lundi 24 mars 2014

ce que j'en pense - d'expérience

les tics et ls tocs des écrivains - L'Express



Dossier   www.lexpress.fr

Les tics et les tocs des écrivains

Par Marie Gobin (Lire) (Lire), publié le 01/02/2004

L'un n'écrit qu'à l'encre bleue, l'autre enfile de grosses chaussettes, un troisième récite son chapelet, un autre s'entoure de grigris... on ne se lance pas sans appréhension dans l'écriture. C'est pourquoi les auteurs mettent en place toutes sortes de rituels et de manies censés favoriser l'inspiration et la chance.

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Tics et manies, obsessions et phobies, rituels et pensées magiques... L'écrivain est un homme comme les autres. A ceci près: il écrit. Sur papier ou sur ordinateur. Dans un lieu précis ou n'importe où. Le jour ou la nuit. Dans un capharnaüm sans nom ou dans un ordonnancement monacal. Rarement les deux ensemble, mon capitaine. 
Comment démarrer? A chacun sa béquille psychique. Pour lutter contre l'angoisse de la page blanche, Colette n'écrivait que sur du papier bleu. La romancière Camille Laurens, elle, se jette à l'eau en écrivant toujours les deux dernières pages du livre. Mais comment continuer? Avec la mise en oeuvre d'un dispositif le plus souvent immuable bordant le temps de l'écriture. Et cela vaut s'il n'a pas l'apparence d'un rituel: l'absence de dispositif est le dispositif lui-même. 
Parmi ceux - une minorité au sein des écrivains interrogés - qui réfutent cette idée de rituel: Régis Jauffret. L'auteur d'Univers, univers (Verticales) n'avoue aucune superstition - "ce dieu minable qui n'a jamais aidé personne" selon ses termes - et ne cède à aucun diktat: "Je n'ai besoin de rien par nécessité. Et le rituel suppose une vie bien réglée." Il poursuit de sa voix grave et mesurée: "C'est une vision romantique qui laisse penser que l'écriture est une activité ésotérique et non une activité humaine." Marie Darrieussecq est de cet avis. Si l'auteur de Truismes (P.O.L) a eu tôt dans sa vie d'écrivain quelques manies - écrire avec le même stylo, le matin et dans le silence - être passée sur le divan les a évacuées. "Mon analyse m'a permis de faire de l'écriture un métier. Non plus une conduite névrotique", dit-elle. Grâce à ce travail libérateur, elle peut envisager aujourd'hui, sans trouble, de prendre sa retraite d'écrivain, de cesser d'écrire: "Comme Faulkner le fit à cinquante-trois ans, toutes proportions gardées, naturellement." 
Hormis ces deux rétifs au rituel, la plupart des romanciers interrogés confie avoir besoin d'un dispositif spécifique. Ainsi, Thierry Hesse, auteur du Cimetière américain (Champ Vallon), magnifique premier roman: "Si on veut écrire, il faut, dans la vie ordinaire, instaurer un temps qui n'est plus tout à fait celui de la vie ordinaire", explique celui qui, avant de commencer son travail à quatre heures du matin, se met en voix en lisant un quart d'heure durant des "pages énergétiques" (Faulkner, Homère ou encore Shakespeare). Pour trouver la voie, se mettre en voix. 
Ou en chaussettes de laine, trop petites et toujours du même modèle pour Edmonde Charles-Roux qui confie tenir cette extravagance de Salvador Dalí. 
Dominique Fabre, auteur de Pour une femme de son âge (Fayard), confie ne pouvoir écrire chez lui. Sa famille n'y est pour rien mais il lui faut un lieu anonyme, "un atelier, une chambre de bonne, la maison d'une collègue partie en vacances". Tout sauf son domicile. Lydie Salvayre pousse plus loin le bouchon du nomadisme: "J'écris n'importe où. Plus c'est n'importe où, mieux c'est", explique l'auteur de Passage à l'ennemie (Seuil), qui peut coucher quelques lignes dans la salle d'attente d'un dentiste. Son seul bagage est sa mémoire: "J'ai tout mon livre en tête. C'est un texte portatif", continue-t-elle. Unique exigence de cette itinérante: "Je dois avoir le sentiment de solitude." 
Pour certains de ses frères en littérature, écrire à découvert est inimaginable. Philippe Besson est de ceux-là. Il interdit à quiconque de pénétrer dans sa tanière sans son autorisation. Délivrée exceptionnellement et réservée à quelques rares proches privilégiés, dont la femme de ménage, cette autorisation est rigoureusement assujettie à la présence de l'auteur d'Un garçon d'Italie (Julliard) dans les lieux: "J'accompagne le visiteur, je le suis et le surveille" confie-t-il, dans un sourire qui trahit à peine l'angoisse de l'effraction du huis clos. Interdiction d'entrer et de regarder ses papiers. Un coup d'oeil - fût-il furtif ou bien intentionné - attire les foudres de son propriétaire. Le pétillant romancier ne supporte pas l'idée que l'on puisse avoir accès à ses corrections, ses ratures, ses repentirs. Les généticiens littéraires n'auront rien à se mettre sous la dent: Philippe Besson jette brouillons et essais infructueux de peur que l'on puisse lire ce qu'il n'a pas voulu garder. Pas une coquetterie d'auteur mais l'indice d'un désir de contrôler, qu'il ne peut exercer ailleurs, dans sa vie hors du temps de l'écriture: "Je perds toujours tout." De la même manière, il ne dit rien du livre en cours. Par superstition et crainte de la fausse couche: "C'est comme une grossesse. Tant que le livre n'est pas fini, je refuse d'en parler." 
Si Nathalie Rheims est aussi terrifiée que l'on lise son grand cahier - à carreaux, perforé - c'est par crainte que l'on y découvre... ses fautes d'orthographe. Réminiscence cuisante de sa vie de petite fille à la scolarité lamentable, la peur que l'on lise ses mots réduits à leur plus simple appareil - "Honnêtement, j'ai un niveau d'élève de cinquième", évalue-t-elle - la conduit à dicter chaque samedi ses pages à son éditeur, Léo Scheer. Et c'est une manie familiale: pour les mêmes raisons, son père, Maurice Rheims, académicien de son état, confiait lui aussi sa prose à son dictaphone qui chaque matin était recueillie par les mains expertes de la secrétaire. Mais les Rheims ne sont pas une tribu à part. Dans Vivre pour la raconter (Grasset), le Prix Nobel Gabriel García Márquez confie combien il était humilié de devoir rendre un manuscrit truffé de fautes. Et à part cette manie? La romancière ne voit pas, consciente toutefois de son image de Mylène Farmer de la littérature: "On pense que je dors dans un cercueil", s'amuse-t-elle. Certes, ses livres - Lumière invisible à mes yeux (Léo Scheer), Les fleurs du silence ou encore Lettre d'une amoureuse morte (Flammarion) ont tous à voir avec la disparition mais elle n'en est pas morbide pour autant. Ainsi, à partir de la Toussaint, chaque matin, le jour à peine naissant, le réveil la surprend dans son désir d'écrire et sa chemise de nuit de grand-père. Et rituellement, jusqu'en avril: "J'achève mon livre avec l'arrivée du printemps." 
Claire Castillon a aussi son horloge interne. Depuis Le grenier (Anne Carrière), son premier roman, chaque 20 décembre sonne l'heure de la remise de manuscrit. Au départ, symbolique - l'envoi par la Poste du Grenier coïncida avec le départ en vacances d'un amoureux - l'attachement à ce jour est aujourd'hui prosaïque: "C'est devenu mon échéance. Cela veut dire qu'écrire, c'est un travail, et donc, que je ne dois pas plaisanter avec ça", explique-t-elle, charmante. 
La remise de copie est souvent un moment difficile pour l'écrivain. A la différence d'un Roger Caratini ou d'un Jean-Pierre Angremy, alias Pierre-Jean Rémy, qui engendrent plusieurs livres par an (et pas des pamphlets ni des libelles, des pavés) et pour qui cet exercice, s'il est toujours délicat, est sans doute rarement périlleux, Sébastien Japrisot ne pouvait s'y résoudre. L'auteur d'Un long dimanche de fiançailles (Gallimard) ne savait poser de point final. Du moins, le mot "fin" attendait des années. A étape difficile, ses stratagèmes psychiques. Météorologiques chez Serge Joncour, auteur de Vu et de UV (Dilettante) qui suit de près les évolutions du temps avant de se rendre chez son éditeur: "Un régime anticylonique est favorable à la livraison de mon manuscrit. Un temps pourri la retarde", précise-t-il. L'équation est simple: le beau temps rend les gens heureux. Et indulgents. Marotte d'auteur? Plutôt l'indice d'un tempérament anxieux et d'un "manque de confiance dans le manuscrit lui-même". Même incertitude chez Philippe Besson qui exige de son éditeur qu'il lui livre son verdict sous vingt-quatre heures: "Passé ce délai, je m'effondre." Fragilisé par le doute, Philippe Besson pourrait aller jusqu'à ne pas supporter qu'un tiers lui lise son horoscope, si celui-ci était un peu tendancieux. A la différence d'un Dominique Fabre qui, lui, lit tous ceux qui lui tombent sous la main. Sans que leur lecture prenne une importance démesurée mais toutefois demeure l'épine dans le pied. Après tout, on ne sait jamais... Auteur de Paysage et portrait en pied-de-poule (Fayard), Thierry Beinstingel avoue "se confier à l'irrationnel". Chaque séance de travail sur ordinateur se termine par une partie de cartes, un solitaire (toujours sur son écran). Cherchant dans les combinaisons aléatoires des réponses à ses questions: "Ce livre va-t-il plaire à mon éditeur? Au lecteur?" Très superstitieux, l'auteur, qui décrivit au plus près dans Composants (Fayard) la mécanique déshumanisante de l'usine, croise les doigts quand il va chez son éditeur - selon un itinéraire précis (au passage piétons près). Et croit très fort en sa capacité à reconnaître les individus nuisibles, ceux qui portent la poisse. 
Peu invalidants, ces derniers rituels procèdent le plus souvent de la pensée magique, "mode de pensée existant notamment chez l'obsessionnel et caractérisé par le mécanisme suivant: "Si je pense, fais ou dis cela, il va arriver ceci"", selon la définition du docteur Franck Lamagnère, dans Manies, peurs et idées fixes (Retz). Une croyance psychique associée le plus souvent à des troubles obsessifs compulsifs (les TOC). Ces derniers peuvent être les symptômes d'une affection neurologique, comme le syndrome de Gilles de la Tourette. Selon l'Association française du syndrome de Gilles de la Tourette, André Malraux - dont le visage semblait mangé de soubresauts - souffrait probablement de cette affection. Quelle que soit leur origine, les idées compulsives peuvent investir un champ tout à fait inattendu. La compulsion mathématique d'Emile Zola le poussait à compter sans cesse dans la rue les becs de gaz et à additionner les numéros de portes et de fiacres. "Longtemps, les multiples de trois lui parurent favorables. Puis ce furent les sept" peut-on lire dans Le livre des bizarres de Guy Bechtel et Jean-Claude Carrière (Bouquins Laffont). Tout aussi irrationnel, le comportement de Francis Bacon qui s'évanouissait à chaque éclipse de lune. La fièvre d'Erasme à la vue de n'importe quel poisson, la frayeur mêlée de dégoût d'Alfred de Musset devant une anguille. Ou encore, cette curieuse habitude de Pierre Corneille qui s'enroulait dans des couvertures de bure et se roulait sur le sol dans une pièce chauffée afin de suer et seulement, ainsi délivré de ses humeurs, pouvait-il se mettre à écrire. 
Mais il arrive que certains écrivains, sans doute rongés par l'anxiété, soient en proie à des obsessions plus handicapantes. Comme Mario Vargas Llosa dont les Cahiers de L'Herne révèlent qu'il souffrait d'une peur panique de l'avion qu'il a toutefois pu guérir en lisant en vol des chefs-d'oeuvre de la littérature. Comme Serge Joncour dont le premier roman, Vu, s'ouvrait sur un accident aérien et qui ne peut pas prendre l'avion, atteint d'une phobie qui le mena, malgré les sauf-conduits usuels (décontractants et alcool), à rester par trois fois dans la salle d'embarquement. Son aversion est pour partie liée au fait de devoir demeurer assis. Cette contrainte lui est tout aussi insupportable chez un dentiste ou même chez un coiffeur. Se définissant comme parfaitement inconséquent, l'écriture lui "permet de ne pas être dans la dilution permanente". C'est pour cette raison qu'il suppose que l'agoraphobie dont il souffre de manière fluctuante et qui se manifeste par la peur de la foule et du voyage en métro est un mécanisme autocréé: "C'est un mal pour un bien. Cela m'oblige à rester chez moi et à écrire", confesse celui qui, en période d'écriture, arrête de manger de la viande crue par crainte d'être trop excité. Pierre Mérot, auteur de Mammifères (Flammarion), couronné du prix de Flore, est, lui aussi, agoraphobe. Avec attaques de panique. Sans doute est-ce pour cela que le romancier préfère demeurer chez lui, loin des yeux du monde, dans le "foutoir organique" de son bureau, bordel monstrueux dans lequel il se roule "comme un cochon dans sa fange". Dans les rais de lumière rougeoyants de l'heure entre chien et loup, et qui donnent à son verre de bière un aspect incandescent. 
Le psychiatre Christophe André, auteur de Petites angoisses et grosses phobies (Seuil), édifie un pont entre création et phobies: "Ce sont des pathologies de l'hypersensibilité", explique-t-il. Avant de poursuivre: "Le fait d'écrire est alors à la fois un échec et une réussite. Echec de l'adaptation par l'action. Réussite parce que c'est un compromis qui signifie que finalement cela ne se passe pas trop mal." 
Les écrivains paient parfois leur hypersensibilité au prix fort. La crainte de la maladie tourmente Joris-Karl Huysmans, dont les ouvrages portent l'empreinte de sa peur de la souillure qui révèlerait la porosité de son corps. Collectionneur d'odeurs comme son personnage d'A rebours, Des Esseintes, agoraphobe, livrant dans sa littérature ses idées fixes impulsives - à travers les tics de scrupule du père Emonot dans L'oblat ou les pensées sacrilèges de Durtal dans Là-bas - l'écrivain n'a d'autre choix, à la fin de sa vie, que de choisir la réclusion et la solitude. Comme Raymond Roussel, l'auteur d'Impressions d'Afrique, ami des surréalistes, qui prenait ses repas, toujours seul et... à la suite: on lui servait, nous dit-on dans Le livre des bizarres, ses quatre repas, l'un après l'autre, cinq heures durant. 
La ritualisation de l'écriture, les tics de l'écrivain soulignent bien la nécessité d'un filet psychique. "Il y a d'autant plus de rituels qu'il y a d'incertitude", analyse le psychiatre Christophe André. Le doute, souvent indissociable de l'acte de créer, suscite des conduites allant du seul désir d'agencer son univers (ne pas travailler dans le désordre) à l'extravagance la plus folle: Nerval promenant dans Paris un homard vivant au bout d'un ruban bleu. "Il faut organiser son intérieur", se commandait Huysmans pour se border. Et, à chaque auteur, son ordonnancement: Catherine Cusset, auteur de Confessions d'une radine (Gallimard), fait table rase dans sa psyché avant de commencer un nouveau livre en nettoyant son "appartement de façon maniaque et dans tous les recoins". Alors, tout de même, comme l'écrivait Balzac: "Quel opéra qu'une cervelle d'homme!" 

être écrivain aujourd'hui - Rue89



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22/03/2014 à 18h37

Etre écrivain aujourd’hui : « J’ai désactivé mon compte Facebook »

Imanol Corcostegui | Journaliste Rue89

L'auteur
  Imanol Corcostegui
Journaliste
Imanol Corcostegui n'a pas rempli sa bio
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L’écrivain fait un très beau métier : il peut travailler où, quand, et aux horaires qu’il veut. En version un peu plus sophistiquée, ça donne cette phrase de Le Clézio :
« J’écris d’un pays qui n’existe pas. […] Quand j’écris, je ne suis pas ici. Je ne suis pas non plus ailleurs. Je suis dans ce que j’écris, ou plutôt je suis ce que j’écris. »
C’est beau, hein ? Allez donc expliquer ça aux écrivains persuadés que rien de bon ne sortira de leur cerveau sans leurs rituels.

Bret Easton Ellis n’y arrive plus

Des lieux – Balzac ne travaillait que dans son lit, Rostand dans sa baignoire –, des moments – toute sa vie, Kant s’est fait réveiller par un domestique à 4h55 et écrivait jusqu’à 12h45 pétantes –, des objets – « H.G. Wells possédait deux stylos, l’un pour les mots courts, l’autre pour les mots longs », rappelle le magazine Sciences Humaines.
Ces rituels n’ont qu’un seul but : provoquer et maintenir la concentration. Mais comment la préserver au XXIe siècle ? Quand on reçoit cent mails par jour, que « les réseaux sociaux ôtent toute profondeur au temps » écrivait Mona Chollet sur Rue89, que l’époque est au zapping, que tout doit aller vite et qu’on ne prend le temps de rien.
Dans un entretien aux Inrocks, Bret Easton Ellis décrit son incapacité à se remettre à l’écriture d’un roman :
« Je ne sais pas si ça a un rapport avec la concentration, avec le rythme imposé par Internet mais je n’y arrive plus. »

« Je n’ai jamais voulu écrire »

Au Salon du livre de Paris, nous avons demandé à des romanciers comment ils parviennent à se concentrer à l’ère du numérique. Il y a ceux pour qui la question n’a pas de sens, qui n’ont aucun rituel, parlent d’écriture comme d’une pratique que la vie leur impose.
Comme l’académicien Dany Laferrière, qui vient de publier « L’Art presque perdu de ne rien faire » :
« A tout moment, on peut sortir de ce monde suractivé pour trouver sa concentration. Moi, je n’ai jamais voulu écrire, je ne cherche pas à écrire. »
Et il y en a d’autres.
1

« Je pense que je vais carrément débrancher ma box »

Philippe Jaenada
Philippe Jaenada sur le plateau de l’émission « Au Field de la nuit » sur TF1, le 7 février 2009 (GINIES/SIPA)
Pour Philippe Jaenada, le wifi est vraiment une sale invention. Pendant l’écriture de son dernier roman, « Sulak », toutes les soirées commençaient de la même manière :
« J’enlevais le fil qui reliait mon ordinateur à mon modem et j’allais le mettre sous l’oreiller à côté de ma femme qui dormait. Je travaillais alors toute la nuit avec la certitude que mon ordinateur était une boîte hermétique.
Maintenant, mon ordinateur est en wifi. Je pense que je vais carrément débrancher la box. Mais je ne suis pas sûr que mon fils de 13 ans va être très content. »
Pour écrire, le romancier a besoin d’avoir « la sensation d’être dans une forteresse d’où [il] ne peut pas sortir et où personne ne peut entrer ». Ça date de l’époque de son premier roman, dont il a commencé par écrire 60 pages en trois ans et demi :
« Je me suis dit que je n’y arriverai jamais. A l’époque, je me suis enfermé dans une maison dans un village de Normandie, en plein hiver. J’ai écrit 800 pages en trois mois. »

Sur Facebook : « Je reviendrai le 14 février 2015 »

Depuis, Jaenada travaille à heure fixe, « comme un guichetier à La Poste ». Avant, c’était de minuit à 6 heures du matin ; depuis qu’il a une vie de famille, il écrit en journée dans les conditions de la nuit, volets tirés, à la bougie, overdose de café. Personne n’a le droit d’entrer.
Internet est un aimant à perte de temps. Alors qu’il attaque l’écriture d’un nouveau livre, le romancier a pris une décision radicale quant à son compte Facebook, où il pouvait passer trois ou quatre heures par jour à répondre aux messages de fans :
« J’ai commencé à écrire mon livre le 14 février. J’ai posté un statut pour dire que je reviendrai le 14 février 2015. Et j’ai désactivé mon compte. Plein de gens m’ont dit : “Tu es fou, tu n’y arriveras jamais”, comme si j’allais m’installer sur la Lune pendant un an… »
Pour le reste, l’écrivain trouve que les réseaux sociaux sont une bénédiction. Pour « Sulak », qui s’inspire de l’histoire vraie d’un ancien braqueur, il a consulté des tas de sites et d’archives de journaux en ligne :
« Et Facebook m’a été très utile. Je n’ai pas de portable. Plutôt que de passer par l’éditeur qui ralentit parfois un peu les choses, beaucoup de libraires, de médiathèques, de médias me contactent sur Facebook. »
2

« L’époque a rendu mon écriture plus ramassée »

Philippe Besson
Philippe Besson sur le plateau de l’émission « Au Field de la nuit » de TF1, le 12 décembre 2013 (GINIES/SIPA)
Philippe Besson assure qu’il est incapable d’écrire en France. Trop de sollicitations, trop de tentations, trop de temps perdu notamment sur les réseaux sociaux :
« A Paris, je suis en colère en permanence. J’utilise beaucoup Facebook et en quatre jours, j’ai, par exemple, dû faire dix posts sur Sarkozy, tellement cette histoire m’énerve. Je ne peux pas écrire dans ces conditions. »
Alors, le romancier part quelques mois par an à Los Angeles, « la ville du vide absolu », à neuf heures de décalage horaire. Il débranche, ne suit pas l’actualité française. Une connexion internet quand même, « juste pour appeler ma mère sur Skype ».
Le romancier n’associe pas l’écriture à des rituels, c’est « une obsession très heureuse » qui le pousse à travailler jusqu’à épuisement. Pas de problème de concentration, donc. Quand il n’avance pas assez vite à son goût, il change juste de lieu :
« Il y a le Joyce Café, près de Santa Monica Boulevard. Je m’y sens très bien. Dans un café parisien, je ne peux pas écrire mais là, le brouhaha me stimule, il est dans une langue qui n’est pas la mienne. »

« On a perdu le goût de la lenteur »

Il y a quelques années, Philippe Besson pouvait écrire six ou sept heures par jour. Aujourd’hui, il se lasse au bout de trois mais écrit ses livres plus vite qu’avant. C’est sans doute lié à l’époque « qui est poreuse », dit-il :
« Tout est devenu plus rapide dans la vie. On n’accepte plus de consacrer autant de temps qu’avant, à quoi que ce soit, tout doit être accessible tout de suite. On a perdu le goût de la lenteur. »
Il dit être le premier à ne plus supporter la lenteur. Et il estime que son style a changé :
« Mon écriture, qui était déployée, est devenue plus ramassée, plus courte. J’écris autrement, plus tranché, plus vif. Et je pense qu’il y a une part de responsabilité de l’époque. »
3

« La culture numérique, c’est le contraire de la dispersion »

Maylis de Kerangal
Maylis de Kerangal au Salon du livre à Paris, le 13 mars 2012 (BALTEL/LAMACHERE AURELIE/SIPA)
Pour Maylis de Kerangal, dont le dernier livre « Réparer les vivants » a reçu une pluie de récompenses, la société numérique n’a presque que des avantages :
« La culture numérique enrichit mon travail. Ce n’est pas du tout une perte de temps mais un atout, le contraire de la dispersion. On va plus vite sur les recherches.
Pendant l’écriture de mon dernier livre, j’avais un système de signets dont j’avais besoin : le site de l’agence de biomédecine, un site de carte topo, un site de surf pour les matériaux… »
La romancière dit qu’elle ne « croit pas à l’inspiration » mais que tout tient à la concentration. Et elle estime être plutôt douée pour la maintenir le plus longtemps possible.

« Cliquer sur les robes de stars sur le tapis rouge »

Elle travaille dans une chambre de bonne, de 9 heures à 18 heures, un cadre régulé par quelques rituels : jamais de nourriture à portée de main, beaucoup de cafés crèmes, une sieste de vingt minutes la tête posée sur le clavier, de la musique pendant les phases de réflexion mais pas pendant la rédaction.
Chaque journée commence par un temps de mise en route, une façon de préparer l’écriture tout en la retardant :
« J’allume l’ordinateur, je traîne sur les sites d’info, je m’attaque aux mails qui demandent une réponse rapide. Il y a beaucoup de café et de cigarettes. Je relis ce que j’ai fait la veille.
Je peux baguenauder sur Internet, cliquer sur les robes des stars sur le tapis rouge mais comme je suis impatiente de m’y mettre, le piétinement ne dure pas. »

« Le “gling” du mail qui tombe »

Maylis de Kerangal n’a pas de compte sur Facebook ni sur Twitter, ce serait une menace pour son temps. Déjà que la gestion des e-mails est une prise de tête :
« Tenir ma correspondance électronique, faire en sorte qu’il n’y ait pas des couches de mails qui fassent une espèce de sédimentation préhistorique, ça prend du temps sur l’écriture.
Au moment de “Naissance d’un pont”, je consultais mes mails à heure fixe. J’arrivais à m’y tenir en baissant le son. Ce qui est perturbant, c’est le “gling” du mail qui tombe. »
La romancière est satisfaite d’avoir su conserver « la culture du bloc, du temps long ». De parvenir à regarder la télé pendant quatre ou cinq heures d’affilée plutôt que de zapper sans cesse. Grâce à cette culture, sa concentration ne flanche presque jamais.
4

« J’ai supprimé mon compte Twitter et mon Tumblr »

Aurélien Manya
Aurélien Manya, 33 ans, fait face au grand défi des jeunes écrivains : il vient d’entamer la rédaction de son deuxième roman. Le moment où l’on comprend que c’est un métier, qu’il faut s’organiser, se discipliner :
« Je n’ai pas envie de mettre à nouveau cinq ans pour écrire un livre. Alors, j’aménage mon temps : je me force à écrire au moins trois heures par jour. Je lutte énormément pour rester concentré. J’ai supprimé mon compte Twitter et mon Tumblr. C’était une pollution de temps. »
L’auteur du « Temps d’arriver » est en train de se construire des rituels. Chaque jour, deux heures de marche et un film. Et une solution pour guérir l’angoisse de la page blanche : un journal intime dans lequel il écrit, en dernier recours, quand il n’a pas assez d’inspiration pour son livre.

« Les séries vont à l’encontre de la vitesse du numérique »

Monteur pour le cinéma, il est très inspiré par les nouvelles technologies. Les blogs de photo qu’il découvre sur Facebook, le Tumblr This isn’t happiness qu’il adore, les séries, comme « True Detective » ou « Top of the Lake », qu’il dévore, même si elles sont chronophages :
« Ça se rapproche beaucoup plus du roman que du cinéma. Ces séries sont des histoires qui durent douze heures, vingt heures : il y a une profondeur des personnages qu’on ne trouve souvent pas dans les films.
Les séries ont réinstallé un culte de la lenteur, elles vont à l’encontre de la vitesse du numérique. Un peu comme le succès des “mooks”, alors que les textes courts l’emportent sur le Net. La randonnée aussi marche de plus en plus. Plus on a une culture du zapping, plus rejaillit un besoin de lenteur. »

mardi 4 mars 2014

Changement de signe - 1er registre - la fiction politique ... schéma




Changement de signe – 1er registre – la fiction politique

le calendrier du Président



Vendredi 18 = intervention à la suite de la rediffusion du Dictateur de Charles Chaplin ; entretien avec le Premier ministre

Samedi 19 = déjeuner avec Mohamed Ould Abdel Aziz, la « françafrique » ; 2ème entretien : avec le Premier ministre (Commissariat au Plan, Europe et délocalisations, ouverture excessive du marché commun, nouvelles négociations commerciales)

Dimanche 20 = instructions au Premier ministre pour la refonte du gouvernement ; pélerinage nocturne à Colombey ; Jean-Marc Ayrault à Berlin ; 3ème entretien : perspectives européennes, dettes souveraines : avec Michel Sapin

Lundi 21 = visite de Kaunitz, chancelier fédéral autrichien et promenade en vallée de Chevreuse ; lettre aux homologues européens ; Mounir couche à l’Elysée (la prière de Salomon)

Mardi 22 = concentration du gouvernement ; 4ème entretien : économie et société gouvernés par le civisme (impôt citoyen, service national universel garçons et fillesà deux volets militaire coopération, enseignement) – perspective de conférence de presse et adresse à la nation

Mercredi 23 = pèlerinage et entretiens de Jérusalem (entente israëlo-palestinienne, Poutine, pape François) ; 5ème entretien en vol retour à bord de l’Air Sarko one

Jeudi 24 = réception des représentants de confessions religieuses, concertations monétaires, premier conseil du nouveau gouveernement, conférence de presse Louis Gallois (min. Entreprises natiuonalisées et Services publics), conférence de presse Pascal Canfin (min. Relations extérieures) ; 6ème entretien : avec Christiane Taubira, confection des lois, dualité de juridictions, la bioéthique laissée au juge ; Merkel se propose d’accompagner FH dans sa tournée européenne ; dîner rue Bénouville chez Valéry Giscard d’Estaing

Vendredi 25 = le patronat, la nationalisation de Peugeot (la retraite chapeau) et Renault, pas d’étatisation de l’économie française ; 7ème entretien : avec les présidents de groupes parlementaires, la révision constitutionnelle (la République sincère, vote blanc, retour devant les électeurs pour celui qui veut récupérer son siège parlementaire après avoir quitté le gouvernement, vote obligatoire)

Samedi 26 . Dimanche 27 . Lundi 28 = tournée européenne jusqu’en début de soirée ; 8ème entretien, le patriotisme européen

Mardi 29 = conseil européen extraordinaire ; 9ème entretien, de la reprise européenne au nouvel élan français

Mercredi 30 = conseil des ministres & réunion du congrès du Parlement à Versailles ; adresse à la nation

Jeudi 31 = huis-clos gouvernemental ; démission

Dimanche 3 = rencontre avec l’épistolier

Lundi 4 = conférence de presse

. . . soir de la réélection

soit quinze chapitres

lundi 3 mars 2014

l'imagination - 7 février 2005



L’imagination n’est pas la production intime de fiction, autant de compensations à une réalité limitée ou décevante, autant de refuges délicieux et putatifs. Non ! c’est un moteur de recherche, une manière d’évaluer soi et le monde, un chemin de conviction. L’utopie est créatrice de réalité si elle est artiste, elle suppose donc un projet.

L’imagination n’est pas non plus l’inventaire d’un contenu inaccessible sauf par la rêverie ; elle est au contraire une conduite délibérée, elle est active. La passivité est le premier consentement à la médiocrité de la réalité. L’imagination est le premier pas pour tirer parti de la réalité, en analyser les potentialités, la beauté possible, les implications. Elle prolonge des données, elle aide à les analyser.

L’imagination ne crée pas de l’imaginaire, elle n’est pas indépendante de l’histoire ni du regard que le sujet porte sur lui-même et sur le monde, elle est tributaire des structures intimes d’une personnalité, d’une société, d’une civilisation. Elle suscite, éveille une réalité alternative, elle est une critique et une proposition.En cela, elle est l’expression la plus vive de ce à quoi tiennent personnalité, société et civilisation ; elle exprime une vision du monde, une place du vivant, elle est une philosophie même si elle est contingente, et elle est précisément contingente.

L’imagination est la forme la plus élevée de la prière et de la foi, elle convoque des sujets et des êtres, elle nourrit des intuitions et des certitudes inenvisageables autrement. Elle y fait entrer de plain-pied comme le poème

Elle se distingue des activités mentales et artistiques par la manière dont elle s’exerce. Elle peut s’appuyer sur l’ensemble des facultés humaines comme ignorer la plupart. Elle peut ne pas s’exprimer, ne pas même venir à une conscience explicite ; elle est cependant constitutive de la personnalité puisqu’elle dépasse le rêve activement, puisqu’elle prolonge et utilise la mémoire, fait feu de toute culture, agence pour une œuvre qui peut n’être jamais communiquée ni montrée l’expérience entière d’une vie ou à l’inverse la totalité des souhaits d’une personnalité en train de se faire.

L’imagination distingue moins les êtres car elle n’est pas subjective ; au contraire, elle les relie à des structures psychologiques et spirituelles faisant une époque, un temps de l’histoire, une étape dans l’évolution du vivant. Elle n’est pas individualiste.

L’imagination est la forme humaine de cette activité divine souveraine qu’est la création. Elle n’est ni anticipation, ni nostalgie, elle est la recherche du chemin le plus court, le plus pratique et le plus efficace entre une conception de l’esprit, un souhait d’âme (ou une peur, une défiance) et une impossible concrétisation. Elle est sans mesure, c’est ce qui distingue sa production de la réalité. Elle est donc incomparable en activité comme en résultat, elle récite et décrit ce qu’elle voit et entend. Dieu l’achève qui est seul à pouvoir réaliser tous les rêves et à inspirer l’infinité des possibles.

                            Par l’imagination, l’être humain se sait déjà éternel ; c’est pourtant la seule faculté que périme l’au-delà puisque l’éternité est la plénitude du réel et le don fait à la créature de comprendre le tout de la création en contemplant, d’égal à égal, enfin, le créateur. L’imagination est l’espérance, l’attente de la réalité totale. 7 II 05