jeudi 20 novembre 2014

journal d'il y a cinquante ans


23 heures 10                     Vendredi 20 Novembre 1964


Impression de chaleur, d’étouffement. Depuis quelques jours, démarche plus lourde, traits tirés. Peu d’humour. Trop de sérieux. C’est le concours. Le travail est abrutissant, même si la matière (comme ce soir, la littérature française) ne l’est pas.

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Vu le Père Lamande, mercredi soir.
Au début, j’ai eu l’impression que nous ne nous comprenions pas. N’avait pas lu mes notes. (Les lira avant Noël). Lorsque je lui ai donné les résultats de l’écrit, ma dit qu’il n’y avait plus de problème. Je lui ai expliqué qu’il demeurait
– m’a montré tous les risques, et les désagréments de la vocation, tout ce à quoi il me faut renoncer (carrière, femme)
– a insisté sur le fait que mon choix devait être total, irréversible, définitif
– que la vocation était l’AMOUR, un amour pour Dieu, et c’est tout.
M’a dit
– qu’il refusait de me parler de la période où il m’a le mieux connu : Petit Collège
– de ne pas prendre de décision avant le service militaire, que le service me ferait beaucoup de bien.

A la fin de notre entretien, je crois qu’il avait compris combien ma position est parfois inconfortable, et qu’il est des moments où je souffre réellement de ne pas voir clair, d’errer dans un couloir où toutes les portes sont fermées.

En lisant mon analyse d’écriture, a déclaré
– que je serai très dangereux comme supérieur religieux (cf. Boyau)
– qu’il était indispensable que je sois bien dirigé.
Qu’au fond, je n’étais pas encore en possession de ma personnalité (ce qui est normal à mon âge) et que le bien et le mal étaient tous deux latents en moi.


Trajets, en revenant de l’INS, mardi et mercredi derniers, avec Olivier F.
– est simple, et lui-même. Pas besoin de prendre des gants. Dit facilement ce qu’il pense, simplement. Beaucoup de finesse et de délicatesse. Séduisant au fond.
– pratiquement pas d’idées bien personnelles. Ce qu’il avoue lui-même. N’a au fond guère de caractère. A conscience, et ne regrette pas, d’être le prototype-même de l’élève de l’ENA, semblable à d’autres
– vg. politiquement au centre, mais la politique de l’intéresse pas. C’est l’administration, la gestion qui l’intéresse. Epouser une femme riche, est pour lui une ambition véritable. Ne semble pas avoir de « problèmes ». Guère de profondeur. Mais infiniment de gentillesse, et une intelligence simplifiant les choseds. Je ne lui ai pas posé de questions sur ses croyances.
  chose curieuse (du moins je le crois), s’est assez ouvert à moi, sans que je lui ai fait tellement de confidences en retour.

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Conférence de Hallstein [1], hier soir, à la Faculté. Très applaudie. Le mot « politique » particulièrement. Unité politique. Communauté politique. Prise de position capitale : la dégense devra être intégrée si l’on veut faire l’Europe, contre toute menace de désintégration à l’intérieur ou d’écrasement à l’extérieur. En quoi, rejoint les thèses gaullistes.

Je suis de très près ces questions, conscient de l’enjeu formidable de la partie qui se joue. Les Etats-Unis ont tout intérêt – ils l’ont bien compris maintenant – à ce que l’Europe ne se fasse pas. Pour cela, ils dévoyent systématiquement l’Allemagne [2]. La force multilatérale n’a d’autre but que d’amarrer définitivement une partie de l’Europe à l’Amérique, laissant de côté toute l’Europe de l’Est, et compromettant considérablement tout projet d’Europe.

Il faut choisir : l’Europe atlantique n’existe pas. Il faut choisir la Communauté atlantique ou la Communauté européenne. Je choisis la Communauté européenne, dussè-je dire non à la Communauté atlantique.

Si à court terme, l’on peut être pessimiste, on peut être optimiste pour l’avenir. Les Etats-Unis éveillent de plus en plus de méfiance. Il n’y a plus de lien sentimental avec eux (seul Kennedy aurait pu les maintenir). La conscience (ou le nationalisme) européen se fait de plus en plus sentir. Tôt ou tard, l’Europe se fera, contre les Etats-Unis, s’il le faut.

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Guère le temps de penser à la vocation. Ne la désire que dans la mesure où c’est le plan de Dieu sur moi. Sinon, je souhaite que la question soit enterrée. Mais je ne peux l’enterrer. La question reste latente sans pour autant que je puisse la résoudre. Je fais confiance à Dieu pour m’aider à la résoudre quand il m’indiquera de lui poser la question. J’attends calmement. Et la vie religieuse me devient indifférente. Que Dieu tranche en moi. Après tout, c’est lui qui m’a choisi et non pas moi. Il ne m’abandonnera pas. J’ai la foi et cela commande tout mon avenir, mais pas encore assez mon présent.

En tout cas, faire la volonté de Dieu est ma raison d’être. Et je ne serai pas heureux sans cela. C’est cela qui est capital. Quelle est la volonté de Dieu sur moi ? que je ne puisse jamais dire, comme Gide : « C’est à ma taille aussi que j’avais taillé mon bonheur… Mais j’ai grandi. A présent, mon bonheur me serre. Parfois, j’en suis pres étranglé ! ».

Mon Seigneur !
Je n’ai guère la force de te prier.
Je suis fatigué, aveugle.
Je ne vois plus rien.
Le concours barre tout.
Je ne sais plus rien.
Si ce n’est que Tu m’aimes.
Et que j’ai choisi de Te suivre partout.
Et que la vie n’a de sens qu’en Toi.
Et que je ne peux – et ne veux – être heureux qu’en toi.
Je confie, comme tous les soirs, à Ta mère
ma vocation
Si Tu m’appelles, fais-le moi savoir, et donne-moi la force de Te suivre.
Seigneur, exauce-moi. Même si je ne puis ce soir, formuler ma prière. Viens la chercher au fond de mon cœur.
Je ne peux l’élever jusqu’à toi.
Tant, je suis fatigué, et sans horizon.

Seigneur, je Te confie tout mon être, tout mon avenir,
tout mon présent. Cette nuit et ce demain.
Et ces oraux de l’ENA.
Et l’effort de mes camarades, et leur appréhension.
Et mon effort et mon appréhension.
Seigneur, sans Toi je ne puis rien.
Je m’accroche à Toi, et je sens de plus en plus,
que si j’ai la Foi, c’est bien grâce à Toi qui T’es révélé
à moi, à moi qui ne suis qu’un pécheur et
qu’un égoïste forcené.

Credo in unum Deum,
je crois à Ton amour.
Je crois en Toi, unique source de tout amour,
Toi qui es Amour, Toi qui es tout
et qui fais mon bonheur.
Toi, Seigneur, que je veux suivre
dans quelque état que ce soit.

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[1] - Walter Hallstein, président de la Commission du Marché commun, à Bruxelles. Il inaugure ces fonctions et cette institution après avoir été ministre des Affaires étrangères de son pays, la République fédérale d’Allemagne, sous l’autorité du chancelier Adenauer. Il avait alors inauguré aussi ces fonctions pour l’Allemagne d’après-guerre et énoncé la doctrine qui porte son nom : rupture avec tout Etat qui reconnaîtrait la République démocratique allemande (on disait alors le régime de Pankow). C’est l’époque où la discussion ne porte pas sur un amoindrissement des compétences de la Commission, mais sur la définition-même de l’entreprise européenne : politique ou pas ? ce qui constitue le débat : fédéralisme ou pas

[2] - dirigée depuis Septembre 1963 par le chancelier Ludwig Erhard, sans la moindre affinité avec le général de Gaulle

dimanche 16 novembre 2014

journal d'il y a cinquante ans


Lundi 16 Novembre 1964


en bibliothèque, rue Saint-Guillaume

Réflexions pour 1985 – j’en lis l’analyse dans Paris-Match.

– la culture primant le savoir. Ce que Duverger disait il y a trois ou quatre jours : tout comprendre et non pas tout savoir. Ce qui suppose des gens beaucoup plus intelligents, mais aussi toute une autre éducation. La priorité donnée aux voyages, aux lectures (non des manuels juridiques ou scientifique, mais des grandes œuvres ou d’ouvrages de vulgarisation : Fred Hoyle, ou de synthèse : Teilhard)

– croyance que le progrès va vite. En fait, je n’ai pas cette impression. Depuis Napoléon, on mange toujours du pain, nous nous asseyons toujours devant une table pour manger, nous dormons dans des lits peut-être plus confortables mais qui sont toujours à quatre pieds. Les villes sont de plus en plus laides, et, dans le quotidien, on se déplace aussi lentement (on met certainement plus de temps pour aller de l’Etoile à Sciences-Po., que du temps de Napoléon III). Je crois donc qu’en 1985, notre vie quotidienne ne sera pas tellement changée par rapport à 1965. Le confort sera plus répandu. Peut-être vivrons-nous dans des maisons particulières ? Mais… les projections faites dans le livre auraient pu être faites, il y a vingt-cinq ans pour notre époque, et notre époque les a démenties.

– optimisme démesuré. Croyance que la Beauté sera répandue. En fait, la beauté dont l’homme d’aujourd’hui est le plus avide, c’est la nature, d’où le week-end à la campagne, les sports d’hiver, le scoutisme (de Baden-Powel).

– l’homme est-il heureux ? réponse : « J’existe. Plus aujourd’hui qu’hier. J’existe plus fort. Je maîtrise mieux l’univers. Quoi d’autre ? ».  Cela ne répond pas à la question. L’homme est-il plus près de Dieu ? Reprendre Daniélou. Quel sera le paganisme de demain que l’Eglise purifiera, transfigurera, dans la Révélation du Christ.

– reprendre ce que disait Daniélou à Jambville : on ne manquera pas de techniciens, mais d’hommes de prière, de moines, de prêtres, de moines. Frappant qu’aux Etats, pays-pilote pour la civilisation de 1985 (et qui le vit déjà peut-être), il y ait un tel élan de monachisme. Cf. Merton, Gethsémani passant de 60 à 200 frères en deux ans.

– manque de pensée, de contingent, de sens de l’effort dans ce monde tel qu’il est décrit (et tel qu’il n’existera pas).
La politique sera toujours « la tragédie de notre temps », elle l’était du temps des Grecs, elle le sera encore dans vingt ans. Et peut-être même plus, car il faudra des hommes qui fassent la synthèse de leur temps, et des options que le monde prendra plus ou moins consciemment.
Le rôle du politique sera même de faire naître l’alternative. Là où aucun choix ne se présente, c’est le totalitarisme de la machine (demain) ou de l’homme (hier).
Le politique sera celui qui créera, non pas une solution de rechange, mais qui mettra en question, en doute, des orientations. (La conscience naît de la remise en question). Il est frappant de voir qu’avant 1958, l’OTAN était en vogue, et la coupure du monde en deux un fait irréversible. Aujourd’hui, on envisage très calmement – et à juste titre – de sortir du sillage américain, de confectionner un autre bateau – entièrement indépendant – ou encore de s’allier aux Russes. Là où il n’y avait qu’une orientation, de Gaulle a posé une alternative.

Dieu n’agit-il pas de même dans nos vies ? en remettant sans cesse en cause l’orientation que nous avons vouku donner à notre vie, sans nous soucier de l’alternative qu’il nous propose : tout ou rien, son amour ou le désespoir.

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A certains moments, surtout quand je travaille, j’ai l’impression de n’avoir jamais « flagorné », de n’avoir jamais lancé à fond toute mon énergie, toute ma puissance, toute mon imagination, qu’il y a une puissance formidable en moi, et qu’un avenir très lourd et dense m’est promis.

Mais je sens aussi que cette puissance est diverse, éparse, qu’elle ne pourra se donner à plein – que si elle unifiée, stimulée, subjuguée, canalisée, que les multiples possibles ne pourront se résoudre qu’en une vie, que seul le Christ peut me permettre de me réaliser, et que sans Dieu, et son plan sur moi, je ne puis rien, qu’un souffle dans le soir, alors que je pourrais être l’ouragan qui balaie – ou le vent qui fait tourner mille moulins.

J’ai l’impression que beaucoup de recherche et de tâtonnements m’ont été évités par la Providence, que tout de suite, elle m’a fait pressentir la vérité, ce pour quoi je suis fait, que l’existence vaut la peine, parce qu’elle mène à Dieu.

Mais je sais aussi qu’elle ne m’a pas encore permis de résoudre l’avenir. Et que les décisions sont à prendre. Jusqu’à présent, j’ai été façonné, avec plus ou moins de collaboration de ma part, et plus ou moins de conscience de l’œuvre de Dieu.

Maintenant, il faut que je réponde.

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Il y a deux cultures :
– celle que je suis en train de mettre en fiches, qui est à la portée de quiconque
– celle que donne la vie : cette capacité de s’émerveiller, ces multiples paysages, ces visages d’amis, ces âmes entraperçues, ces sourires du corps et du cœur, ces rencontres, ces vies vécues. Tout cela n’est que don de la Providence, et chercher cette culture (au beau sens du terme, puisqu’elle nous façonne, puisque Dieu nous façonne, nous « cultive » par les événements), c’est s’exposer à ne jamais l’atteindre, et à perdre celle que l’on a déjà. On ne reçoit qu’en donnant. Et donner, c’est parfois accepter de recevoir.


A la maison, 22 heures

Bien souvent, je crois des regards pleins de tristesse ou de non-espoir, des regards vides, qui appellent de quoi les remplir. Et je ne sais que leur répondre, et je baisse les yeux. Un peu honteux de mon bonheur.

Il n’est pas facile de regarder en face mon ami, et de contempler sa certitude, sa richesse, son amour, la plénitude de son regard, pas ce que ce regard contemple déjà, ce qui peut seul le remplir pour l’éternité, que de regarder ces yeux gris, fixés dans le vague, ces yeux de couleur indéfinissable, qui me supplient, qui me disent : je suis malheureux, tout craque en moi, ces yeux qui sont ouverts sur un vide intérieur vertigineux, que creuse le sentiment que la vie est absurde et n’a aucun sens.

Seigneur, j’ai parfois peur de ces regards. Et c’est le regard de presque tous tes frères : les hommes. Seigneur, aurais-tu apporté la lumière pour rien ?

Et lux in tenebras lucet. J’ai compris. Tu ne peux remplir que ce qui est vide, tu ne peux éclairer que l’obscur. Ces regards vides t’attendent. Cette angoisse de ceux que je cotoie, c’est l’angoisse de ton absence. Mais Seigneur, tu viens en ce monde, sécher les larmes et faire voir les aveugles. Seigneur, je te prie pour ceux que j’ai croisé aujourd’hui et dont je n’ai regarder le regard san gêne. Seigneur, ce sont mes frères et demain ils verront la même lumière que moi, et tu les appelleras, au même bonheur, et à la même joie éternelle.

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Tombé sur quelques vers, cet après-midi, en faisant mes fiches.
« Il fallait y croire il fallait
Croire que l’homme a le pouvoir
D’être libre d’être meilleur
Que le destin qui lui est fait… »            Eluard.

Si l’on retranche le dernier vers, c’est parfaitement chrétien. Et tout l’optimisme de la Révélation s’y retrouve. Mais il y a ce déterminisme et cette damnation, dans le dernier vers, qui est faux.

J’ai surtout beaucoup ces vers de Robert Desnos.
« J’ai rêvé tellement fort de toi, 
j’ai tellement marché, tellement parlé,
tellement aimé ton ombre,
qu’il ne me reste plus rien de toi… »

C’est là la différence entre l’amour humain (dans la mesure où la mort le condamne, pour les incroyants il ne me reste plus rien de toi, qu’un corps mort) et l’amour divin : le dernier vers est alors en trop.
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Reçu une lettre d’André. Me laisse entendre que lui et sa famille croient que j’ai la vocation. Me parle de la Foi qui balaie tout. Et la Foi est un don de Dieu. Deo gratias.

mercredi 12 novembre 2014

journal d'il y a cinquante ans



« On croise sans cesse dans la vie des regards qui paraissent nous parler » – Daniel Anselme  Les relations


Jeudi 12 Novembre 1964


Cours de Reuter [1] sur la communauté européenne 

Montre que les Russes accepteraient d’évacuer l’Europe si elle était neutralisée (traité d’Etat de 1955 sur l’Autriche, plan Rapacki). Conclusions diverses : l’Europe peut se faire, jusqu’à la Vistule, pourvu que les Américains se retirent. Le retait des Américains entrainerait celui des Russes et leur avance. (La force multilatérale qui accroîtle potentiel allemand ne peut que les inciter à rester sur leurs positions européennes). Conclusion : de Galle joue le seul jeu possible pour l’Europe, pour que l’Europe s’unifie, départ des Américains (bien entendu, les Etats-Unis ont au contraire intérêt à la solution atlantique, qui est le plus grand danger que court l’Europe. Plus que jamais, vive de Gaulle. On ne voit personne d’autre sur le continent qui serait assez sûr de lui et de ses vues pour continuer et résister à l’ambiance chasse à courre qui éclate parfois).

Pb. allemand est la base de tout. Peuvent faire pencher la balance pour l’est ou pour l’ouest. Peuvent détrruire instantanément la construction européenne. Les Américains misent sur l’Allemagne, seule puissance « intéressante » sur le continent. En la mettant dans leur jeu, ils gagnent. Contrairement à ce que l’on dit, Bonn a effectivement tôt ou tard à choisir entre Paris et Washington. De Gaulle n’a jamais pensé à la forcer à choisir. Mais Johnson manifestement veut obtenir ce oui de l’Allemagne. L’aura-t-il ? Comme dit Raymond Aron aujourd’hui : la partie de poker ne fait que commencer . Si c’est du poker (et non du bridge où celui qui a le plus de points gagne), on peut miser sur de Gaulle…

Donc, cours stimulant pour l’esprit et un professeur plus séduisant que jamais.


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Coup de téléphone de Christian, de Michel. Lettre de Luc G. « Le problème majeur reste pour moi la question de mon orientation. En fait, cette année, quelle que soit son issue, ne sera pas décisive : car elle comprend une grande partie de Math. Physique.Chimie. qui sont des matières qui m’ont toujours intéressé. Il y a des moments où je suis certain d’être dans la bonne voie, d’autres où j’envisage des oeientations diamétralement opposées… ». J’ai cru presentir la question de la vocation, et lui ai écrit en ce sens. Ses rapports de wood-craft [2] m’avaient fait me poser la question. Prier pour lui. Quelle joie ce serait si Dieu l’appelait. Il est des moments où l’on ne pense plus à soi. (Héls ! ils sont trop rares).

L’un des plus beaux moments de ma vie a été cette journée et surtout cette heure de bavardage, avant de nous endormir, avec Christian à Solesmes, certain « samedi in Albis ». Encore merci, Seigneur, de ces minutes si humaines et si près de Toi, dans ta lumière. Car Tu rassembles les êtres, qui ont le même amour de Toi dans leur cœur. Alleluia !  

Suurexit Dominus vere . Alleluia !

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Demain matin, je commence à fond la préparation de mon oral.

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[1] - Paul Reuter, professeur à la faculté de droit et des sciences économiques de Paris et rue Saingt-Guillaume, où j’ai suivi ses cours en 1963-1964 – un des rédacteurs du traité de Paris institut la Communautéeuropéenne du charbon et de l’acier – 1911 + 1990 – particulièrement séduisant, ensemençant sous des dehors dilettantes, un juriste et un praticien (notamment des détournements de trafic, précurseurs de nos délocalisations actuelles) très précis. Il savait écrire court et faire cours
[2] - quelques jours absolument seul à vivre par ses propres moyens en pays inconnu à priori : une des disciplines-entrainements du scoutisme

vendredi 7 novembre 2014

qu'est-ce donc qui vous intéresse ? Alfred

délire et souffrance - morphine ou amour, choisir ?

journal d'il y a cinquante ans


Samedi 7 Novembre 1964


Journée détendue occupée à classer les photos et à en continuer le répertoire.

Avant-hier, j’ai un peu arrangé ma chambre : disposant mes quelques bibelots, « encadrant » la photo de Solesmes représentant Sainte Madeleine.

Depuis deux soirs, je récite, plus ou moins bien, un chapelet avant de m’endormir.

J’ai vraiment le sentiment qu’il va falloir me décider, que je serai le seul à le pouvoir et que je fais pas encore assez confiance en Dieu. Me décider.

Hier, messe du 1er vendredi du mois. J’ai été profondément ému, car c’était une messe pour les vocations, dite par Monsieur le Curé qui a fait un court sermon, que les églises soient toujours remplies et qu’il y ait des prêtres pour apporter le corps et la parole du Christ.

Paradoxalement, un manque de prêtres, on fait tout pour qu’il y en ait davantage, et Boyau me dissuade de l’idée que j’ai la vocation !?

Dans deux jours, si j’ai le courage d’aller voir les affiches dès lundi soir, j’aurai les résultats de l’ENA.

J’ai l’âme sèche et désertique. Je vis sans penser à l’avenir¸ni au lendemain, pour ne pas raviver un désir que peut-être Dieu condamne. Je pleure sans larmes, et j’espère sans espoir. Christ, ma seule espérance. Spea in Deo quoniam adhuc confitebor illi anima mea. Et quae contrubas me ?

Seigneur, si tu ne viens à mon aide, je suis fichu. J’ai peur, je désespère, j’ai froid, je doute. « Dans tous les désarrois, tu garderas ma foi ».
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Toi aussi, Seigneur, Tu as souffert. Toi aussi, Tu n’as pas vu clair. Toi aussi, Tu as été abandonné. Seigneur, sauve-moi.

mercredi 5 novembre 2014

couple ? homosexuel

journal d'il y a cinquante ans


                                             

                                               Jeudi 5 Novembre 1964


L’affaire du « Concorde »

On en parle depuis huit jours. Tout le monde s’accorde à la considérer comme très importante.

Test capital : l’Europe peut-elle concurrencer l’Amérique ? l’Europe peut-elle résister à la puissance économique américaine et à terme, s’en émanciper ? Refuser, ou ne pas pouvoir, construire Concorde, c’est accepter la suprématie américaine, non comme un état transitoire, une conséquence durable mais éphémère de la guerre, mais comme un article de foi éternel. C’est accepter de se laisser peu à peu envahir par les Etats-Unis et dépendre d’eux, pour la moindre production. L’Europe sera-t-elle le Canada ?

L’Angleterre recule : prétexte, la dépense contraire au programme d’austérité. Il semble qu’à deux : France et Angleterre puissent construire Concorde. En fait, l’Angleterre ne veut pas mécontenter les Etats-Unis. On a vraiment l’impression – une fois de plus – que la France est le dernier rempart de l’esprit européen, la dernière carte de l’Europe, même si elle agit pour elle-même.

« On ne voit pas très bien comment une nation pourrait maintenir son indépendance politique si une grande part de ses moyens de concevoir et de produire était subordonnée à des décisions techniques et économiques de forces étrangères, elles-même rattachées au même pavillon. »

Pour l’indépendance de l’Europe, Concorde doit être construit à tout prix. Au besoin, par la France toute seule. Pour des raisons différentes, les syndicats français réclament cette construction, et demandent au gouvernement français de « faire preuve de la plus grande fermeté et de mettre en œuvre tous les moyens dont il dispose, pour que ce projet franco-anglais ne soit plus remis en cause, au moins dans son principe. Dans le cas où la valeur incontestable du dossier tel qu’il se présente, devrait supporter la carence de nos partenaires… que tous les efforts et tous les sacrifices soient consentis pour mener à bien l’expérimentation de l’idée française qui a la faveur de l’approbation des milieux intéressés internationaux. »

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De Gaulle ne fait jamais plus l’unanimité des Français que lorsqu’il s’agit des relations avec l’Angleterre. Cf. Concorde, Janvier 1963.
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Même s’ils ne l’acceptent pas du fond du cœur, les gouvernements européens acceptent l’hégémonie américaine pour des raisons de sécurité.
1° il est dommage que des nations sacrifient leur identité-même et leur personnalité à terme, pour des raisons de sécurité,
2° on peut se demander si les Etats-Unis assureront toujours la sécurité de l’Europe,
3° l’URSS est-elle désireuse de s’emparer de l’Europe ? Ne se contenterait-elle pas d’une neutralisation ou d’une neutralité : l’Europe indépendante ne s’alignerait pas forcément sur les Etats-Unis, d’où il suit que l’URSS a plus intérêt que les Etats-Unis à l’unification européenne.

Pour les Etats-Unis, le maintien de la division européenne et la subjugation économique, puis politique de l’Europe, est la condition de leur hégémonie mondiale. Pour l’Europe, l’unification est la condition de sa survie. Devenir la première ou la deuxième puissance mondiale, ou périr.

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Les Etats européens sont plus dociles aux Etats-Unis sur le plan politique que sur le plan économique. Tout porte à croire que, tôt ou tard, les sentiments européens l’emporteront. De Gaulle aura – en attendant – préservé et peut être gagné l’essentiel. Le Times le faisait remarquer aujourd’hui : le plus sérieux adversaire de Johnson (et des Etats-Unis), c’est de Gaulle. (On peut penser que pas un gouvernement français ne se sentirait assez sûr de lui, de ses vues, de son soutien, que de Gaulle. De Gaulle est donc le seul à pouvoir assumer ce rôle). Qui gagnera ? Le seul fait que la résistance gaulliste se prolonge, donne aux autres gouvernements le temps de réfléchir.


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Toute la politique internationale est dominée par le problème de l’unification européenne et par les rapports entre les Etats-Unis et l’Europe. On peut être inquiet mais doit être optimiste. « La France, pour la seule raison qu’elle est la France… »


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Aujourd’hui, j’ai rangé ma chambre. Rencontré Mr. N. [1]dans la rue. Inquiet de l’évolution des SDF [2].

Notre-Dame, patronne des vocations.

Me rends compte combien je suis faible et vaniteux, et pécheur. Que je ne progresse nullement, que je refuse tout sacrifice.

J’écarte de moi toute pensée concernant l’avenir.

Lundi prochain, résultats de l’écrit de l’ENA [3].

Nommé moniteur, hier [4]

Coup de téléphone long et sympathique de Christian à midi.

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J’ai parfois l’impression que pour voir clair, il me suffitrait de le vouloir, et qu’une décision franche et nette pour la vie religieuse (ou son refus définitif) dégagerait d’un seul coup tout mon univers, et tout mon horizon.

Faut-il faire une retraite ?
Pb. peut-être mal posé. Au lieu de me demander si j’ai ou non la vocation, si Dieu m’appelle ou non, me demander où tout me mène, ce vers quoi je penche le plus manifestement, et DECIDER.

Le moindre encouragement de Boyau – ou même de quelqu’un d’autre – me ferait me décider, et répondre présent.

Cette incapacité présente à décider, est-elle signe
– que je n’ai pas les éléments pour décider (pas d’appel net, pour le moment, etc…)
ou                        – que je ne déciderai jamais (pas de volonté, pas de générosité)





[1] - père d’un de « mes » plus jeunes scouts : Marc

[2] - Scouts de France

[3] - Ecole Nationale d’Administration

[4] - assistant d’un chargé de travaux dirigés, en faculté de droit et des sciences économiques à Paris – je ne me souviens plus en quelle matière, peut-être était-ce pour l’ensemble de celles donnant lieu à ces « TDs » ; menu salaire et familiarité plus grande avec le corps professoral et enseignant