jeudi 30 avril 2015

pleurer . poèmes de vieillesse . 1


Pleurer


Pleurer, pleurer, gonfler de pleurs, respirer de pleurs.
Rien à pleurer, personne à pleurer, que pleurer.
Pas de raisons, ou tellement de raisons,
tellement de soi et d’autres,
mais rien qui pèse, qui gêne.
Légèreté et poids de pleurer n’ont ni mesure ni nature.

Je pleure par envie, par désir de pleurer
parce que je ne ressens rien d’autre que cette envie,
un désir semblable à celui de caresser ou d’être envahi,
sentiments ou gestes qui prennent ou se donnent,
mais le pleur n’a pas de vis-à-vis.

Aimé, aimant, je pleure quand même.
Peut-être parce que j’aime et suis aimé,
peut-être parce que je suis sûr d’une issue heureuse
à cette existence que personne ne sait définir,
que chacun vit sans se connaître soi-même
et en regardant, parfois intensément,
parfois selon un hasard, l’autre tout autre,
sœur, frère indifféremment, sexe et âge indifférent.
Je pleure parce que certitude et amour ne suffisent pas
quand l’océan de la pauvreté, du dénuement, du mutisme,
du cœur sans voix qu’appel… et pleur, déroule sa houle
et me submerge, survient du dedans,
un dedans qui n’est pas moi
mais que je porte et dois apporter, rapporter.

Le bonheur va avec le pleur,
ils s’épaulent sans adjectif ni destination,
ni destinataire.
Le pleur, je ne peux me l’ôter,
le bonheur, je ne le veux que pour qui j’aime.
C’est mon muguet à deux cloches,
c’est mon souvenir de demain,
c’est la tendresse que je reçois sans m’en apercevoir,
que je ressentirai plus tard, un jour, sans savoir,
c’est la tendresse que je ne peux donner,
c’est tout ce que j’ai perdu.

Je pleure parce que je pleure.

Je suis entré dans un temps ou un lieu sans balise
où je pleurerai sans que cela se voit,
je le sentirai seulement parce que je ne suis que pleur.
Sans raison, sans visage, gros, énorme, si léger,
si logique puisque je pleure, n’y peux rien
et ne sais plus être qu’ainsi.
Pleurer m’entre dans la vie sans rythme, ni temps, ni lieu,
m’ancre dans ce que je ne sais,
m’attache à ce que je ne sais voir
et je vais en venir à tutoyer tout, à m’éloigner de moi,
à partir pour n’être plus qu’ici gonflé, gonflé de pleur.

Je pleure de moi,
et rien ni personne ni moi ne peut me l’ôter.
Je suis pleur à prier,
l’exact envers du cri et des larmes.
Je pleure du dedans de toute ma vie à cet instant-ci
Depuis longtemps peut-être
mais la houle lourde, le volume et le poids
maintenant seulement m’atteignent et opèrent,
j’implore je ne sais quoi je ne sais qui,
je suis plus que corps et moins qu’âme.

Je suis pleur à pleurer.

dimanche 26 avril 2015

on ne pallie pas le vieillissement, mais - acceptée - la vieillesse révèle ce que les autres âges brûlaient de savoir et de vivre

aucun amour ne s'oublie

journal d'il y a cinquante ans


                                     Mardi 27 Avril 1965 . 21 heures 30

trois pages manuscrites à saisir – du spirituel

   
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J’ai été reçu en audience, par le Président de la République, M° Moktar Ould Daddah, lundi 26 Avril 1965, à 12 h. pendant trois quarts d’heure.
Très grande simplicité. Impression de quelqu’un de très attentif, de très détendu, de très enfant, de sincère, de jeunesse. Feu vert pour ma thèse. Il faudra simplement que je délimite mon sujet avec sa femme, Mme Moktar, qui va faire quelque chose sur le Parti (c’est le seul point noir. Si Mme Moktar est trop gourmande, que ferai-je ?).
Cela fait, il rédigera une circulaire, dont j’aurai la copie qui me donnera accès à tout.
Il accepte de me voir quand je le voudrai.
But de cette thèse à ses yeux : choc intellectuel dans les conceptions occidentales de la démocratie, et des systèmes politiques.
D’accord sur le fait que tout tourne autour du congrès de Kaédi.

Bureau vaste. Fond de boiserie. Bureau vaste et assorti. Encyclopédie musulmane sur un meuble bibliothèque. Impression de calme et de détente et de jeunesse du Président. Comme me l’avait laissé attendre, Jean-Marie : je suis sous le charme.

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une page manuscrit à saisir – du spirituel

lundi 6 avril 2015

journal d'il y a cinquante ans

09 heures                                                 Dimanche de la Passion . 4 Avril


Que ma prière monte jusqu’à toi,
comme s’élève l’encens
et mes mains comme l’offrande du soir.

Vers toi, l’élan de mon âme.

De mon cœur a jailli un beau poème,
c’est toute ma vie que j’offre au Roi.


18 heures 30

Ce matin, plage avec les Ballèvre. Assis devant la mer, dans son bruit continuel, jai pensé que passer quinze jours d’affilée serait la vraie liberté. Qu’au fond, la liberté, je l’avais goûtée de façon merveilleuse à la Troupe. « Magnificat anima mea Dominum » …

Je viens de le lire après ma sieste, et maintenant le disque le répète. Que ma vie ne soit que ce chant d’amour, de reconnaissance, d’espérance. Cette effusion de moi-même dans l’Etre aimé par-dessus tout, et à travers tout être. Et devant la mer très bleue, sous le ciel clair, rongeant de son écume la dune trop blanche, j’ai pensé à ces camps passés, à ma petite tente orange éclairée par une bougie le soir, au camp silencieux, à ces garçons que je connaissais chacun individuellement et qui me reconnaissent comme chef et gardien, qui m’aimaient comme chef. Et c’était toute ma liberté que de leur faire goûter la vraie liberté. Dieu dira si à travers moi, Il a pu faire ce qu’Il voulait.

Et ce matin, un passage de Saint-Ex. m’a parlé au cœur. « Ainsi, vais-je le soir à pas lents parmi mon peuple et l’enfermant dans le silence de mon amour. Inquiet de ceux-là seuls qui brûlent d’une vraie lumière, poète plein de l’amour des poèmes, mais qui n’écrit point le soir, femme amoureuse de l’amour mais qui, ne sachant choisir, ne peut devenir, tous pleins d’angoisse, sachant que je les guérirais de cette angoisse si je leur permettais ce don qui exige sacrifice et choix et oubli de l’univers. »        Citadelle p. 55       Dieu se promenant au milieu de sa création. Le silence. Son silence : la plus belle phrase de son amour. Silence du Christ sur la Croix. Silence : de la Croix à Emmaüs.

A déjeuner, Jean-Marie insistait sur la simplicité, l’acceptation. Accepter l’autre tel qu’il est, et l’autre qui n’attend de nous que d’être simplement nous-mêmes. Ne pas chercher à être influent, à avoir de l’influence. Le bonheur souvent, sans qu’on le construise. Je lui avais parlé, ainsi qu’à madame Ballèvre, des fiançailles de Marie-Charlotte.

Et cependant, le comportement de Jean-Marie me faisait penser à telle phrase de Gide. Car, sa femme arrive-t-elle à le trouver ? Le trouve-t-elle dépendant d’elle, ouvert et vulnérable. Tout ce qui avait dû le séduire. Car je suis sûr que tout amour commence par la vision d’une blessure, par le besoin de guérir, par le discernement de la faiblesse sous les apparences de la force. Ainsi la femme devant l’homme. Ainsi Dieu, respectueux à l’infini de notre liberté, et nous séduisant patiemment. Et comme j’avais l’impression que le dialogue vrai d’âme à âme, de devenir à devenir, entre Jean-Marie et sa femme, était arrêté pour l’instant.

Qu’ils soient uns ! Ils ne formeront qu’une seule chair et par conséquent qu’une pensée, qu’une volonté amoureuse, qu’une seule simplicité, découverte chez l’un par l’autre.

« J’éprouvais aussi, devant que de parler,  à quel point deux êtres, vivant somme toute de la mémoire, et qui s’aiment, peuvent rester (ou devenir) l’un pour l’autre énigmatiques et emmurés ; les paroles, dans ce cas, soit celles que nous adressons à l’autre, soit celles que l’autre nous adresse, sonnent plaintivement comme des coups de sonde pour nous avertir de la résistance de cette cloison séparatrice, et qui, si l’on n‘y veille, risque d’aller s’épaississant … ». 

André Gide, La symphonie pastorale éd. Pléiade pp. 905-906

vendredi 3 avril 2015

journal d'il y a cinquante ans


Toutes appréciations de personnes ne sont que d'époque et jusqu'à plus amplement vécu. 
La réalité de ces dix-huit premiers mois en Mauritanie est d'une intense fraternité d'accueil, et de découverte de personnalités dont aucune ne fut banale ni indifférente.




Nuit du samedi au dimanche 3 – 4 Avril 1965


Dîner ce soir chez les Ballèvre, dont je reviens juste, ramené par Francis. Chamberlain, Gadon, Garnaud, Madame Dequecker, Francis. Bonne humeur, chacun étant lui-même, mais en un peu forcé. Arrivée tardive et malheureuse de ma petite personne, tache d’encre à mon pantalon clair.

Jean-Marie très pessimiste, vu le « limogeage » de Ba Bocar Alpha, médecin qui avait sauvé la vie du Président et est son ami personnel, ministre de l’Economie. Ce limogeage semble indiquer la main-mise de plus en plus grande du Parti. Si Marouf ou Ba Mamadou Samba prennent le portefeuille, cela montrera que le Président est encore maître de ses mouvements. Si c’est un jeune inconditionnel… avec le Parti, irresponsabilité totale. Responsabilité du Parti devant la nation ne veut rien dire et constitue même un cercle vicieux. Indique aussi que l’on trouve que l’assistance technique était trop écoutée. En général, succès international de Moktar et échec intérieur depuis deux ans. Valse des ministres, des commandants de cercle (trois mois en moyenne) : quatre sur trente cinq seulement répondent aux circulaires. Manque de cadres d’exécution. On n’embraye plus sur le pays. Echo sur Madame Moktar : la thèse de Garnaud serait aussi celle de Marouf. Devrait être la femme du Président et non une sufragette engagée. Aider le Président à prendre du recul, le ressourcer. Si l’on intervient dans un meeting, en accepter les conséquences : contradictions et injures (Marouf l’aurait souligné au séminaire). Marouf serait au fond de lui-même, hostile à tout parti. Aristocrate jusqu’au bout des ongles. Pas simple. Confiance totale de Marouf dans le Président.

Auparavant, Ahmed Ould Ely El Kory était venu me prendre : thé sur les matelas et les tapis. Son bon sourire de paysan. Mohameden Babah est venu. Madame Darde m’a recommandé à lui. L’ai rencontré quand Abdallahi Ould Daddah est venu au centre vendredi. Mohameden m’a raccompagné en voiture chez les Ballèvre. Grande chance de l’indépendance : la table rose. Encadrer vraiment les structures existantes. Actuellement, empirisme et pragmatisme. Pas de plan d’ensemble. Pas de conscience des vrais problèmes : le manque de cadres qualifiés. Improvisation partout. Rien à cacher : maison de verre où tout se sait. Il est vrai que c’est unique, et qu’il est encore temps de profiter de cette ouverture. J’ai dit à Mohameden qu’au fond, il manquait de grands hommes d’Etat en Afrique. Il a répliqué en citant Nasser. Chez Ahmed, j’ai aussi appris la fermeture de l’Institut d’Etudes islamiques de Boutilimit, qui serait peut-être transplanté à Nouakchott. A propos de l’Islam, Mohameden me citait Massignon et m’a parlé de mystique musulmane. Toute la mystique ayant une origine profonde dans les religions indiennes (idée typiquement occidentale).

Vu Mohamed Marouf, à l’Hôtel des Députés, vendredi 2 Avril 1965. Lui ai dit que j’étais frappé par sa ressemblance de profil avec Bourguiba. M’a dit la déception des milieux mauritaniens de la conférence de Monteil (ce qui corrobore Cheïbani et Abdallahi Ould Daddah). Conférence préparée trop vite. Trop superficielle. Alors que le problème de la sédentarisation est le problème très difficile et très vital pour la R.I.M. A explicité ce qu’il disait mardi soir : anarchie dans la sédentarisation actuelle. Se fait par tribus ou par fractions autour des points d’eau habituels. On reste dans le cadre individualiste, et la Nation ne se construit pas. Je lui ai parlé de Jean-Marie Ballèvre. Il a tout de suite dit toute l’estime qu’il lui portait. Nécessité d’une assistance technique qui propose diverses solutions, le ministre choisissant, en connaissant les conséquences. Nécessité contrôle des ministères, d’où le Parti. Bureau politique contrôlé par organismes d’exécution. Séparation entre administration et Parti doit demeurer. Même si confusion des personnes, séparation absolue des fonctions. Il faut des hommes purs à la tête du Parti, à la fois honnêtes et compétents, qui donnent l’exemple. Peut-être des saints. Chance de la Mauritanie : chefs traditionnels ont envoyé les premiers leurs enfants à l’école, doiù au pouvoir actuellement, fils des grandes familles et des chefs traditionnels. Pas de hyatus et continuité profonde. Pas de problème d’autorité ( ?). Nous avons écouté la radio rapporter le discours de l’ambassadeur américain et la réponse du ministre mauritanien de la Santé. On devine qui parlait le mieux le français ; Marouf n’a fait aucun commentaire (ce qui est déjà un commentaire).

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Je tombe de sommeil : deux heures du matin. Il faut absolument que je prenne régulièrement des notes pour ma thèse. Peut-être achèterai-je un magnétophone. Il faut aussi que je ne m’enivre pas de cette vie pseudo-remplie, de ces « contacts ». ne pas céder aux mirages. Prier beaucoup plus. Mener une vie plus calme, plus réfléchie, plus humble, plus fondamentalement humble. Etre profondément déséquilibré, dans le besoin de Dieu. Ouverture totale, si c’est possible. Mais, avant tout le Christ et sa gloire. A travers toute chose que je sens ou que je vis.   A.M.D.G.    Amen

au total... une vie ?

l'amour sans " la fesse " - l'essence de l'étreinte

t'es-tu vu ? l'apparence inacceptée puisqu'elle ne sert plus, au contraire

la joie d'avoir eu un corps