mercredi 31 août 2011

suite brésilienne - la ville que nous partageons

Dans ta ville d’aubes au soleil rapide,
par les pelouses et les avenues du matin
qui a rompu les présences, fermé les portes
entrouvertes la veille, laissé le lit
à ton seul corps qui pelotonné et mat
ne s’étire plus que pour soi,
dans ta ville étrangère où je ne sais
aucun des lieux où s’asseoir et penser encore
à toi,
j’ai dû fuir dès le lendemain,
comme convenu, sans la goutte du sourire,
sans la lumière de ta bouche,
sans la certitude de ton front,
avec à la pensée la seule répétition
que nous étions unis, et que nous ne le serions
plus dès maintenant.

Le petit matin d’un même mercredi était coupant
comme l’heure qui décidait mon lever, les vêtements
réunis en apparence de mon corps,
l’hésitation que j’eus,
songeant à toi te rendormant et le retour
à ton lit que tu m’avais ouvert,
le retour à un baiser que tu pris, visage soulevé,
et à ton corps sans un mot,
sans un avertissement qui s’ouvrit
comme jamais plus dans mon souvenir.

Il y avait eu les épis d’or de tes cuisses,
au dernier moment quand il ne faut plus que
répondre à la précision de cette joie savante
que nous avions alors à cet instant et
cet aveu que tu fis, je ne sais quand, quand
en toi et immobile, tous deux formant l’étoile
primordiale à la plage du lit qui semblait
immense puisque nous le prenions de la tête aux pieds
et que faisait ton visage aux yeux clos et au front
de noire lumière, un soleil consentant et sombre
qui irradait dans toute l’heure nocturne
une densité de bonheur et de certitude
de notre accord que je n’avais plus su
depuis bien loin : c’était la prévision réalisée,
mais serait-ce la prophétie ?

La nuit avait été sans que j’en compte les minutes,
sans que je retourne de la main la preuve par ton corps
et le mien que je ne rêvais pas,
j’avais dormi comme toi,
comme si la décision était le nouveau regard
jumeau de celui de la veille, disant le
même émerveillement et le même sourire,
l’assurance donc que le feu ne serait pas cendre,
et que la tranquillité pouvait commencer,
mais dans ta ville il me fallait te quitter,
il me fallait seulement supputer ce qui en moi
allait porter ta trace, ta cicatrice,
il me fallait seulement jouir de la certitude
de t’avoir rencontrée et ne mesurer en rien
aucune attente. Je ne savais pas de science ni
de parole que ce matin était le vrai chemin,
je pouvais tout croire mais la sagesse intérieure
ne me faisait rien espérer. Je balançais
dans les aubes de ta ville, dans les mouvements
vifs du soleil aux bâtiments immenses de temps sans nuits
la précision de l’instant qui m’était donné,
l’instant où j’apprenais que je t’aimais,
l’instant si fort
que tu me donnais encore la grâce
de ne pas me demander si toi aussi…
et tes réponses auraient la tendresse
avant même les questions,
et à ton tour et depuis
tu as fui les lieux et les jours,
les prétextes et les avances,
le calendrier trouble des retrouvailles
avec d’autres
que tu m’avais dits en préambule de notre
histoire,
à peine pouvais-je le considérer,
puisque tout commençait de ce qui me semblait impérieux
depuis les répliques de l’orage,
car ce soir public en bleu et loitaine
tu avais franchi les commensaux et les froideurs
pour examiner les phrases et ne pas repousser
les chaises écartées, ma main à ton épaule, comme le signe que prochainement tu voudrais bien.

Tu m’as parlé d’unité, mais pas de ceux qui
te la donnent,
tu m’as parlé de vie et de bonheur mais pas au présent,
je t’ai vue rire à un autre qui te téléphonait
mais n’était plus rien pour toi,
je t’ai vue penchée sur moi qui t’embrassais les genoux
prendre à deux mains mon visage et ma prière
et murmurer qu’ils seraient inutiles.

Par la ville que nous partageons sans jamais nous croiser
il me vient souvent d’aller à tes fenêtres et
de compter les lumières et les étages et les pas
que tu fais de ton lit à la salle d’au pour fermer
les persiennes et faire dans la chambre que je connus
l’épaisseur du soir à goûter,
et dans la ville qui est tienne, dans l’immeuble où
tu es, il n’y aura plus pour ma ressource que l’anxiété
de n’être ni vu ni nterrogé ni aimé de toi surgie
si j’y pose, en fente de porte et en timidité définitive
la supplique de nous tous,
les simples mots de l’appel.

suite brésilienne - l'enfant s'il meurt

Messe

Tandis qu’hier s’avançaient mitrés des hommes déguisés,
qu’avaient applaudi les pauvres et les solennels
à la venue du chef soupçonneux, raide, étonné, entouré,
je te cherchais ange et tes frères,
et du plafond en gerbe de béton ne tombaient que des ailes
celles que tu portais désormais et qui t’enlevaient ailleurs.
La foule était sur pied, la foule murmurait, emplissait
de ses convenances et de ses spectacles la mémoire qui
lui faisait déjà défaut.
Tu étais déjà, pâle, encore rieur de la dernière partie,
Couché en ton dernier corps sur ton dernier lit,
Près des derniers tiens de cette terre-ci,
sans parole, sans regard que tes yeux si fermés,
qu’on pouvait sans doute croire que tu faisais effort
pour les tenir ainsi et que bientôt tu les rouvrirais
et reprendrais le jeu, l’escalade et les rires.

La cathédrale avait ses lumières et son glas,
les prélats et les présidents, les diplomates
ne pouvaient aucune prière, cette église-là
n’avait donc rien à dire
de ceux que nous couchons, de ceux dont nous défaisons
le costume qu’ils avaient passé eux-mêmes,
de ceux dont nous touchons le visage et les paupières
pour les figer au mieux de leur sommeil,
cette église-là, ces dignitaires du sacré
politique et religieux, les cités entremêlées
de ce temps où la vie ne se compte pas
tant qu’elle reste donnée,
n’avaient rien à dire à ma prière.

Un seul, nu et blanc, les bras étendus bien haut
au-dessus des autels et des éclairs des artifices
et des rites, semblait à sa place ignorer tous les autres,
un seul en croix allait dire la messe que je suivrais
de loin,
tandis que demain on va commencer de te porter
par cette campagne, vers cette église
où tu fis tous les gestes de ton enfance,
où tu riais tous les cris et les jeux encore
aujourd’hui si le temps t’avait été laissé.
Les vis et les cachets sont mis,
Toi – tu as su tomber à terre sans qu’on ait
plus tard à t’y descendre, tu as choisi le point de chute,
tu as préféré le dimanche et la pénombre peut-être,
tu avais commencé ce jour-là comme tant d’autres,
tu avais l’allégresse de ne rien préparer,
pas même un adieu, pas même un mot, pas un geste surtout
que ce seul-là qui lia tout.

Les aurores ont leur office,
dans la grisaille du sommeil qui nous quitte à peine,
à des seuils frais, dans des chambres dorées
où le prêtre se prépare et murmure,
on peut aller, tu allais sans doute certaines fois,
se prendre à genoux à regarder quelque chose en nous-mêmes
d’étrange et d’insaisissable,
un souffle frôle les épaules,
un esprit dit des mots écrits depuis longtemps
qui sentent le futur simple,
qui indiquent quelque part ce que nous serons
et ce que nous ferons.
La prière se récite peut-être, mais toi – comme tous les enfants
– que nous fîmes et que nous fûmes peut-être avais-tu
l’oraison distraite, ou bien la tête dans ton coude
comptais-tu les éclairs dans tes yeux
que produisaient la lassitude et l’attente.
La messe se disait, je ne sais si tu la suivais,
je sais que tu n’en avais pas besoin,
si peu de temps te restait que l’éternité
tu n’aurais pas à prendre l’inquiétude
ni la supplication d’ordinaire humaine.

Cette messe-là, demain, tandis qu’on te prendra
comme tu n’aurais jamais imaginé être pris, balancé, emmené
je vais la dire pour toi,
je vais t’y associer, tu viendras à mon bras,
tu auras ta place et ton livre, les genoux nus
et le regard clair que nous aimions tant, tous,
tu regarderas le sacré et les vases, tu écouterasles symboles,
tu verras celui seul qui a quelque chose à nous enseigner,
déjà à relever nos têtes et nos larmes,
toi tu seras déjà l’ange qui à notre épaule passe l’étole
et dans notre cœur souffle les braises de la présence.

Dans le cercle élevé clair du béton qu’on a façonné en gerbe,
je serai seul à la prière d’une messe dont l’heure sera autre,
entre les sièges désertés et habituels, sur les dalles blanches,
à la tombée exacte des trois esprits, je verrai ta vie entière
et j’entendrai tes pas, et la joie de ton rire quand tu m’auras
surpris, clos les yeux de ta main, arrêté ma méditation
et souri simplement d’être avec moi qui n’y pouvais plus croire.
Tu t’en iras mon enfant dans le lointain de l’édifice,
tu m’auras chuchoté quelque chose, comme un signe de te suivre,
tu t’en iras mon enfant et je n’y pourrai rien. +





*****



On ne sait jamais rien d’un enfant

On ne sait jamais rien d’un enfant que son visage,
et le visage d’un enfant c’est son âme et ses yeux
sont son son cœur et sa langue, et l’expression qu’on
ne peut saisir du lointain de notre vieillesse et
de nos consciences.

Quelle page s’écrit dans l’âme de notre enfant,
de l’enfant que nous fûmes, de l’enfant que nous regardons ;
mobile ou quémandeur, yeux clairs ou front parfois occupé,
nous n’en savons rien, nous ne savons pas même celle
que nous écrivions dans cette vie-là.

Quel visage et quel corps avions-nous, qui étions-nous
enfants ? Certains nous le disent, d’autres le rapportent
ou le fixent, notre époque a inauguré les moyens de cette identité
mais en vain cherchons-nous qui nous étions et que les autres
ont vu sans oubli ni prescience.

Nous étions en nous-mêmes, aveugles à l’avenir,
ennuyés si souvent du présent, vivant de mots et de rêves
que nous ne communiquerions que bien plus tard,
qu’à présent où nous sommes la semence de notre éternité.
Notre enfance façonnait ce présent et l’enveloppe et la graine
ont disparu dans le lointain de ces courses d’où nous arrivons
sans mémoire que celle de notre avenir.

On ne sait jamais rien d’un enfant que ses sentiments,
l’histoire file des laines et des jeux, se prépare sans nom.
Tu n’aurais pâs d’histoire, tu n’aurais été que présence,
à quoi te préparais-tu donc,
quelle était la graine, quelle était l’enveloppe
que tu concoctais pour la dépiauter à un âge que tu n’aurais jamais.
La légèreté était ton secret, oui ! tu pouvais ne rien peser
Puisque tu n’avais pas notre avenir, pas cette charge
à organiser et à prévoir, pas ces épaules qu’il faudrait courber.

C’était singulier, tu courais si vite, et tu ne paraissais
ni hâtif ni anxieux, pas même attentif,
ta présence filait comme un ciel, ton sourire comme un don fugitif,
tu étais de ta naissance à ce choix d’un soir comme éperdu,
la transparence était ta couleur et ton or pour les autres,
tu aurais aimé disparaître ainsi comme envolé.
On ne savait rien de toi parce que ton histoire était un jeu,
tu jouais de tout, tu réfléchissais la peine et la demande
d’autres que tu regardais, prenais de ton sourire et épousais
alors, comme la chienne que tu aimas, ventre à ventre,
enfants tous deux de la terre, des tapis de l’homme,
des vacances scolaires et des jours de congé.

On ne savait que visage, tes vêtements et ta voix,
on songeait que le temps peut-être bien plus tard dirait plus,
on ne pouvait deviner que l’éternité ne suffit pas à comprendre
et que l’amour avide de gestes l’est à raison
car lui seul des instants, de la présence, de la vie
craint et goûte tout le poids. Même de cela tu te passas.

Avril 1985

en médiathèque - dialogues et vérification - je cherche fortune tout autour du chat noir

vendredi 26 août 2011

suite brésilienne - 004 . La douceur était au coin de la rue

La douceur était au coin de la rue


La douceur était au coin de la rue,
la douceur je l’ai invitée à ma table,
la douceur, elle m’a souri, elle m’a suivi,
la douceur avait les jambes si longues
et le visage si étonné de mes soins et de
la tendresse qu’elle croyait impossible aux hommes,
que je lui ai parlé,
que je suis revenu à elle tant de fois,
la douceur avait le front triste
et les mains travaillées,
la douceur était immense quand elle prenait
la vie, debout, à mes côtés,
la douceur vivait le jour au grand air
et la nuit en pension,
la douceur me parla de ceux qu’elle aime,
des existences des autres,
la douceur avait des seins blancs
et le corps noir,
le profil animal et fier,
le front bombé et attentif,
la douceur n’avait pas d’autre nom
que celui-là.

Aussi dans cette ville qui ne sera plus qu’un rivage
dans d’autres siècles ainsi qu’elle fut autrefois,
je te vis intelligence et distinction
que je ne savais pas encore nommer
douceur,
et nous ne nous payâmes que de la promesse
enfantine du revoir et que la caresse
du départ.
Aux moulures d’un débarcadère, tandis que le Christ
au Corcovado perdait son soleil,
nous fûmes au dernier
presque un couple. Il est – ici – encore beau.


Rio de Janeiro, 18 Février 1985
Brasilia, 28 Avril 1985

jeudi 25 août 2011

poèmes en prose au Brésil - 002 . femme


Femme


Le sein peut-être à cet officiel déjeuner,
le bronze soupçonné de toute peau, l’allure
et le sourire, une somme à paraître composée.
La tendresse et la joie intérieure, où ?
Beauté et charme tels que difficile.

Ainsi cheminè-je de la première
à cette dernière apaproximation.
L’histoire pourtant s’emmêlait. Femme,
elle avait participé à des entrées
et des deuils, comment les sentait-elle ?

Le regard si égal, la lumière constante,
que voyait-elle de moi, des autres ?
Discriminait-elle, nivelait-elle,
se gardait-elle en fait de l’entier monde ?
Tant de grâce permanente était-ce peur ?

L’homme se proijette, mais la femme se remplit.
Par les paysages et les lacs de cette année,
je la voyais lisse, sans chronologie,
hors des âges, d’atteinte, de pleurs
et je ne savais m’expliquer cette astreinte.

Car le front et les yeux, leur brun
et le rabattant de cette marche,
de cette silhouette, cette assurance
me semblaient envelopper le rare extrême :
la femme centrale et préservée.

Culte difficile que la cotoyer,
bruit de fond que la plupart des paroles,
elle posait parfois la réponse, pas la question
et tout, si arrangé, balançait encore
la seule énigme qui me fait songer :
comment connaître sans atteindre, se blesser ?




Brasilia, 13 Mai 1985

lundi 22 août 2011

début de proses au Brésil, il y a vingt-six ans . d'abord aménagées du journal intime . puis "poèmes" en première impulsion qui devint genre


Soleil jumeau de mes ombres


Quatre heures quarante cinq du matin.

Cela ne m’arrive jamais ou presque,
ce réveil dans la nuit à ne plus pouvoir se rendormir.
Sécheresse et chaleur, les mains rêches,
les verres d’eau qui ne remplissent et ne comblent rien.
La rumeur de toute la nuit s’est tue :
pas très loin, ce qui d’autres nuits
semblait le passage d’un train le long de haies
ou de poteaux à grande vitesse,
et qui cette nuit étalait comme un chant choral,
des rythmes qui revenaient, et revenaient,
ressassaient que je ne saurais définir
maintenant qu’ils ne sont plus.
L’autre fois, c’était un permanent retour
à marquer le rythme de mes pieds nus au fond du lit :
j’avais alors la fièvre et cela seul m’animait.
Cette nuit
qui est encore noire,
je tourne et retourne
une chair à la peau lisse, fesses ouvertes,
à plat ventre dans mon désert, mon corps,
signe de mon âme.
A travers des nuages qui sont clairs sur ciel noir,
passent des étoiles brillantes
que je ne connais pas, des arrangements inconnus
qui ressemblent peut-être à l’hémisphère
figuré sur le drapeau brésilien,
les constellations de Magellan,
les constellations qu’on ne voit que depuis cinq siècle
et moi, depuis un mois.
Pourtant hier soir, sortant du dîner
où je fis la charité de ma compagnie
et le gaspillage de ma solitude,
les trois rois d’Orion,
les pectacle familier des quatre heures du matin
entre l’Hymète et ma cuisine –
là-bas dans la patrie de mes bonheurs
et de mes œuvres et pensées passées –
se voyaient miraculeusement.

Ma grand’mère me fit parfois des confidences,
celles de souffrir l’absence, le long veuvage,
et des nuits qui se trouent soudain du réveil
et plus rien ne reprend de l’oubli qu’on aime.
Après les rêves du début de semaine si doux
et habités par les silhouettes de l’amour,
plus rien ne me visite,
plus d’espérance ni de signes.
L’immédiat exaucement du désir,
pas même ou davantage : du souhait,
une silhouette nue et blanche qui passerait
dans le jartdin aux lisières de la lumière et des ombres,
vive et presque transparente, marquant la disponibilité
de la vie et la fin de l’absurde désert.
Car ce ne m’est jamais arrivé depuis quinze ans :
me voici seul et sans l’âme jumelle,
sans l’esquisse du désir,
sans tout ce qui va avec en murmures, en tendresse,
en gestes qu’on ne peut inventer seul,
en présence qui est caresse, qui est main,
qui est souvenir ici.
Nul cri en moi,
nulle possibilité d’expression, nulle tension possibles
une volonté et la persévérance d’une sorte d’épargne,
d’une sorte de concentration, d’économie et de polarisation
des énergies. Oui,
et toujours l’arrivée sur cette plage de ma vie future,
mais la vraie : la maison, la femme, les chiens, les enfants,
la régularité des amours, des gestes, de l’œuvre,
le foyer à deux par une immense tolérance,
par la pluie quotidienne dela grâce
qui renouvellerait la patience et le désir,
les couleurs seules loisibles de la vie.
Un métier qui se fondrait dans le travail littéraire
et de réflexion historique ou philosophique,
un métier de parole et d’écriture,
ces bois modernes du sculpteur sans grandes mains.
Des repas qui seraient des lits, un lit qui serait une table,
un accueil qui ne serait que choix ou envoi de la providence,
des amitiés qui ne seraient que communion,
des partages même d’amour physique qui ne tenteraient rien,
qui ne casseraient rien du principal,
et le principal serait un art à découvrir, à garder,
vivre dans tes yeux,
vivre de la paix de ton âme,
d’un certain contentement que nous aurions obtenu
l’un par l’autre. Je crois encore
à quarante et un ans bien écoulés au paradis sur cette terre,
je crois à la passion qui dure,
mais je sais mes négligences et les fautes
et avec quelle inattention, j’ai laissé ma vie couler
hors de son relief, de son lit, et des vrais creux
qui gardent en coupe le bonheur.

Je crois au monastère personnel,
au poids senti des jours parce qu’ils sont moisson.
Je crois à la méditation qui ferait avancer tout le navire,
qui plongerait en plein jour jusqu’aux étoiles,
qui ferait frémir quelque chose dans le cœur de l’autre
si l’on parvient à s’exprimer.
Je sais que l’on peur dialoguer en marchant
d’un certain pas semblable,
je sais que l’amitié a ses ondes qui peuvent enrichir l’amour,
je sais que le monde a tant de choses faites par les hommes
ou données par les siècles de la nature et de Dieu
qu’on peut le parcourir et le regarder sans jamais l’
épuiser. Alors cette matinée qui commence
est asburde si elle n’a l’instant de saisir mon âme,
d’en faire dansant le tour, d’explorer le tout de moi
et ainsi empaqueté et lové,
de me saisir et deme lancer sur cette voie que j’aime,
que je décris à longueur de souhaits et d’existence.
Je ne ressemble pas aux sceptiques, et pourtant je vis
comme eux. Parcimonieusement, me refusant à moi-même,
c’est-à-dire à la prière et à l’attente de qui m’aime.
Je cherche ce matin le secret du départ,
le secret de ce mouvement intime qui change tout
parce que soudain détaché d’entraves qu’on croyait
irréfragables, on découvre combien proche et aisé
était le seuil, combien latéral, immédiat
était ce que l’on cherchait.
Je crois au couple bien que je m’y sois encore peu consacré
en je ne sais quelle tentation de fuite ou d’autre quête.
Mais de ces tentatives j’ai su cent fois leur vanité.
Et je me sais revenir au bon endroit là
où naguère j’avais à tort bifurqué.

Le jour singulièrement m’ôte le souvenir,
m’ôte le fantasme et presque l’espérance,
ne me laisse rideaux ouverts
sur l’avenir qui ressemble à hier,
que la nostlagie. On dort mieux en plein jour,
et c’est dans la pénombre qu’on arrange
que l’amour est le mieux fait.
La nuit est pour l’éveil solitaire,
à laisser dormir l’autre aimée,
respirer la main au sein ou au sexe légèrement.
Le jour veut ses réparations, ses compensations
et ses outils lourds et contre la pesée du soleil
qui monte à nos fronts, qui promet des heures abruptes
et les déceptions de l’inachevable ou de l’inatteignable,
qu’a-t-on ? que l’attente du soir,
de la levée des étoiles et du frémissement des rêves
qui peut-être annonceront enfin l’aube et le jour différents.
Par ce que j’y ai pris des habitudes, que j’y place
Mon écritoire et l’épèlement des souvenirs et des souhaits,
qui ressusciteraient la vie parallèle à mener
au lieu de celle-ci machinale et absurde,
involontaire.

Je veux garder pourtant ces heures
car elle ne reviendront jamais,
ces sensations et ces dialogues,
cette sorte de portage en moi des femmes aimées et absentes,
puisque je vis sinautrement que je ne le veux,
et autrement que je ne suis en réalité,
contraint à des habits de deuil et de grisaille,
à m’affubler d’un fardeau sans contrepartie :
quel déguisement, quel voile, quel masque.
Comment des nuits et des jours
où sous la main, sous les yeux,
j’avais le bonheur,
n’ai-je marché avec lui qui est féminin ?
Comment ai-je pu des nuits et des lits
vivre à côté du bonheur au féminin
sans tendre la main et rouler le pain frais
de la communion amoureuse ?
Comment ai-je pu avoir les envies de l’infifférence
et du silence,
et marcher les mains dans les poches
et le visage nulle part
alors qu’à mes côtés le soleil jumeau de mes ombres
voulait tout éclairer,
et guettait l’explication et l’aveu ?
Comment ai-je pu jouer les morts et les encombrés
quand un jour cela ne serait plus à moi,
que tout serait loin, impossible
et que je serai seul dans le tombeau refermé ?
Comment ai-je pu à Naxos et à Thassos,
comment ai-je pu dans les siestes
où la sueur coule en rivière
entre les corps qui se marient
et fait à leurs hanches et aux poitrines
l’habit comun de la soudure et de l’effort
et de la chute bienheureuse à pleurer
quand va venir – certainement – le plaisir enfin,
et les mots de la suite que je ne sais pas avoir ?
Comment ai-je pu ne pas traduire ni chanter toute l’émotion
de rencontrer une fois encore l’univers
parce que nous nous sommes étreints ?
Comment ai-je pu ? et comment puis-je ?
Car elle ne passe ni ne vient cette silhouette
qui te ressemble,
nudité fine de ma mémoire et de mon habitude d’amour,
canon de mes esthétiques
et jeu de toutes mes cartes.
Je fais cette nuit crépiter la machine de ma compensation.
J’ai lu, main et livre brandis au-dessus du lit
qui ne m’apaise pas un livre que j’aime
et qui a un itinéraire semblable à celui
dont mon âme veut que je lui parle.
D’autres nuits furent semblables dans le lointain.
Celle où je me levai,
dans les nuages et une sorte d’orage,
de bord finissant d’un monde qui ressemble au nôtre
mais bien plus tard vers cette mort de l’univers
qui doit ressembler à sa naissance,
ces temps de lumière vague qui sont ceux de la nuit
quand vrament nul astre ne pointe quoi que ce soit
et que le jour qui viendra sait seulement rouler
des ciels sans teinte, qu’une luminescence.
C’était à Haliki.
Il devait y avoir des bruits que je n’entends pas ici.
J’étais nu sur un vague balcon, je savais le paysage :
le plus beau et important que j’ai jamais vu.
Ce n’était pas l’amour qui serait nu sur le marbre,
qui jouerait dans les eaux vertes des Grecs et des Romains
entre des traces rectilignes de blocs millénaires
et enlevés pour des tables et des statues,
c’était un amour muet que je ferai peut-être pleurer
le lendemain tant j’étaiss sec de caresses et d’envie.
Un amour qui dormait seule dans un lit jumeau du mien
et dont je n’avais pas ces jours-là le goût ni le fantasme.
Bien plus avant dans ma vie
j’ai eu ces réveils où l’on raconte ce qui serait impossible
à dire ou à vivre le jour plein venuy,
des songes sur la mort,
des refrains de l’amour qu’on n’a pas,
du corps qu’on n’a plus,
on alors des métaphysiques de vin ou de drogue,
des éclaircies de la conscience,
on perçoit son propre équilibre et ce qui le conditionne :
ces souhaits si précis vers lesquels on marche toute une vie
et dont on croit encore la réalisation possible,
peut-être jusqu’au lit de notre mort.
Des envies de mort – oui – à ces instants-là
car on n’en voit guère la différence avec la vie,
ou plutôt la vie si vide, si différente
de ce pour quoi l’on est fait,
on ne la ressent plus que comme un linceul,
que comme un empêchement.
Je me levais de moi-même alors
et faute de rêves dont le délice est qu’on ne les choisit
et que pourtant certains – ceux qu’on aime tant,
comme s’ils étaient de vraies promesses –
coincident si bien à tout ce que nous sommes en puissance,
en réalité.
Faute d’eux, j’écrivais d’autres songes, le passage
dans ces lieux mystérieux de nous-mêmes
qu’on appelle par commodité la tête, le cœur, la conscience,
l’imagination, qu’en savons-nous ?
puisque nous ne savons pas même nous localiser,
dire, nous dire où nous sommes ?
Nous vivons sans définition,
si machinalement que nous ne nous apercevons de rien.
Il faut le manque de la mort,
de l’absence, de la disparition des autres
pour savoir qui nous sommes
et pour quoi nous sommes faits.
Nous sommes faits pour ce jour singulier de l’amour,
pour les gestes de l’union, pour les points d’or
à nos yeux quand nous devenons compris
et comprenons, quand nous versons à deux
en l’unité indicible
celle qui nous dépasse, nous enveloppe, nous donne raison,
nous donne puissance, sève, plaisir et certitude.

J’ai – adolescent – connu ces départs
dans la nuit quand tout est rosée,
quand tout craque et que les reliefs sont des sons.
J’ai connu ces levers du soleil dans les montagnes,
et voici que derrière des arbres
qui découpent presque soudainement leur silhouette
d’autres planètes d’un autre continent,
le jour d’ici va commencer qui est déjà passé
d’un vague violet à un gris qui sera dur.
Les coqs avaient relayé la rumeur
et les musiques des hommes.
Même eux maintenant se taisent,
la chatte mouillée d’herbe et de ses chasses
de la nuit est venue se frotter à mes jambes.


J’ai l’ardent souvenir du lit creux
où nous fîmes nos premières amours dans l’appartement
de tes parents hors de France.
Le lit était creux comme un hamac, défoncé,
nous le sortions de dessous un autre,
la chambre était immense, en désordre
qui te seravit aussi d’atelier,
la fenêtre donnait sur un jardin,
une église d’un autre évangile.
Nous étions infatigabales, sans effort, sans question,
le désir revenait comme un refrain,
comme une expression des nuits, des après-midis, des faims
que nous avions l’un de l’autre.
Je venais de te découvrir, je savais maintenant,
alors, calmer le hoquet de ton plaisir,
de ta précipitation à tout exprimer, à tout pleurer,
nos faisions connaissance, c’était un printemps singulier
que nous poursuivions en chaque saison.
Me souvenais-je alors des automnes aux forêts bruxelloises,
Des avenues pavées qui vont vers Waterloo ?
Savais-je que je verrai cette nuit d’ici et de maintenant
sans toi, sans dire encore de notre réunion la date,
de notre mariage aussi ?
Ce furent là-bas les premières photographies de toi nue,
en noir et blanc, contre des rideaux d’années trente
ainsi que les parents de cette génération en ont orné
toutes leurs maisons, tu avais le port de la fiancée
qui ira à l’autel et tu étais pourtant nue,
mais nue comme une statue, sans mouvement,
sans sourire, exposée. Avons-nous fait l’amour après
ou avant ces photographies ? Avais-tu les cuisses
encore graesses de notre désir commun ?

J’ai connu avant toi ces retours au tout petit matin
de fiançailles qui n’aboutirent pas
et peut-être constituèrent la première maille
de cette chaîne qui m’entoure encore.
C’étaient les gestes de la clandestinité,
la virginité qui lambeau par lambeau cédait dans la peur
d’être surpris, si l’on était venu.
J’entrais dans la nuit et une chambre retirée,
elle m’accueillait en rose, je n’ai plus souvenir
que de l’extraordinaire harmonie des teintes du mur,
de la lampe, des draps, et de la masse de ses cuisses :
tout était orange, tout était satin, elle n’osait accepter
des caresses et des prosternations qui,
dans notre ignorance encore, pouvaient paraître impudiques.
Je vais plus loin encore dans mon enfance et entre alors
dans ces plages de certitude où je n’attendais que la suite,
que le développement des années, certain d’inventer
le meilleur monde et que celui-ci m’était promis.
J’avais les chagrins et les envies qui ne sont
presque que littéraires, de l’amour aperçu
et dont je ne savais pas même que d’ordinaire
et en fin de compte on le consomme.
J’étais chaste de cette intense envie
de tout avoir et de tout être,
qui se passe de toute expression concrète,
je croyais à la coincidence obligée de mes souhaits
et de la réalité, et je ne comprenais que peu à peu
– trouvant cependant des explications à cette rupture
du monde et de la logique que je lui avais crue –
que peut-être tout ne me surviendrait pas.

Les nuages et les cieux ont déjà leur place de lumière
et du jour. Quand ainsi je m’éveille, quand je m’arrête ainsi
je crois à quelque événement que je dois intérieurement saluer,
à quelque mort pour lequel il me faut prier,
à quelque avertissement qui m’est donné
et que je devrais savoir déchiffrer,
quelque signe que là-bas très ailleurs une chose
qui concerne directement et concrètement mon bonheur
et celui – tout joint au mien – de qui j’aime,
vient de se mettre en mouvement et aura plus tard,
je ne sais quand mais certainement,
les grandes ondes pour venir jusquà moi
et enfin m’emporter là où je dois être,
où j’attends d’être.
J’ai ainsi rêvé la mort de mon père
et l’ai peut-être vécue avec lui : ce passage
si difficile et tourmenté en douanes
d’un magnifique Rembrandt représentant un Christ en croix,
et qu’on ne parvenait pas à faire passer de l’autre côté.
Tableau d’ailleurs que je n’ai jamais vu,
je ne sais s’il existe, mais quel choc si un jour
je devais le voir : sans doute serait-ce l’avertissement
fraternel que mon tour est venu.
Ce jour qui commence et qui a maintenant découpé finement,
exactement tous les arbres, pourquoi le vivè-je ici
et pas dans d’autres champs et lieux, d’une beauté indicible ?
Même sur ce continent, dans ce pays, quelque campement,
quelque rivière qui ferait un miroir encore jaune,
des bruits et des ferveurs ?
Nous sommes plus enfermé que le chien à sa niche,
que l’enfant nourrisson dans son parc !
Avec quel sérieux, nous accomplissons ces fonctions
de la société ! Les hommes sont ainsi de plus en plus organisés
pour s’occuper collectivement et se perdre individuellement
le plus loin possible de la quête et de la réflexion
essentielles : le bonheur.

Le jour me parvient avec un brio insoutenable,
inutile.
Je me crève de sensations et de tristesse,
j’analyse à m’en enivrer ma solitude de sens et de dialogues,
comme d’autres nageraient ou galoperaient.
Je n’ai barre sur rien dans ma vie
si je ne la change pas du tout au tout,
si je ne m’évade pas, si je ne romps pas tout.
Je ne crois plus à la modification,
ou à cette inclination qui ne serait qu’intérieure,
le bonheur en heures supplémentaires
tandis que l’énergie et les heures vives seraient
en représentation et en semblance.
Voici un an à peu près que j’ai commencé
de marcher sur cette crête de l’abandon
d’une première moitié de ma vie.
Je ne veux pas que la suite lui ressemble
Car l’attente ne produit rien,
pas même une oeuvre et elle a effacé
le sourire de qui m’aime et qui s’est pendue à mon attente,
à m’attendre et en a oublié le beau visage
qu’elle avait cru – à nos débuts – être le mien.
L’hymne de la confiance et de la révélation,
celui de l’aveu, celui de cet accouchement
que sait seule pratiquer une femme aimante, amante,
les mains se joignent dans un restaurant,
sur une table quelconque et l’on peut tout dire,
et l’on est accueilli.
Il y a ces lassitudes rêvées quand on peut pleurer
sur ses lâchetés et sur ses trahisons
et être écouté et suscité.
L’amour a rassasié un temps les corps qui sont allongés
et abandonnés, et la main dans la main, la respiration
et les ventres abandonnés,
on dit les choses les plus simples
et l’on découvre la vraie compagnie de condition :
comme le vocabulaire est alors commun dans ces instants
qui sont des après-midi, des après-repas
et des avant-gaîtés et fou-rires.
Il n’est plus beau jeu que celui de notre imagination
nous regardant, nous préparant à jouer nus
le retour aux enfances, aux courses symboliques
de la grande plage, des écumes et des laisses de mer,
des espaces franchis par le rire et soi donné.
La consécration. Il n’est plus beau geste.
Et la demeure de l’âme s’appelle fidélité,
d’un bord à l’autre de la planète d’apparence,
la fidélité nous rend habité, chaque heure diffère
puisque l’autre à coup sûr existe et qui seul voit
notre visage dans son or. Je n’ai pas choisi,
je ne me suis pas consacré,
je tâtonne seulement au seuil de la fidélité.
Jusqu’à ce que je franchisse cette porte de la décision,
je ne serai qu’un pauvre homme sans âge
qui, la nuit, n’a rien venant courir à sa main et à son désir,
qu’un pauvre homme qui ne prie plus car on ne prie qu’ensemble.

J’ai libéré la chienen pointer qui vit less trois quarts
du temps dans une niche grillagée, le jour est complet,
l’herbe s’enfonce d’humidité et de disponibilité
sous mes pas, il y a déjà les bruits des hommes,
les voitures, ma machine.
Les oiseaux viennent aussi.
J’ai somme toute trois fantasmes d’ordre, de durée souhaitée,
d’importance bien différents.
Oui, la silhouette précise dans l’ombre,
la nudité de la femme que je désire
et qui fuirait pour me faire sentir
sa présence et le prix de l’union tout à l’heure.
Tableau surréaliste d’une obscurité qui n’aurait
que cette blancheur-là, obscurité d’un jardin, d’un monde,
d’un air libre avec des senteurs et des épaisseurs de nuit
et la silhouette de mon désir féminin, au féminin
donnerait à tout la perspective et la transparence.
Il y a aussi plus vécu, je veux dire : plus possible à vivre,
Comme un regret si je ne l’avais pas vécu, d’amours faciles
et nombreuses mais qui ne seraient que
peintures en album feuilletées, une sorte de jeu ou de rondes
qui ne durerait que quelques semaines de la vie
pour enterrer celle-ci en ce qu’elle avait de factice :
c’est le rêve aolescent de beaucoup de garçons
apparemment hommes, les rencontres d’aisance et de rires
à quoi de vraies et denses femmes sont peu prêtes
car on veut alors l’impossible : la vérité et la beauté
d’un don pour une partie sans lendemain et pourtanyt
sans souffrance. Ne songeons donc plus guère à ce fantadme-là,
il est irréalité et en somme que veut-on que nous ne pourrions
vivre dans la vérité de mon souhait troisième,
le plus solide mais qui requiert un vrai soin, un choix,
je crois ce hardin et cette ville au loin sur ses collines
où elle a déjà commencé de rouiller, miens et familiers.
Quelle erreur ! Je suis loin de tout, de toutes, de toi,
de la vie que je veux mener, je suis attaché à ce qui m’oblige
et le fait vieillir. Je ne sais pas encore accomplir
ce que je pressens et je laisserai encore la lumière
de ce jour m’user sans que j’ai tendu les lèvres
à ton sourire et à ta voix me murmurant de venir.

Je rentre à un second sommeil,
j’en espère la préparation du travail que je me suis promis
de faire, le travail des ciseaux sur ma vie,
le travail d’une œuvre qui fit al vie de l’été dernier,
le travail d’une nostalgie que j’attellerai à mes élans
pour en faire une beauté qui ne sera qu’à nous
car je sais bien – et nous en sommes depuis longtemps
d’accord – que notre bonheur st dans cette répartition
des tâches
et dans cette union de temps en temps
qui fait courir l’un à l’autre l’enfant et samère
de leur jeu et de leur couture ou de leur ouvrage
s’appelant l’un l’autre, qui fait courir l’un à l’autre
les amants quand ils ont su ménager entre eux
l’espace de la journée qu’on remplit chacun
d’un travail, d’une patience et qu’on rompt soudain
par le désir si simple d’une tendresse, en nous venue
et qu’on porte en procession à la nuque de l’autre,
inclinée, dégagée, racine des cheveux, pâleur
de ce qui de nous restera toujours l’enfance
et le sourire du visage qui apparaît, se tourne vers nous.

Je hais le soleil qui me répète aujourd’hui
que rien ne sera de ces gestes
qui gonflent mes doigts sans objet.
La sueur du jour commencé, inutile.
La sainteté c’est le sentiment de l’urgence, de l’immédiateté :
le départ aussitôt et sans retard.
Ah ! quelle intime lourdeur de savoir et de ne pas vivre.
Quelle certitude pourtant
que les années récentes m’ont donnée :
que la vie s’écrit et se prend
à la seconde personne du singulier.
Pour toi – pluriel ou singulier dont je sais
et caresse le visage, les fronts et les profils
quand tu te retournes sous mon effleurement –
la vie, si elle est en Europe, maintenant a des heures
d’avance sur la mienne : tu m’as toujours appelé.


Six heures trente cinq du matin.

Brasilia, 2 Février 1985

reprenant Valéry