Ce n’est ni, dans le monde actuel, une
question d’échelle ni, avec nos frères européens, un emprisonnement progressif
depuis plus de soixante-cinq ans dans des textes communs. La question d’Europe
et la question de France sont aujourd’hui un seul défi et notre interrogation
ne peut porter sur le pourquoi : si nous ne sentons pas cette solidarité à
tous égards entre tous les Européens, et particulièrement entre la France et
l’ensemble comme chacun de ses partenaires, Grande-Bretagne compris, il nous
manque nos cinq sens. Que cet ensemble, autant que notre articulation de
Français avec cet ensemble, soit défectueux, qui le contestera ?
L’interrogation est sur le comment ? comment devenir ce qu’en puissance,
en continuité historique, en nécessité économique et en évidence stratégique,
nous sommes potentiellement depuis près
de trois quarts de siècle. Mais ne sommes toujours pas, au point de n’être plus
même un enjeu pour le monde alors que un par un, à quelques-uns nous l’avons
dominé et même formé mentalement, politiquement, culturellement depuis nos
Grandes Découvertes.
Tous détruits, occupés, ruinés après la
Seconde Guerre Mondiale, y compris la Grande-Bretagne, victorieuse sur le
papier, et nous de même statut par un miracle très incarné, nous avons, chaque
Européen – depuis, à des dates et selon des prises de conscience propres à
chacun de nous – décidé d’être et de faire ensemble. C’était un acte majeur
pour chaque peuple, les uns dépouillés de leurs empires coloniaux, d’autres
revenus de leurs systèmes totalitaires qui nous avaient tous conduits à la
guerre sinon au suicide collectif, d’autres encore libérés de la dictature d’un
immense voisin s’étant imposé à la faveur du retrait des précédents.
Nous sommes chacun différent par bien
des racines de toute nature, mais notre présence au monde d’aujourd’hui est
analogue, nous vivons les mêmes nécessités, les mêmes appréhensions et nous
avons, confusément ou précisément, conscience d’être ce qui manque au reste du
monde pour ne pas incliner vers des folies, vers des régressions politiques,
vers des conflits dangereusement contagieux. Enfin, nous réalisons que les
différentes mûes de nos voisins de l’est ou du sud, ou de nos grands alliés
nous menacent. La Russie, sous prétexte d’être frustrée du tout premier rang
qu’avait l’Union soviétique, n’est plus expansionniste à la manière d’antan
mais irrédentiste. L’Amérique a contesté, dès l’origine du Marché commun
européen, son principe puisque selon elle l’unification du Vieux Monde avait un
autre but que politique et économique : passer la main militairement.
Wladimir Poutine, après dix ans d’observation sagace de nos capacités
stratégiques et de la réactivité de nos psychologies, exploite le néant de
notre défense, même si elle était concertée entre nous tous, Grande-Bretagne
comprise. Donald Trump ne rompt pas avec ses prédécesseurs car la réalité du
libre-échange transatlantique et les projets, sans doute périmés maintenant, de
l’accentuer n’a jamais correspondu qu’à des prises de contrôle en Europe.
Jean-Jacques Servan-Schreiber, il y a cinquante ans, l’avait prédit :
l’étranger, qui n’est plus seulement américain, sait mieux utiliser notre grand
marché unique que nous qui l’avons créé et organisé si laborieusement.
Mais l’enjeu d’aujourd’hui n’est plus seulement la menace de très
grandes puissances étrangères – trois, avec l’émergence de la Chine depuis
vingt ans, au lieu de deux autrefois. Le risque est intérieur puisque la
construction si peu achevée et à présent paralysée, est contestée par
d’importantes fractions des opinions publiques européennes. Il n’est pas répondu
à ce nouveau nihilisme, de plus en plus concerté d’un pays à l’autre entre les
partis qui en vivent politiquement, électoralement et sans doute
financièrement, puisqu’ils approuvent à très haute voix ceux qu’ils croient
leurs alliés contre notre organisation actuelle, ou même leurs épigones :
Donald Trump et Wladimir Poutine
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