ou de la suspendre, en opposant sa puissance à la rapidité, aux entreprises du Corps législatif ; c'est ainsi que le pouvoir législatif, en poursuivant les écarts de la puissance exécutrice contre les agents nommés par le roi, leur fait rendre compte de leur gestion, et prévient les abus qui pourraient naître de leur impunité.

De cette combinaison savante de votre gouvernement, il est résulté une conséquence : ce pouvoir dispensé au roi de limiter le pouvoir législatif, devant nécessairement le rendre indépendant, devant par conséquent le rendre inviolable, il a fallu quand la loi mettait en lui non seulement la sanction, mais aussi l'exécution, il a fallu en séparer de fait cette dernière partie, parce qu'elle est par sa nature nécessairement soumise à sa responsabilité.

Ainsi vous avez laissé au roi inviolable cette exclusive fonction, de donner la sanction et de nommer les agents : mais vous avez obligé, par la Constitution, les agents nommés par le roi, à remplir pour lui les fonctions exécutives, parce que ces fonctions nécessitent la critique et la censure, et que le roi devant être indépendant pour la sanction, devant être par conséquent personnellement inattaquable, devenait incapable de les remplir. Vous avez donc toujours agi dans les principes d'indépendance des deux pouvoirs : vous avez donc toujours agi dans la considération de cette nécessité indispensable de leur donner mutuellement les moyens de se contenir. J'ai dit que la stabilité et la liberté étaient le double caractère de tout bon gouvernement ; l'un et l'autre exigent impérieusement l'inviolabilité. S'il est vrai que pour être indépendant, le roi doit être inviolable, il n'est pas moins vrai qu'il doit l'être pour la stabilité, puisque c'est cette maxime qui, le mettant à couvert de tous les efforts des factieux, le maintient à sa place, et maintient avec lui le gouvernement dont il est le chef.

Telle est dans son objet cette inviolabilité essentielle au gouvernement monarchique : voyons quelle est la nature, et quelles sont ses limites ; les voici très clairement à mes yeux :
La responsabilité doit se diviser en deux branches, parce qu'il existe pour le roi deux genres de délit ; le roi peut commettre des délits civils, le roi peut commettre des délits politiques : quant au délit civil (j'observe que cela est hors du cas que nous traitons maintenant) ; quant au délit civil il n'existe aucune espèce de proportion entre l'avantage qui résulte pour le peuple, de sa tranquillité conservée, de la forme de gouvernement maintenue, et l'avantage qui pourrait résulter de la punition d'une faute de cette nature. Que doit alors le gouvernement au maintien de l'ordre et de la morale ? Il doit seulement prévenir que le roi qui a fait un délit grave ne puisse le répéter ; mais il n'est pas obligé de sacrifier évidemment le salut du peuple et le gouvernement établi à une vindicte particulière ; ainsi donc, pour le délit civil du monarque, la Constitution ne peut établir sagement qu'un remède ; je veux dire la supposition de démence ; par là sans doute, elle jette un voile sur un mal passager ; mais, par là, en prévenant, par les précautions que la démence nécessite, la répétition du délit, elle conserve la forme du gouvernement, et assure au peuple la paix qui, dans une hypothèse opposée, pourrait être troublée à tout moment, non seulement par les jugements, mais même par les accusations auxquelles le prince serait en butte.

Quant au délit politique, il est d'une autre nature ; et je remarquerai seulement ici que nos adversaires se sont étrangement mépris sur ce point, car ils ont dit que c'était sur l'exercice du pouvoir exécutif que portait l'inviolabilité. Il est parfaitement vrai que c'est sur cette seule fonction qu'il n'y a pas d'inviolabilité ; il ne peut pas exister d'inviolabilité sur les fonctions du pouvoir exécutif, et c'est pour cela que la Constitution rendant le roi inviolable l'a absolument privé de l'exercice immédiat de cette partie de son pouvoir ; le roi ne peut pas exécuter, aucun ordre exécutif ne peut émaner de lui seul ; le contreseing est nécessaire ; tout acte exécutif qui ne porte que son nom est nul, sans force, sans énergie ;tout homme qui l'exécute est coupable ; par ce seul fait, la responsabilité existe contre les seuls agents du pouvoir ; ce n'est donc pas là qu'il faut chercher l'inviolabilité relativement aux délits politiques ; car le roi, ne pouvant agir en cette partie, ne peut pas déléguer.

La véritable inviolabilité du délit politique est celle qui porte sur des faits étrangers à ses fonctions exécutives et constitutives. Cette inviolabilité-là n'a qu'un terme : c'est la déchéance.

Le roi ne peut cesser d'être inviolable qu'en cessant d'être roi ; la Constitution doit prévoir les cas où le pouvoir exécutif devient incapable et indigne de gouverner : la Constitution doit prévoir les cas de déchéance, doit clairement les caractériser ; car s'il n'en était pas ainsi, le roi essentiellement indépendant deviendrait dépendant de celui qui jugerait la déchéance. J'examinerai bientôt ce moyen de Convention nationale que l'Angleterre a momentanément adopté, par la raison que sa Constitution, qui est faite pour les événements, n'a jamais prévu les cas qui n'étaient pas encore arrivés : par la raison que, n'ayant pas un gouvernement de droit, mais de fait, elle est obligée de tirer toujours ses lois des circonstances : j'examinerai, dis-je, bientôt ce mode de conventions nationales qui peut avoir peu de dangers dans un pays tel que l'Angleterre, mais qui chez nous les présente en foule. Je dis que parmi nous l'inviolabilité des délits politiques ne peut avoir de terme que par la déchéance ; que la déchéance ne peut arriver que par un cas prévu par la Constitution, et formellement énoncé par elle ; de sorte que, le cas échéant, le jugement soit prononcé par la loi même.

Si ce sont là les principes que nous avons jusqu'à ce jour, et qui doivent déterminer notre décision, il est facile de les appliquer à la circonstance. On a parfaitement démontré que les actes commis par le roi ne présentaient pas le cas de déchéance prévu par la Constitution, et ne présentaient non plus aucune abdication. Que résulte-t-il de là , Que si l'acte commis par le roi était en lui-même un délit (ce que je n'examinerai pas, M. Salle m'en a dispensé), la loi ne l'ayant pas prévu ne peut pas y être appliquée, la déchéance n'a pas lieu, l'inviolabilité demeure dans sa plénitude.

Ici se présente directement l'argument qu'a fait M. Buzot [celui-ci a déclaré que le roi pouvait être jugé] sur l'exemple de l'Angleterre : la Constitution anglaise n'a point prévu les cas de déchéance, mais la Nation la prononce lorsque les événements semblent la solliciter. Ici, je répète ma réponse : la Constitution anglaise n'a pas prévu ce cas, parce qu'elle n'a prévu aucun cas ; il n'existe en Angleterre aucune Constitution écrite ; il n'existe en Angleterre aucun usage permanent en cette partie ; chaque fois que l'État essuie une crise, qu'il se présente une nouvelle combinaison d'événements politiques, alors les partis dominent, alors ceux qui ont plus d'influence dans la Nation, alors la conjoncture actuelle détermine le parti qu'on prend, et le mode par lequel on arrive à l'adopter ; c'est ainsi que, dans certains cas, on a prononcé la déchéance pour des méfaits qui peut-être ne l'avaient pas méritée, et que, plus anciennement, dans des cas plus graves, on ne l'avait pas prononcée ; c'est ainsi qu'on a appelé en Angleterre des Conventions nationales, quand on les a crues propres à faire réussir les desseins des hommes dominants, et que, dans des cas où la liberté publique a été véritablement attaquée, on a laissé régner tranquillement celui qui l'avait plus heureusement tenté. Ce n'est pas là le système que nous avons admis : nous avons voulu que dans nos lois politiques, comme dans nos lois civiles, tout, autant qu'il était possible, fût prévu ; nous avons voulu annoncer la peine en déterminant d'abord le délit ; nous avons voulu ôter, s'il était possible, tout à l'arbitraire, et asseoir, dans un pays plus sujet aux révolutions, parce qu'il est plus étendu, asseoir une base stable, qui pût prévenir ou maîtriser les événements, et soumettre à la loi constitutionnelle, même les révolutions. Ne nous défions donc pas de cette règle, car elle est bonne ; nous n'avons cessé de la suivre pour les individus : observons-la aujourd'hui pour le monarque ; nos principes, la Constitution, la loi, déclarent qu'il n'est pas déchu : c'est donc entre la loi sous laquelle nous devons vivre, entre l'attachement à la Constitution et le ressentiment contre un homme, qu'il s'agit de prononcer. Or, je demande aujourd'hui à celui de vous tous qui pourrait avoir conçu contre le chef du pouvoir exécutif toutes les préventions, tous les ressentiments les plus profonds et les plus animés ; je lui demande de nous dire s'il est plus irrité contre lui qu'attaché à la loi de son pays (Applaudissements) : et remarquez que cette différence, naturelle à l'homme libre, entre l'importance des lois et l'importance des hommes ; que cette différence doit surtout s'établir, relativement au roi, dans une monarchie libre et représentative ; il me semble que vous eussiez fait une grande faute, si, lorsque constituant une monarchie héréditaire, et consentant par conséquent à recevoir des mains de la naissance ou du hasard celui qui devait exercer la première place, vous aviez laissé une grande importance au choix et à la qualité de l'homme ; je conçois que partout où la volonté du peuple donne un gage de la capacité, partout où la responsabilité oblige l'officier public à exercer ses fonctions, on le punit de l'avoir enfreinte, il est nécessaire que les qualités personnelles agissent de concert avec la loi. Mais, ou bien vous avez fait une Constitution vicieuse, ou celui que le hasard de la naissance vous donne, et que la loi ne peut pas atteindre, ne peut pas être important par ses actions personnelles au salut du gouvernement, et doit trouver dans la Constitution le principe de sa conduite et l'obstacle à ses erreurs. (Applaudissements) S'il en était autrement, Messieurs, ce ne serait pas dans les fautes du roi que j’apercevrais le plus grand danger, ce serait dans ses grandes actions ;: je ne me méfierais pas tant de ses vices que de ses vertus : car je pourrais dire à ceux qui s'exhalent en ce moment en plaintes justes peut-être en moralité mais bien puériles en politique ; qui s'exhalent avec une telle fureur contre l'individu qui a péché ; je leur dirais : vous seriez donc à ses pieds, si vous étiez contents de lui !... (Applaudissements prolongés)

Ceux qui veulent ainsi sacrifier la Constitution à leur ressentiment pour un homme me paraissent trop sujets à sacrifier la liberté par enthousiasme pour un autre ; et puisqu'ils aiment la République, c'est bien aujourd'hui le moment de leur dire : comment voulez-vous une République dans une Nation où vous flattez que l'acte d'un individu qui, quoiqu'on juge en lui certaines qualités, avait eu longtemps l'affection du peuple ; quand vous vous êtes flattés, dis-je, que l'acte qu'il a commis pourrait changer notre gouvernement, comment n'avez-vous pas craint que cette même mobilité du peuple ému par l'enthousiasme envers un grand homme, par la reconnaissance des grandes actions (car la Nation française, vous le savez, sait bien mieux aimer qu'elle ne sait haïr) (Applaudissements répétés) ne renversât en un jour votre absurde République ; comment, leur dirai-je, vous avez en ce moment fondé tant d'espérances sur la mobilité de ce peuple, et vous n'avez pas senti que, si votre système pouvait réussir, dans cette même mobilité était le principe de sa destruction ; que bientôt le peuple agité dans un autre sens aurait établi à la place de la monarchie constitutionnelle que vous aurez détruite, la plus terrible tyrannie, celle qui est établie contre la loi, créée par l'aveuglement ? (Applaudissements)

Vous avez cru que le peuple changerait aujourd'hui sa Constitution par une impression momentanée, et vous avez cru que ce conseil exécutif, faible par son essence, divisé incessamment entre ceux qui en formeraient le nombre, opposé à tous égards à l'instinct de la Nation qui est tout entière pour l'égalité et toujours prête à s'insurger contre ce qui lui présenterait le simulacre d'une odieuse oligarchie, que ce conseil établissant dans le royaume le désordre et l'anarchie par la débilité de ses moyens, et par la division de ses membres, résisterait longtemps aux grands généraux, aux grands orateurs, aux grands philosophes qui présenteraient à la Nation la puissance protectrice du génie contre les abus auxquels vous l'auriez livrée ; vous avez cru que la Nation, par un mouvement momentané, détruirait la royauté, et vous n'avez pas senti que, s'il en était ainsi, elle rétablirait un jour la tyrannie pour se défaire des troubles et de l'état humiliant dans lequel vous l'auriez plongée jusqu'à la déchéance. (Applaudissements répétés) Il est donc vrai que la Constitution veut que le Roi soit inviolable, et que, dans un cas non prévu, il ne soit pas déchu du trône ; il est donc vrai que tout homme vraiment libre veut exclusivement ce qu'a prononcé la Constitution. Mais je conviens en ce moment de laisser la Constitution de côté ; je veux parler dans la Révolution ; je veux examiner s'il est à regretter que la déchéance ne s'applique pas à la conduite du roi ; et je dis, du fond de ma pensée, je dis affirmativement, non.

Messieurs, je ne chercherai point ici les motifs de la Révolution dans ceux qu'on a voulu nous supposer. On a dit dans cette tribune, on a imprimé ailleurs que la crainte des puissances étrangères avait été le motif de circonstance qui avait déterminé les comités en faveur du décret qu'ils vous ont proposé ; cela est faux, calomnieusement faux. Je déclare que la crainte des puissances étrangères ne doit point influencer nos opérations. Je déclare que ce n'est pas à nous de redouter des débats avec les rois, qui, peut-être, par les circonstances, ne seraient pas heureux pour nous, mais qui seront toujours plus menaçants pour eux. Quelque exemple qu'on puisse donner des peuples devenus libres par leur énergie, et rétablis sous le joug par la coalition des tyrans, une telle issue n'est point à craindre pour nous. Des secousses trop répétées ont fait pénétrer, jusqu'au fond du peuple, l'amour et l'attachement de la Révolution. On ne change plus l'état des choses, on ne rétablit plus des usurpations et des préjugés quand une telle masse s'est émue, et quand elle a dit tout entière : je sais être libre, je veux être libre, et je serai libre. Cela est profondément vrai en politique, comme juste en philosophie, et si on le veut, comme pompeux en déclamation. Il est parfaitement vrai que si quelque puissance voulait nous ôter notre liberté, il pourrait en résulter des désastres passagers pour nous, de grandes plaies pour l'humanité : mais qu'en dernière analyse la victoire nous est assurée. Aussi n'est-ce pas là, Messieurs, le motif révolutionnaire du décret. Ah ! ce n'est pas notre faiblesse que je crains, c'est notre force, nos agitations, c'est le prolongement indéfini de notre fièvre révolutionnaire. On a rappelé ailleurs et dans cette tribune les inconvénients de détails de tout autre parti que celui qui, après la Constitution achevée, la proposerait au roi pour l'accepter librement. On a assez bien établi que des régents passés en pays étrangers, éloignés de tout temps de la Révolution, remplaceraient mal le monarque que vous auriez éloigné ; on a parfaitement établi qu'éloigner la régence de ceux à qui la Constitution l'a donnée, après en avoir éloigné la royauté, serait créer autant de partis qu'on aurait exclu d'hommes appelés par la Constitution. On a très bien prouvé qu'un conseil exécutif de régence ou de surveillance mis à leur place augmenterait le mal au lieu d'y remédier, que les ennemis ou plutôt les chefs du parti contre-révolutionnaire en deviendraient plus nombreux, que la Nation se diviserait elle-même, et que le pouvoir exécutif remis en de débiles mains n'aurait aucun effet sur eux ; que si ce conseil était pris dans l'Assemblée nationale, la Révolution paraîtrait n'être plus l'ouvrage que de l'ambition de ceux qui auraient voulu s'y faire porter ; que l'Assemblée nationale perdrait l'estime ; et que ceux qu'elle aurait placés à la tête du gouvernement auraient par là même perdu la force ; que si le conseil était choisi au dehors de cette Assemblée, il serait possible sans doute, d'y recueillir des hommes capables de gouverner ; mais il ne le serait pas autant d'y retrouver des hommes assez connus dans la Révolution, ayant pu attacher sur eux l'attention publique, ayant pu conquérir la confiance par une longue suite d'actes connus, de sorte que le second conseil serait encore plus fragile que le premier. On a très bien établi ces faits ; mais je les prends en masse et je dis : tout changement est aujourd'hui fatal, tout prolongement de la Révolution est aujourd'hui désastreux ; la question, je la place ici, et c'est bien là qu'elle est marquée par l'intérêt national. Allons-nous terminer la Révolution, allons-nous la recommencer ? (Applaudissements répétés) Si vous vous défiez une fois de la Constitution, où sera le point où vous vous arrêterez, et où s'arrêteront surtout nos successeurs ?

J'ai dit que je ne craignais pas l'attaque des nations étrangères et des Français émigrés ; mais je dis aujourd'hui avec autant de vérité, que je crains la continuation des inquiétudes, des agitations qui seront toujours au milieu de nous, tant que la Révolution ne sera pas totalement et paisiblement terminée : on ne peut nous faire aucun mal au dehors, mais on nous fait un grand mal au dedans quand on nous agite par des pensées funestes ; quand des dangers chimériques, créés autour de nous, donnent au milieu du peuple quelque consistance et quelque confiance aux hommes qui s'en servent pour l'agiter continuellement. On nous fait un grand mal quand on perpétue ce mouvement révolutionnaire qui a détruit tout ce qui était à détruire, qui nous a conduits au point où il fallait nous arrêter, et qui ne cessera que par une détermination paisible, une détermination commune, un rapprochement, si je puis m'exprimer ainsi, de tout ce qui peut composer à l'avenir la Nation française. Songez, Messieurs, songez à ce qui se passera après vous : vous avez fait ce qui était bon pour la liberté, pour l'égalité ; aucun pouvoir arbitraire n'a été épargné, aucune usurpation de l'amour-propre ou des propriétés n'est échappée : vous avez rendu tous les hommes égaux devant la loi civile et devant la loi politique ; vous avez repris, vous avez rendu à l'État tout ce qui lui avait été enlevé. De là résulte cette grande vérité que, si la Révolution fait un pas de plus, elle ne peut le faire sans danger ; c'est que, dans la ligne de la liberté, le premier acte qui pourrait suivre serait l'anéantissement de la royauté ; c'est que, dans la ligne de l'égalité, le premier acte qui pourrait suivre serait l'attentat à la propriété. (Applaudissements)

Je demande à ceux qui m'entendent, à ceux qui conçoivent avec moi, que si les mouvements recommencent, que si la Nation a encore de grandes secousses à éprouver, que si de grands événements peuvent suivre ou seulement se font redouter, que si tout ce qui agite le peuple continue à lui imprimer son mouvement, que si son influence continue à pouvoir agir sur les événements politiques ; à tous ceux, dis-je, qui savent que, si les choses se passent ainsi, la Révolution n'est pas finie ; je leur demande : existe-t-il encore à détruire une autre aristocratie que celle de la propriété ? Messieurs, les hommes qui veulent faire des révolutions ne les font pas avec des maximes métaphysiques ; on séduit, on entraîne quelques penseurs de cabinet, quelques hommes savants en géométrie, incapables en politique : on les nourrit sans doute avec des abstractions ; mais la multitude, dont on a besoin de se servir, la multitude, sans laquelle on ne fait pas de Révolution, on ne l'entraîne que par des réalités on ne la touche que par des avantages palpables.

Vous le savez tous, la nuit du 4 août a donné plus de bras à la Révolution que tous les décrets constitutionnels ; mais pour ceux qui voudraient aller plus loin, quelle nuit du 4 août reste-t-il à faire, si ce n'est des lois contre les propriétés ? Et si les lois ne sont pas faites, qui nous garantira qu'à défaut d'énergie dans le gouvernement, que, quand nous n'aurons pas terminé la Révolution et réprimé le mouvement qui la perpétue, son action progressive ne fera pas d'elle-même ce que la loi n'aura pas osé prononcé ? Il est donc vrai qu'il est temps de terminer la Révolution ; il est donc vrai qu'elle doit recevoir aujourd'hui son grand caractère ; il est donc vrai que la Révolution paraîtra, aux yeux de l'Europe et de la postérité, avoir été faite pour la Nation française, ou pour quelques individus : que si elle est faite pour la Nation, elle doit s'arrêter au moment où la Nation est libre, et où tous les Français sont égaux ; que si elle continue dans les troubles, dès lors elle n'est plus que l'avantage de quelques hommes, dès lors elle est déshonorée, dès lors nous le sommes nous-mêmes. (Applaudissements)

Aujourd'hui, Messieurs, tout le monde doit sentir que l'intérêt commun est que la Révolution s'arrête. Ceux qui ont perdu doivent s'apercevoir qu'il est impossible de la faire rétrograder et qu'il ne s'agit plus que de la fixer : ceux qui l'ont faite et qui l'ont voulue doivent apercevoir qu'elle est à son dernier terme, que le bonheur de leur patrie, comme leur gloire, exige qu'elle ne se continue pas plus longtemps. Tous ont un même intérêt : les rois eux-mêmes, si quelquefois de profondes vérités peuvent pénétrer jusque dans les conseils des rois ; si quelquefois les préjugés qui les environnent peuvent laisser passer jusqu'à eux les vues saines d'une politique grande et philosophique ; les rois eux-mêmes doivent apercevoir qu'il y a loin pour eux entre l'exemple d'une grande réforme dans le gouvernement et l'exemple de l'abolition de la royauté ; que si nous arrêtons ici, ils sont encore rois ; que même l'épreuve que vient de subir parmi nous cette institution, la résistance qu'elle a offerte à un peuple éclairé et fortement irrité, le triomphe qu'elle a obtenu par les discussions les plus approfondies ; que toutes les circonstances, dis-je, consacrent pour les grands États la doctrine de la royauté ; que de nouveaux événements en pourraient faire juger autrement ; et que, s'ils ne veulent pas sacrifier à de vaines espérances la réalité de leurs intérêts, la terminaison de la Révolution de la Nation française est aussi ce qui lui convient le mieux.

Quelle que soit leur conduite, Messieurs, que la nôtre au moins soit sage ; que la faute vienne d'eux, s'ils doivent en souffrir un jour, et que personne dans l'univers, en examinant notre conduite, n'ait un reproche juste à nous faire. Régénérateurs de l'Empire, représentants de la Nation française, suivez aujourd'hui invariablement votre ligne ; vous avez montré que vous aviez le courage de détruire les abus de la puissance ; vous avez montré que vous aviez tout ce qu'il faut pour mettre à la place des sages et d'heureuses institutions ; prouvez aujourd'hui que vous avez la force, que vous avez la sagesse de les protéger et de les maintenir. La Nation vient de donner une grande preuve de force et de courage : elle a solennellement mis au jour, et par un mouvement spontané, tout ce qu'elle pouvait opposer aux événements dont on la menaçait. Continuons les mêmes précautions ; que nos limites, nos frontières soient puissamment défendues : mais au moment où nous manifestons notre puissance, prouvons aussi notre modération ; présentons la paix au monde inquiet des événements qui se passent au milieu de nous : présentons une occasion de triomphe, une vive satisfaction à tous ceux qui, dans tous pays étrangers, ont pris intérêt aux événements de notre part : et qui nous disent, de toutes parts, vous avez été courageux, vous êtes puissants, soyez aujourd'hui sages et modérés ; c'est là que sera le terme de votre gloire. C'est ainsi que vous aurez prouvé que, dans des circonstances diverses, vous saviez employer des talents et des moyens, et des vertus diverses.

C'est alors que vous retirant dans vos foyers, après avoir vigoureusement établi l'action du gouvernement, après avoir énergiquement prononcé que vous voulez que la France présente un asile paisible pour tous ceux qui voudront obéir aux lois ; après avoir donné le mouvement à vos institutions (et cela est possible dans un temps prochain, car je ne suis pas disposé à éloigner l'instant de notre séparation), après avoir mis en vigueur tout ce qui fait agir le gouvernement, vous vous retirerez dans vos foyers, vous aurez obtenu par votre courage, la satisfaction et l'amour des plus ardents amis de la Révolution et de la liberté ; et vous obtiendrez, de la part de tous, par de nouveaux bienfaits, des bénédictions ou au moins le silence de la calomnie. J'adopte les propositions de M. Salle [ayant proposé que des conditions soient imposées au roi], et je conclus à l'admission du projet des comités. (Applaudissements répétés)