lundi 12 septembre 2011

moi quand je ne suis plus

un ciel traverse là où j’ai levé les yeux
il est fait du mutisme et de nuages
sans forme que le déplacement
de couleurs sans netteté que
de la pâleur et de l’hésitant.

la ville, non loin du muret qui m’adosse,
a des bâtiments dans ma mémoire
mais aucun dans mon regard.
elle a des bruits par allées et venues
de ce qui la peuple sans y loger,
elle attendrait si elle savait,
des moteurs la font gémir,
des passants la font dire
sans qu’elle vive.

des voix ne font qu’un mot plus
monotone que les raideurs sonores
de tant de machines domestiques

assis, des pieds devant moi,
ce sont les miens selon toute vraisemblance,
les cuisses offertes à poser un livre blanc
très petit, à titre rouge,
je vis l’aventure de cet instant
celle qui n’est ni lecture ni écriture ni surprise
je me rencontre avec un autre essayeur
dont le thème est plus réussi que l’écrit
mais qui apporte le possible de l’existence
la réalité d’une pénétration sans invasion

la rencontre est sans lieu ni temps ni matérialité
les mots tentés que je relis
après qu’un autre les ait écrits
me reprennent et ne me déplacent pas
ils m’enlèvent les qualificatifs
ils m’oublient
et je vais droit à mon cœur,
au centre vif de ce que je je suis
et qui a nom amour, bonheur,
naissance, passage à une vie
dont l’éternité m’est connue
chaque fois que j’approche de la vérité

la grande aventure se taira
comme elle avait gardé le silence
jusqu’à ce que je lui ménage cet instant
elle me sait docile que par surprise
elle me prendra dans ses dimensions
elle m’invitera à danser d’intelligence
de baisers fous et de prière
elle m’agenouille et m’ouvre
elle me redira où la rejoindre
elle m’avait attendu
elle ne me quittera pas
elle s’appelle moi quand je ne suis plus

elle me permet de penser à toi
sans plus essayer de te nommer
elle ressemble à Dieu dont elle ouvre la porte
elle a visage de toute chair
corps de toute âme
esprit de toute divination
quand le pressentiment de l’absolu
trouve grâce pour dissiper ma cécité
et me donner à voir ce qui est tout


à Vannes, fin d’après-midi du lundi 12 septembre 2011, entre patinoire et gymnase, dos à leur mur de séparation

mercredi 7 septembre 2011

toi : la mer, et moi - plage de Bétahon

Devant la mer,
dans l’existence,
leurs bruits, pas une rumeur,
mais une continuité de sons,
chacun évoquant des masses et des renversements,
des lignes et des heurts.
La répétition fait cette immobilité
qui est sans arrêt.

Si je lève les yeux, c’est-à-dire : tête et visage,
et que je m’offre au ciel,
le vent change de caresse,
le bruit devient ambiance,
l’image dissipe la distinction que
je faisais des sons.

Ici à contre-jour,
à contre-soleil, à contre-mer,
à contre-reflet, à contre cette absence
de couleur qu’est le gris et sa luisance,
ses moires, ses lignes, ses ondulations,
ses déplacements,
tout est silhouette.
Des cris d’enfants, des mots en fragments,
des pleurs ou des ordres
ne dessinent aucun texte, n’élèvent aucun décor.
La mer ne dépose ni écran ni écume,
elle se retire et avance de très peu,
elle n’est que présence et mouvement.

Devant elle, corps semi-plié en position assise,
je suis plus matérielle, minéral, lourd
que les eaux de toujours,
bien plus disjoint, bien moins cohérent
que cette masse de mer, d’océan
qui n’ont ni frontière ni limite,
qui occupent tout ce qui est à leur niveau.

Mer d’ici, mer de là-bas,
mer d’hier et de maintenant,
tu as presque l’éternité devant toi
et derrière toi.
Les dimensions n’existent pas,
tu enveloppes planète et vie,
toi et ton frère le vent,
seuls à bruisser en permanence.
Je suis lourd, compact.
Je meurs si l’on me fend ou l’on me perce.
A toi, c’est indifférent,
mon visage et mon corps s’affaissent,
les couleurs de mon enveloppe de peau
changent peu,
les tiennes sont multiples, tu es chacune,
tu te ressembles, mais ce que tu répètes,
murmures, à ton rythme si léché,
est l’écho d’un moment,
à l’arrête de la laisse de mer
ton insistance à produire, reproduire,
continuer, revenir.

Je ne cesse, tu cesses,
cela se voit de moi,
cela se sait de toi,
dans ce moment de notre face à face
Je jouis de toi
que tu m’occupes si totalement
à te regarder.

Serais-tu suprême, ô mer d’ici,
de là-bas, d’autrefois, de demain
sans doute,
refuge depuis le rivage,
je t’ai peu pratiquée.

Je ne sais pas ce qui envoûte,
ce que je comprends, entends, lis
mais qui se dit de moins en moins.
Les défis ont remplacé les marins,
le plaisir et les guerres ont remplacé
avec du métal ce qui t’était confié
en bois,
les bateaux de mon enfance
sur papier à petits carreaux,
ne sont jamais devenus mon métier.

Je ne te connais pas : mer,
je ne te connais qu’en tableau
tabdis qu’un goëland longe ton épousaille du sable,
il glise mieux en l’air ou sur terre,
il te suit en largeur,
l’horizon est la longueur,
est-il toujours à la même distance
ou, dans tes versions de mer autrefois
qui pour toi ne change rien,
était-il – l’horizon – aussi proche
devinant ce qu’après, au-delà,
on verrait du vide
de quoi ?

Quel versant me révèles-tu ?

Le soleil reste d’argent
flamboyant avec un centre d’acier
et du poudroiement raide de sa couronne.
Tu en prends le reflet,
tu l’apprivoises, tu le roules à ma portée,
tu l’étales sur tout,
il devient avec toi un chemin du sable
à un cap.
Tu as su laisser une marque,
ajouter une traverse d’ombre mate.


Il me semble que la frontière proposée par toi
et le camailleu de sons,
tu t’y répands avec plus de variances,
tu es déserte mais tu parles,
sans doute avec une grande lenteur
pour qu’aucun mot ni verbe
qu’une phrase immense éperdue
dont je ne devine pas le commencement
ni le final,
ne me heurte.

Tu ne t’adresses à moi ni à personne,
tu n’enveloppes même pas,
tu n’es que présence.

plage de Bétahon, fin de l’après-midi du mercredi 7 septembre 2011