mardi 29 avril 2014

journal d'antan - fragments - Avril 1968




  P a r i s

+                                            Lundi Saint 8 Avril 1968



21 h 45

Une heure « en direct avec » François Mitterrand .

L’image qu’il veut donner de lui est claire
– un démocrate . il n’est que l’un des leaders de la gauche
il dit « nous » et non « je » . il dialogue . admet la
discussion .
– un socialiste . les nationalisations . le rôle de l’Etat
l’Europe libérale n’est pas viable . la France socialiste
ne sera donc pas en contradiction avec l’Europe libérale puisqu’elle
créera une Europe socialiste
– la gauche généreuse « à la française »
(thème purement électoral) . avec l’appel à la jeunesse .
la foi dans l’avenir . le sourire aux lèvres .
la conviction que l’on veut faire croire ardente et réfléchie
en même temps qu’enthousiaste . la France a besoin d’élan .
nous croyons en la jeunesse  etc .
le parti pris de la franchise . de l’honnêteté .
eh bien oui . il manque de moyens .
et aussi . le complexe de la gauche en France : on ne nous fait
pas crédit
– le républicain . le peuple doit défendre ses lois
comme ses murailles . plus de coups d’exception . le respect
de la volonté de la majorité . même si elle change en cours
de mandat présidentiel (…) .
– un chef d’Etat possible : le calme . la politesse . (guère de
coups bas) . le refus de toute exclusive . le sérieux . la pondération .

Mais les grandes incertitudes demeurent
– relation avec le Parti communiste .
de Gaulle pouvait y faire équilibre et ne pas en être prisonnier
mais la F G D S . surtout . si le P C a plus de voix qu’elle ?
le problème a . là . été complètement éludé par Mitterrand
qui ne répond que par l’énoncé des chiffres des élections dernières .
– le contrat de législature . suffira-t-il pour empêcher
une cascade de crises . et maintenir la solidarité de la coalition
(car la gauche est une coalition de partis .
alors que la majorité actuelle est une coalition d’électeurs
en un seul parti . ce qui est nettement plus homogène)
Rien ne dit . qu’au bout de 6 mois . les radicaux
ne demanderont pas de compte . que la S F I O ne trouvera les
communistes trop gourmands . le programme – comme tout programme reste vague . Les Gvts ne tombent pas sur un programme .
mais sur la place d’une virgule . ou un alinéa d’un
obscur décret (Poinso . Chapuis) .

Au fond . on se dit .
– au mieux . Mitterrand arrive à faire comme Pompidou .
alors pourquoi changer . car Mitterrand c’est aussi la
possibilité du pire .

Sur le plan de l’accession au pouvoir . cela se passera dans
cinq ans . et dans cinq ans .

En tout cas . effort manifeste de Mitterrand . qui passe très bien .
et l’emporte . haut la main . surtout tous les autres leaders de la gauche .

De ce point de vue . la TV peut tuer les communistes .
La rigidité et la lecture d’un texte est impossible
au petit écran .

Débat intéressant . David Rousset . plaçant dans le
centre du débat . et P V P . ayant un peu l’air
d’un médecin. docteur en politique .
examinant Mitterrand . comme au grand oral de l’ E N A .
Quelques questions de personne soulevées par Rousset .
et l’impuissance assez maladroite de Charpy
ont un peu terni l’ensemble . qui reste quand même confus .

C’est – comme toujours à la T V – la personne qui frappe
et non ce qu’elle dit .
_




lundi 28 avril 2014

dans la glace, j'ai exactement la même taille que moi

journal d'antan - fragments - Avril 1967



Hambourg  .          Mardi 4 Avril 1967



22 heures 45

Voyage en Allemagne, avec l’E.N.A., débuté lundi matin. Train Paris-Bonn via Cologne. Nuit de train Bonn-Hambourg. Et maintenant depuis ce matin, jusqu’après-demain matin, séjour dans cette « ville libre et hanséatique ».

Remontée des impressions devant l’Allemagne. Fascination par passé récent. Peuple en armes, discipliné et industrialisé. Dernière Guerre. Soldats français, essayant de s’évader dans les trains, par les prés. Films actuels, associant la langue allemande à la période d’occupation.

Speech de l’Ambassadeur : Seydoux de Clausonne, au château Ernich, sa résidence. « Vieux monsieur », fin, soigné, distingué, mais à la fois nuancé et énergique. Le diplomate tel qu’on se l’imagine. L’Allemagne a besoin de la caution morale de la France. Réunification de l’Allemagne, dans avenir lointain, et cadre Europe entière réunifiée, et en sécurité… Plaidoyer final, et vibrant pour la carrière diplomatique. En ai reparlé ensuite avec le jeune Secrétaire, sorti de l’E.N.A. en 62, et ayant passé quatre ans au Caire, avant de venir à Bonn. Vue splendide du Château (malheureusement mon appareil était à la consigne). Le Rhin à nos pieds, coulant de nous, plaque d’argent dans l’après-midi grise. Maisons nombreuses, blanches ou claires – serrées le long du fleuve comme une écume. La vallée incurvée et s’incurvant, la vue portait loin. Au premier plan, un jardin à la française.

Le soir, dîner au bord du Rhin. A la table du secrétaire général adjoint allemand de l’Office franco-allemand pour la jeunesse. Occupation en France. Complot de Juillet 44. Directeur de cabinet de Schroeder quand il était ministre de l’Intérieur. Commissaire du gouvernement pour interdiction K.P.D. Parle rideau de fer. Reconnaît amélioration économique de Pankow depuis 1961. Rideau de fer rendu plus hermétique par nous. Les Allemands de l’Est doivent s’accomoder du régime. S’étonne du nationalisme français. Modéré et analysant calmement.

Ce matin, déjeuner à l’Hôtel de ville, à côté d’un juriste spécialiste de la Constitution de Hambourg. Problème de terrains pour avant-port de Hambourg. Cas d’urgence : article 5 du contrôle interallié. Trouver une solution dans l’organisation allemande. Lui aussi a participé à l’Occupation.

Trois aspects, semble-t-il, de Hambourg. Les bâtiments autour du petit lac, avec surtout l’Hôtel de ville de 1890. Assez d’allure. Bâtiments avec toits verts. Assez tableau de Buffet. Le port. Le quartier pas très bien famé de St.Pauli.


*
*   *


Nicole. Pensé à elle toute la journée, avec calme et tendresse. Confiance en elle, et dans mon amour pour elle. Ecrit ce matin, longuement. Mais lui ai dit – dans le contexte de fatigue de la nuit presque blanche – et aussi de la lecture de Jules et Jim (surveiller maintenant mes lectures), que je n’avais pas encore assez confiance en elle.

Cela doit lui faire de la peine que je doute encore d’elel, alors que d’une part ce n’est pas fondé, et que d’autre part c’est lui manquer.

In manus tuas, Domine.

Berlin .       Jeudi 6 Avril 1967


22 heures 50

Arrivés à Berlin, vers 18 heures.
Route en car de Hambourg à Berlin, de dix heures à dix-huit heures. Halte à Helmstedt pour déjeuner, et franchissement du rideau à quatorze heures trente. Paysage morne, boisé et plat depuis Hambourg. Pas d’habitations. Même chose des deux côtés du rideau. Impression de guerre à la double traversée du rideau, pour entrer en D.D.R. et à Berlin-Ouest. Zone déboisée. Barbelés. Palissades. Sodats en armes. Entrée à Berlin, morne et grise.
Kurfurstendam, d’abord décevant dans le soir pluvieux. Puis devenant animé. U-Bahn pour s’approcher du mur. Finalement taxi pour aller à la porte de Brandebourg et retour par la Bismarckstrasse, absolument monumentale. Perception des dimensions immenses de Berlin. Espèce de no man’s land boisé entre le centre de Berlin-Ouest et la porte de Brandebourg, violemment éclairée.
Impression de guerre près du mur, et le long de la Spréee et de grande capitale, dans l’ensemble.

Hambourg. Hier visite du port très impressionnante. Surtout les chantiers de constructions navales. Série d’exposés tous tendancieux à la Chambre de commerce : simples thèses que l’on assène lourdement, sans argumenter. Hambourg menacé par Rotterdam, et détournement grandissant du trafic ; Libéralisme pour commercer avec l’Est (regret du Marché commun agricole qui ne permet plus importations agricoles de l’Est pour compenser achats à l’Ouest) et dirigisme pour réagir contre concurrence de Rotterdam.



Nicole. Nicole, sans arrêt, dans mon cœur et dans ma pensée. Cette séparation me paraît de plus en plus longue à mesure que le terme s’en approche. Au fond, dans une vie conjugale équilibrée, absence de dix jours paraît un maximum. Lettres font du bien au début. Séparation fait d’abord réaliser, permet de faire le point. Mais très vite, risque de tourner en rond. Lu dans Jules et Jim une phrase disant à peu près : les hommes ne sont que paille dans le feu de la beauté de leurs femmes. C’est très vrai. Quand un homme aime une femme, il la désire sans cesse. Si nous suivons un planning familial, nous ne pourrions nous revoir totalement que neuf jours par semaine [1]. NICOLE

Hambourg. Frappé par St-Pauli, avec ses boîtes de strip-tease innombrables, et sa rue où les prostituées sont derrière des devantures, assises sur des chaises, en tenue et négligé, avec une foule d’hommes qui passent et repassent. Double « chosification » de ces femmes : le métier qu’elles font, et cette exposition à tous les regards, cette attraction touristique. Cela m’a d’ailleurs tellement saisi que je n’ai pas osé prendre de photos. pour ne pas les chosifier davantage. Obscénité totale et lourde. Strip-tease avec le nu intégral d’après des camarades qui y sont allés. Je ne comprends d’ailleurs pas, quand c’est si crû, que l’on puisse regarder sans agir. Le « voyeurisme » me paraît le vice, non pas l’acte sexuel, même dans sa forme commerciale. Et puis, que des femmes mariées y aillent…

__


Ma Nicole. Penser à elle et non à moi. Me dévouer à son bonheur. La comprendre. La connaître. Ma Nicole, je t’aime. Tu es mon seul amour. Depuis Janvier, c’est la paix et l’unité, grâce à elle. Importance de la confiance mutuelle et réciproque, base et effet de notre amour.

Seigneur, je te confie tout cela, notre amour, ma Nicole et aussi cette promotion E.N.A., cette ville de Berlin et les miens, et à nouveau profondément, ma Nicole.

Berlin .     Vendredi 7 Avril 1967


23 heures 30

Promenade de jour et de nuit à travers Berlin-Ouest. Immense. Très « grande ville » mais sans centre administratif et gouvernemental, vu le statut, et surtout la coupure qui a laissé les quartiers administratifs à l’Est (quartiers d’ailleurs détruits). Par certains côtés, gigantisme. Bismarckstrasse. Le nouveau Reichstag, la 17-Junistrasse. Perspectives trop nues ou inexistantes. Il n’y a pas l’équilibre et le fignolé, le rempli de Paris. Kurfurstendam effectivement très Champs-Elysées, sans les aboutissements prestigieux de l’Etoile et de l’Obélisque. Dans l’ensemble, c’est imposant. Ultra-moderne. Très éclairé le soir.

Le mur, et la porte de Brandebourg, très impressionnants. De nuit comme de jour. Avec le désert qui les environne. Le Reichstag à quelques mètres de la porte de Brandebourg, et les deux drapeaux allemands se défiant. Lié conversation avec un jeune policier ouest-allemand, cette nuit, en prenant des poses de la porte de Brandebourg. Intéressant et sympathique. Bien que je ne parle pas la langue, je ne me sens nullement dépaysé à Berlin.

Les divers exposés, surtout celui du Bourgmestre, ont mis en relief le drame actuel de Berlin : le dépérissement démographique (moyenne d’âge actuelle : 47 ans, augmente de six mois tous les ans) et économique. Hémorragie vers la République fédérale. Plus d’apport de l’Est.

Nicole, sa présence de corps et de cœur, de tendresse et de gaîté me manquent sans arrêt. Il me semble l’avoir quittée depuis des siècles, et que cela ne prenne aps fin.

In manus tuas…


+


Paris .             Samedi 8 Avril 1967


23 heures 30

Séjour de quelques heures à Berlin-Est, très impressionnante. Unter den Linden, avec des magsins très modernes, dont les étalages sont entrecoupés de propagande pour le Parti. Puis de chaque côté, et après, la grisaille, et aucun magasin. Beaucoup moins de voitures. Déjeuner dans un restaurant de l’Unter den Linden. Bon repas. Mais échange discret de DM servant à payer mon repas (car je n’avais pas assez d’Ost-Mark) contre des Ost-Mark, avec des Berlinois de l’Est. Abordé deux fois dans la rue pour faire le même échange. La partie monumentale de Berlin est de toute évidence à l’Est : la cathédrale, l’opéra, des grands musées. Série de beaux monuments. Mais tout ce qui rappelle la puissance allemande a été rasé : la chancellerie de Hitler, et le palais impérial. De ces deux époques, il ne reste qu’à Berlin-Ouest : le stade olympique et Charlottenburg. Berlin devait être grandiose avant la guerre. Profonde impression de Berlin-Est, dont la visite que j’y ai faite, avait été préparée par une visite du mur, en quelques endroits. Les Berlinois de l’Est sont en prison complète, et toute l’Allemagne orientale. Et  illisible
Ensemble de Berlin marqué encore par la guerre.

Anniversaire que ce 8 Avril au soir. Il y a un an, je quittais Nouakchott. Compris maintenant une partie de ce que j’ai vêcu avec Béatrice, qui – trop jeune, et sentant des incompatibilités entre nous – voulait simplement flirter. Compris surtout que je n’aurais jamais été heureux avec elle, et que je ne l’aurais sûrement pas rendu heureuse.

*
*   *


Téléphoné à Nicole, ce soir, en arrivant, après avoir lu ses lettres. Téléphone est toujours plus sec, et l’on s’attarde aux détails. Alors que par lettre, on va à l’essentiel, notre amour.

Les trois mois qui viennent vont être difficiles, au moins pour moi, car le désir grandit sans cesse, et je ne peux plus me séparer d’elle. Pour elle, car ce mariage, le fait de se marier, l’impressionne beaucoup.

In manus tuas, Domine. Que ta volonté sur nous deux, soit faite. Amen !


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Impression générale sur Berlin. Problème humain très douloureux. Berlinois très sympathiques et accueillants.

Nicole. Le bonheur n’est pas « du tout cuit ». Mille aspects en chacun de nous, nous blessent l’un l’autre. Nous le savons, et nous en rendons compte. C’est excellent. Car le bonheur que nous pouvons vivre ensemble, peut être extraordinaire. Bien se connaître. Confiance totale en l’autre.

+


Vendredi 14 Avril 1967


15 heures 05

Ajustement difficile de nos caractères, à Nicole et à moi. Deux personnalités originales et puissantes. Sensibilité trop grande de ma part. Tendance à l’annexion de Nicole, par moi, et de son côté, volonté de préservation de son identité et de son indépendance. Les deux mouvements incontestablement se déterminent l’un l’autre, et n’existeraient pas l’un sans l’autre. Il apparaît que je dois faire un effort sérieux de détente et de confiance, de lui donner le sentiment profond de sa liberté, de sa personnalité. Ce devrait m’être d’autant plus facile, qu’en fait et profondément, elle est déjà attachée à moi, m’a choisi, et que je suis « l’homme de sa vie ».

Hier, longue et belle après-midi ensemble à prospecter pour des listes de mariage. Dîner chez des cousins à elle. Puis, sur une petite chose futile (réflexion de Nicole sur un système de lit conjugal, séparé par une légère barre de bois, à peine visible), espèce de discussion, pendant un long temps. En fait, ces discussions, du moins j’en ai l’impression, ne nous mettent pas en position d’adversaires, ne sont pas un conflit, car chacun voudrait intensément rejoindre l’autre et n’y arrive pas, pour des questions minuscules de forme. Elles peuvent même nous aider à nous mieux connaître comme hier soir. Car, au fond, je connais encore assez peu Nicole, alors qu’elle, au contraire, dit me connaître mieux par mon bavardage, mes idées arrêtées et mes lettres.

Nicole m’a explqiué qu’au fond, elle me « désirait » depuis très longtemps, qu’elle m’avait « eu » en Janvier puis qu’elle avait « bavé » devant moi, pendant les vacances de Pâques, mais qu’au fond, encore actuellement, elle ne m’avait pas complètement « adopté ». Revenu sur ce mariage fixé au 27 Juin. Incontestablement, je lui ai forcé la main en fixant cette date. Cette date est pour elle une espèce de barrage. Elle ne voit pas après. Elle aurait préféré vivre doucement et intérieurement, longtemps. Mais en même temps, elle ressent le besoin de vivre seuls tous les deux, de me sortir de ma famille, etc…

Deux différences dans notre rencontre mutuelle :
- elle n’avait pas besoin de moi, n’attendait pas avec impatience de se marier, alors que j’avais un immense besoin d’une femme et de me marier
- elle a connu la famille et moi, par Marie-Charlotte, et garde encore beaucoup cette ision qui l’a imprégnée alors que j’entre en elle et dans sa famille, sans préjugé d’aucune sorte.

Plusieurs choses – de façon d’ensemble – me frappent :
- qualités et défauts de Nicole, font que je l’aime et qu’aussi, elle peut m’améliorer profondément, et qu’enfin, elle a besoin d’un garçon comme moi, mais surtout que je l’aime
- je reste étonné de son amour, qui restera encore longtemps comme miraculeux, inespéré, imprévu, gratuit ce qui me donne un certain sentiment d’infériorité – probablement pas justifié.


*
*    *


Dans l’immédiat,
- détente, gaîté, confiance, optimisme
- espérance profonde, en elle, en Dieu, en moi, en nous.


+

Mais comme au fond il faut sans cesse et sans cesse reconquérir l’amour, le bonheur et l’autre, et comme l’union reste partielle et difficile. Que de progrès nous avons encore à faire.


23 heures

Epreuve pour Nicole et moi. Tension croissante de Nicole toute cette semaine. Blocage autour de cette date du 27 Juin, qui lui paraît prématurée, et forcer son rythme propre. J’ai compris que c’était très important pour elle, et donc pour nous. Il importe qu’elle arrive au jour de notre mariage, profondément détendue, ayant suivi son itinéraire, à son rythme. Bien sûr, il ne s’agit pas que d’une date. Mais de l’état général de nos relations, du progrès de notre amour, qui n’a pas – apparemment au moins – atteint un stade tel qu’elle désire un mariage aussi proche que possible, et qu’elle ait besoin d’air et de champ.

Je l’ai compris, tout en sachant combien elle m’aime déjà, combien je suis déjà l’homme de sa vie, mais parce que je sais aussi qu’elle se sentait bloquée par cette date, et incomprise dans son âme et dans son rythme.

Très profondément – vu l’enjeu profond de ce qui est en cause – j’accepte de mettre cette date en question. Nécessité absolue que Nicole arrive en parfaite détente à notre mariage, qu’elle se sente vraiment comprise, dans le tréfonds d’elle-même – par l’homme qu’elle aime et aura pour mari. Si, au contraire, je lui faisais violence sur ce point de départ, toute la suite pourrait en être ébranlée. Je ne doute pas de son amour, mais je comprends ce qu’elle ressent, et s’il le faut, le besoin de temps qu’il lui faut.

Pour moi, peine immense que nous ne soyions pas encore vraiment à l’unisson, après trois mois de fiançailles, décalage d’autant plus éprouvant que nous nous aimons beaucoup plus qu’auparavant. Sacrifice aussi, que je n’envisage pas encore réellement – que de repousser de quelques mois, au maximum un an, notre mariage, vie commune, si merveilleuse et que j’attends tellement – et qui se trouve repoussée. Conséquence pour le moral de Maman, expérience de Claude [2] qui se répète, angoisse que cela casse, projets de Marie-Charlotte [3].

Constat d’échec partiel pour Nicole et moi. Pas encore suffisamment unis pour nous unir davantage. Je ne peux mieux faire qu’être ouvert à elle, et lui offrir la générosité et la compréhension qu’elle est en droit d’attendre et dont – avec peine – j’ai peur de constater qu’elle ne s’y attendait pas.

Espoir qu’elle reprenne le dessus, et que notre mariage reste fixé à la même date. Mais comme cela est symptômatique, que ce coup de frein, que cette étape actuelle. Comme il me faut m’oublier, me dépasser, pour ne plus penser qu’elle, qu’à son bonheur.

Merci, mon Dieu, de son amour. Merci de cette épreuve. Bénis-nous. Eclaire-nous. Amen !

+


Lundi 17 Avril 1967


Minuit trente

Désarroi profond. Nicole pas prête à m’épouser. Eu tort d’en parler à Maman. Sentiment que tout se dégrade.

Ecrit ce soir à Nicole, après l’avoir vue, trop longuement d’ailleurs :

Mardi 18 Avril 1967

0 h 30
                     Ma Nicole,

je ne sais plus que faire, ni que dire. Tu ne te rend pas compte. Tu te laisses aller sans volonté. Tu ris même, et je ne comprends rien.
Je ne veux plus d’enfantillages qui ne signifient que l’instant qui passe. Je veux la vie. Je veux ton amour. J’attends tellement de toi. Il te suffit de me faire confiance et de m’aimer. C’est tout.
Du coup, je ne me sens pas le courage d’aller au CPM [4] demain, à Saint Séverin. Tu sais que je t’aime, mais je souffre.
                                                                             Bertrand
J’ai une impression de gâchis lamentable. [5]





Vendredi 21 Avril 1967


Minuit

Décès de Tonton Roger, hier jeudi matin. Cela me touche profondément, car mes derniers séjours à Carcasssonne, m’avaient montré sa droiture et sa simplicité. Je l’aimais [6]


*
*   *

Tristesse et solitude profondes. Mariage avec Nicole n’aura pas lieu le 27 Juin comme prévu, et comme je m’en faisais une fête. Remis sine die. « Panique » de sa part, à son retour de Suisse, devant l’approche de cette échéance, considérée comme une barrière, un trou noir. Puis, remise en cause plus profonde. Question qu’elle se pose ? Est-elle prête à m’aimer totalement, à se donner totalement, à changer réellement de centre, de passer de son amoi à moi. N’était pas prête au mariage. A senti qu’elle était sur le point de « se faire bouffer ». Volonté crispée de sauvegarder liberté, indépendance, personnalité. Le mariage avec moi étant considéré comme une atteinte à cette volonté. Pas prête à se donner (pas sur le plan physique qui ne paraît guère en cause, et pour lequel, nous suivons une initiation commune et profane, tout « en ne sautant pas le pas ».). Au fond, fait essentiel de ces dix jours : ne m’aime pas encore vraiment.

Gros choc, pour moi.
- union et progression communes disparaissent. Amour n’est pas payé de retour. Confiance pour l’avenir entamée. Ce système de vie, consistant à suivre « son rythme » pouvant entraîner des réactions sur tous les plans, dans les grandes décisions de plus tard, enfants, carrière, etc… si elle se prend pour seul point de référence.
- déséquilibre, car manque de confiance en soi. Fait ce qu’elle veut, affirme sa décision et son indépendance. Au lieu d’une discussion, d’une décision, d’une transformation qui soient communes.
- déception de voir qu’elle n’est pas encore capable d’aimer, de se surpasser, de se donner, qu’elle n’a pas le ressort amoureux nécessaire pour se dominer et se vaincre. Qu’elle reste égoïste et capricieuse. Qu’elle continue de juger de son unique point de vue sans penser ni à moi, ni à nous.

Conversation téléphonique, ce soir, très calme. Lui ai bien expliqué l’enjeu de la partie. Qu’elle devait se vaincre, que je l’appelais à une conversation totale, qu’elle devait se donner totalement, aimer totalement, complètement. Que pour l’instant, elle ne le faisait pas du tout. Qu’elle avait une révolution intérieure à opérer. Que l’enjeu, c’était elle : une Nicole vraiment fidèle à sa vocation, gardant ses qualités de brio, de beauté, de gaîté et de féminité, et aussi se donnant, se livrant complètement, et étant source de bonheur et d’amour, ou bien une Nicole pas banale certes, mais superficielle en fin de compte. C’était aussi moi qui me donne à elle, et qui l’aime totalement, et veux l’aimer chaque jour davantage, et attends tellement d’elle, et que c’était aussi nous.

Elle part demain soir pour Beaulieu, et je l’accompagne au train.

En attendant quel gâchis. Maman très soucieuse et déçue. Week-end du Marcantère, dont je me réjouissais tant (et elle aussi) est fichu. Retraite à Manrèse, mise en cause. Mariage, cet été ensemble, repoussés. Quel crève-cœur. Quelle tristesse.

Bien sûr, avantages :
- union dans notre tristesse et notre volonté de nous aimer
- Nicole pèse mieux son choix et se fortifie ainsi.

Mais quel dur moment.


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+                                                        Dimanche 23 Avril 1967


16 heures 10

Accompagné Nicole au train, hier soir, pour Beaulieu. Gare de Lyon. Retour jeudi ou vendredi prochain 27-28 Avril. Voyons en toute clarté le problème. Nicole ne s’était pas rendue compte, en se fiançant, de la gravité de l’engagement. N’avait pas conscience de ce qu’était l’amour, et le mariage. S’en est rendue maintenant compte. Question nettement posée à elle, en partant : la situation actuelle ne peut durer. M’aime-t-elle ou non ? Accepte-t-elle l’engagement d’aimer, de se marier, avec toutes les conséquences que cela implique ? Accepte-t-elle de se donner totalement, de se perdre en moi pour mieux se trouver ? Si oui, se marie-t-elle dans un délai aussi rapproché que possible, matériellement ?
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Question que je me pose depuis hier soir. Nicole n’était pas prête au mariage, en se fiançant avec moi. L’est-elle plus maintenant ? Ayant fait la preuve d’une telle instabilité et d’une telle immaturité, peut-elle se marier dans des délais courts ? Si elle ne le peut pas, qu’advient-il de nos fiançailles ? Reporter le mariage à un an, serait le reporter sine die. C’est pratiquement la rupture. Si elle veut bien se marier dans un délai rapproché, comment va-t-elle supporter le choc de ce mariage ? comment va-t-elle réagir ? 

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Je ne me pose pas la question que posent Claude et Florence – de savoir si elle est ou non « faite » pour moi. Je suis sûrement beaucoup plus optimiste et plus confiant, et sûr de ses possibilités qu’eux et que Marie-Charlotte.

Mais cette crise est vraiment grave, et décevante. Je me suis trompé sur la profondeur de son amour, sur la portée de son don, et de son engagement. Je demeure persuadé de sa richesse intérieure, de son potentiel, mais il faudra du temps, de la patience et de l’amour, pour qu’elle se transforme. Surtout de l’amour d’elle pour moi, une confiance en moi pour l’aider à quitter son égoïsme et sa légèreté.

Puis-je parier sur cette transformation d’elle-même ?

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La clé du problème est incontestablement en elle. Si elle persévère dans un état d’aboulie, d’amorphisme et d’immaturité, nous n’avançons en rien, et c’est perdu. Hélas ! Si elle fait dans les jours qui viennent, le don d’elle-même, avec tout ce qu’elle peut avoir de force et de volonté, ce n’est pas gagné, mais ce peut l’être, car à ce moment-là, nous sommes deux, et nous marchons ensemble avec la grâce de Dieu.

+


20 heures 10

Retour de chez les Jeanson. Longue conversation, détendue, plus de leur part que de moi, quand même. D’abord, seul avec Monsieur Jeanson, ce qui ne m’a guère plu, car je préférais les voir ensemble.

Ressemblance frappante entre Nicole et son père. Son père – persuadé que Nicole, en se fiançant, savait la gravité de l’engagement du mariage – comprend sa fille, après avoir vu ma réaction lors du changement de date. Pense que Nicole est prudente à bon droit, et qu’elle est gênée par certains traits de mon caractère, trop entier et envahissant.

Madame Jeanson est arrivée par la suite. Admis tous les trois que Nicole avait toutes les cartes en main pour choisir et décider, qu’il fallait qu’elle décide, relativement vite, et qu’elle le fasse dans la détente et la liberté. Remarqué qu’au fond, Nicole serait bien restée dans cet état vague de fiançailles, me voyant, sans engagement bien précis de sa part.

Quelques points d’acquis pour moi :
- Nicole pensait à moi, bien avant que nous nous rencontrions gare de Lyon (c’est un point énorme)
- je dois l’écouter beaucoup plus que je ne l’ai fait, lui faire confiance pour ce qui est de sa fidélité.

Quant au fond, le problème reste entier. Ce trait entier et « envahissant » de mon caractère, peut se modifier à la longue, mais dans l’amour et le don mutuel. Il reste le trait marquant de mon tempérament, et je ne peux le changer. Si Nicole ne m’aime pas en cela, elle ne peut m’aimer. Si elle n’accepte pas cette énorme trop-plein, si elle ne cherche pas à en tirer parti, au lieu de le refuser, nous ne pouvons vivre ensemble. Une fois encore, m’aime-t-elle ou non ?

Attente.

21 heures 05

Au fond, choc et étonnement pour moi, comme pour les Jeanson, que Nicole se soit arrêtée. Alors qu’étaient persuadés – bien qu’étonnés – qu’elle allait tout droit vers sa vie et son mariage.

Pourmoi, tristesse et solitude profondes. Enfin, je me croyais aimé. Car l’étonnant, l’inexplicable n’est pas d’aimer, mais d’être aimé. Et cela m’étonnait que Nicole m’aime, malgré tous mes défauts. Et maintenant je m’aperçois qu’elle ne m’aime pas, ou plutôt qu’elle ne m’aime pas assez, ce qui revient au même.

Tristesse. Solitude. TRISTESSE.

+

21 heures 35 

Coup de téléphone de Nicole, depuis Beaulieu. M’a fait plus de peine que de joie. J’ai d’ailleurs peur qu’il en soit ainsi pour nos autres entretiens, et que – ce soit à mon tour de tout gâcher. Elle m’a causé une telle déception en repoussant ce mariage que – peut-être à tort – je me suis cru aussi repoussé.

Au fond, j’attends qu’elle m’aime. Mais il faut que je reconnaisse qu’elle. Est-ce uniquement, une question de mariage ? Et pourtant, j’attends tellement de vivre avec elle.

___


Lundi 24 Avril 1967


22 heures 15

Nicole, encore et toujours. Sentiment, non pas d’une trahison – mais d’un immense ratage, et difficulté d’apprécier réellement la situation. Nicole veut réfléchir. Ce n’est pas dramatique. Ce n’est pas une rupture. Mais c’est une remise en cause. Je l’ai déçue à son retour de Pâques. Marie-Charlotte me l’a dit. Je ne m’en étais pas rendu compte. A vrai dire, avec le recul, je m’aperçois que je n’ai jamais été vraiment en complète détente. Impression qu’il avait toujours quelque chose à « forcer » :
- date de notre mariage
- position de principe sur un enfant
- problème « appartement »
Sans doute, allais-je trop vite. Mais ces lettrres de Pâques m’avaient définitivement convaincu de son amour et de son attachement.

Maintenant, elle m’aime certes, mais pas vraiment. Ne m’acceptant pas vraiment. N’acceptant pas quelque chose qu’elle sent – à tort – je crois, comme une démission de sa part, une perte de sa liberté et de son individualité. Vat-t-elle franchir ce cap ? ou bien ne va-t-elle rien faire, se contentant de laisser elle. Que veut-elle ? Que désire-t-elle ? Si c’est uniquement du temps – comme je le crois – c’est qu’elle ne me veut pas, car elle ne me connaîtra pas mieux plus tard. Et l’on ne connaît bien qu’avec les yeux de l’amour, et non en pesant le pour et le contre.

Pour ma part, déception profonde, et perte de confiance dans son amour. Il faudra beaucoup pour que j’y croie à nouveau vraiment. Et certainement, qu’un ajournement sine die de notre mariage, m’enlèvera enthousiasme et confiance.

A vrai dire, des fiançailles qui seraient « prolongées, seraient invivables. Elle, ne voulant pas s’engager. Moi, déçu, inquiet, jaloux.

D’ores et déjà, ne peut-on dire que le « charme est rompu ». Je ne vois pas par quel miracle – si cet état de choses persiste – elle peut à nouveau m’admirer, me désirer, m’aimer, et vouloir se donner, et moi, être détendu et en confiance. Ou alors, et en fait, c’est cela qui doit se produire – sinon, tout est fini – c’est non pas un nouveau départ, mais – au moins pour elle – un vrai départ. Après le Bertrand inconnu d’avant Janvier, puis mythique de Pâques dernier, le Bertrand vrai et incarné, qu’elle choisit et aime à jamais. Puisse cela exister ?


Mercredi 26 Avril 1967



14 heures 55

Retour de Maman hier soir [7], bien effondrée de Nicole. Vu Claude et Florence, hier soir. Pour eux, Nicole n’est pas faite pour moi. Vu Madame Jeanson ce matin, avant le déjeuner. Me comprend. Comprend que je soufftre, que Nicole doit se décider rapidement.

Pour ma part, je perds doublement confiance en Nicole
- confiance dans le don que je croyais qu’elle commençait de me faire,
- surtout, je me demande si elle faite pour moi, si elle est capable d’aimer autant que je le lui demande, avec la tendresse et la délicatesse que j’attends. Peur qu’au fond, elle soit superficielle, capricieuse, surtout occupée d’elle-même. Peur d’un cantage pour avoir des enfants, ou pour de sorties avec tel ou tel. Le fait que pour elle, il soit naturel qu’elle me remette en question, que ce ne soit pas dramatique et qu’elle attende au fond que je le comprenne, semble indiquer – non pas qu’elle a tort dans l’absolu – mais qu’elle n’a pas la tendresse, et la façon de voir les choses qui me sont nécessaires. J’attends tendresse, et amour, et elle attend de ma part, plus de détachement, moins d’exigence. Chacun attend de l’autre – en fait – un changement fondamental. Pour ma part, je ne vois pas que je puisse changer sur le fond. Je ne puis que canaliser et orienter, et je ne peux le faire que stimulé par un immense amour, et non comme une sorte d’invraisemblable préalable.

Pour elle, peut-elle réaliser que légèreté et paresse doivent disparaître en elle, qu’elle doit – si elle m’aime, comme je le crois – se surpasser, aimer infiniment plus qu’elle ne le fait actuellement. Peut-elle réaliser, qu’elle ne peut apaiser mon inquiétude, mon anxiété et ma jalousie latentes – que par un amour total, radieux, spontané et définitif. Le peut-elle ?

De bonne foi, je crois l’appeler à un déplacement d’elle-même, à devenir la vraie Nicoler – qui conservant sa beauté et son brio – s’approfondirait, s’attendrirait, s’illuminerait, à force d’amour. Je ne crois pas, ce faisant, la restreindre, l’emprisonner, la mûtiler, la violenter.

J’attends, mais c’est une épreuve aussi terrible qu’imprévue. Il me semble avoir soudain en face de moi, une autre Nicole, capable d’égoïsme, d’incompréhension, de dureté même.

Mon Dieu, protège-nous, car nous sommes faibles, et que nous errons, sans savoir.


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Jeudi 27 Avril 1967

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20 heures 20

Nicole rentre demain matin de Beaulieu. Aucun signe de vie d’elle, depuis son coup de téléphone de dimanche soir. Quelle va être son attitude demain ? Quel est l’avenir ? Va-t-on s’engager dans un cercle vicieux : elle se détachant progressivement, et prenant prétexte de mon attitude devant ce détachement pour se détacher encore plus ? Une chose me paraît probable. Il n’y aura pas de « conversion » spectaculaire de sa part. Mais peut-être déjà un engagement, le reste se faisant dans les mois, les semaines ou les jours qui viennent.

Notre mariage doit reposer sur un engagement mutuel
- engagement en connaissance de cause
- engagement ferme et en toute liberté
- engagement raisonnable
La première condition me semble acquise.
- elle me connaît depuis trois mois, et c’est cette connaissance, parfois incomplète, tenant plus compte du négaif que du positif, peut-être, mais distinguant nettement – et c’est bon – ce qui peut lui déplaire le plus en moi. C’est cette connaissance qui l’a fait s’interroger depuis ces jours derniers
- je la connais, maintenant, beaucoup mieux, depuis ces derniers jours, et là aussi sous un aspect moins attirant : instabilité, risque de caprice, d’égoïsme, de dureté, et de rancune, de cabrage et de fermeture.

L’amour persiste-t-il dans cette connaisance ? Autrement dit, y a-t-il engagement ferme et libre ? Il est clair que cet engagement est réciproque ou n’est pas. Depuis qu’elle doute depuis quinze jours, les choses changent pour moi, car je ne peux m’engager pour quelqu’un qui ne s’engage pas, ou dont l’engagement est douteux.

L’engagement est-il raisonnable ? C’est au fond, la question que Nicole se pose, et que par là-même, elle me force à me poser, à la fois en se révélant mieux, en faisant surgir une crise, en me faisant prendre du recul. Pour ma part, puis-je m’engager sur une jeune fille guère mûre, encline au refermement, à l’instabilité, au doute intérieur. Il est clair que si Nicole est cette jeune fille, je ne peux l’épouser.

Cette « crise » actuelle est vraiment le test de nos fiançailles. Le problème est posé dans ses profondeurs, et à chacun de nous deux. La façon dont Nicole va réagir, et réagit, me dit la fille qu’elle est (de même que mon attitude au début de la crise a sûrement éclairé Nicole).

Pour le reste, je tourne en rond. Me suis-je trompé dès le début ? En tout cas, j’ai été de bonne foi. J’ai réellement cru que Nicole serait ma compagne de vie, que sa jeunesse et une certaine fragilité de sa part pouvaient être force et gaîté, si elle me faisait confiance et m’aimait.

Cette « crise », qui va devoir se dénouer assez vite, ou bien fera que Nicole sera la suite de Viviane et de Béatrice (avec cette fois, de graves conséquences sur le plan familial et sur le plan scolaire), ou bien fera, constituera un véritable départ pour la vie, et nous aura fait gagner un an ou deux de maturité dans notre amour, en quelques jours. En ce dernier sens, cette « crise » aura peut-être été nécessaire, pour chacun de nous deux.


[1] - lapsus que je laisse tel quel . 21 Janvier 2010
[2] - mon frère aîné de dix ans s’était marié le 1er Septembre 1962, après une rupture imposée par ses parents à ma future belle-sœur. Florence est une femme d’exceptionnelles beauté et féminité ; elle décèdera prématurément le 22 Décembre 1989, après avoir donné naissance à sept enfants, dont le plus jeune la précèdera vers Dieu le 27 Avril 1985. Ce mariage d’amour et de passion, cette famille presqu’aussi nombreuse que notre fratrie de neuf enfants, ces morts si jeunes nous ont marqués tous, comme une sorte d’équivalence et de lien entre l’amour, le bonheur et l’épreuve la plus cruelle et la plus inattendue

[3] - elle se mariera le 14 Octobre 1967, après de premières fiançailles tandis que je suis en Mauritanie et qu’elle rompra, puis des secondes qui seront à rebondissements
[4] - un des centres de préparation au mariage, alors souvent fréquentés par les jeunes fiancés en milieu chrétien et aisé

[5] - je ne suis pas sûr de lui avoir remis cette lettre, car – en sus de cette copie dans le cahier manuscrit de mon journal - j’en trouve trois autres versions, intercalées en feuilles volantes, avec une enveloppe : une d’elle y a été glissée mais en a été retirée. Variantes successives: j’attendais tellement de toi, au lieu de j’attends. Et je n’y écris pas que je ne veux plus d’enfantillages, etc... ni qu’il te suffit, etc…mais en PS Maman qui commence à se douter de quelque chose, est effondrée
[6] - authentique baron et « gentleman farmer » autour de Montréal dans l’Aude, depuis plusieurs générations, Roger Detours a épousé la sœur aînée de ma mère, Renée (28 Août 1906 + 3 Février 2003), dont il n’a eu qu’un enfant, Marie-Françoise (4 Janvier 1945 + 16 Juillet 2001). La tenue régulière d’un journal dans un cahier manuscrit – commencée le 30 Août 1964, cf. En danger de vie, tome I – a trouvé son rythme à Carcassonne, chez mon grand-père maternel, retiré de Paris dans l’immeuble de son gendre. C’est dans la bibliothèque de cet oncle bonapartiste et milicien, duelliste à l’occasion condamné à mort à la Libération, grâcié puis interné à Saint-Martin de Ré, que – censé préparer les oraux du concours d’entrée à l’Ecole nationale d’administration - je découvre et lis Charles Maurras, auquel m’avait préparé Jacques Meugniot, moine de Solesmes
[7] - des obsèques de mon oncle Roger à Carcassonne-Montréal