jeudi 30 octobre 2014

journal d'il y a cinquante ans


Vendredi 30 Octobre 1964   18 heures 45


Je suis au Petit Collège, dans la salle du Père Lamande. Cette salle qui se transforme et s’enrichit d’année en année. Je viens de bavarder avec Mme Caillaux, de tout, de rien, de Jean-Claude, de la vie des jeunes Jésuites.

Seigneur, ce désir – je ne sais s’il vient de toi ou de moii. Fais-en ce que Tu veux. Prends-moi comme je suis. Il fait partie de moi-même. Seigneur, fais-moi voir clair. Seigneur, exauce-moi, calme-moi. Equilibre-moi dans Ton amour. Donne-moi une vocation, celle que Tu veux pour moi.

De quoi vais-je parler au Père Lamande. Que vais-je lui dire ? je n’en sais rien. Seigneur, guide mes paroles et les siennes. Seigneur, veille sur moi, ces mois-ci. Ils sont décisifs, car je sens qu’il va falloir que je me décide, non pas que je décide, mais que je me décide. C’est-à-dire que ma décision engagera tout moi-même.

Seigneur, ma vocation serait-elle une utopie, un rêve, un mythe, comme l’a été Viviane ? Vivrai-je et penserai-je à l’envers depuis l’âge de neuf ans ? Seigneur, si c’est une chimère, un fruit de mon égoisme, de mon ambition, dis-le moi, mais arrache cette chimère de moi.

Si c’est vrai, Seigneur, dis-le moi, fais que j’en pèse les conséquences et que je décide. Seigneur, j’attends devant ta porte. Seigneur, je pleure et gémis. Seigneur, je n’en puis plus. Tout va éclater. Seigneur parle, j’écoute. Seigneur, montre-toi. Indique-moi la voie. Emmène-moi par la main, dans la grande allée de tes saints. Conduis-moi au tabernacle de Ton amour. Consacre-moi à Ton service, à ton amour, aux autres. Seigneur, oriente mes pas, dirige mon regard, vis en moi. Seigneur, si Tu ne m’aides pas, je suis perdu. Seigneur.

*
*      *


Vu le Père Lamande, 20 heures à 23 heures

– Impression très forte. J’ai vêcu d’elle, pendant quatre jours. Reste extrêmement apte à comprendre le monde, les adultes et les enfants. N’est spécialisé qu’en apparence. Calme. Force intérieure. Goût du beau : salle des catéchismes, son bureau (peut-être un peu trop chargé), chapelle (la lumière, le son, la peinture, la Sainte Vierge, avec son beau geste). Petit train : apprendre aux enfants à être précis, observateurs, etc.

– Joie d’une reprise de contact si facile. Bien que j’ai dix ans de plus. Ai pu tout de suite faire le point avec lui.

– M’a parlé de sa vocation. Appel amoureux. Si violent qu’il en était jeté à terre. N’est entré que tard. Mère admirable.

– Ne s’est nullement prononcé. Ni dans un sens, ni dans un autre. Un seul conseil : prier, faire quelque chose qui coûte beaucoup (il m’avait cité l’exemple, de cesser de fumer, si on en a l’habitude. Pour moi : est-ce la photo ? c’est ce que je me suis demandé en forêt de Compiègne).
Vocation : signe, convergence. C’est à moi de décider. Je suis le seul à pouvoir le faire. M’a cité deux exemples :
– un prêtre, qui a été ordonné, alors que sa famille l’avit poussé au sacerdoce. En est relevé maintenant. N’en pouvait plus.
– un homme qui ne s’est pas marié, qui avait le désir, la vocation, qui n’a pas su se décider. Malheureux, au possible.
Ne pas rater sa vie.

– Convergence avec Boyau :  Compagnie de Jésus allie contemplation et apostolat (tout Jésuite a eu une vocation bénédicitine, ou à peu près).

– Accepte de voir ce que j’ai passé à Boyau, mais après lui. Souligne que j’écris facilement et trop. Qu’il s’intéresse plus à ce que je dis.

– M’a sincèrement félicité pour le boulot fait à la Troupe. S’était posé la qustion de savoir où je voulais en venir (au vu des journaux de camp successifs). Cela m’a fait plaisir.
(Le Père Boyer-Chammard ne m’en a jamais parlé, sauf une fois, pour me dire, que si mes « pécus » étaient bons, le reste l’était moins : cf. local, et que c’était çà qui était important…)


mercredi 29 octobre 2014

l' "in-communication"

journal d'il y a cinquante ans




Ecrit à Christian        .    jeudi 29 Octobre 1964


Cher malade,

permets à un bien portant
si ce n’est pas trop léchant
de pleurer cette grippe
qui nous prive l’un comme l’autre
de longues marches dans les êtres
merveilles qui nous frappent.

Il me semble que la forêt,
fait ses plus jolis apprêts
uniquement pour nous plaire.
Au rendez-vous qu’elle nous donne,
au carrefour du Capitaine
il n’y aura que désert.

Mais tout sera prêt et beau.
Tout sera vert, rouge, bleu d’eau.
Tout flambera de jaune, de roux.
Les allées s’en iront, cendres,
couvertes par des feuilles tendres
qui voleront dans l’air doux.

L’automne sera là, fidèle,
qui écartait d’un coup d’aile
quelqu’oiseau déjà fidèle.
Les arbres, la forêt sont à nous ;
le ciel, parfois blafard et mou,
nous contera son Dieu.

Ah ! qu’il eût fait bon et chaud
de goûter tous ces cadeaux,
avec toi, et aussi Philippe.
De boire le grand silence
que parfume toute la danse
des couleurs. Mais c’est la grippe.

Cher malade.
Ecarte bien vite, ces phrases
je n’ai pas de solides bases
en matière de rythmes et de rimes…
Mon affection voulait te redire
avant que ton grand mal n’empire.
Dors : santé sera ta prime.

              _________
   

cimetières

mardi 28 octobre 2014

famille d'autrui, famille devenant mienne, famille qui se transmet et transmet

journal d'il y a cinquante ans


Mercredi 28 Octobre 1964              22 h 30



Ce soir, scène de Vincent à table. Pour ne pas changer. D’où scène de Hugues. Le climat devient alors insupportable. Maman est de plus en plus vulnérable aux scènes ou à ce que demande Marie-Charlotte et s’effondre, trop souvent. Que c’est triste et inquiétant. Et pourtant que d’admiration j’ai pour elle. A sa place, je n’aurais plus d’espoir ou d’espérance. Elle ne croit pas encore beaucoup. Ses enfants la blessent, et la quitteront. Elle se tue de fatigue. Et les retrouvailles avec Papa sont encore éloignées, malgré un « modus vivendi » croissant [1]. Et pourtant, elle tient le coup. Grâce à vous, mon Dieu.

Je crois que mon entrée dans un ordre religieux lui causerait un coup terrible. Elle y est résolument opposée. Est-ce signe de Ta volonté, Seigneur ?

Le positif de ces derniers mois, est que j’ai pu lui en parler de façon détendue, et lui faire envisager – malgré elle – cette possibilité.

*
*   *

Mon projet de week-end à la Toussaint est battu en brèche. Christian est au lit : 40° de fièvre. Philippe a un rallye (Genlis). Au fond, Seigneur, tu veux me montrer par là, que je ne puis bâtir ma vie – même à court terme – sans Toi, que je suis plus attentif à mes projets plutôt qu’à Ton projet.

Ma vocation est-elle un projet que tu réduiras en miettes, quand tu le jugeras bon, ou plutôt qui s’écroulera de lui-même. Ou bien est-ce Ton plan sur moi ?


J’ai découvert cet après-midi (en écoutant cette si merveilleuse et apaisante VIII° symphonie de Beethoven), le Ps II de Robert Brasillach, écrit à Fresnes, le 30 Octobre 1944. Dans deux jours, il y aura vingt ans… Je voudrais apprendre ce texte par cœur, le faire découvrir à d’autres.


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J’ai l’impression que la forêt de Compiègne, revêt ses plus belles robes pour me plaire, et que je ne peux manquer le rendez-vous qu’elle m’assigne. Désir !

Robert Brasillach  [2].    Poèmes de Fresnes

«  Vous avez fait le ciel pour vous-même, Seigneur.
Et la terre d’ici pour les enfants des hommes,
Et nous ne savons pas de plus réels bonheurs
Que les bonheurs cernés par le monde où nous sommes.

Nous voulons bien un jour célébrer vos louanges,
Et nous unir aux chants de vos désincarnés,
Mais vos enfants, Seigneur, ils ne sont pas des anges,
Et c’est aux cœurs d’en bas que leur cœur est lié.

Pardonnez-nous, Seigneur, de ne pas oser croire
Que le bonheur pour nous ait une autre couleur
Que la joie de la source où nos bouches vont boire
Et du feu où nos mains recueillent la chaleur.

Pardonnez-nous, Seigneur, dans nos prisons capitves
De songer avant tout aux vieux trésorss humains,
Et de nous retourner toujours vers l’autre rive,
Et d’appeler hier plus encor que demain.

Pardonnez-nous, Seigneur, si nos âmes charnelles
Ne veulent pas quitter leur compagnon le corps,
Et si je ne puis, ô tertre fraternelle,
Goûter de l’avenir une autre forme encor.

Car les enfants pressés contre notre joue d’homme,
Les êtres qu’ont aimés nos cœurs d’adolescents
Demeurent à jamais, devant ceux que nous sommes,
L’espoir et le regret les plus éblouissants.

Et nous ne pourrions pas, pétris de cette terre,
Rêver à quelque joie où ne nous suivraient pas,
La peine et le plaisir, la nuit et la lumière
Qui brillaient sur le sol où marquèrent nos pas. »

30 Octobre 1964


[1] - c’est sans doute le drame familial pour les deux générations : mes parents et nous, leurs enfants. Pour des raisons que nous n’avons jalais cherché à élucider et depuis des dates que nous ne savons pas non plus, que ne savait pas ma mère et sans que l’un quelconque d’entre nous ait jamais interrogé notre père, celui-ci s’est avéré au début de 1962 un joueur avéré, ayant perdu sa situation – qui était importante dans les réassurances sur la vie – puis en ayant retrouvé une autre, à émoluments égaux, permettant de rembourser ce que diverses liquidations immobilières de nos grands parents des deux côtés maternel et paternel n’avaient pas épongé. Les choses redevenues viables, mon père « rechuta » et la séparation de corps se confirma, ma mère tâchant de sauveharder ses meubles et de quoi subvenir à nos besoins et à des apparences qui restèrent convenables. Mais un manque profond s’instalal, une division aussi entre entre nous, les enfants, sur l’attitude à avoir vis-à-vis de chacun de nos parents. Suivant nos âges, alors, nous fûmes plus ou moins profondément perturbés, au moins trois de nos projets de mariage en furent affectés.
[2] - Robert Brasillach, défendu par M° Jacques Isorni (qui y gagna d’être l’un des avocats du Maréchal Pétain si mois plus tard), et fusillé en Février 1945 – pour ses écrits, et notamment des articles anti-sémites publiés sous l’Occupation par Je suis partout … demeure un « auteur maudit », alors Céline et Pierre Drieu La Rochelle ont les honneurs de la Pleiade. J’ai tenté à plusieurs reprises d’acquérir une collection de l’hebdomadaire dit d’extrême droite, sans succès. Je veux me rendre compte par moi-même de ces articles. C’est ma mère qui me le donna à lire : d’abord Comme le temps passe… puis ces Poèmes de Fresnes, en attente de la condamnation à mort et de son exécution, en compagnie de Chénier… François Mauriac intervint en sa faveur auprès du général de Gaulle. Il semble que le président du Gouvernement provisoire ne revint sur sa promesse faite au grand écrivain qu’en voyant dans le dossier une photo de Brasillach, en uniforme allemand. Gaston Paleswski, directeur de son cabinet, y avait glissé une photo de Jacques Doriot, la ressembance pouvait tromper… et trompa.  Edgard Pisani, ajoint du préfet de police Luizet, accueillit à la Libération sa reddition afin que ne soit pas inquiétée sa mère et tenta de le faire fuir. En vain.

lundi 27 octobre 2014

un film de François Truffaut - aimer en 1964, mais aujourd'hui ?

apparences - vies d'autres ou coexistence, mutuelle présence d'un instant ?

journal d'il y a cinquante ans


Mardi 27 Octobre 1964     17 h 45



Je viens de téléphoner au Père Boyer-Chammard ppur prendre rendez-vous. Je le verrai jeudi prochain. Je ne l’ai pas revu depuis la fin de Juin.

Qu’est-ce qui me fait peur ? Qu’est-ce qui me rend difficile d’aller le voir ?
– je ne me sens compris.
   je ne me sens pas cru
– j’ai l’impression que Boyau ne croit pas à ma vocation.
– j’ai parfois des doutes sur la capacité de Boyau à voir clair, et à être bon juge. Il est débordé.

En fait,
– il ne peut pas encore croire à ma vocation, si je n’y crois pas
– entre sentir et être, il y a une différence
– je garde confiance dans le jugement de Boyau.

Il n’empêche que je le considère comme l’avocat du diable.

Seigneur, quand pourrai-je décider d’aller vers Toi, de répondre à ton appel, quand commencera ma vie religieuse ? A vrai dire, je vois de plus en plus clair, mais je ne peux encore rien décider.

De quoi vais-je parler avec Boyau ?
– ma découverte de Thomas Merton, ses livres, l’attrait que j’ai ressenti   pour les Bénédictins et Solesmes
– la compréhension que j’ai maintenant de mes « passions » successives
– l’influence d’André et de Michel dans ma vie
– les doutes que j’ai quant à la réalité de ma vocation
– la certitude de plus en plus grande – à mesure que j’approche du moment – de la décision, que j’ai la vocation
– le fait que j’ai hésité à venir le voir

Peut-être lui apporterai-je mes doubles de lettres à Michel, André, Bruno, le Père Hôtelier ?
x

20 h 10

Communion à Saint-Philippe. J’ai été frappé par la prière anxieuse, presque désespérée d’une dame, vêtue de rouge, blonde, encore jeune. J’aurais voulu faire quelque chose pour elle. J’ai commencé un «  Je vous salue Marie » qui s’est perdu dans le brouhaha des bruyits, des images, des passants, du soir froid et pourtant amical. Seigneur, tu l’as entendue. Excauce-la. Je prierai pour elle ce soir. Peut-être me le demandes-Tu spécialement ? C’est surtout les yeux noyés dans une peau fatiguée, et pourtant immenses : ils étaient tristes et humbles.


*
*   *

Au courrier, j’ai reçu une invitation de Monique de V. à l’accompagner le mardi 10 Novembre. Pendant trentes econdes interminables, j’ai perdu pied, j’ai douté de tout. Puissance de l’imagination, du désir, du charme féminin tel que je le ressens et que je l’interprète.

Cela me montre, Seigneur, que sans Toi, je ne pourrai répondre à Ton appel, je ne pourrai être fidèle à ma vocation. Seigneur, veille sur moi, je suis si faible, si vulnérable, si jeune. Et pourtant si amoureux, si passionné de Toi, de Ton règne, de Ta lumière, si anxieux de voir Ton visage.


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*   *

Papa vient de rentrer d’Espagne. Auparavant, Marie-Charlotte m’avait dit que l’anniversaire de Papa avait été très bien souhaité. Pourrons-nous souhaiter et fêter leurs 34 ans de mariage, le 6 Décembre prochain ? Seigneur, mon Dieu, fais que cela soit possible.


Pendant mon action de grâces, j’ai décidé de méditer ce soir, un peu du Cantique des Cantiques.

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Dimanche dernier, en lisant Vie chrétienne, j’ai été invité à lire Hb II, puissance de la foi. Il m’est suggéré de faire de cet Avent de ma vie, un pèlerinage.
Que cet Avent soit vraiment une attente de Ta venue, Seigneur, parmi les hommes dont tu transformes l’existence, dans l’Histoire à laquelle Tu donnes son SEUL sens, dans ma vie : Seigneur, viens en moi. Inonde-moi de pureté, de simplicité, de lumière, de grâce infantile et naïve, d’émerveillement devant le Don de Ton Amour, devant la vocation que tu enracines en moi.

Seigneur, fais-moi prendre patience. Fais-moi voir clair – au moment choisi par Toi. Donne-moi alors de choisir Ta vie, et celle-là seule. « Que ton règne arrive, que ta volonté soit faite ».

samedi 25 octobre 2014

journal d'il y a cinquante ans


   Lundi 26 Octobre 1964



Que de beauté aujourd’hui. Photos des « petites » à midi, dans les feuillages verts et rouges du parc Monceau [1]. Cet après-midi, retour de la gare de Lyon par les quais. Notre-Dame vue par le chevet, une dentelle de peupliers aux feuilles jaunes et dorées. Le quai couvert de lierre rouge et orange. Vision fugitive d’harmonie. Le Faubourg Saint-Honoré, vivant appel à la « vie » au plaisir. Les femmes désirables. Les devantures. Une note sympathique, visible de la rue : le portrait géant du Président Kennedy dans le hall de l’ambassade américaine.

Cet après-midi, j’étais si heureux que j’avais l’impression de vivre pour la première fois. Tous ces temps-ci, j’ai l’impression que la vie ne fait que commencer, que je ne sais rien de l’existence. Oui, tout est neuf. Puisque je vis de plus en plus sous le regard de Dieu, en tenant compte de plus en plus de la seule réalité : le Dieu d’amour et de vérité, le Dieu personne. Sur les quais, j’ai eu envie d’écrire à Christian, à André. Leur dire ma joie, mon bonheur, notre bonheur d’hommes sauvés. Dire à Christian à propos de son devoir sur le sens de l’histoire, que l’histoire n’a qu’un sens : la Parousie, que c’est fondamental, et que cette vision de l’histoire du monde, et de notre histoire personelle est la condition de notre bonheur. Cantonner Dieu au secteur religieux ou scout, sans le faire entrer dans notre intelligence, c’est le refuser, et le perdre de vue à brève échéance.

Halte à Notre-Dame. Messe et communion à Saint-Philippe. Comme hier – presque toute la journée – eu la certitude calme et globale de ma vocation. Inutile de couper les cheveux en quatre, de m’accabler de scrupules, de préalables et de questions. Je suis comme le chien qu’on tient en laisse. Il tire sur sa laisse voulant aller dans telle direction. Sitôt détaché, il file d’un trait vers le but qu’il s’est proposé. Ainsi, je filerai dès que le temps sera venu – et il est proche, je crois – et je filerai vers Dieu, et par la voie qu’Il a choisie pour moi : la vie religieuse, le sacerdoce. Pourquoi Dieu aurait-Il maintenu en moi ce désir ? si longtemps ? malgré les haltes de Manrèse, de l’analyse d’écriture, malgré le départ de la Troupe. Au contraire, tout renforce en moi cette idée : cette période de halte intellectuelle en attendant mes résultats de l’ENA, ces confidences de Michel, cette journée passée avec André.

Certes, il se posera – en son temps, mais j’ai confiance – le problème de mon orientation précise : le séculier, la Compagnie de Jésus, les Bénédictins.

Vivons au jour le jour. Ces jours sont si beaux. Merci mon Dieu de ce jour d’existence.


[1] - mes sœurs les plus jeunes,  respectivement nées en 1952 et 1954 – l’appartement où nous venons d’emménager en famille (encore huit plus nos deux parents) est à l’angle de l’avenue Hoche et de la rue de Courcelles, à Paris

" au gré du vent " - Alexandra Nicolas . éditions du Panthéon

très bientôt en ligne - en même temps que ma lecture de son second roman, encore inédit

jeudi 23 octobre 2014

journal d'il y a cinquante ans


                             Vendredi 23 Octobre 1964



Je suis calmement assis devant ma table de travail.  Je viens de coller devant moi – provisoirement, car le planisphère n’est pas encore fixé – la photo de Ste Madeleine priant et à ma porte, la Sainte Vierge. Si ma vie pouvait être comme cette image de Ste Madeleine : environnée de lumière, les yeux clos, les mains jointes, toute recueillie, fervente, amoureuse, confiante.

Hier, j’ai passé la journée à Chassillé, avec André, son père, sa petite sœur. Nous sommes partis vers 06 heures du matin, dans un brouillard très dense. Arrivée à Chassillé vers 10 heures. Une matinée et une après-midi à battre les champs. Le matin, une merveilleuse lumière, un ciel très pâle dans le léger froid. Des peupliers dorés. Une église, (celle de Courcelles) dans le fond, ou bien des chaumes que bordent et limitent au loin des haies ou des taillis. Le dialogue incessant de M. Legendre avec ses chiens. Les chiens, joyeux.

Jamais, je n’ai rtessenti autant que je n’étais pas seul. Quel est le contraire de la solitude. Je ne trouve pas que le  mot « communion » en soit l’opposé. Car au fond, ce qui compte alors c’est ce sentiment un peu négatif. Je ne suis pas seul. Pourtant, je ne parle pas.  Mais précisément, je pense à la première personne du pluriel. Je me sens moi-même.

Au fond, cette journée avec André, a été providentielle. Il était temps que notre amitié, que notre communion se retrempe dans le contact humain, se baigne du « lait de la tendresse humaine » [1].

Au retour, nous avons bavardé dans l’auto., de Boyau  [2] par exemple, avec qui je ne me sens guère à l’aise. Il m’a conseillé de voir aussi quelqu’un d’autre. A côté de l’avocat du diable, il faut celui du Bon Dieu. Le Père Hôtelier de Solesmes est tout désigné pour jouer ce rôle dans ma vie présente. J’attends avec impatience une réponse de sa part à ma lettre du début d’Octobre qui accompagnait le journal de camp [3].

Nous avons pu assister à Vêpres, avant de repartir, hier soir. Je n’ai pas osé le demander à temps. De toutes façons, je ne me rendrai à Solesmes, qu’au mois de Décembre, à moins de contrindication nette.

Le soir, dîner et accueil si sympathique par Mme Legendre. Une journée de joie, de silence, de paysage, de retrouvailles et d’amitié.

J’ai parcouru ce matin le dernier numéro de Scout [4]. Tout est raté. Tout est saboté. Travesti. Mensonge. Plus de sens de la nature (de la vraie, les champs, les bois, et non fabriquée : fer forgé, menuiserie). Plus de patrouille : coupure en deux des âges. L’expérience a déjà prouvé et prouvera que les garçons de 15-17 ans (Pionniers) entre eux, engendrent immanquablement : paillardise, bistrot, cigarettes et laisser-aller, et que ceux de 12-14 ans créent enfantillage, équivoque et mollesse. Le sens des responsabilités est émoussé. L’entreprise à trente noie l’individu, qui ne peut trouver sa place affective que dans un groupe de 6 ou 7 (précisément l’effectif d’une famille). Comme tout cela est triste, que toutes ces valeurs se perdent, que toute cette joie soit incomprise ou au contraire industrialisée. Mais que faire.

Même déception (mais ce n’est là qu’une prise de conscience) sur le plan politique, vg. les démocraties anglo-saxonnes. Pas de programme de gouvernement. Pas de projets nets. Pas d’idées. Pas de vision du monde. Il s’agit d’arriver au pouvoir. Votez pour moi. C’est tout ce que dit Johnson [5]. Je suis le meilleur des deux, proclamait Wilson [6]. Les vraies questions sont esquivées. Systématiquement et par principe, les deux candidats sont d’accord pour ne pas les aborder, ne prendre aucun engagement à leur sujet, vg. aux USA, la pensée de Kennedy est foulée aux pieds, alors que c’est pour ou contre qu’auraient dû se jouer les élections. En UK, personne ne s’engage sur la force multilatérale ou sur le Marché commun. Mieux même, si l’on prend un engagement pendant la campagne électorale, on déclare (en coulisse) qu’il n’est pas impératif une fois que l’on est parvenu au gouvernement.

Il me semble que si je devais être chef de gouvernement, je serai  extrêmement sincère avec les électeurs. Je ne prendrai aucun engagement, disant que je ne pourrais en prendre que connaissant les dossiers par l’intérieur. Mais je promettrai, et expliquerai clairement ma vision du monde, ce qui constitue ma conviction et ma foi. Ainsi, on saurait non pas ma position sur tel ou tel problème, mais ce que je veux faire, et quelles seront mes réactions devant tel ou tel problème. On voterait sur un homme de chair et de sang qui montrerait plutôt sa manière de résoudre les problèmes, plutôt que des positions stéréotypées, figées et condamnées à être dépassées. D’autre part, je m’engagerai à démissionner, si je ne peux faire la politique que je crois être la meilleure. Cette politique ayant pour but ultime et permanent, le bonheur de chaque homme : cœur, corps et esprit. Cela seul compte.

Comme façon de gouverner, j’adopterai un peu la façon dont j’ai dirigé la Troupe, en évitant (ce que je n’ai pas su faire) une excessive personnalisation. Des ministres que je connaisse personnellement, des alter ego, qui soient mes amis, affectueux, et qui connaissent telle question que je ne connais pas. Je couvrirai leur politique, et donnerai une cohérence et une continuité à leur action. Ne connaissant rien en économie, en agriculture, je confierai ces postes à des amis que j’aime et qui connaissent techniquement à fond la question. Dans leur secteur, ils auraient toute liberté. Mais je répondrai d’eux devant les électeurs.

Je crois que ce fut un des secrets de Kennedy, que d’être en relations d’affection avec la plupart de ses ministres. Le respect, la vénération, la peur font de mauvais serviteurs. Le prestige est possible vis-à-vis de la masse. Mais d’individu à individu, se cotoyant, se confiant l’un à l’autre, il ne peut y avoir de solide que l’entière confiance mutuelle, fondée sur l’affection et la compréhension.


*
*       *

Mais où Dieu me veut-il ? Parfois, je doute même de mon désir de la vocation. A d’autres moments, je pense qu’à une retraite, tout directeur spirituel me refuserait, trouverait mon désir trop humain et trop passionnel.

Et pourtant, toutes ces pensées, toutes ces incertitudes viennent de ce que je n’ai pas confiance en Dieu, en son Fils, en sa Parole.

Aie confiance ! Ta foi ta sauvé ! Heureux ceux qui croient, sans avoir vu. Et voici que je suis avec vous jusqu’à la fin du monde. Faites ceci en mémoire de moi.

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*       *

D’un côté, je sens que l’état laïc ne me satisfera jamais, que je veux vivre chaque instant en intimité avec le Seigneur. Mais de l’autre, j’ai peur de me tromper en embrassant l’état religieux. J’ai parfois peur de rater ma vie par indécision, par manque de courage et du coup cette peur, ce doute m’empêchent de voir clair. Cet état d’incertitude – j’en ai de plus en plus conscience – va devoir cesser. Il va falloir que je choisisse. Mais quand ? Au Seigneur de me le dire. Choisir quoi ? Au Seigneur de me le dire. Seigneur, je t’aime. Faites tout ce qu’Il vous dira.

22 h.

Beaucoup de joie. Humaine certes, mais c’est avec un cœur d’homme que Jésus, Dieu fait homme, attend que je l’aime.

Tout mon univers des quatre dernières années. Toute la suite des lettres d’André, depuis le camp de Chézy d’Avril 1958. Comme notre amitié a progressé, s’est approfondie. Comme, par ailleurs, André s’est purifié, s’est élevé, de censeur, il est devenu affectueux. Il semble avoir eu aussi des coups durs, des périodes de doute, d’anxiété. Il s’en est bien tiré.

En feuilletant mes autres lettres [7], je vois que j’ai eu parfois des échanges très profonds avec certains garçons de ma division de Rhéto. ou de Philo., avec mes anciens chefs de troupe (Henri, Bernard), avec des Pères Jésuites, dont toutes les lettres trahissent le fait qu’ils se sont donnés totalement et simplement. Que c’est réconfortant et encourageant pour un jeune néophyte comme moi. J’ai l’impression d’être plus conscient qu’il y a quelques années. Et pourtant comme j’ai été heureux. Et comme je le serai encore. « Je leur enseignerai le bonheur qui est tout près d’eux et qui n’en a pas l’air » [8] .

Coup de téléphone de Christian. Beaucoup de bonheur. Merci, Seigneur. Je te prie pour Christian, pour André. Seigneur, mon ami.

Je cherche à lire quelque chose. Entamé Thérèse Desqueyroux. Je ne pourrai en venir à bout. Au fond, un écrivain qui n’écrit qu’un seul roman, est beaucoup plus vrai. Le grand Meaulnes, Comme le temps passe… et bien que ce ne soit pas le seul de Maurois : Climats, sont vraiment des romans de classe éternelle. Car ils parlent de la vie et de ce qui est essentiel : le bonheur… sans malheureusement toujours se fonder sur l’essence du bonheur : Dieu, mon Bien Aimé. Le Bien Aimé de mes amis.

Prier.
Beaucoup prier.
Régulièrement.
Comme on respire.
Parce qu’on respire.
Parce que sans la prière, je perds tout contact avec la réalité.
Parce que sans la prière, je perds Dieu, ma foi, ma joie.

Parce que prier, c’est vivre.
C’est agir, c’est jouer, c’est regarder, c’est contempler.
C’est aimer. Se perdre dans les autres.
Dans l’Autre.
Parce que prier est ma raison d’être.
Parce que si je ne prie plus,
je suis fichu.


[1] - le mot d’Alfred Fabre-Luce dans le premier tome de ses mémoires

[2] - François Boyer Chammard, jésuite – père spirituel des terminales à « Franklin », Saint-Louis de Gonzague à Paris, quand j’y suis, puis aumônier quelque temps des « anciens »

[3] - un cahier ronéotypé évoquant le camp scout de Juillet 1964, que j’avais dirigé « du Sidobre à Lourdes

[4] - la « réforme » des Scouts de France engagée d’en haut divise en deux tranches d’âge la branche proprement scoute, les louveteaux et les « routiers » n’en étant pas l’objet

[5] - Lyndon Baines Johnson : président des Etats-Unis de Novembre 1963 à Janvier 1969, à la suite de John John Fitzgerald Kennedy assassiné dont il avait été le rival aux primaires, puis le vice-président – il est aisément contre l’extrêmiste Barry Goldwater et décide de ne pas briguer un second mandat pour faciliter la négociation de paix au Vietnam qu’il a eu le mérite historique de faire ouvrir en Mars 1968 (et de situer à Paris)

[6] - Harold Wilson, travailliste britannique : Premier ministre à deux reprises de 1964 à 1970, puis de 1974 à 1976 – il doit affronter l’indépendance unilatéralement proclamée par les colons de Rhodésie du sud, puis assumer l’entrée de son pays dans le « Marché commun » qu’il n’avait ni négociée ni même souhaitée  

[7] - toutes ces correspondances sont perdues faute d’avoir veillé, à la mort de ma mère en Novembre 1992, à régler le garde-meuble où étaient entreposés mes affaires, livres et papiers d’enfance et d’adolescence – je n’ai conservé que ce que j’ai accumulé et qui m’a suivi à partir de ma première affectation à l’étranger, soit depuis Septembre 1975 – exception ces cahiers manuscrits

[8] - Henri-Fournier, Le grand Meaulnes

portrait d'une reine

journal intime d'il y a cinquante ans

l'exception au cinéma - Saint-Laurent

mardi 21 octobre 2014

journal intime d'il y a cinquante ans


                     Mercredi 21 Octobre 1964


En huit jours, bien des choses se sont passées.. J’aurais dû écrire plus tôt tout ce qui se presse dans ma tête et dans mon cœur. Mais à vrai dire, mes hésitations, mes doutes, mes joies, mes enthousiasmes se ressemblent, dans un si court laps de temps.

Réacclimatation difficile à Paris, les premiers jours. Impression favorable de la maison : organisation matérielle et situation affective. Impression d’oisiveté. Pour peu que je me laisse un peu aller, le « spleen », le dégoût, la grisaille m’envahissaient. Mais Dieu m’en protège. A quoi bon se laisser aller. Une vie se vit : mieux vaut pagayer dans le sens du courant, que de se laisser entraîner par lui. Car en pagayant, on domine le courant d’une certaine manière, puisqu’on le devance un peu.

Vu François de L. cet après-midi. C’est un peu une pénitence que la Providence m’impose. Comme cette Troupe me paraît déjà lointaine et étrangère. Dieu m’aidera-t-il à me détacher davantage pour que je l’aime – surtout dans ses membres – encore plus.

Chambre vaste et spacieuse. J’ai un peu peur du confort, et pourtant ne pas aimer richesse plus que pauvreté dit Saint Ignace. Quelle joie si cela peut m’aider à merecueillir, à accueillir d’autres, et d’abord frères et sœurs.

Sorti avec Philippe de P. hier soir. Vu les amitiés particulières. Le jeune héros est bien émouvant (m’a fait penser à certains moments à Xavier D.).  J’ai un peu vécu cela (en imagination, car j’étais dans dans un externat) avec Xavier C. et peut-être d’autres. Au fond, une forme de l’amour, que les adultes ne comprennent pas, et qu’ils avilissent en révélant aux enfants les dangers qu’ils courent. Azu fond, ils projettent leur monde d’adultes dans le monde de l’adolescent. C’est grave. Et c’est surtout injuste. Pourquoi le monde est-il dominé par les « adultes ».

Longue conversation en revenant sur les quais. J’ai fait un peu avec lui le point de toute ma vie présente, et de mes découvertes de cet été et de Carcassonne.

Il m’a appris qu’il pense à une jeune fille. Rencontre dans plusieurs soirées depuis un an. Revu, et vu sous un  tout autre angle, samedi dernier. Est-ce le bonheur qui se prépare pour lui ?

Reçu au courrier de ce soir, une lettre de Michel. Il ne m’a pas paru très naturel. Un peu trop d’angélisme. Mais c’est bien normal, alors qu’on est dans une si grande joie. Faire cependant qu’il ne perde jamais « le lait de la tendresse humaine » [1]. De toutes façons, je dois faire confiance à la Providence, qui le mènera où Dieu veut. Qu’il deviuenne chaque jour une image toujours plus nette de la vie donnée qui l’anime et qu’il a découverte en lui et dans les autres.

Dimanche dernier, premier contact avec Saint-Philippe du Roule. Bon sermon sur «  la vérité ». Mlundi, j’ai été me casser le nez aux Complies des Pères Dominicains. Avaient déjà eu lieu. Récitation que je n’ai pu m’empêcher de trouver monotone, du chapelet. Où sont les offices de Solesmes. Mais, tout n’est-il pas louange de Dieu.

Lu le grand Meaulnes d’Alain-Fournier. Frappé par : « Je leur enseignerais à trouver le bonheur qui est tout près d’eux et qui n’en a pas l’air … »  (on pourrait croire cela extrait de la Sagesse). «  Ah ! Frère, compagnon, voyageur, comme nous étions persuadés, tous deux, que le bonheur était proche et qu’il allait suffire de se mettre en chemin pour l’atteindre… »

* * *

Une des transformations les plus profondes qui s’est opérée en moi depuis trois ans, et dont je n’ai pris conscience qu’à Carcassonne, est que je crois au bonheur. Que je suis sûr que le bonheur est possible, que je suis voué au bonheur, et que dès aujourd’hui je suis heureux puisque je suis aimé de Dieu, et que je cherche Dieu, et que Dieu veut mon bonheur, mon plein épanouissement, et aussi le bonheur de tous ceux que j’aime, et aussi de tous ceux que je n’aime pas, parce que je rbefuse de les connaître. J’ai la certitude que nous sommes faits pour le bonheur, que le bonheur est possible. (Philippe me disait hier soir, que cette certitude était assez rare à notre époque. Peut-être…)

J’ai pris conscience à Carcassonne que les différentes jeunes filles que j’ai cru aimer parce qu’elles avaient envahi ma pensée, et faisaient tressaillir mon coeur et mon corps, n’ont été en fait que des  passions successives, des désirs inavoués pour de nombreuses raisons (voulues par la Providence). Que je n’ai pas connu l’amour, car je n’ai pas encore aimé une jeune fille, sans chercher la réciproque, sans vouloir la capter, sans vouloir la capturer, exiger qu’elle se donne à moi, alors qu’au fond de moi-même je n’étais prêt vraiment à me donner, à me déposséder.

Que l’absence survienne, et le désir se calme. Ainsi en rest-il de Catherine C. Au fond, j’ai identifié l’ennemi. Cela ne veut pas pour cela que j’ai vaincu. Au contraire. Mais je suis victime : « je suis l’esclave de mes passions » (vg. désir effréné de mon séjour à Saint-Tropez, aujourd’hui éteint). L’amlur se construit patiemment. Certes au départ, il erst passionné. Mais au cours des années, il doit devenir gracieux et gratuit.

J’ai aussi découvert, que si Dieu veut que je me marie, et que je Le cherche, avec l’appui d’une femme, et de mes enfants, je n’aurai pas trop de mal à trouver. Car au fond, beaucoup de jeunes filles me plaisent infiniment, 10 ou plus, c’est beaucoup… (Evidemment, je mets Viviane à part). Je suis très sensible au charme féminin. Mais je cherche trop à posséder, et je m’enferme dans un cercle vicieux.

* * *

Pendant ces journées de Carcassonne, j’ai vécu comme si ma vocation ne faisait aucun doute. Du moins, c’est l’impression que j’ai eu avec un peu de recul. Et c’est peut-être ce qui a sous-tendu ma joie, et la facilité avec laquelle j’ai pu contempler Dieu, et Le trouver à presque tous les instants.

J’ai eu un long entretien avec Maman samedi dfernier au sujet d’une vocation possible. Je ne sais – je ne me rappelle plus comment a été amené cet entretien. En tout cas, ce qui est nouveau depuis quelques mois, c’est que je parle de tout cela à Maman. Peut-être Dieu prépare-t-il aussi le terrain autour de moi.

Et pourtant comme je suis infidèle. Comme ma prière est irrégulière et bâcvlée depuis mon retour à Paris. Du coup, la liturgie reprend un sens nouveau. Elle est un souitien indispensable de la prière. Sans elle, et toutes les structures spirituelles, que nous impose maternellement l’Eglise, combien nous sombrerions vite.

Je suis toujours incertain de ma vocation. Tantôit, il me paraît tout à fait invraisemblable que Dieu m’appelle, étant donné ma vie passée (qui peut être probante aussi bien pour que contre), mes défaits, mon attirance vers les jeunes filles, la réaction de Maman, mon incertitude elle-même, l’avis de Boyau [2], tantôt au contraire, le seul de réaliser l’inanité de ces raisons, de pressentir tout ce que ma vie aurait d’incomplet et de raté sans cet appel de Dieu et ma répoonse définitive et positive, me fait croire que Dieu m’appelle.

Je suis en pleine incertitude. Mais je sens de plus en plus qu’il va falloir que j’en sorte. Pas encore tout de suite. (C’est ainsi que je n’envisage un séjour à Solesmes qu’avant Noël, et non pas maintenant où j’en aurai pourtant le temps). Il n’est pas l’heure de répondre. Mais je suis sur que lorsque cette heure sonnera, alors ma réponse impliquera un appel, et que cet appel me fera entendre, irrésistiblement, comme il s’est déjà fait entendre plusieurs fois dans ma vie, sans que je puisse faire autre chose que d’écouter, puis de coruir éperdu, à la trace de ce musicien tôt disparu.

J’attends, et pourtant le désir de la vocation grandit en moi. Ce désir est-il bon ou mauvais. Peut-être est-il bon, dans la mesure où c’est au fond le prélude à tout amour, même divin.

N’importe, je vis parfois la phrase de Merton «  car ce désir me torturait, par opposition au désespoir soudain qui faisait rage au plus profond de mon cœur : je me trouvais tout à coup en face d’un doute horrible, d’une question à laquelle je ne trouvais pas de réponse : Ai-je réellement la vocation ? »


* * *

A vrai dire en ce moment, seul compte la joie de connaître le Christ (et aussi le sommeil qui m’envahit).

Dans la longue lettre que m’a écrite André [3], j’ai été frappé par le fait qu’il remette en cause (au moins intellectuellement) sa vocation, ou plutôt qu’il choisissait à nouveau, qu’il répondait à nouveau oui. Cela ne devrait pas m’étonner. Mais lorsqu’on regarde quelqu’un vivre, si intensément cela, on est un peu bouleversé et stupéfait.

Dans les quelques lignes que m’a adressées Michel, j’ai relevé ces mots, qui montrent combien il progresse vite, et combien sa vie spirituelle s’approfondit et s’eenrichit, grâce à Dieu. (C’est exactement ce que dit Merton de l’humilité dans les chemins de la joie) : « … car nous sommes humbles de notre orgueil-même ».


* * *

Demain, je passe la journée à Chasillé, avec André. Bien près de Solesmes. Une journée de grand air, d’affection humaine. Que de richesses à découvrir. Faites, Seigneur, que je vous cherche avant tout autre chose, avant tout autre être. Car Toi seul est Dieu.

A l’avenir, prendre plus souvent des notes, plus régulièrement, quand j’en ressens la nécessité. Ne pas écrire, quand je n’en ai pas envie. Mais me forcer à écrire quand je sens qu’il le faut. Sinon ce cahier qui doit m’aider à parcourir cette étape de transition et de mutation, ne sert de rien. [4]

+ [5]

Seigneur, je t’offre mon besoin de prier. Je t’offre mon manque de prière. Je t’offre, mon sommeil, mes joies humaines, ces joies que tu as vécues, il y a 2000 ans, et que tu revis en moi.
Seigneur, protège la rencontre que je vais faire avec André demain.

Seigneur, que Ta volonté soit faite. S’il te plaît de me rappeler dès demain ou dès ce ssoir à Gtoi, peu importe. Que je T’aime. Que Tu me donnes la force de T’aimer, de ne jamais détourner mon visage de Ta lumière. Donne-moi de respecter les autres, pour respecter le plan que Tu as sur eux. Seigneur, j’ai confiance en Toi. Fais de mon Ton fils.



[1] - Michel T. de P. va prochainement entrer dans la Compagnie de Jésus, noviciat à Saint Martin d’Ablois, en Novembre 1965 – l ’expression est d’Alfred Fabre-Luce
[2] - François Boyer-Chammard, Jésuis, aumônier des « terminales » à Saint-Louis de Gonzague, demeuré mon « père spirituel » tout le début des années 1960 de ma sortie du collège en Juillet 1960 à mon départ en Mauritanie en Février 1965, pour y accomplir le service national
[3] - André L. de deux ans mon aîné, ami de Franklin et de la troupe scoute 119-121ème Paris, se fera franciscain et sera ordonné prêtre par Mgr. Renard, évêque de Versailles. Je ne le revis plus ensuite et il est mort à je ne sais quelle date depuis plusieurs décennies, ayant – ai-je cru comprendre – quitté sa congrégation sinon même l’état de vie religieuse et sacerdotale. Comme celles de Jean-Claude C. et de Michel T. de P. j’ai suvi par leurs confidenecs fréquentes et selon notre intiumité mutuelle, le cheminement de leurs vocations respectives, mais pas ce qu’il en advint ensuite

[4] - premier journal tenu régulièrement et sur un cahier d’écolier, depuis le 30 Août précédent – manuscrit, alors que je me présente au concours d’entrée à l’Ecole nationale d’administration, sans la « prep. ENA » alors couramment suivie par les candidats, dont beaucoup de mes aînés d’un an ou deux depuis Saint-Louis de Gonzague et les Jésuites

[5] - croix scoute