Jeudi
5 Novembre 1964
L’affaire du
« Concorde »
On en parle depuis huit
jours. Tout le monde s’accorde à la considérer comme très importante.
Test capital : l’Europe
peut-elle concurrencer l’Amérique ? l’Europe peut-elle résister à la
puissance économique américaine et à terme, s’en émanciper ? Refuser, ou
ne pas pouvoir, construire Concorde, c’est accepter la suprématie américaine,
non comme un état transitoire, une conséquence durable mais éphémère de la guerre,
mais comme un article de foi éternel. C’est accepter de se laisser peu à peu
envahir par les Etats-Unis et dépendre d’eux, pour la moindre production.
L’Europe sera-t-elle le Canada ?
L’Angleterre recule :
prétexte, la dépense contraire au programme d’austérité. Il semble qu’à
deux : France et Angleterre puissent construire Concorde. En fait,
l’Angleterre ne veut pas mécontenter les Etats-Unis. On a vraiment l’impression
– une fois de plus – que la
France est le dernier rempart de l’esprit européen, la
dernière carte de l’Europe, même si elle agit pour elle-même.
« On ne voit pas très bien comment une
nation pourrait maintenir son indépendance politique si une grande part de ses
moyens de concevoir et de produire était subordonnée à des décisions techniques
et économiques de forces étrangères, elles-même rattachées au même pavillon. »
Pour l’indépendance de
l’Europe, Concorde doit être construit à tout prix. Au besoin, par la France toute seule. Pour
des raisons différentes, les syndicats français réclament cette construction,
et demandent au gouvernement français de « faire preuve de la plus grande fermeté et de mettre en œuvre
tous les moyens dont il dispose, pour que ce projet franco-anglais ne soit plus
remis en cause, au moins dans son principe. Dans le cas où la valeur
incontestable du dossier tel qu’il se présente, devrait supporter la carence de
nos partenaires… que tous les efforts et tous les sacrifices soient
consentis pour mener à bien l’expérimentation de l’idée française qui a la
faveur de l’approbation des milieux intéressés internationaux. »
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De Gaulle ne fait jamais
plus l’unanimité des Français que lorsqu’il s’agit des relations avec
l’Angleterre. Cf. Concorde, Janvier 1963.
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Même s’ils ne l’acceptent
pas du fond du cœur, les gouvernements européens acceptent l’hégémonie
américaine pour des raisons de sécurité.
1° il est dommage que des
nations sacrifient leur identité-même et leur personnalité à terme, pour des
raisons de sécurité,
2° on peut se demander si
les Etats-Unis assureront toujours la sécurité de l’Europe,
3° l’URSS est-elle désireuse
de s’emparer de l’Europe ? Ne se contenterait-elle pas d’une
neutralisation ou d’une neutralité : l’Europe indépendante ne s’alignerait
pas forcément sur les Etats-Unis, d’où il suit que l’URSS a plus intérêt que
les Etats-Unis à l’unification européenne.
Pour les Etats-Unis, le
maintien de la division européenne et la subjugation économique, puis politique
de l’Europe, est la condition de leur hégémonie mondiale. Pour l’Europe, l’unification
est la condition de sa survie. Devenir la première ou la deuxième puissance
mondiale, ou périr.
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* *
Les Etats européens sont
plus dociles aux Etats-Unis sur le plan politique que sur le plan économique.
Tout porte à croire que, tôt ou tard, les sentiments européens l’emporteront.
De Gaulle aura – en attendant – préservé et peut être gagné l’essentiel. Le Times le faisait remarquer
aujourd’hui : le plus sérieux adversaire de Johnson (et des Etats-Unis),
c’est de Gaulle. (On peut penser que pas un gouvernement français ne se
sentirait assez sûr de lui, de ses vues, de son soutien, que de Gaulle. De
Gaulle est donc le seul à pouvoir assumer ce rôle). Qui gagnera ? Le seul
fait que la résistance gaulliste se prolonge, donne aux autres gouvernements le
temps de réfléchir.
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Toute la politique
internationale est dominée par le problème de l’unification européenne et par
les rapports entre les Etats-Unis et l’Europe. On peut être inquiet mais doit
être optimiste. « La France, pour la seule raison qu’elle est la France… »
* *
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Aujourd’hui, j’ai rangé ma
chambre. Rencontré Mr. N. [1]dans
la rue. Inquiet de l’évolution des SDF [2].
Notre-Dame, patronne des
vocations.
Me rends compte combien je
suis faible et vaniteux, et pécheur. Que je ne progresse nullement, que je
refuse tout sacrifice.
J’écarte de moi toute pensée
concernant l’avenir.
Lundi prochain, résultats de
l’écrit de l’ENA [3].
Nommé moniteur, hier [4]
Coup de téléphone long et
sympathique de Christian à midi.
_________
J’ai parfois l’impression
que pour voir clair, il me suffitrait de le vouloir, et qu’une décision franche
et nette pour la vie religieuse (ou son refus définitif) dégagerait d’un seul
coup tout mon univers, et tout mon horizon.
Faut-il faire une
retraite ?
Pb. peut-être mal posé. Au
lieu de me demander si j’ai ou non la vocation, si Dieu m’appelle ou non, me
demander où tout me mène, ce vers quoi je penche le plus manifestement, et DECIDER.
Le moindre encouragement de
Boyau – ou même de quelqu’un d’autre – me ferait me décider, et répondre
présent.
Cette incapacité présente à
décider, est-elle signe
– que je n’ai pas les
éléments pour décider (pas d’appel net, pour le moment, etc…)
ou –
que je ne déciderai jamais (pas de volonté, pas de générosité)
[1] - père d’un de
« mes » plus jeunes scouts : Marc
[2] - Scouts de France
[3] - Ecole Nationale
d’Administration
[4] - assistant d’un chargé de
travaux dirigés, en faculté de droit et des sciences économiques à Paris – je
ne me souviens plus en quelle matière, peut-être était-ce pour l’ensemble de
celles donnant lieu à ces « TDs » ; menu salaire et familiarité
plus grande avec le corps professoral et enseignant
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