mardi 31 janvier 2017

chapitre conclusif de mon livre en gestation - manquent encore cinq portraits

critiques et suggestions bienvenues - b.fdef@wanadoo.fr




Testament d’un encore vivant
grâce à d’autres que lui






Je me confie à vous, plus encore que dans tout le corps de ce petit livre. J’ai eu grand mal à l’écrire. Ce que je tente de vous dire, je le ressens en vous autant qu’en moi, les mots nous manquent, le regard et le désir sont là. Nous savons que maintenant la conclusion nous appartient. Précisément parce que nous plus déléguer à qui que ce soit la responsabilité de la suite. Nous avons expérimenté qu’un seul est insuffisant, qu’en votant pour lui, nous le livrons à lui-même. Il en fait les frais : Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et maintenant François Hollande nous l’ont répété, et nous en périssons. Même plus vagabonds ou désespérés d’opinion. Déjà inertes. La conclusion nous appartient, le changement n’est pas un programme, il est la volonté de faire la décision, de l’imposer à nos mandataires, de nous l’imposer à nous-mêmes. Le ressort de la suite française est cette résolution. Et nous avons ensemble compris que cette suite est européenne, et réciproquement. La rencontre en Allemagne de celles et ceux qui le nient est sans doute bien ajustée puisque la fragilité de nous tous, natifs de ce Vieux Monde, de ces vieux pays, de ces peuples anciens tellement civilisés, tellement riches, chacun tellement subtil, est actuellement celle des Allemands comme souvent. L’économie puissante, la longévité et la collégialité au gouvernement depuis davantage de temps que partout ailleurs en Europe. Si les négationnistes l’emportent du Rhin à Berlin et à l’Oder, la partie pour notre suite à tous, sera plus difficile mais plus évidente, car la réunion de celles et ceux qui nient a le résultat mathématique que même les enfants connaissent.

Je n’ai pas peur car je sais qu’au pied du mur, il y a partout la résolution. Et maintenant nous avons l’expérience dans chacun de nos pays de ce qu’est, de ce que peut être l’illusion du refus. Mais le refus ne doit pas être le refus des négationnistes, et de leurs accompagnants jouant d’eux pour se faire choisir et gouverner solitairement un pays, des peuples qu’ils croient chacun solitaires. Le refus que continue notre enfoncement dans la tolérance du vide des gestions collectives, du nihilisme des dispersions de nos patrimoines de toutes natures, est éclairé, motivé. Il porte des structures de conduite tous ensemble.

Sans raison, par instinct ? j’ai cru en François Hollande quoi qu’il se soit présenté à nous tous les votants, les Français, sans passé, ni exploit, ni légitimité. Je réalise que ce vote d’il y a cinq ans était adulte, pas seulement le mien, mais celui de millions d’entre nous. Nous n’attendions ni sauveur ni salut. Nous commencions de réaliser que la politique – et je le constate de plus en plus maintenant, l’entreprise surtout, qu’elle soit individuelle ou de taille et d’enjeu considérables – n’est pas l’affaire d’un seul, qu’elle est profondément collective, qu’elle est d’essence collective. Pas parce qu’elle est la gestion du grand nombre et de beaucoup de sujets, d’affaires, de dossiers, de circonstances – prévisibles, imprévisibles – mais parce qu’elle n’est vraiment possible que portée à tous, par une réflexion commune, par une ambiance que nous créons à tous et qui devient l’esprit d’une entreprise – celle-ci au sens économique et financier – mais aussi d’une entreprise au sens de l’aventure qui a sa date de commencement et sa date d’aboutissement. Et cela ne s’est pas fait, nous avons laissé faire.

J’ai essayé – avec vous qui avez bien voulu m’accompagner de mes premières lignes jusqu’ici – de présenter des antidotes, de les évaluer. Il nous faut les choisir et prendre toutes ensembles. J’ai longtemps cru à la conversion de l’élu d’il y a cinq ans, conversion par intelligence. Les circonstances ne faisaient pression que lentement, les éphémérides de l’impuissance et de l’échec faisaient une chaîne chronologique atterrante mais ne nous liaient pas encore. La leçon – je ne sais si François Hollande l’exprimera lui-même, je le lui ai demandé après tant de suggestions au jour le jour ou presque depuis son investiture par son parti d’origine – est la péremption des anciennes manières d’exercer le pouvoir.

Pendant quatre vingt dix ans, autant dire un siècle, la France s’est gouvernée, sauvée, perdue, reprise selon une commission parlementaire appelée gouvernement. La mûe apportée par le général de Gaulle n’a pas été la mise au goût du jour de notre ancienne monarchie, faussement interprétée comme une autocratie alors que fondamentalement elle avait toujours été le respect et la culture référencée du bien commun. L’élection du président de la République au suffrage au suffrage universel direct a été la première étape d’une remise de la décision, autant dire même du pouvoir, à nous tous. Nous en sommes restés là, malgré les efforts des premiers successeurs du fondateur.

L’existence humaine est une relation, avec nous-mêmes, avec les autres, nos frères de condition, nos analogues. Le cœur de chacun est un mystère, davantage encore pour lui-même que pour les autres plus libres de considérer, du dehors, les entraves et les possibilités de l’envol.

La relation, j’ai eu la chance très répétée dans ma vie, de l’éprouver avec des hommes, des personnalités dédiées à la politique. Trait commun : considérer la politique comme le mystère et la responsabilité d’un peuple que l’Histoire désigne pour être et demeurer un peuple, moyennant à chaque génération sa propre réévaluation et le consentement à lui-même et surtout à l’espérance et aux moyens d’être encore plus lui-même. Le politique n’est pas discursif, il est la conscience de beaucoup.

Je le dirai plus clairement – je crois – en disant les dettes de ma reconnaissance. Je le fais brièvement, devant vous, même si vous ne les avez pas connus, même si peut-être, puisque l’amnésie caractérise aujourd’hui commentateurs, présentateurs autant que les acteurs dont ils sont les faire-valoir. Ce va être ma conclusion. Tous ont physiquement disparu. Aujourd’hui, pourtant, ils existent et me structurent, puissè-je vous faire ressentir qu’ils sont disponibles pour tous, et qu’en sus nous pouvons chacun en rencontrer d’autres mais du même bois, du même esprit, de la même fidélité à autre qu’eux-mêmes et leurs biens. Nos aïeux certainement, nos enfants – je l’espère, et gratifié tellement par notre fille, je le crois – ont fait, pourront faire ces rencontres, et même ont été et seront de celles et ceux que j’ai rencontrés. Car je n’ai rencontrés que quelques-uns, mais ce fut pour tous.

Aujourd’hui [1] où je finis de vous écrire, après plusieurs tentatives, depuis l’automne de 2013, toutes fondées – par une erreur tenace que je croyais la simple et nue espérance – sur la possible, probable, logique conversion d’un président revenant à des convictions et donc à des jugements répondant aux circonstances sans s’en laisser imposer par celles-ci, nous répondant finalement parce que son propre recours contre lui-même serait de nous écouter… aujourd’hui, maintenant que tout a disparu des vieux usages et des vieux rites, même s’ils paraissent encore en scène, c’est le vote entre gens se reconnaissant de gauche pour choisir quelqu’un qui… Ils sont courageux, aucune chance d’aboutir selon les rites anciens d’une élection et d’un nouveau quinquennat. La primaire d’autres n’a été que la trouvaille d’un chef par élimination [2]. Enfin, il y a eu des initiatives et du spectacle, et la redite d’un diable utile à tous les professionnels y recevant la fonction de sincère sauveur. Aujourd’hui, du civisme. Et ce même jour, le dixième anniversaire de l’Abbé Pierre, les réflexes qu’il raviva tant de fois. Je l’ai connu et accompagné au plus crépitant et douloureux d’une méprise qui s’est appelé « l’affaire Garaudy » : une autre forme très achevée du négationnisme. , comme d’ailleurs pour la cause des extrêmistes d‘aujourd’hui, ceux d’Europe, autant que les égarés du djihadisme ou les soutiens de Wladimir Poutine et maintenant de Donald Trump, il y a du vrai et de la lucidité à l’origine de ce qui deviendra, est devenu un odieux parcours. L’Abbé Pierre, une solitude, un secret spirituel, un tempérament s’exorcisant eux-mêmes par l’obsession des autres faite d’une empathie avivée par le scandale. Un homme-cri. Coincidence des dates, au lendemain d’un anniversaire, celui de l’événement sans doute le plus symbolique de notre histoire nationale, l’exécution capitale du roi. Nos crises de légitimité – nous en vivons une de plus – nous font, font la France.

Et ce sont des hommes et des femmes qui nous l’apprennent, souvent rétrospectivement, faute que beaucoup puissent vivre dans l’intimité de ceux qui affrontent et résolvent – bien ou mal – ces crises. Ressentant vivement celle où nous sommes depuis une grande décennie, sans la qualifier, sans poser de diagnostic, j’ai voulu que François Hollande sous la forme qu’il aurait voulue organise ma proximité avec lui. En annexe à ce que je termine de vous écrire, vous trouvez ma proposition. Elle n’a pas, en cinq ans, reçu seulement un accusé de réception ou quelqu’indication qu’elle ait été sinon examinée, au moins lue. Qui y a perdu ? Sans être de ses collaborateurs, j’avais été admis à l’audience, à la conversation – quelques fois – et à la correspondance de François Mitterand, ce qui eut parfois quelque résonnance dans les faits et décisions de ses quatorze ans de règne. Même avec Valéry Giscard d’Estaing, que je suivais et critiquais dans la presse nationale, j’eus un dialogue indirect : je savais ses réactions à mes articles et son conseiller personnel me recevais. Je n’ai donc pas cru déplacé quarante et trente ans plus tard de le demander à celui qui n’est plus qu’un président manqué. Même si d’autres suites lui restent possibles, dont celle de participer à la refondation, en France, d’un socialisme de gouvernement. Ce que ne contient pas forcément une arrivée au pouvoir d’un représentant du Parti de ce nom. Il est vrai que ce mouvement de refondation après le probable échec à cette élection-ci a commencé depuis les « primaires de la gauche ».

Ce que je tente n’est pas de ce registre, et ne dépend pas de la personnalité qui sera à l’Elysée à la mi-Mai 2017. Vous l’avez compris. Porter votre voix autant que la mienne, et de tant d’autres de nos compatriotes qui le voudront, pendant tout le quinquennat à venir.

L’Abbé Pierre [3], une gloire nationale, dont je suis l’unique intime quotidien pendant quelques semaines, pendant la courte mais intense opprobre, qui m’a fait aller à lui, à sa rescousse. Simplement. Ses mises à l’écart des médias par les siens, apeurés, craignant l’amalgame, le fiasco d’une entreprise et d’une sainteté, d’une ingéniosité aussi depuis cinquante ans. Mais d’autres – davantage dans ma vie – à la notoriété plus précaire ou moindre pour des raisons ne tenant pas à eux, mais à nous. J’ai envie de vous dire ces autres puisqu’ils m’ont appris, que les ai aimés et qu’ils m’ont, je le crois, estimé. Sans doute par affinité et aussi par la conscience que je leur donnais de me donner – oui – beaucoup plus qu’eux-mêmes ou des récits et témoignages.  D’eux à une époque de ma vie où j’allais moins à la recherche de ce que le passant, l’inconnu, par hasard, dit de tout et de notre pays puisque je le salue et qu’il m’a inspiré de le saluer, n’importe où, n’importe quand, lui au pluriel, masculin ou féminin. De ces personnalités, plus ou moins illustres, j’ai appris, en un système qui se construisait d’une recontre à une autre, la vien politique, le politique, dans son acception sociale, selon la société que forme une nation quand elle est mentalement encore unitaire, et la vie dans ce qu’elle porte sur une femme, un homme, vous, moi, d’ombre ou de lumière. Des rencontres qui – vous les disant – me présenteront finalement à vous, bien davantage que les exposés et intuitions qui les ont longuement précédés. Que vous me confiiez réciproquement les vôtres, librement, me passionnera. Je crois qu’alors nous serons, ensemble, à la racine des événements et des motivations de notre époque, de ce que nous voulons et vivons pour notre pays. Quelles que soient ces rencontres, leur date, leur thème pourvu qu’elles vous aient ajouté quelque chose ou fait prendre conscience de quelque chose. Et ce « quelque chose » n’est- ce pas les autres quand ils nous semblent exemplaires et nous entraînent, au moins à leur intensité d’action, de réflexion, de fidélité, ces autres-là dans nos vies à chacun, la vôtre, la mienne, garantissent que nous pouvons agir, réfléchir et porter – au moins potentiellement ce qui nous rend exigeant au moment des choix, notamment électoraux – des pensées et des réalisations.

Vous avez bientôt soixante quatorze ans, enfant vous vous êtes passionné de héros, les plus simples et alors populaire, leur histoire dessinée sobrement et racontée sans effroi ni effet. Le journal Tintin, par abonnement depuis le numéro 120 – collection perdue par ma faute, faute d’avoir entretenu un garde-meubles de notre relation quand ma mère nous quitta. Des aventures tout aussi étonnantes, mais vraies, des personnages de notre vie nationale, les albums au très grand format, ceux de Job [4], nos vrais ancêtres d’esprit, leur legs de toutes époques est encore notre patrimoine.
Les Hansi, aussi pour la plus emblématique de nos provinces. Puissent nos années actuelles en allonger la liste. Cela ne se discerne pas. Peut-être manquons-nous d’outils pour les reconnaître ? nos héros et fondateurs d’aujourd’hui. Vous auriez pu être moi, questions d’années de naissance, de lieux, ou bien je pourrais, ayant le double ou le triple de votre âge, être votre, votre grand-père, tandis que vous cherchez – peut-être – ces héros et fondateurs que ma génération avait encore si couramment en images. Alors ceux d’aujoud’hui ?

Voici les miens. Ils datent de quelques années à peine et ont quitté ce côté de la scène auquel nous introduisent les levers de rideau. Ils m’habitent chacun : inégalement selon notre degré d’intimité, la durée aussi de notre relation, mais ils m’habitent, me portent et si je peux entrer en campagne officielle, je leur rendrai leur officialité. Leur notoriété est encore frémissante. Parce qu’elle résultait d’une vérité d’être. Evidente pour beaucoup ou seulement pour moi. La valeur et l’apport fondateur de qui que ce soit ne sont pas quantifiables, mais estimables.

Le premier ne m’apparaît d’abord qu’à raison de son pays. Apparemment, ce n’est pas ou plus le nôtre quand vient à moi, dès que j’ai été introduit dans un bureau de grandes mais pas excessives dimensions, sans décoration, que des baies vitrées : au- dehors sur quoi elles donnent, le désert, la façade occidentale du Sahara limitant la Mauritanie par l’Atlantique. La République Islamique, un de nos territoires d’outre-mer, est indépendante depuis à peine plus que trois ans et le président Moktar Ould Daddah [5], un sourire d’âme et de tout le visage comme si une relation de près de quarante ans, l’habitait déjà et qu’accueillir le jeune coopérant était plutôt des retrouvailles. Ce l’était, je crois, pour deux raisons dont il ne me donna qu’une, l’autre j’eus à la deviner. Je n’avais pas encore vingt-deux ans, il en avait sans doute quarante-cinq [6]. Etudiant très tardif en France, le baccalauréat à plus de trente ans, la même faculté de droit, à Paris, que celle dont j’arrivais, pas dix ans d’écart entre nos vies d’étudiant. Son sourire était d’abord celui d’un frère de race mentale, l’utilité d’une méthode de travail et de penser. Notre ressemblance fut immédiatement dans la manière d’envisager l’application de ce qui nous avait été enseigné. Il fondait donc, depuis peu un Etat-nation, c’était son mot. Un Etat dont la France, mon pays, la métropole du sien pendant une petite soixantaine d’années, avait laissé le projet. Une nation encore latente mais dont il avait la vue intérieure, la nécessité et la logique historiques intensément présentes en chacun de ses propos, à moi comme aux siens, collaborateurs, ministres, élus et chefs divers, peuple entier, partenaires étrangers : français, africains, puis arabes, puis de toute la planète. Il me dit donc cette raison, apprécia mes diplômes si la scolarité à l’E.N.A. que je n’avais pas encore commencé en est un, et m’écouta avec un bonheur évident luis exposer que l’enseignement dont j’étais chargé m’avait paru peu utile si je devais que réciter mon pays et mes études, qu’en revanche étudier le sien et les modalités de ce que lui-même entreprenais mais avec mes outils d’étudiant en haute administration générale de la France, me paraissait plus utile à mes élèves, futurs dactylographes garçons et filles de quinze-dix-huit ou fonctionnaires d’autorité déjà très expérimentés à des réalités dont je n’avais pas la moindre idée. Une thèse de droit public donc documenterait mes cours, le président de la jeune République me donnerait les introductions et autorisations ne dépendant dans la pratique que de lui, et nous dialoguerions ensemble ce que j’entreprendrai le lecture et de copie : il m’en donnerait la chair et les explications, les logiques humaines et occasionnelles. Cela ne cessa plus tant qu’il fût en vie. La mise en forme de ses mémoires manuscrits à la rédaction desquels je l’avais pousé dès que commença chez nous son exil, après vingt-et-un ans d’une fondation exceptionnelle de morale, de sérénité et de longueurs de vue.

L’autre raison, je l’ai comprise tard. Maurice Larue, administrateur de la France d’Outre-Mer, dirigea le cabinet du jeune président-fondateur dans les premiers jours de l’indépendance vis-à-vis de nous. La relation de travail, d’amitié certainement mais non explicitée, fut décisive et apaisante pour un homme d’Etat, forcément seul dans un contexte sociologique peu propre au sens du service public et dans la rareté d’une ressource humaine nationale qualifiée. Je lui ressemblais. Le DC4 qui s’écrasa sur la Sierra Nevada espagnole, en Octobre 1964, fit disparaître une grande partie des personnels de l’assistance technique et de leurs familles respectives, vivant en Mauritanie. Il me fut dit que le Président resta, comme hébété, plusieurs jours. Revenait-il avec moi, ce serait bien immodeste et ce ne me fut pas dit par Moktar Ould Daddah. Partager ensemble sa passion d’expliquer et justifier ce qu’il faisait et projetait, ma passion d’apprendre ce qu’est un pays, ce que doit être son Etat, ce que sont les contingences de la politique, nous l’avons vécu au point que se constitua pour moi le point de vue suivant lequel regarder tout peuple, tout Etat, et même tout grand homme public. Et il en resta ensuite, fortement, ma conscience d’avoir à témoigner de qui j’ai vu et entendu l’effort pour son pays. Avant de Gaulle, immuable au milieu des années 1960 et à notre première pratique de l’élection présidentielle au suffrage universel direct, Moktar Ould Daddah m’inculqua, me montra le sens du politique.

La démonstration était perceptible parce que tous éléments de mise en pratique de ce sens existaient à une échelle que je vivais, que j’ai vécue à chacun de mes séjours en Mauritanie, d’abord quatorze mois, puis le plus souvent quinze jours-trois semaines. Voyant « tout le monde », les ministres, d’anciens ministres, les opposants, des jeunes, à Nouakchott, pas vingt-mille habitants en 1965, peut-être cent mille dix ans plus tard, sans doute le million aujourd’hui. « En brousse », accompagnant le président de la République, secrétaire général du Parti, le DC3 « avion de commandement », la jeune femme en mellafa nous donnant les indications de vol à l’oreille dans le vacarme du bimoteur, tous les passagers en bou-bou, le haouli marron clair du Président, que Mariem a bien voulu me donner à sa mort. Le gisant du Val-de-Grâce, Octobre 2003, l’homme encore très jeune, Avril 1974, aimant que tel notable, le soir entre nous après les accueils, le discours aux « camarades militantes et militants du Parti du Peuple mauritanien », le fasse rire, presqu’aux larmes. Après les réunions de cadres ou les réjouissances gastronomiques et littéraires, le hassanya qui est doux et varié à entendre. J’apprenais de cet homme le lien avec son pays,  avec ce peuple composite, physiquement dénué de tout mais que Moktar Ould Daddah savait combler d’espérance et de la sensation d’une unité nationale en train de se faire.

J’ai vécu les moments intenses et les ambiguités d’un destin qui ne faisait qu’un avec des gens de même vêtement, de mêmes silhouettes et démarches sur le sable, qui parlaient, parlent encore en caressant l’air, le ciel de leur paume. Des heures, une nuit, en Février 1966 [7], quand tout semble perdu, les races s’opposent, on se bat entre lycéens, les plus hauts responsables du Parti choisissent chacun un camp, selon les appartenances ethniques, tribales. Huit ans de travail : effacés ? La reprise et l’exercice du pouvoir, toujours en équipe, mais les équipes totalement renouvelées et une nouvelle forme pour la persuasion collective, des séminaires de cadres, région après région, et de nouveau l’unisson, avec une nouvelle génération. Je suis à Rome, montant au parvis de Sainte-Marie-Majeure, un lundi de Juillet 1978, titres : coup d’Etat militaire. Je n’étais plus recenu à Nouakchott depuis trois ans. Père de la nation ou prisonnier perpétuel ? Il arrive de prison, Mariem me le téléphone. Nous nous revoyons puis plus d’une semaine à l’hôpital militaire de sa convalescence, chez nous, mais au bord de la Méditerranée, cette côté qu’il a connu, étudiant tardif, son récit que j’ai sollicité, les longueurs de journée, enfin vingt-deux ans plus tard, ensemble à nouveau, chez lui, rentré d’exil, la rekecture de ses mémoires. Recevant les disquettes de la dactylographie de son manuscrit, qu’allais-je lire ? ce fut d’un coup l’instant de la si forte joie. L’écriture, du français de même que lui, Hassan II et Bouledienne s’entretenaient autant en notre langue de colonisateur et domainant, qu’en la leur, l’arabe, le legs du Prophète et l’unification du disparate. Le texte digne absolument de la geste politique. Celle-ci reste la référence, le précédent, l’espérance de son peuple qui depuis lui n’a connu que quinze mois de démocratie et de régularité électorale. Le reste du temps, la dictature de ses aides-de-camp dans l’ordre chronologique de leur service auprès de lui, chacun pas mauvais mais tous convaincus que la légitimité, le recours ultime, la souveraineté populaire, ce sont eux et l’obéissance de quelques miliers d’hommes et la solidarité entre les sept-huit faisant hiérarchie suprême. Il était prévenu de ce qui s’ourdissait à l’initiative de quelques civils, pourtant bien dotés, et qui bannirent les hésitations des militaires, alors que le front contre les Sahraouis, de recrutement et de financement algériens parmi les Regueibat, par haine ancestrale d’Alger pour Rabat et ses Alaouites. Il avait choisi de ne rien faire, prévenu seulement un civil, de très grande qualité, longtemps opposant nationaliste arabisant, le ministre de la Défense d’alors. Advienne que ce Dieu permettra, et impossible que des militaires ne soient pas loyaux à leur pays, la guerre sera alors mieux menée. Les déposer, en nommer d’autres, d’autres qui étaient possibles que les putschistes n’intégrèrent qu’au soir de leur coup fait aux aurores, qui ensuite tentèrent un contre-coup et en périrent comme des saints et des martyrs. Moktar Ould Daddah m’a appris la légitimité. Et aussi que je puis être utile. Je le fus quand en Janvier 1969 il me demanda si de Gaulle allait tomber. A ma réponse, il conclut que la grandeur du Général pouvait faire de l’ombre à ses successeurs pour chacun de nos anciens territoires, et il me dit aussi : vous êtes moralement intéressant. Une de nos dernières conversations, dans ces moments du soir où Mariem nous laissait rester seuls, était mon récit triste de la défection d’un de ses plus proches collaborations. Son stoïcisme, comme toujours, était souriant, retenu. Nous communiâmes et quand je dus partir, il me demanda de le bénir. Je le quittai, je me retournai, il restait assis, déjà très fatigué de ce qui allait l’emporter dans quelques mois, il me regardait. Il est inoubliable. Depuis le cinquantième anniversaire de son investiture à la tête de son pays [8], encore sous notre coupe, j’écris presque chaque semaine dans l’hebdomadaire mauritanien le plus influent, francophone et d’opposition tolérée. J’essaye de rappeler, avec d’autres que l’avenir a un dénouement et a depuis longtemps un verbe à voix baasse, un visage aux joies et constats intimes.

Puis vint, avec une majesté affectueuse, évidente quand dans l’embrasure de son élégant bureau de rez-de-chaussée, rue Jean Goujon à Paris, il me saluait m’ayant donné congé, quand à nos dernières fois, du dernier étage, à la rampe protégeant le bel escalier aux larges marches du XVIIIème siècle, rue du Bac, il me regardait descendre, m’ayant reçu en robe de chambre, attentif, avouant qu’il avait perdu toute mémoire, au point qu’il appela un jour, le général de Gaulle : machin, le nom ne lui venait plus, mais remis dans les événements qu’il avait faits ses réflexes apparaissaient vifs et me restituaient donc la chair de l’essentiel… Maurice Couve de Murville, le ministre de la confiance pour l’homme du 18-Juin, réglant en quelques semaines de sa charge de commissaires aux Finances à Alger, l’été de 1943, ce que la France libre devait au Trésor britannique, lui amenant l’Allemagne par le chancelier Adenauer en Juin-Septembre 1958, acceptant avec humilité et confiance d’être son Premier ministre pour les leçons à tirer de « Mai-68 » et pour que l’homme de l’honneur et de la participation, censément usé par dix ans de son second règne, puisse sans les entraves et silences de Georges Pompidou, se donner à lui-même et à la France, un dernier cours en propre.

Pleurant lourdement un départ que l’on sentait venir plusieurs mois avant qu’il fût effectif, en cherchant les raisons, en me révoltant aussi à comprendre les écarts que Georges Pompidou, le successeur si satisfait d’avoir (enfin ?) la place [9], imposait à la France, je fus initié à une dialectique politique que je n’avais pas soupçonné, par Louis Vallon [10], pendant un repas durable et arrosé : Juin 1969, au Petit Pavé. Quand se fit en moi, sans réflexion ni information particulières, l’évidence que Maurice Couve de Murville était… avait été le successeur véritable, apaisant mais assuré, que de Gaulle se souhaita, nous souhaita. Un exercice présidentiel sans débordements à l’intérieur, mais précis et efficace à l’extérieur, ferait fructifier un acquis de onze ans qu’ils avaient faits ensemble. Ministre des Affaires Etrangères, puis Premier ministre, après quelques semaines aux Finances, c’est au crayon et à la gomme qu’il tenait son agenda (Hermès) : chaque vendredi matin, tranquilles, trois lettres, Rdv. C’était l’entretien, tête-à-tête, exclusif, sans compte-rendu, à l’Elysée avec de Gaulle. Premier des principaux personnages du régime dit gaulliste

Dès que je le lui demandai par lettre, il me reçut [11] : premier des tout principaux personnages de ce véritable règne d’une longévité et d’un éclat exceptionnels, mais au dénouement que j’eusse voulu autre et plus tardif. A mes yeux, il était le dépositaire, mais l’heure d’une libre succession était passée. L’avait-il souhaitée ? que souhaita-t-il dans sa vie ? dans sa carrière ? rien ne lui vint facilement pourtant. Quoique nous nous soyons entretenus pendant près de trente ans, plus qu’avec aucun autre des … que faut-il écrire quand il s’agit de qui a travaillé avec de Gaulle, a été son ministre ou membre de son cabinet ? ou encore de ces fidèles dont j’ai rencontré quelques-uns qui avaient tout fait de l’été de 1940 à la fin du pouvoir et au silence de 1969-1970… bien des questions seraient à lui poser. Autant que pour Moktar Ould Daddah, j’ai compilé des archives, cherché et recoupé des indices, des événements, j’en ai trouvé plus à son sujet que sur la Mauritanie où tout a été toujours clair, y compris les complots contemporains et les raisons, non peccamineuses, de notre entrée au Sahara occidental.

Maurice Couve de Murville a été disponible toute sa vie, sans passe-temps ni ambition ni véritables affections de père, d’époux, d’amant, sans nostalgie, sans guette non plus des opportunités que dans la banque où il devait être le gendre souhaité, la haute administration accessible par les concours dont il sortait chaque fois major, la politique chez nous et même jusqu’au poste de secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies où beaucoup le désirèrent quand il n’y avait plus rien à faire en France [12]. Donc détaché tout à fait des positions où il s’est trouvé, qui – pendant quarante ans – furent de premier plan. Dans chacune, il excella sans en faire rumeur, réclame et sans en donner le récit. Des mémoires sur le champ, approuvées en principe par de Gaulle, et vingt ans plus tard un dialogue avec le plus proche des journalistes qui, au Monde, l’avait commenté avec une évidente admiration. Si ! une affection, car la relation ne fut pas hiérarchique, n’était pas principalement intellectuelle. L’affection pour de Gaulle et la dilection exceptionnelle, sans pareille, du Général pour lui. Je crois, ayant lu tout de Gaulle et ayant l’honneur et la chance de bien connaître le ministre de sa confiance totale, comprendre pourquoi.  L’amour de la France, certainement. Le goût d’une mise en ordre des événements et ce qu’ils inspirent comme possibilités, oui : aussi. La considération pour quelques-uns de leurs partenaires : la politique extérieure, ses rencontres et ses conférences, les faisant travailler ensemble, même si – de rares fois – chacun, spontanément, joua seul et sans délibérer avec l’habituel compagnon de pensée [13], mais avec la certitude, toujours vérifiée, que celui-ci suivrait ou accomplirait ce qu’il resterait à faire, ou approuverait. La relation entre eux était donc de confiance mutuelle, de confiance aussi de chacun dans ses propres capacités et les capacités de l’autre : deux instruments presque parfaits, dédiés à une unique tâche, la grandeur d’une France dont ils savaient ensemble la précarité si, presqu’à chaque instant, elle n’était pas soutenue par de l’ingéniosité, du sang-froid.

Je ne le comprenais pas à mesure de nos conversations, dont le verbatim eût paru banal car elles portaient sur l’ambiance politique du moment et sur des éléments de notre histoire publique : c’était agréable, mais la clé du personnage – s’il faut en chercher une ou en demander une pour chacun de ceux que nous rencontrons ou qui sont nôtres mais évoluent à devenir méconnaissables, incompréhensibles – était simplement son charme, et la limpidité de ce que l’écoutant, j’apprenais. Toujours c’était dit, comme si le naturel guidait l’Histoire et les relations de persone à personne, un naturel sans couleur ni contraste. Maurice Couve de Murville inspirait le calme, les seules saillies était celles d’un humour qu’une question ou une remarque de ma part, laissait paraître sans que rien ne soit souligné ou insistant. Et – paradoxe apparent – une telle tranquillité, un tel enchaînement d’évidences eut aussitôt pour moi un charme dont je ne me suis jamais lassé, qui opère même quand je lis et copie des documents d’archives diplomatiques ou du ministère des Finances le concernant ou en rapport avec des fonctions qu’il exerça. Et il est probable que c’est ce charme-là qui attacha, conquit de Gaulle, dès leurs premiers entretiens de travai à Alger en Mai 1943. Ils ne se connaissaient qu’indirectement. Le Temps, comme l’ensemble de la presse nationale française, ne commença d’être censuré qu’en Décembre 1940, ainsi ceux qui voulaient quelque nouvelle de la France en actes à Londres, pouvaient en prendre plusieurs fois par semaine. Quant à ce plus haut fonctionnaire des Finances [14], il était connu du général de Gaulle par réputation, et l’amiral Darlan, régent de fait pour notre Afrique quand y débarquèrent les Américains, appela même Laurice Vcouve de Murville à son côté, croyant l’atteindre de passage à l’ambassade qu’avait Vichy à Madrid. Ni l’un ni l’autre n’a raconté le premier échange, mais je reconstitue tant ma familiarité avec chacun, fit aussitôt partie de moi-même quand je commençai d’enquêter sur le départ et sur le gouvernement de l’un, et d’être reçu par l’autre. L’inspecteur des Finances avait travaillé les ministres pendant toutes les années 1930 et particulièrement à partir du Front populaire : un seul l’avait marqué, et l’estime resta réciproque, Pierre Mendès France, qui le remplaçant à Alger, lui trouva un nouvel emploi lequel décida de toute la suite de sa carrière. De Gaulle dut lui apparaître comme l’homme d’Etat que l’Histoire, vécue dans les bureaux où presque tout de la France se décidait (alors et aussi aujourd’hui pour autant que les pouvoirs publics aient prise sur les événements, les personnes et les choses), semblait refuser au pays et à son administration. Et Maurice Couve de Murville, suppléant par sa seule mémoire la totale absence d’archives, à Alger, en matière de finances, de dettes souveraines et de participations françaises à l’étranger, dût aussitôt lui paraître l’idéal pour ce qu’il y avait à faire immédiatement. Il y eut certainement plus : les deux hommes ressentirent qu’ils savaient mettre en tout de la clarté et de la simplicité quand presque tous les autres en étaient incapables. Et cette heureuse et grave communion ne cessa jamais.

Des archives et des conversations avec une quarantaine des collaborateurs communs à l’Elysée, au Quai d’Orsay, aux Finances et à Matignon m’ont confirmé cette intuition. Tandis que nous nous rencontrions, malgré mes affectations à l’étranger – exactement comme l’ancien directeur des Affaires politiques au ministère des Affaires Etrangères [15] fut le visiteur régulier du Général pendant sa « traversée du désert alors que lui-même était en Egypte, puis aux Etats-Unis et enfin en Allemagne. Deux réputations, chacune considérable dans une administration qui n’est tendre ni pour les siens, ni pour les personnels qui y sont détachés (j’en sais quelque chose), ni plus encore s’il est possible pour ses ministres, généralement très peu considérés. L’excellence personnelle. La voix du Général, comme si celui-ci entre 1946 et 1958 était demeuré « aux affaires ». A mesure que les années se multiplièrent, que la mémoire de mon grand homme le cédait à mes reconstitutions sur papier, une autre relation se superposa à la première faite d’admiration et de regret d’un rôle si grand qui n’avait pas débouché » et devenait peu connu, si discret. J’avais appris le genre d’hommes et de serviteurs qui manquèrent à la France quand les années de Gaulle s’éloignèrent, puis à un degré pas tellement moindre les années Mitterrand, le genre de serviteurs doint nous sommes aujourd’hui totalement dépourvus. Cette relation autre devint une affection avouée de la part de l’ancien Premier ministre : la confiance l’avait appelée. La confiance d’être compris surtout dans le silence. Secret, très secret pour tous ses collaborateurs, il avait vécu seul, ne se donnant qu’à une seule passion : la pensée et la réflexion sur les affaires de notre pays, lesquelles recouvraient complètement ses échanges avec de Gaulle. Maurice Couve de Murville me donnait donc ce qu’il y a de plus unique, le legs de sa pensée, et cette pensée avait été partagée avec de Gaulle, et l’objet en était, au plus simple, la France au possible, au réel. Un possible tellement à notre portée qu’il ne pouvait que devenir le réel. Il me sembla de plus en plus nettement, et j’en suis donc habité au point de m’être découvert dans l’obligation d’écrire ce livre, et de vous entretenir du possible jusqu’à ce qu’il devienne le réel par notre simple effort à tous.

Ses collaborateurs, lui-même me donnèrent quelques traits qu’aucune archive ne peut rendre, mais l’essentiel fut cette relation m’introduisant au calme d’une intelligence du temps contemporain.

Jacques Fauvet ne m’était pas vraiment connu, ni moi de lui. Une de mes sœurs était liée à l’une de ses filles, chacune autour de ses quinze ans. Voulant répandre ce que je comprenais et avais aimé de la Mauritanie, à propos de laquelle peu se publiait encore, j’eus l’idée d’un volume de la collection Petite planète que dirigeait Simonne Lacouture, aux éditions du Seuil, on était en 1967. Je fut reçu par le rédacateur en chef du « grand quotidien du soir » que j’avais sur ordre de Jean Maheu [16], mon maître de conférences rue Saint-Guillaume, commencé de lire et conserver depuis Septembre 1960. Devant moi, il téléphona à celle que je voulais rencontrer, soulignant pour elle autant que pour moi qu’il ne faisait, autant dire jamais, cette démarche-là. Je fus reçu et déçu, car ce que je voulais faire savoir ne correspondait pas du tout à ce qui était attendu pour cette collection [17]. C’est donc presque  un anonyme, qu’en quelques semaines, le premier quotidien français d’autorité intellectueelle et morale, fit soudain connaîtrtre. Nous ne nous rencontrâmes que deux mois après une première publication, suivies d’autres. Elles avaient été précédées de deux tentatives de ma part : elles n’avaient donné lieu qu’à rien pour la première (je voulais évoquer la Libye et des ventes d’armes) et qu’à un très succinct des remarques que m’avaient inspirées un dialogue entre personnalités d’importance, où aurait pu se dire de Gaulle, d’autant que j’y figurais en possible intervenant du parterre : j’y appris par le refus persistant que je pose au moins une question,  combien les animateurs en magazines audiovisuels qui traitent de politique, décident tout. On était en 1971 [18]. De Mars 1972 à Avril 1982, Jacques Fauvet devenu directeur du Monde, aux départs concomitants du général de Gaulle et d’Hubert Beuve-Méry, imposa que je sois publié, souvent en première page et ou en cavalier. A un journal pas gaulliste au temps du Général et même après qu’il ait quitté la scène, je fus utile : la critique ou le le point de vue le plus offensif contre les gestions qui avaiient succédé aux grands desseins, étaient bien le rappel de ce qu’avait entrepris de Gaulle. Plage Benoît, le remblai interdit aux voitures, la Baule dans sa splendeur des journées de entecôte. Je l’avais reconnu le preier. Jacques Fauvet me fit confirmer que j’étais bien le même que son solliciteur de 1967.

Je ne savais rien des usages. Pas de télécopieur, encore moins d’internet : le texte par la poste, le téléphone pour connaître le sort qui lui était aussitôt. Oui ? non ? pour la publication, et quand ? J’appris la dictée à des opératrices, par téléphone la nuit. Un quart d’heure, vingt minutes, je craignais de lasser. J’envoyais alors ma copie à plusieurs organes de presse.  Mon papier intéressait, serait incessamment publié. Je perdis alors – pour toujours, du moins jusqu’à présent – l’entrée que je souhaitais aussi  dans un hebdomadaire : le Nouvel Observateur. On s’y aperçut que mon papier, là aussi sous presse et accepté sans que je susse, venait de paraître ailleurs. On ne peut faire pire. Je l’avais commis. Malgré le souhait de Jacques Fauvet, et le mien, car l’administration, au stade où j’en étais, ne me présageait pas grand-chose qui me passionnât par avance et me fasse tout tenter, avec méthode, pour la recevoir.


Malgré le souhait de Jacques Fauvet, et le mien, car l’administration, au stade où j’en étais, ne me présageait pas grand-chose qui me passionnât par avance et me fasse tout tenter, avec méthode, pour l’atteindre ou l’obtenir, je n’entrai pas au Monde. C’est la seule vocation – vraie – de rechange que j’ai jamais éprouvée professionnellement. Certains de mes papiers y irritait : Philippe Boucher [19], pas sans influence, n’avait pas admis que « Je m’appelle Portal ! » [20] et était venu me le dire très fort chez la secrétaire de Jacques Fauvet. Un tour du premier étage : Pierre Viansson-Ponté qui avait reçu le premier papier qu’ait publié le journal, avait noté pour « J.F. » : on ne sait s’il écrit très bien ou s’il écrit très mal, Pierre Planchais, André Fontaine ne m’admirent pas, surtout ce dernier. Et la question de succession au directeur régnant allait se poser.

De Jacques Fauvet, ce n’est pas seulement ma signature et sa notoriété que je reçus, ce fut la fraternité d’un grand aîné, correspondant avec moi en sus de chacune de mes propositions de papier pour toute l’évolution de ma carrière et surtout la relation que le pouvoir avait avec moi, agacé ou bienveillant, m’éloignant de Paris pour que je ne publie plus [21] ou ne m’exauçant que des quelques audiences présidentielles : Valéry Giscard d’Estaing que je commentais pendant tout son septennat et François Mitterand dont j’accompagnais, mais seulement de plume, les débuts à l’Elysée après l’avoir soutenu à un instant névralgique : son investiture ou pas, par le congrès du P.S. tenu à Metz face à Michel Rocard. C’était déjà beaucoup. Il se croyait responsable des défaveurs que je subissais puisqu’en publiant, il me faisait courir des risques. La réalité était le contraire : sans cette collaboration à mes trente-quarante ans, je n’eus jamais franchi les quelques étapes de carrière qui furent les miennes. La jurisprudence du Conseil d’Etat n’aurait pas admis une sanction nette appelé par cette collaboration. D’ailleurs son contenu importait moins que la tribune, dont la plupart de mes camarades de promotion à l’Ecole Nationale d’Administration ne comprenait pas que j’ai pu y accéder, et contestaient que je fasse – faute d’autre titre – état  d’en être sorti.

Ma dette est bien plus importante. Sans me reprendre ou réécrire mes articles – la rumeur en courut, à son départ, comme la corvée que devrait s’appliquer son successeur quel qu’il serait [22]  Jacques Fauvet en m’ayant ouvert les prestigieuses colonnes et en m’assurant d’un accueil à peu près systématique mais toujours au mérite de ce que j’écrivais, m’apprit à suivre l’actualité, à réagir aussitôt (aujourd’hui, on dirait : en ligne) et à tout dire en très peu de mots. Une façon d’école poétique, où l’entrée en matière est minimum, où le coup compte pour un mot et le mot peut tuer ou diminuer. Je sus d’ailleurs, aussitôt, qu’il se pourrait qu’un jour j’ai à répondre, peut-être sur ma vie-même, de ce que j’écrivais ou écrirai. Une façon aussi de procureur : ramasser et approfondir l’attaque, le grief, de prendre au mot l’adversaire et de le mettre en contradiction avec lui-même ou avec da fonction. Haute, celle de président de la République. Ce qui supposait de la documentation et des conseils : j’en fus gratifié par deux personnalités, qui avait été en forte relation avec de Gaulle et à qui plaisaient que je ferraille contre les adversaires de notre Constitution ou rappelle notamment Georges Pompidou à qui et à quoi il devait sa nouvelle place. François Goguel, dont les analyses électorales, remontèrent le « moral du combattant » à partir d’Octobre 1962 [23], et Jean-Marcel Jeanneney [24] autant politique qu’économiste, et combien importants dans les gouvernements de 1959 à 1969.

J’apprenais donc les règles de toute tribune, j’apprenais à saisir l’instant et à mémoriser les précédents. Et reçu familièrement, presque comme un fils, par ce très grand journaliste, je vivais aussi les scandales d’un grand citoyen, d’un moraliste, autant que les inquiétudes et la veille constante d’un chef d’entreprise face à la concurrence, aux créanciers, aux donneurs de publicité. Cumuler tant d’expériences sans être du milieu – quoique j’eus l’honneur d’être quelques fois dans l’imprimé des organigrammes du Monde – c’est rare. Ce fut mon état de vie même si, en temps réel et en parcours professionnel, ce ne l’était pas pour les tiers, mais mon nom y était associé, des revues m’accueillirent ou me sollicitèrent.

Je n’aurais pas cherché à entrer dans l’agenda présidentiel de ces années-ci, à jour fixe, pour quelques instants seulement et je n’essaierai pas de me faire lire de vous et accueillir par d’autres, dont de « grands électeurs », si j’avais continué d’être réguilièrement publié par Le Monde, ou à défaut par un organe de renom. La Croix qui m’avait publié à sa suite, m’accueillit bien plus longuement et me quitta – symbole – juste après m’avoir publié sur la tenue à Paris, autour de Jean Paul II, des Journées mondiales de la jeunesse (J.M.J.) [25].

Lors de ma première audience à l’Elysée, François Mitterrand avait juste à lire, de moi, gouverner c’est communiquer : le 30 Janvier 1983, et me dédicaça, fait rare, la photographie – belle – que j’avais prise de lui à Athènes, à la fin de l’été précédent. Il venait de petit-déjeuner avec Jacques Delors et pesta contre les démocrates-chrétiens, tandis qu’attendaient, bien trop, pour l’apparence de mon grade, le Premier ministre et le ministre de l’Education nationale, Pierre Mauroy et Alain Savary. Je les saluais, confus, mais pas plus que le 16 Juin 1977, notre première conversation, lui : toujours dans l’opposition, il me recevait place du Palais-Bourbon… puis président de la République, dans le bureau de celui dont il fut « l’adversaire le plus fidèle » [26], d’acès si tranquille et aisé en tête-à-tête – en public, il n’est que majesté mais attentive –, mais jamais je ne reçus la proposition que je sollicitais sans l’exprimer, faire partie du conseil aulique. J’ai pu conclure que même un pigiste peut entrer partout, mais qu’un fonctionnaire, plus tout à fait débutant, n’en voit pas pour autant changer sa carrière. Du moins, fus-je lu, entendu, accueilli, inviter ce qui donne un peu d’expérience. L’étais-je pour mes convictions ? ou par considération d’une alliance d’autre origine que la plus courante dans l’entourage de celui qui donna à la gauche ses lettres de capacité gouvernementale. J’ai reçu de Mitterrand par Jacques Fauvet, au moins de quoi admirer de près. Ce ne fut plus jamais ensuite.

Avec le recul de quinze ans, Jacques Fauvet m’apparaît pour ce qu’il fut et que je ne voyais pas. L’ami à très vite se vouloir tel avec moi, mais ce fut un très grand journaliste parce que ses écrits’étaili à quiSans doute, quelqu’un à qui je dois et qui m’honora, m’apprit, mais principalement comme l’un de nos très grands journalistes. Pourquoi ? parce qu’il sut être un éditorialiste efficace : si la France changea presque de régime parce qu’elle changeait de majorité en 1981, la plume du directeur du Monde y fut tellement pour quelque chose que Claude Fauvet était injuriée dans les commerces alimentaires de ses habitudes familiales, dans l’ouest de Paris, par la grande peur des bien-pensants [27]. Il avait débuté à l’Est Républicain, juste avant la guerre qu’il passa en camp de prisonniers avec l’angoisse des derniers jours : lui et ses camarades officiers, étaient-ils emmenés, à pied, vers l’est ou vers l’ouest. Pour Le Monde, il « couvrit » le procès du Maréchal et se signala par un papier de peu de précédent : les Français traiteraient-ils  avec dignité leurs prisonniers allemands dès l’été de 1945 ? ce n’était pas sûr. Au jour le jour, la Quatrième République, en chronique pour la rue des Italiens à Paris, et par téléphone, un texte assez différent, pour l’Est Républicain. Il resta toujours bien plus responsable de la politique intérieure au journal qu’homme des hauteurs, celles cherchées et très souvent atteintes par Sirius [28]. Et bien des soirs, il terminait ses pensées et ses rencontres de la journée, ses comptes aussi du « bouillon » en comparaison des ventes du Figaro, avec moi dans sa voiture de fonction, rentrant chez lui, non loin du Ranelagh de mon enfance.

L’avais-je déjà entendu et vu à la télévision, alors l’O.R.T.F. unique et d’Etat ? L’Humanité publia dès le lendemain de sa parution un extrait de mon papier, le premier à paraître dans Le Monde. J’y réduisais le principal argument de dissuasion à refuser ce referendum, convoqué pour la saint-Georges : ce serait voter avec les communistes. Je rappelais que contre Vichy puis contre l’armée européenne proposée entre 1952 et 1954, les gaullistes avaient fait cause unique avec les communistes. J’appelai le journal, mais d’une cabine téléphonique pour ne pas faire identifier ma mère et ne me présentais que comme l’auteur de l’article : du oui au non [29]. René Andrieu [30] m’invita à déjeuner avec lui.

L’homme m’impressionna autant par son physique, par son regard que par la sincérité et la logique de son idéologie. Ce ne fut pas un exposé, ce n’était pas même une faille d’esprit ou une solidarité de combat avec beaucoup : le Parti communiste depuis vingt-cinq ans dépassait de beaucoup dans les urnes les coalitions de gauche, entre le quart et le cinquième de l’électorat français. Notre relation allait être régulière mais nos rencontres étaient très espacées. La politique et les évolutions françaises n’y étaient pas évaluées de la manière dont à lire Le Monde ou à étudier à Sciences-Po. ou à l’E.N.A. j’avais l’habitude. Pas non plus de la façon binaire que la Cinquième République utilisait jusques-là pour mobiliser sérieusement. Ni science ni simplisme ni citations. Pas non plus de révérence pour la hiérarchie communiste dont il faisait partie

Ce n’est pas un homme qui flotte, il ne flatte pas non plus. Il est d’une telle sincérité, le patriotisme, personne ne peut lui en remontrer, c’est pour cela et c’est en cela qu’il soutient l’Union soviétique, qu’il aime son parti, le communisme. Bien plus qu’une idéologie, bien plus qu’un système dont l’application sera certainement bénéfique, les comparaisons le montrent, il s’agit pour lui du cœur et de la chair de l’homme, un espoir fou, saura-t-il écrire. Après débat, c’est la nature de ce parti, il lui est préféré Jacques Duclos, emblématique, significatif, quasi-éternel pour hisser les couleurs comme jamais quand s’ouvre une succession prévisible à de Gaulle. Ce dernier a été, au fond préféré, même s’il n’était pas allé en Union soviétique et jusqu’à Baïkonour, au cœur (Kzyl Orda) du pays kazsakh que je parcourrai un jour, presque trente ans plus tard : comme au Brésil, des centaines de kilomètres de route droite, mais la traversée, quasiment un océan, des moutons par milliers, quelques cavaliers émergeant, et le long du goudron les chameaux velus, ou bien des manades tranquilles tandis qu’au loin puis proche un convoi minéralier fait défiler bruyamment ses wagons, le ciel, la terre, l’homme, la steppe et ses plantes sans racine que le vent appelle à transhumer à la manière des Regueibats suivant les nuages, la pluie et arrivant aux paturages plantureux mais précaires. C’est de là qu’a été propulsé Youri Gagarine. Sur le site, dans la maison de celui-ci, une photo de l’homme du 18-Juin, chapeau de paille… pour admirer le lancement d’un Soyouz. A côté de lui, Maurice Couve de Murville, sosie d’un des meilleurs acteurs d’Hitchcok, un implacable dilettante. Préféré de Gaulle même s’il n’avait pas sorti la France de l’Organisation intégrée de l’Atlantique nord : le ministre des Armées [31], que les Etats-Unis avaient tenté de corrompre quand il vint les voir et exposer, défendre en stratégie notre toute jeune « force de frappe », Pierre Messmer était d’avis de nous donner des délais et donc aux autres. Le Général avait refusé, tout de suite et dans le détail, ce qui fut aussi sa manière pour le referendum du printemps de 1969. On était donc en 1966, le printemps déjà, une réélection difficile, la première du genre universel direct. Catholiques et agriculteurs ne s’étaient pas reconnus dans celui qui les légitimait tellement, des contrats d’aide financière pour les établissements d’enseignement chrétien, un système de retraite auquel en même temps que les artisans et isolés, les prêtres et religieux pouvaient cotiser, et le marché commun agricole pour le financement duquel la France bloquait toute avancée en désarmement douanier entre Etats-membres et en votation à la simple majorité qualifiée au sein des instances bruxelloises. L’électorat ouvrier n’avait pas fait bloc contre de Gaulle et en Mai 1968, il fut dit – Jacques Duclos à Jacques Vendroux, beau-frère du Général – tenez bon ! Pas de gauchisme certes, mais dans l’ordre international, l’Union soviétique, les peuples, le Parti communiste français pouvaient-ils demander mieux ? et à la guerre américaine du Vietnam, décisive autant pour l’Union soviétique, qui s’opposait le plus spectaculairement, sur place ou presque [32]?

Quasiment sur son lit de mort, puisque notre dernière conversation, cette fois chez lui, eut lieu très peu avant l’incinération au Père-Lachaise, j’y assistais en compagnie de ma chère femme derrière le rang de Robert Hue – René Andrieu confessa que les communistes auraient dû soutenir de Gaulle, tout le temps. Nous évoquâmes d’écrire ensemble cela. Auparavant, alors que je partais pour Lisbonne, en début de carrière, et écrivais que dans un pays où les comlmunistes seraient au pouvoir, leurs permanences ne seraient pas mises à sac [33], mon ami aux yeux clairs et au front stendhalien, la même logique en amour qu’en politique, mais les causes forcément successives, m’entretint de son inquiétude désormais. On était encore en 1975 et l’Afghanistan n’était pas un sujet. Il craignait que s’établisse à Moscou… la dictature. Ce serait celle de l’armée et ce serait la fin d’une si grande espérance. La sienne et celle de tant par le monde. Je la partageais quoique nos voies étaient différentes, mais je pus, douze ans plus, tard écrire à Mikhaïl Gorbatchev, cette espérance, cette même espérance que son intelligence et une autorité que je ne savais pas contestée rétablissaient, en rénovant l’Union soviétique. Le numéro un, septième secrétaire général du P.C.U.S., me fit connaître qu’il m’avait lu [34].

La voix est belle mais c’est le souvenir qui me l’assure. Ma chère femme me le dit aussi : elle, à ses six ans, sa mère avaient ensemble été séduites vraiment par l’ancien collaborateur et ministre des Affaires Etrangères de Georges Pompidou, banal et presque mou, à côté de cet homme, pas grand de taille [35], d’une présence muette, intense. Le visage n’est pas mobile, il regarde, me regarde, le front dénudé, la bouche qui peut être sensuelle, je ne les vois pas. Il me reçoit, le bureau censément de Vergennes, une année vient de finir, dès sa nomination lui faisant quitter l’Elysée où il était le secrétaire général après avoir dirigé le cabinet du Premier ministre à Matignon et presque tout tenu, avec Maurice Grimaud, le préfet de police, pendant les « événements de Mai », il avait su que ce ne serait pas long. Il avait lutté contre la montre, pas pour la montre. Le Premier ministre d’alors, Pierre Messmer dont il avait soufflé le nom au successeur de de Gaulle pour remplacer Jacques Chaban-Delmas, agaçant à force de plaire à l’opinion publique et à l’Assemblée nationale, venait de saluer le très difficile redressement isarëlien après l’attaque-surprise d’Anouar-Al sadate, vengeant Nasser. Georges Pompidou, tenant au dialogue euro-arabe qu’il avait inauguré en même temps qu’il acceptait l’entrée de la Grande-Bretagne dans la Communauté des Six [36] désormais vouée à l’extension continue, avait demandé au ministre, jusques là inconnu, de remettre les choses d’aplomb, au moins pour les opinions là-bas et pour un peu de réflexion chez nous. Coincé par les journalistes venus en grand nombre, sans que se distingue un décor gouvernemental, Michel Jobert demanda – au monde entier – le soir-même : est-ce être agressif, que de vouloir rentrer chez soi ? Volant vers Stockholm où allait s’ouvrir la première conférence des temps nouveaux – ceux de la détente souhaitée, préparée, pressentie par de Gaulle et Couve de Murville – la Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe, la C.S.C.E. [37], le ministre prend connaissance de ce que lui ont préparé ces services et qu’il doit lire. Il froisse, qu’y comprendrait sa concierge ? rien, or il s’agit d’elle, de tous les Européens, au silence à l’est, au verbiage à l’ouest et tous sous surveillance de soi-disant plus grands, sinon légitimes : l’Union Soviétique, les Etats-Unis d’Amérique. Michel Jobert parlera, sans notes. Il me fait maintenant lire ce qu’il a lui-même écrit : Georges Pompidou est mort depuis six jours et demain, il y a l’Assemblée générale des Nations Unies, il veut évoquer cet homme qui savait où il allait. Lui-même en atteste. Quand il fut nommé, pour l’ensemble des commentateurs, ce ne pouvait être que « la voix de son maître ». Pourquoi ai-je cru aussitôt le contraire ? pourquoi ai-je prévu qu’introduit comme cela au pouvoir, le collaborateur fidèle et intime n’allait servir qu’en étant différent d’un explicite jusques là pas très convaincant ni contagieux. Et le choix de la différence amènerait, quatre ans après le départ de celui-là, à de Gaulle. Je l’écrivis donc au nouveau ministre, Michel Jobert me répondit de sa main et me confia, pour information, à Raoul Delaye, son camarade de promotion et son ami d’intelligence. Pendant un an, j’étais régulièrement ou à ma demande instruit de que le ministre pensait, ou refusait ou allait essayer. De la tribune que m’accordait autant que jamais Le Monde, je soutins à fond le nouvel homme de la parole française.

Maurice Couve de Murville, parce qu’il n’aimait pas Georges Pompidou, n’avait guère d’inclination pour Michel Jobert, mais celui-ci en avait pour le grand exemple. Je ne pus les faire se rencontrer. Jacques Fauvet déjeuna avec Michel Jobert, à mon instigation et cela ne réussit pas. Les registres entre chacun de mes conducteurs d’évaluation et d’écriture, n’étaient compatibles, ne se recouvraient que dans ma pensée. Ecrivant certainement et dans pas longtemps, sur chacun d’eux, j’essaierai de montrer cette combinaison certaine de la foi, la même, et des talents, très différents pour notre cause de France et d’Europe.

Je m’entretenais ainsi avec Michel Jobert, pour la première fois [38]. Nous connûmes notre chagrin. On crut, à sa sortie en avance  d’un conseil des ministres, présidé comme en 1969 par Alain Poher, président du Sénat, et donc président de la République par intérim, qu’il allait se présenter à l’élection : il était devenu notoire, populaire, le resta. Au lendemain de son élection présidentielle, François Mitterrand le reçut, premier de tous ses soutiens et de ses entourages. Rue de Bièvre, il arrivait à pied seul, les photographes en chalut autour de lui. Il a écrit aussi bien ces débuts et une inconséquence fréquente, la désinvolture parfois du nouveau roi. Il rédigeait si simplement que le miracle se soutenait à longueur de ses livres, interrogeant les immortels du quai de Conti, je fus confirmé qu’il serait reçu à l’Académie française à laquelle il songeait d’autant moins qu’il eût voulu la présidence de la S.N.C.F, sous Valéry Giscard d’Estaing, ou ensuite l’académie Goncourt.

L’enfant de Volubilis et de Meknès, ne découvrant la France qu’à ses vingt ans, faisant pour elle la guerre d’Italie et scandalisé rétrospectivement que les mémoires de Charles de Gaulle fasse si peu cas des combattants de 1943-1945, resta en toutes occasions et conversations l’homme des Arabes et du respect. Le Mouvement des démocrates qu’il fonda, sans succès électoral, fut pendant une croisade pour la vie, pour que chacun soit l’évidence qui dérange. En tête-à-tête, ou par des lettres à l’énergie et à la perspicacité entrainante, il me mit jusqu’à sa mort – mort de lassitude – en face de moi-même et de ce que, le pouvant, je devais faire. Une exhortation au caractère et à la rigueur. Dédicaçant ses livres [39] comme personne, parce qu’il étudiait sans impudeur mais avec profondeur,  certitude, celle ou celui lui présentant ouvert son nouveau livre, il en disait autant. Nous recevions, chacun, en pleine vie, le texte de notre propre épitaphe vers laquelle tendre. Tout le temps.

L’admirant ainsi, l’aimant, je m’aperçois que cette vie qu’il me souhaitait, a été jusqu’à présent, une simple introduction. Je n’ai toujours fait qu’écrire et aimer. Faut-il davantage, davantage qui dépende de moi ? Oui, mais cela dépend encore plus de vous : pour commencer et continuer. On ne décide jamais seul, car on pense aux autres. Je pense à vous. Parler aux Français, Michel Jobert me l’apprit en me confiant souvent la harangue de conclusion à nos rassemblements du Mouvement des démocrates. Aujourd’hui sous la cendre, mais il me semble qu’en campagne, elle peut rougeoyer, chaude. Cette tentative comme toutes celles, avant ou depuis, médiatisée ou instinctive, nationale ou de village. Faute de dirigeants, faire nous-même. Et si de bons dirigeants réclament notre soutien, encore plus faire nous-mêmes : ils seront émancipés des mauvais génies et des apathies mentales qui depuis vingt ans nous enveloppent dans leur linceul. La France, depuis, fait semblant et nous ne pouvons plus la reconnaître si la participation, la démocratie, la considération sont si peu le cours politique. L’applaudissement ne fait pas même frémir l’air qui nous maintien en vie. Qui ne le sait ? même le bateleur.








[1] - dimanche 22 janvier 2017

[2] - les primaires dites de la droite et du centre ont aligné en débat télévisé les  - un premier tour de scrutin, fréquenté par a décidé le duel François Fillon / Alain Juppé. Le premier l’a largement emporté, mais le le 25 Janvier 2017, une partie de la presse emmenée par le Canard Enchaîné, le met en difficulté à propos de quelques 600.000 euros perçus par son épouse Pénélope, comme son attaché parlementaire, et – quand il est à Matignon – comme critique littéraire à la Revue des deux mondes
[3] - 1912 + 2007 – prêtre, résistant, député à l’Assemblée nationale française de 1945 à 1951, il fonde Emmaüs en 1949 pour les sans-logis et les miséreux et lance le 1er Février 1954 un appel, par radio, à la génorisité publique tant cet hiver-là est froid. Le « succès » est immense, et de cette date à sa mort « l’abbé » est l’apôtre de toutes les causes difficiles, dont celle des sans-papiers de plus en plus emblématiques au point qu’il accuse dans les médias en Avril 1996 le Premier ministre, Alain Juppé, de lui avoir menti à propos de l’occupation d’une église, évacuée ensuite de force. Rger Garaudy, collègue au Palais-Bourbon, fait alors paraître un essai négationniste. Par amitié mais sans avoir lu le texte, l’Abbé Pierre le soutient et s’isole ainsi complètement jusqu’à une réconciliation avec les siens et surtout les médias, au bout de quelques mois très difficiles – c’est pendant ces mois de Mai à Juillet, particulièrement que ma femme et moi nous nous relatyons, seuls auprès de lui
[4] -
[5] - à une date imprécise, au plus tard 1919 et au plus tard 1924, né à Boutilimit dans le sud-ouest semi-désertique de la Mauritanie, il en est le premier chef de gouveernement en Mai 1957, puis le premier président de la République en Août 1961

[6] - l’état-civil et ses registres sont apparus et ne se sont généralisés avec la rigueur des nôtres que dans les années 1950, en Afrique subsaharienne française, et encore pas partout : exemple, cette Mauritanie qui m’est si chère et proche
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[8] - le Calame, paraissant à Nouakchott, diffusé à quelques 4.000 exemplaires,en sus d’une forte fréquentation de son site - http://lecalame.info/?q=node/3707

[9] - une photo. peu publiée le représente dans ses premiers mois à l’Elysée, debout, les fesses posées sur la table de travail du Général – il trouve, mais le photogaphe aussi ?, la pose : naturelle – anien élève de l’Recole normal et agrégé des lettres, d’extraction très modeste, la famille d’un instituteur dans le Cantal, il est « l’agrégé sachant écrire » que souhaite s’attacher de Gaulle à la Libération. René Brouillet fait les présentations et Georges Pompidou (1911 + 1974) reste proche de l’homme du 18-Juin pendant toute la « traversée du désert », titre valant ceux de la Résistance à laquelle il n’appartint pas. Il émarge en même temps à la Banque Rothschild jusqu’en 1958, il dirige le cabinet du Général à Matignon avant que se mette en place la Cinquième République, dont il sera le Premier Ministre de 1962 à 1968, essyant notamment les fuex de Mai-68. A la suite desquels il officialisera sa candidature à la succession du général de Gaulle, ce qui ne fut pas sans conséquences pendant la campagne référendaire d’alors, qui fut perdue : de Gaulle, démocrate s’il en est, n’étant plus assuré de la confiance des Français, démissionna. Son ancien Premier ministre dura moins comme président de la République. Juste cinq ans, et proposa d’ailleurs la réduction à cette durée du mandat présidentiel et mourut d’une maladie rare : celle de Waldenström

[10] - polytechnicien, membre du cabinet de Léon Blum, pendant le Front populaire, puis chargé en second des services secrets de la France libre, il fonde avec René Capitant, l’Union démocratique du Travail U.D.T.caution de gauche du général de Gaulle, illustrée par l’hebdomadaire officieux : Notre République. Rapporteur générak du Budget à l’Assemblée natonale, il propose d’y insérer la participation des salariés à l’accroissement des valeurs d’actif de leur entreprise – ce qui l’oppose notamment à Georges Pompidou alors Premier ministre. Celui-ci parvenu à l’Elysée, Louis Vallon (1901 + 1981) publie contre lui un pamphlet retentissant, l’anti-de Gaulle, ouvrant le procès en fidélité du nouveau président de la République – ce que publie ensuite Le Monde, sous ma signature, est dans cette ligne

[11] - le 12 Janvier 1970
[12] - le ministre des Affaires Etrangères, refusant spontanément et sans s’en être entretenu avec de Gaulle, la « grande zone de libre-échange » que suggère en Décembre 1958 la Grande-Bretagne, alors même que le traité de Rome instituant un Marché commun réservé entre les Six fondateurs, dont elle n’est pas, attend encore son entrée en vigueur – il semble que le Général ne l’apprit que de la bouche de Ludwig Erhard, ministre fédéral allemand de l’Economie, venant lui demander au contraire l’approbation de la France…

[13] - en conférence de presse, en Janvier 1963, le président de la République met son « véto » à l’entrée de la Grande Bretagne dans ce Marché commun – Maurice Couve de Murville l’apprend en séance à Bruxelles par son holomogue belge
[14] - avant de dire Rivoli – à quoi succéda l’appellation : Bercy, quand furent effectifs le déménagement, la délocalisation de l’imposant ministère voulus par Pierre Bérégovoy et qu’essaya d’empêcher Edouard Balladur, pour la seule gloire des bureaux impériaux et royaux de notre XIXème siècle – on disait : le palais du Louvre…
[15] - après avoir été le premier commissaire aux Finances de la France combattante, à Alger, Maurice Couve de Lurville cède la place à Pierre Mendès France (Novembre 1943) et devient notre représentant à Naples puis à Rome dans l’autorité quadripartite (France, Etats-Unis, Grande-Bretagne, Union soviétique) qui régit l’Italie après son armistice. A la Libération, de Gaulle le nomme directeur des Affaires politiques, au Quai d’Orsay, pour y doubler le ministre en titre Georges Bidault, qui finit par l’évincer en 1950 en l’acréditant au Caire. Rappelé en France pour résoudre la question de l’appartenance de l’Allemagne à l’Alliance atlantqiue, il est ensuite ambassadeur aux Etats-Unis, auxquels il s’oppose à propos de ce qui va devenir la crise de Suez, et va à Bonn où le trouve la formation du gouvernement conclusif de la Quatrième République, celui du général de Gaulle le consultant avant tout autre
[16] - né en 1931, fils de rené Maheu, directeur général de l’UNESCO, il est magistrat à la Cour des comptes et maître de conférences à Sciences-Po. de 1959 à 1970, quand je suis l’un de ses élèves (1960-1961) et quelques mois son assistant. Il sera ensuite au secrétariat général de l’Eysée de 1962 à 1967,  puis directeur de la Jeunesse au ministère compétent et enfin directeur de l’Orchestre national de Paris

[17] - Jean Lacouture, son époux sur le niveau de gratifications et rémunérations que veillait Simonne avec exigence, me fit connaître la même déception : l’essai que m’inspira la démission forcée de de Gaulle, et qui m’avait fait rencontrer Louis Vallon, enthousiaste à ma lecture, fut refusé, toujours au Seuil parce que quelques-unes de mes lignes à propos de l’Indochine déplurent. Or, Louis Vallon qui me recommandait, venait d’apporter rue Jacob une vente de quatre-cent-mille exemplaires
[18] - Une question rentrée – Le Monde du 26 Mai 1971 : j’ai constaté que la liberté d’opinion n’existe pas quand le moyen de l’exprimer est hors de portée

[19] - il est alors éditorialiste, rattaché au directeur-même. Né en 1931, il sera nommé au Conseil d’Etat, en 1991, sur demande exprès de François Mitterrand à qui il a plu
[20] - une veuve et sa fille se font mettre en prison après que la gendarmerie voulant faire exécuter une décision de justice ait pris d’assaut leur manoir de la Fumade et tué le fils et frère – Le Monde du  19 Février 1975 : je m’appelle Portal, qui avec un papier de Jean Dutourd dans le Figaro, et des interventions dans chacune des deux chambres, contribue à faire libérer les deux femmes

[21] - mais le soir de mon atterrissage à Lisbonne (ma première affectation diplomatique), le 4 Septembre 1975, je réplique à l’allocution mensuelle du président de la République : l’économie abstraite . Le Monde du 6 Septembre 1975 – dicté au téléphone

[22] - ce qui s’avéra sans objet puisque mon dernier article publié le fut trois mois avant que Jacques Fauvet ne quitte le journal – Le Monde du 6 Avril 1882 . réinventer le gouvernement
[23] - carte de Jacques Narbonne, chargé de mission à l’Elysée pour les questions d’Education nationale de 1958  à 1967, adressée à François Goguel – celui-ci (1909 + 1999) entré en 1931 aux services législatifs du Sénat en est le secrétaire généraldu Sénat de 1954 à 1971, professeur à Scxiences-Po. de 1948 à 1974, il analyse les scrutins nationaux dont il fonde la sociologie à la suite d’André Siegfried. Georges Pompidou le nomme au Conseil constitutionnel en 1971

[24] - 1910 + 2010 – fils de Jules Jeanneney, sous-secrétaire d’Etat à la présidece du Conseil dans le gouvernement de Georges Clemenceau (1917-1920), président du Sénat (1932-1940), ministre d’Etat à la Libération - lui-même agrégé des sciences économiques avant la guerre, dirige le cabinet de son père à Matignon, enseigne ensuite à Grenoble puis à Paris. Il est ministre de l’Industrie de 1959 à 19862, puis ministre des Affaires soxciales de 1966 à 1968 et enfin ministre d’Etat, chargé de la rédaction du texte soumis au référendum de 1969. Il fonde en 1981 l’Observatoire français des conjonctures économiques O.F.C.E. et le préside jusqu’en 1990, après avoir secondé François Mitterrand pour les premiers sommets économiques auxquels participe ce dernier
[25] - 11 Septembre 1997 : JMJ, des jeunes en attente de confiance. La solution-miracle…
[26] - le mot, juste, est de
[27] - Georges Bernanos
[28] - pseudonyme devenu transparent, d’Hubert Beuve-Méry, le fondateur en 1944, recevant du général de Gaulle, Le Monde en mission : il fallait un « grand » journal, ce le fut à l’adresse et avec la typographie du Temps

[29] - Le Monde du 30 Mars 1972
[30] - 1920 + 1998 : du sang sur les mains à la tête des FTP dans le Lot, des articles plus qu’engagés au moment de l’insurrection hongroise, à compléter
[33] - La fin d’un alibiLe Monde du Août 1975
[34] - livre Gratchev
[35] - de Gaulle à Kissinger, suivant Richard Nixon dans le bureau présidentiel, au dernier printemps d’un pouvoir qui fut révolutionnaire : quelle énergie dans ce petit corps !
[36] - elle fut secrètement négociée par Michel Jobert, cf.
[37] -
[38] - le 8 Avril 1974
[39] - bibliographie