dimanche 2 novembre 2014

journal d'il y a cinquante ans


Lundi 2 Novembre 1964


carrefour du Capitaine, 16 heures 30

Mon sac est bouclé. Je viens de plier ma tente. Déjà, le soir tombe. Mais les couleurs n’ont jamais été si belles. A quelques mètres de moi, sur ma droite., chaque feuille a sa teinte et nulle autre ne lui ressemble. Un chêne dessine des nœuds sur le fond blanc du ciel, que tache un résineux. Tout est silence. Quelque part, pépie un oiseau. Je ne sais son nom. Il y a quelques heures, un rendez-vous de chasse encombrait le carrefour. Je revenais de Saint-Jean, et j’ai quelque temps pensé suivre la chasse. Je l’ai vite perdue sitôt que les chiens ont trouvé la piste. Toute une journée de flânerie dans la forêt. Mais pas de rêverie. Quand on regarde, quand on sent, quand on écoute, comment peut-on rêver ? alors que tout est présent, et que notre être sent si bien qu’il a sa place au milieu de tant de beauté ?

Peut-être va-t-il pleuvoir. En tout cas, dans une heure, j’espère être à Compiègne pour le train. Tout à l’heure, à l’étang de l’Etot, assis sur un tronc tombé dans l’eau, et dont seule une petite section repose au sec, j’ai vêcu la minute pour laquelle – je crois – j’étais venu en forêt. J’en ai eu la sensation si précise, que j’ai eu l’impression d’être arrivé, que cela faisait très longtemps que j’étais là, et que je resterai là bien volontiers si j’en avais le loisir.

Des feuilles de peuplier tombaient dans l’eau, avec un petit bruit sec et mat en touchant la surface. A leur rencontre montaient sur le miroir du lac, leur reflet, et j’ai pensé que c’était là un peu notre vie. « Ne faire qu’un avec sa course », comme l’écrit Brasillach et, au moment où la vie s’achève, coincider avec cette image de soi-même, que Dieu a voulu de toute éternité. Devenir soi-même. Etre soi-même. C’est une curieuse convergence de toutes les philosophies que je connaisse. Mais il faut que le Christ vienne sur terre pour que nous puissions être fils de Dieu, pour que nous sachions que nous sommes faits à l’image de Dieu : alors que sans la Révélation, nous sommes prêts à penser que Dieu est fait à notre image.

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Je regarde à nouveau sur ma droite. Je m’imprègne de ces couleurs qui sont couleurs pour mon seul regard. Et je suis seul au milieu de ce carrefour, adossé au poteau blanc, et autour de moi, comme les rayons d’une roue, à partir du moyeu, les chemins s’en vont Dieu sait où, et la roue est infinie qui sa circonférence à Pierrefonds, Compiègne, Morienval, ou encore bien loin au nord, bien loin au sud, bien loin à l’ouest, bien loin à l’est. Et je suis au centre, car Dieu a voulu que l’image de lui-même soit comme le promeneur attardé au milieu de la Création. Dieu vit que cela était bon. Seigneur, je vois que cela est bon. Seigneur, merci de cette journée, de la nuit qui tombe, lentement, de la fraîcheur, merci de ce jour d’existence.

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