mardi 31 juillet 2012

dévotion - l'impossible est notre vie . récit . 24 (àsuivre)





L i e u























DEVOTION



Vous lui dites, brusquement, à l’instant de vous laver les dents puis de partir – elle ne vous accompagnera pas chez votre médecin traitant – que si vous retardez l’opération, conjecture précisément soumise à celui qui vous connaît le mieux médicalement et qui a laculture générale laplus vaste du sujet, c’est-à-dire des conditions d’une vie humaine, tant physiologiques que psychologiques, c’est par désir d’enfants. Or, elle n’en veut pas. Vous préparez donc votre séparation à tous points de vue, votre vie risquée et la mise aux voix (féminines) de ce désir. Un dépoart enivisagé, souhaité et que vous ne pourriez accomplir, ce qui est pire. Etre demeuré avec elle arès en avoir choisi une autre, puis avoir été incapable d’aller au bout de ce choix-là, ce qui est pire.

Qu’il vous est familier ce parc, où vous cotoyez les images précises de vos divers séjours, des aventures vécues en songe ou en souvenir lors de chacun d’eux, où viennent à vous des pages de notre histoire, des figures contemporaines ou des époques baroques. Eclairés les bâtiments figurent la stabilité de la prière, de la présence mais leurs disparités, les redents et recoins que soulignent les ombres sont autant de vies, d’individualités, d’autres aventures que les vôtres et qui pourtant les rejoignent, des existences humaines que fige et embellit la mort. Le salo d’attente une nouvelle fois, durant cinq ans ce n’étaient que des lignes de sièges lelong de mur, une porte capitonnée, le passage devant vous qui lisiez ou rédigiez sans relever la tête mais vous ressentiez ces personnes, leur journée, leurs responsabilités, la blouse blanche et tout autant la condition humaine commune.Le jeu de rôles pour s’entraider et tenter de gagner, de s’en sortir, de vaincre une ennemie à la fois floue et précise, proportionnée à chacun, la mort dont on a envie, la mort qu’on redoute, la mort d’autrui, la mort trop vive, la mort prématurée, la mort enfin. Il est là,smeblable àlui-même, silencieux quand il pense passer sans que vous l’aperceviez, de fait, vous ne quittez pas le fauteuil où vous avez maintenant votre habitude, tandis qu’il descend, puis va remonter – vous l’entendez – vous vousêtes levé, être allé à la gravure ou la gouache originale, une revue passée par Napoléon III dans la cour d’honneur, devant l’église, donc en bas de ces fenêtres, il y a cent cinquante ans, lePrincePrésident ou l’Empereur, en costume de ville, serre-t-il la main qu’on lui a présentée, de sa gauche, ou bien est-ce l’hôte des lieux qui tint la main et la présente,l’apporte au souverain. Se détache au premier plan, le visage d’une jeune femme sur une auréole très blanche que fait un chapeau ou une voilette. Chacun tient ses pieds comme au début d’une chorégraphie, les talons sont tous hauts des hommes autant que des femmes, on a la chaussure fine et mince, la cheville aussi, les pantalons semblent bouffer et si les ceintures sontajustées et font la taille de guêpe aux hommes, en revanche les basques s’échancrent et font presque corolle, la virilité dans la mode et les avatars de chacune.

Le général – c’est le grade de votre médecin – n’a pas remarqué ce qui fait la matière de votre question, et Napoléon III n’était pas gaucher.Vous passez dans son bureau, celui qu’il occupe depuis neuf mois maintenant, il a remonté une valise, celle des revues qu’il avait emmené pour en dépouiller le plus grand nombre possible en ses huits jours au vert, il vous propose qu’on s’asseye comme au salon, loin de sa table, vous êtes sur le canapé, ce que François MITTERRAND affectionnait, on y trône à l’aise pour tous les jeux de bras, et votre ami, un peu gauche, le visage très rougeni en blouse médicale ni en uniforme, a pris un fauteuil. Il est aussitôt net. D’entrée, vous êtes dans la meilleure conjoncture physiologique pour l’opération a minima. Sans qu’on puisse vous le garantir, il y a de très fortes chances que votre virilité n’en soit pas affectée, aucune métastase loco-régionales, osseuses, hépathiques, une ablation ce qui est la meilleure thérapie ; c’est l’éradication. Retarder, surseoir comme vous l’envisagez, alors que vous sembliez consentant lors de votre dernier conversation, c’est aller vers une prévisibilité redoutable. On ne pourra, quelque suivi que vous soyez, vraiment savoir l’évolution, la prolifération. Sans doute, n’est-ce pas une échéance de trois ou deux mois, mais d’une année sur l’autre, il peut s’avérer impossible de vous opérer, ou si l’intervention est encore possible, elle portera aussi sur l’environnement de la glande, on grattera et curera, on s’attaquera à des nodules, votre virilité, or vous y tenez n’est-ce pas ? sera certainement atteinte. Pis, si l’hormonothérapie est seuleloisible, il y aura certes des résultats d’abord brillants, puis soudain tout cèdera, il y aura une échapée de la testostérone, une éruption de métastases, vous souffriez beaucoup, vous aurez une triste et très douloureuse fin de vie, et pendant la période rémission, tout ce qui en vous est androgène s’effacera, votre caractère changera, vous vous féminiserez, ce n’est pas ce que vous voulez. Vous l’écoutez, il sait de quoi il parle, il vous connaît, vous regarde tout en exposant ces variantes, un homologue en visite annuelle systématique se révèle avoir un taux de PSA de 15, refuse de revenir à l’examen et l’année suivante on en est à 50, il n’a rien senti ni vu, on l’opère de justesse. Vous n’en êtes qu’à 7, personne ne peut savoir où vous en serez dans un an. Evidemment, il peut ne rien se passer, mais c'’st très peu probable.

En regard, quoi ? Vous allez être tendu. Ce qui vous fatiguera trouvera aussitôt son origine dans votre tête, dans vos sensations, cette douleur ou cette présence là, vous l’attribuerez à coup sûr à votre cancer.L’épéede Damoclès, votre recherche, et laquelle ? ne sera pas sereine, vous allez faire des bêtises, vous tromper, vous lancer à la tête et au ventre de n’importe qui, et puis votre amie, vous y tenez bien plus que vous ne le croyez, déjà quand vous avez sursis à votre projet avec votre jeune Russe, n’était-elle pas intensément présente dans son désespoir mais aussi selon toutes ses qualités, sa solidité, son charme. Pourrez-vous la quitter, chercher dans de quelles conditions de dénuement affectif, d’angoisse physiologique quelqu’une inconnue ? Et si vous la rencontriez par impossible, avez-vous les moyens de vous marier, et la laisserez-vous veuve parce que vous aurez été soigné trop tard, et l’enfant ? connaîtra-t-il son père. La simulation, dans sa bouche, est textuellement abstraite mais les images passent, défilent et se pressent en vous, une sorte de divagation fébrile et folle, dans des décors et selon des paysages vides, blafards ou excessivement lumineux en sorte que rien d’un relief, d’un accident de terrain, d’un passant, d’un visage, du temps et des journées, des nuits qui se succèdent et qui coulent n’est perceptible, la solitude d’un enfer à travers lequel courir, déjà enterré. Non, il ne vous en croit pas capable, qui le serait ? Vous lui aviez demandé conseil, vous lui aviez exposé votre trouble, votre lassitude, déjà, alors que rétrospectivement analysé, le combat ne faisait que débuter, entre votre fiancée et les appels, les malédictions de votre compagne, l’assemblement des créanciers vous n’aviez plus de quoi tenir, ressources épuisées, du répit par pitié ! Si elle tient à vous, elle aura attendre, si elle avait tenu à vous, une femme va carrément à l’éviction de la rivale, elle serait revenue au alop. Vous avez ce souvenir, vous ne pouvez pas lui petre apparu tiède de sentiments et de convictions cet été-là et quand, partie depuis peu, elle a voulu revenir, vous ne l’y avez pas encouragée, vous avez feint chacun que ce fût un caprice, c’était cependant votre dernière chance de couple. Vous auriez été son Pygmalion, vous l’auirez quelque temps retenu, votre vie a été si chatoyante, vous êtes beau, cultivé, vous avez du charme, vous auriez pu, mais cela n’aurait pas duré. Vouslaissez votre médecin, votre ami broder, exagérer, êtes-vous encore beau, l’étiez-vous encore ? Les lieux,le texte, les circonstances, presque la date de l’adultère qu’aurait fatalement commis la trop jeune et belle étrangère, vous les avez imaginés,conjecturés, prévus, mais vous auriez vidé la question, et il y aurait des enfants de vous quelque part dans le monde. Un père au loin, un père depuis longtemps décédé, s’il en demeure une rumeur admirative, des échos beaux, il vous a semblé d’expérience de votre propre géniteur, que cela vaut mieux qu’un aîné disparu moralement, tué mentalement, revu perpétuellement à terre et failli, malheureux de surcroît.Votre père ne s’analysait pas et ne se prêtait pas à l’analyse. Les experts n’y parvinrent en tout cas pas, on trouva pour eux l’explication propre à changer la qualification des imprudences ou malhonnêtetés, escroqueries ou détournements commis et c’est ce qu’il advint. Vous auriez aimé un père confident, un père avec qui partager vos vues à chacun du monde, et sans doute son expérience de votre mère et de votre propre enfance, un témoin. Tel qu’il fût, n’était-ilpourtant pas bien plus éloquent, humain,réfractaire aux embellissements lénifiants ou à une légende qui n’eût tenu qu’à vos projections, sans jamais qu’il ait eu la parole.Peut-être fut-ce la responsabilité de votre mère que ce projet-là, qui coïncida de moins en moins avec une âme, un cœur différents de ce qu’elle avait cru. Tenter de se départir d’une vision faite d’avance,modelée par on ne sait quoi ou qui, et qui vous fait considérer vos relations, vos attachements les plus intimes à travers des prismes où il n’y a que vous, et uneimage déformée de vous-même. Une lucidité une curiosité axphyxiées par un déplorable jeu de miroirs, une atrophie d’un goût particulier, celui qu’on doit avoir pour l’inconnu,pour l’insaisissable,pour tout autre, principe de réalité s’il en est et puisque le terme, galvaudé, est usité aujourd’hui tellement. Votre enfant, vous lui feriez cadeau d’une image toute faite, d’un puzzle. Que vous l’imposiez à votre compagne, elle vous assure qu’elle le détesterait, elle ne pourrait aimer une vie par raccroc, donnée ou décidée par dépit et pour tenir lieu d’un rêve. Le médecin et votre compagne, sans s’être concertés font donc chrorus, et l’alternative est claire, vous partez au hasard et la pêche n’a qu’infiniment peu de probabilités d’être miraculeuse et vous avez en cours de navigation ou à votre retour à quai la certitude d’un état physique tel que, bredouille ou comblé,vous n’en profiterez pas, vous aurez à tout laisser, et la douleur, et ses grimaces, votre culpabilité en sus, seront seules victorieuses. Vous ne pouvez tomber dans un tel choix.

Il n’argumente nullement en éthique médicale et selon le principe absolu, premier et final, que la vie doit être préservée autant que possible. Il vous peint les conséquences de votre choix, perdant en tout, alors que vous avez pris la précaution sur son conseil d’aller à la banque du sperme. Qui que ce soit vous aimant, et peut-être votre compagne toute destinée à cela, acceptera le protocole d’une fécondation artificielle, vous aurez la longévité pour vivre cette éventualité si elle se produit, vos chances de guérison totale, sans aucune récidive, sont en ce moment les plus grandes. Ce que vous entendez n’est idyllique, vous vous voyez condamné à votre compagne, condamné à quelque surplace mérité par votre inaction d’antan, vous vous sentez incapable d’un jugement de valeur, celui qui bonifiera celle qui vous aime. Ce n’est pas la première fois que l’on tâche de vous convaincre que vous aimez plus que vous ne le savez, celle qui est dans votre paysage du moment. Vous avez donc à fabriquer du consentement, alors que vous entriez dans cette conversation avec l’idée d’une évaluation souple et permissive de l’endormissement possible de votre petit cancer. Pour exercer votre petite liberté. Il n’est enfin pas exclu que la tension qui ne baissera pas, à laquelle contribuent vos échéances judiciaires, vos prospections pour un ré-emploi, accélère les processus qui vous désagrégent intimement et n’ont qu’entamé leur œuvre. Pas exclu d’ailleurs que vos cinq ans d’enfermement et de mise au silence hors cadres aient agité l’alchimie dont vous êtes la victime. Votre ami n’entre décidément ni dans l’hypothèse gratifiante que l’espérance vous ressaisisse quel que soit son manque d’objet dicible, ni dans ces alternatives de lecture de votre vie, un dépouillement ultime vous faisant passer sur un autre plan, un engrenage dont vous ne pourrez vous dégager. Jamais, vous ne vous êtes vu perdant lors de la dernière scène, pour la première fois, vous vous heurtez à une limite nette, physique. Combien de temps vous donniez-vous pour avoir des enfants, ou jusqu’à quel âge ? Vous répondez ne vous ête jamais fixé une date, une époque, un âge, tout vous sembla toujours ouvert, votre espérance était polythéiste, inentamable, impersonnelle, vous l’aviez donné à croire. Vous aviez tout de même voulu, pensé faire une fin avec votre jeune Russe, une passion ? Pas du tout, ou bien davantage, c’était un fait totalement acquis, plus solide, intangible, réel, résistant, quoique vous n’ayez nullement su en saisir les conséquences, vous marier aussitôt au lieu de prendre le rythme de vacances et de visitations, de tour du monde ou de la France. Au fait, quand vous reçûtes l’avis d’avoir à présenter aux autorités locales votre successeur, il vous apparût tout de suite que vous étiez vidé, que vous ne vous rétabliriez pas avant longtemps et que ce serait difficile, sinon impossible, que le point de chute, vous ne pouviez le prévoir, vous avez aussitôt su et déduit que la chute serait parfaite, continue, un vide sans fond. Mais vous ne l’aviez pas intégré, assimilé, vous avez continué comme si le ciel vous restait ouvert,à vaquer à vos tâches de chef d’une équipe qui vous avait mentalement déjà quitté et qui commençait de vous trahir, vous avez laissé s’allumer sous vos yeux tout ce qui flamberait vos dernières possibilités de vous récupérer. Ce n’est qu’au bout d’une très grande année que monté au sixième étage de votre ministère d’origine, reçu par une femme sans grâce mais arbitre des questions de personnel, sinon de personnes, au cabinet commun des trois gouvernants aux Finances et rue de Bercy, vous comprîtes d’un coup ce qui vous était impersonnellement adressé. Il va vous falloir changer complètement vos projets, vos orientations, la vue que vous aviez de votre carrière. La femme, hommasse, assurée, ne vous ayant jamais rencontré à votre époque, dans vos quelques vingt-cinq de liberté, de gloire et dans l’esprit de tolérance où l’on vous avait laissé baigner à laplupart des niveaux où se décident des sorts particuliers dans une administration régalienne, n’avait pas même de regard.une procédure était lancée, elle écrirait mensongèrement à Jean ARTHUIS un veto de principe des Affaires Etrangères à votre réaffectation à l’étranger, à toute forme de votre ré-emploi en Ambassade. Vous auriez beau démontrer que cette affirmation fut un faux et agiter, copier, envoyer, multiplier la correspondance avec le directeur du cabinet du ministre des Affaires Etrangères, qu’au contraire on ne voyait pas d’obstacle à de telle nomination, lachose serait scellée, acquise, elle l’est toujours. Vous étiez redescendu abasourdi. Qu’on vous dise l’exécrable de votre dossier, quoiqu’on ne l’ait pas lu, qu’on en exploite les pièces tout à fait anciennes et dont chacune était et demeure contestables vous faisait bondir, répliquer, rétorquer, mais quand la polémique a tour statutaire, que la hiérarchie est impénétrable, incontournable on ne ne peut que mourir. Pas même bien mourir, seulement mal mourir.

Votre médecin qui vous trouve fort bien – raison de plus pour ne pas surseoir à l’ablation – au contraire vous avait jugé en péril l’automne dernier, vous n’avez plus ce souvenir-là de vous-même. Votre compagne vous avait accompagné à votre consultation au premier étage. Elle avait en quelques mots décrit votre épuisement au psychiâtre, vous fûtes hospitalisé dans les vingt-quatre heures, la dislocation était en phase triomphalement terminale, vous étiez tête baissée dans l’anneau de corde. Vous n’imaginez pas cet instant au petit matin où anesthésiste venu une ultime fois la veille au soir, vos dispositions personnelles revues à votre écritoire portable, les divers lavements absorbés et ayant produit leur effet, vous aurez à vous abandonner aux horaires, aux infirmiers et aller à l’ablation, à la stérilisation, à l’horreur d’une autre vie, couché et consentant sur un lit roulant. Jusques là, jusqu’à ce qu’au moins la date soit fixée, tout va continuer de vous paraître théorique. Débarqué de l’Ambassade à laquelle vous aviez été nommé, vous aviez toujours vos immunités diplomatiques et le chiffre par télégraphe, vous buviez à pleins traits la duplicité de votre projet de mariage et lacommunication téléphonique avec votre compagne. Avec la jolie blonde à peau gourmande et bouche enfantine, vous tiriez les rois si souvent que vous aviez toujoirs l’un ou l’autre la fève. Le marc de café vous avait fait entendre des prophéties sinistres, la poisse au moins deux ans, mais d’autres vous alignaient de vraies fèves, les dispersaient, les comptaient et vous faisaient envoler vers notre Ambassade à Moscou pour y poursuivre votre carrière sidérale.

A combien de femmes avez-vous manqué ? A celle qui à une année d’accomplir la cinquantaine, consulta devant vous un faiseur d’enfants qui vous avait été recommandé, se fit traiter en conséquence et que, vivant encore plusieurs semaines avec elle, vous n’avez pas approchée. A celle qui ne pouvait qu’avorter, ablation s’il en est, puisque vous l’en conjuriez et ne vouliez pas qu’un enfant vous liât à elle prématurément, en fait jamais. A votre compagne vers laquelle à votre dernier envol pour votre fin de mission, vous ne vous êtes pas retourné passés les contrôles d’où l’on peut encore voir les accompagnants qui vont vous survivre dans les lieux que vous quittez. Vous êtes sans sensation, impression ni capacité de synthèse quand vous quittez les bâtiments abbatiaux,le jardin de curé jusqu’au seuil duquel votre ami vous a raccompagné. Ainsi qu’à son habitude, il a fait bifurquer votre conservation vers vos projets,votre sujet, l’ancien ministre du Général. Vous avez opiné ensemble sur les affaires de Corse, sur l’inculture et l’astructuration des deux compétiteurs pour un pouvoir qu’ils dévalorisent quotidiennement. Boursouflé, les yeux écarquillés par les lunettes, pressé plus par les personnes physiques que par les questions et l’émotion, le Premier Ministre est venu sur les lieux de la catastrophe pour parler. La course en toute occasion de décès, de triomphe, de discipline sportive ou d’incendie sous tunnel que se livrent les deux temples de la politique, emblématiques pour que le communiqué tombe le plus tôt. Il est saisissant pour qui en aurait la mémoire ce contraste entre la parole publique d’aujourd’hui et la geste d’autrefois. Quand a coulé l’Eurydice ou la Minerve, dans le noir d’une Méditerranée d’hiver, la réponse du Président de la République au coup du sort qui fait périr en service commandé des hommes, des soldats, fut, jusqu’aux endroits et profondeurs supposés du naufrage, la plongée d’un vieillard corpulent, à la vue basse, s’enfonçant par le « trou d’homme » d’un sous-marin, exacte réplique du disparu. Aucun communiqué n’avait été préalable, une fois encore la nation fut figée par la justesse parfaite, grandiose de l’acte. Plus tard, quand l’insomnie des précipitations et de l’image à constamment maintenir sous le nez des spectateurs aurait effacé les rêves de ce qui est beau parce que noble, un tout autre Président de la République accorderait (imposerait) un entretien à la presse dans le caveau du Mont-Valérien, puis à Auschwitz, un autre encore ferait reprendre nos expériences nucléaires le jour anniversaire d’Hiroshima puis, justifiant autant la procédure référendaire que la liberté qu’il garderait vis-à-vis des résultats quelqu’ils soient à propos du « quinquennat », assurerait que le fondateur avait eu une conception plébiscitaire des consultations populaires qui ne serait rétrospectivement que la sienne. L’irresponsabilité des acteurs quant au texte qu’ils récitent, l’important seul étant d’être en position sur les planches pour le réciter, soi et pas un autre.

Concorde, il est à peu près certain que ce ne fut pas une affaire de moteur, mais le fait de pneus éclatant ou du train gauche s’avariant, la chaine de causalités jusqu’à l’enflammement d’un puis de deux moteurs n’est pas encore claire. En revanche, il est certain que les passagers eurent plusieurs minutes pour contempler l’impossible, ne pas pourtant en défaillir d’horreur en sorte qu’ils s’entre-regardèrent brûler tous vifs. Immédiatement, c’était l’affirmation par le ministre des Transports que ce type d’appareils n’est pas pour autant condamné, et le surlendemain, c’est le président de l’entreprise couvrant son service des mécaniciens au sol. L’occasion montre que quel que soit le statut d’une compagnie aérienne du niveau d’Air France, ce sont finalement l’Etat et le pays, l’ensemble de son profil, de sa manière d’être au monde, lasuite de son histoire économique, industrielle et commerciale qui sont en cause.L’opinion ne détaille pas, elle amalgame selon le dernier des événements, selon – seul – celui qui a l’a appelée à se formuler. – Politique . . ., les cotes de confiance des «  deux têtes » de l’exécutif à largement plus de soixante pour cent, l’indicateur est complètement faussé, ce qui reste seulement significatif ce sont les variations ; le niveau au contraire décrit la perte de conscience critique d’un peuple, et en fait le passage très en arrière-plan dans la conscience commune de tout ce qui est de la politique. La suite ininterrompue des compétitions sportives à grands enjeux d’images et de budgets occupe à longueur d’année bien davantage les esprits et les grilles de programme ; les politiques ne s’y trompent pas qui s’y accrochent pour être encore aperçus, comme d’autres payent pour placer leur encart publicitaire à la télévision directement ou en calicots sur les maillots des joueurs ou sur le passage des cameras et du Tour. Scenario analogue quelques semaines après, une rame de métropolitain déraille, on couvre puis on découvre, on avoue. Quand c’est le Koursk qui est tiré par un collègue en surface, qu’aussitôt tout meurt à bord, un grand pays passe soudain d’un régime millénaire d’autorité à presque un gouvernement d’opinion. Le chef du moment, comme autrefois GORBATCHEV, est justement sur la Riviera de Russie quand tout se joue, puis devant les veuves, les filles et les parents des victimes du sytème d’opacité et de désinvestissement, il cale et renonce à parader. Les veuves de la place du 1er Mai à Buenos Aires étaient parvenues, elles d’abord, à ce qu’une dictature fléchisse. C’est la voix de MALRAUX évoquant les Glières, voix pour le noir et blanc, pour Ingmar BERGMAN, pour la solitude et le martyre de Pierre DESNOS à Theresienstadt où le camp de mort par le travail n’était que charme et pelouse entre les redoutes et redents, les fortifications à la Vauban qu’avait ordonnés la grande Impératrice deux siècles auparavant pour couvrir Prague. Passivité béatifique de celui qu’on traine par un tunnel sous le rempart pour aller au lieu adéquat pour le fusiller, horreur de toute impuissance physique quand moralement l’inujustice est si incompréhensible. Minutie des totalitarismes et, cas par cas, des tribunaux ou commissions paritaires des plus avérées démocraties. A l’inverse, ce moine qui croit à ce qu’il fait et à ce qu’il vit, au téléphone, il s’enquiert de vous entre Laudes et messe, puis à vos questions répond sur le chant grégorien dont l’élan, la saveur et la vérité ne peuvent se produire qu’à condition d’une existence réglée depuis quinze cent ans par cet autre fondateur d’ordre religieux qui seul rivalise maintenant avec le gentilhomme blessé à Pampelune. C’est cette assiduité tendre et dépossessive d’hommes et de femmes qui à longueur d’années, à chacun de leur souffle, choisissent d’approndir davantage encore ce qu’ils ont dans leur cœur et sous les yeux quelle que soit l’alternative qui sur le trottoir d’en face ou en visage de partenaire, s’offrirait à leur faire comparer leur vœu de mariage ou de religion à ce fruit où mordit Eve, flattée comme le renard de LA FONTAINE : à ton beau corps, à ton visage, bien conviendrait cette aventure ! La différence entre le péché collectif et l’héroïsme individuel est que le premier se revendique et se publie toujours posthume, tandis que le second préfère l’anonymat de la dévotion amoureuse qu’aucun éclat de l’objer à quoi il est consacré, signalera jamais. Se dévouer, seul acte en soi.

Ils m’ont abandonné moi la source d’eau vive, et ils se sont creusés des citernes : des citernes fissurées, qui ne retiennent pas l’eau !
Pourquoi parles-tu à la foule en paraboles ? Celui qui a recevra encore, et il sera dans l’abondance ; mais celui qui n’a rien se fera enlever même ce qu’il a. Si je leur parle en paraboles, c’est parce qu’ils regardent sans regarder, qu’ils écoutent sans écouter et sans comprendre.
Beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu. [1]


[1] - Jérémie 12 à 13 & Matthieu XIII 10à 17

lundi 30 juillet 2012

désir - l'impossible est notre vie - récit . 23 (à suivre)













DESIR




Regard d’une infinie brièveté, mais qui fut le grain de pollen minuscule, tout chargé de forces inconnues, d’où naquit mon plus grand amour.(…) Un mouvement très gracieux et très jeune rejeta sa tête en arrière, comme pour aspirer le paysage. C’est ce qui conclut la matinée, vous avez trouvé MAUROIS en livre de poche, Climats ; autrement, malgré trois entrées dans des échoppes paraissant spécialisées pour les belles éditions ou les originales, vous auriez fait chou blanc. Ce sont bien ces phrases qui vous avaient enchanté à vos vingt ans et qu’en conséquence vous aviez copié sur les fiches de bristol, à quoi « votre » moine de Solesmes vous avait accoutûmé. La première fois, qu’un soir, il sortit de sous son scapulaire deux de ces rectangles blancs travaillés de son écriture très personnelle, un peu écrasée, nettement noire et épaisse quoique courant vite sur le carton. Mais ce n’est pas Hélène, c’est Odile. Ainsi, l’initiale demeure mais elle aura son substitut, elle l’a même préparé, annoncé.

Dieu n’opère pas dans les cieux de l’abstraction ou de l’arbitraire, selon le saint-Esprit. Quelle expérience plus commune que le vent, et pourtant qui sait d’où il vient et où il va ? après bien des hésitations ou du raisonnement, de la prière même, que verriez vous ? que pourriez-vous décider qui vous prolonge et vous corresponde ? C’est une cristallisation par des événements, Dieu ne parle pas ex cathedra mais notre langage et selon nos matériaux, nous sommes créés libres, même et surtout vis-à-vis de Lui et son secours et son plan se manifestent à notre échelle. Vous tombez sur Marie-Hélène, anciennement secrétaire de votre médecin-traitant : elle a quitté l’Elysée où elle avait été détachée auprès du Général KALFON, elle est en uniforme qui lui va bien, jupe bleue sombre et chemisier impeccablement fluoerescent blanc, les épaulettes, le sourire, les cheveux coiffé en cloche, une tulipe noire ouverte et souriante. Devant les ascenseurs de l’aile C, elle vous demande où vous en êtes – forme interrogative la plus complète qui soit entre voyageurs à vie de l’existence humaine et qu’avait eue excellement François MARTY, quand vous l’abordâtes à l’issue d’une des sessions annuelles des Intellectuels catholiques français, à la Mutualité que vous fréquenterez à nouveau pour entendre Arlette LAGUILLIER. Vous répondez lapidairement : cancer de la prostate, sans métastases, un choix à faire, une vie diminuée ou le risque d’une moindre espérance de durée de vie : vie abrégée ou vie diminuée. Elle répond d’une façon dont la manière importe plus que le texte, que c’est évidemment important et elle vous laisse ressentir et vous dire à vous-même que mieux vaut vivre moins de temps mais intact et disponible. C’est dans ce mouvement de pensée que vous retournez à la banque du sperme, le sixième étage du bâtiment le plus reculé à l’hôpital Cochin. Les choses s’y passent vite, la secrétaire à l’accent flamand est en fait polonaise, l’aviez-vous déjà noté ? Vous vous masturbez rapidement, fonctionnellement, sans présence mentale à votre geste, sans plaisir ni imagination. Le délai d’abstinence bien moindre que la prescription (trois à cinq jours) et vous produisez peu, d’un mélange encore sanglant ; vous aviez été placé dans une autre « salle », au mur, au-dessus du lit plat et sans apprêt analogue à ceux des hôtels de « passe », une image d’un  des nus de MODIGLIANI dont vous avez la reproduction depuis sur votre table à écrire, en sous-verre. Vous manoeuvrez, faites et vivez la pratique prescrite comme s’il s’agissait d’une préparation à la communion, et en pensant à votre pétersbourgeoise presque exclusivement. Votre compagne jugerait que l’ensemble a de la cohérence, vous, le lieu, le fait, le geste, et la semi-déesse dont l’évocation fait arriver le bourgeonnement, l’enflement, la docilité et l’accompaagnement d’un sexe désormais dompté à la main jusqu’à ce qu’il s’en suive la conséquence, flottement et émergence, éprouvette déposée sur la tablette indiquée, à gauche, en rouvrant à peine la porte de la cellule.

Passant reprendre langue chez votre médecin traitant, l’unité de lieu parfaite de poart et d’autre de l’avenue de Port-Royal, en plein XVIIème siècle, piétiste et rigoureux, vous tombez sur lui. Il vous prend « quelques secondes » , vous redonnez du texte à l’identique de celui qu’avait suscité son ancienne secrétaire, une heure auparavant. Un choix philosophique qu’il peut éclairer : une vie diminuée physiologiquement contre le risque d’une vie de moindre durée. Reprenant votre mot, il admet que la question est légitime mais qu’il faut en parler posément. Impossible qu’il me reçoive ce soir, il a à 18 heures une Melle L. venant pour travailler, avec lui. Alors ? demain à 20 heures. Vous allez reporter vos entretiens d’avocat, continuer vos rédactions, sans penser y ajouter un nouveau moment, mais écrivant et développant toute la dialectique de votre sujet. Vous êtes, comme dans la chambre de mastrubation, bien en possession de votre instrument, celui-là : mental.

Ce matin, dans les lieux de la banque du sperme, dans son appaartement de destination(car l’étage,le dernier, donne plus à penser à un espace à vivre familialement qu’à un ensemble hospitalier), il y avait une pièce où jouaient, sagement assis, de très jeunes enfants, quatre ou cinq, tandis que devant le secrétariat attendait un couple. Vous avez pensé à des prélèvements, alors que ce doit être au contraire, un couple en attente de donneur, à moins que la femme ne tienne à masturber elle-même le mari ou le compagnon pour la banque du sperme. Et puis dans des baraquements entre les bâtiments proprement dits, une crèche, là encore des enfants. Les scènes se répètent jusqu’à vous obséder. D’abord, votre quête dans le service censé vous accueillir pour l’ablation : on vous y doit des égards.

La jeune femme vous sourit,vous l’oubliez dès qu’entré dans l’ascenseur, les résultats sérologiques ne sont pas revenus, à moins que traitant entre autres du VIH, ils n’aient été adressés sous enveloppe au suppléant de votre chirurgien, depuis que ce dernier est en vacances ; vous aviez été l’un de ses derniers objets d’entretien. Contrairement à votre médecin traitant, votre chirurgien putatif sait être ailleurs, une fois terminé son servive, à preuve. Peut-être est-ce le trait de tous ceux qui ont pour métier, finalement, de trancher ?

La banque du sperme n’a plus de secrets, son sigle vous est connu, l’itinéraire entre les vieux bâtiments, vous le variez, la secrétaire à l’accent flamand est d’origine polonaise, elle vous demande s’il y a bien eu abstinence de trois à cinq jours, soit depuis le premier dépôt, vous dites que cela s’est fait il y a juste trois jours, en vérité vous comptez comme les évangélistes, on est au troisième jour ce qui fait à peine quarante-huit heures, pas même puisque ce fut une grasse matinée. Un couple attend, arrivé avant vous, qui ne se lève pas pour faire valoir un numéro d’ordre, visages banaux, presque vulgaires, visages de silence. La femme veut-elle que ce ne soit qu’elle qui masturbe le donneur, le déposant, ou vient-elle donner des ovocytes ? Mari et femme, l’un stérile, et tous deux attendent les donneurs, l’accès à la banque pour pouvoir, à partir d’un tiers, procréer ? Que pensent-ils, qu’en pensent-ils ? Ils sont deux en apparence, mais qu’ils se ressemblent, une seule chair, un même air tranquille àl’acmée d’une attente et d’une tristesse se passant de mots et de regard. On vous indique la pièce où opérer le prélèvement,pour ainsi parler. L’étage n’a rien d’un milieu hospitalier, ce semble un appartement, un couloir et des pièces avec fenêtres sur le dehors et vitrages intérieurs :on voit tout, mais l’on n’entend rien car ici on ne parle pas, on examine, on correspond, on attend, on classe, on fiche, la burette à petit bout et gros col d’accueil cylindrique, diamètre d’accueil pour un bon gros membre et réceptacle pour quelques gouttes qui glisseront en filet sirupeux, se pose par l’entrebaillement de l’unique porte sur une tablette sensible, le léger changement de pression sur le liège doit déclencher un signal que le dépôt est prêt, recueilli, collationné. Vous êtes dans l’autre pièce, il n’y en a que deux affecté à l’exercice pour lequel vous venez, vous êtesdans l’autre, l’orientation est différente, pas l’agencement, au mur un nu de MODIGLIANI, vous en avez, en sous-verre sur votre table à écrire, plusieurs, dont celui-là, corps orangé, chair et pilosité de brune, les bras ouverts, coudes sous la nuque, cuisses reposant. Mais vous, vous avez changé, la décision est en vous, l’enfant, vous entrez dans la pièce comme dans une chambre, comme à la chapelle d’un communiant matinal, vous allez penser fortement à la mère probable, à celle que vous souhaitez, à celle qui s’était présentée, quoique vous n’ayez jamais eu l’indication, la sensation qu’elle désirât au plus vite un enfant, des enfants. Vous ne vous en étiez ni alarmé ni étonné, c’était hors champ puisque le mariage était résolu, d’une certaine manière consommé, reste que vous preniez des précautions, qu’elle plaçait le contraceptif, qu’elle s’était enquise de son efficacité, qu’elle y avait réfléchi. Vous ne vous souvenez ni qu’elle fût ardente et portée sur la question ni indifférente. Voius êtes là pour autre chose que des considérations, vous avez à opérer un prélèvement, un dépôt, dont vous avez la matière, numéraire et destination. La belle un peu épaisse, rougie par endroit selon la pression ou les passages de vos mains sur elle, à ses hanches, c’est le dos qui retient le plus ce genre d’empreintes. Vous êtes en train de communier, vous célébrez quelque chose d’important, de décisif, de sacré, vous devez affecter spirituellement ce que vous allez éjaculer, il faudra qu’à travers les années et la conservation cryogénique ce sperme ait trace et souvenir d’une pensée, d’une image d’enfant et sa mère d’alors. ce n’est pas compliqué, l’image du corps, celui photographié en détail et beaucoup de clichés la nuit, le soir d’avant la nuit à l’hôtel de l’Odéon, est aisée à mémoriser. Vous ne mimez pas mentalement, vous ne mobilisez pas une sensation de pénétrer un sexe, son sexe, vous priez ce corps, vous n’en avez pas d’autre sous la main et dans la tête, que le cœur n’y soit évidemment plus, est autre chose. Vous conjurez une destinée, vous faites comme vous pouvez, imaginer le passé est plus aisé que de vous décrire l’inconnu, surtout au féminin. Votre sexe répond, ce n’est pas désagréable mais cela donne peu, et le mélange est toujours carmin, sombre. Nu, vous entrouvrez la porte et posez le récipient rebouché, diposé dans son vagin de métal en quoi il se cale, vous vous rhabillez. Vous avez remarqué du couloir, la pièce d’angle où jouent, tranquillement et silencieusement assis à une grande table pour adultes, cinq ou six enfants très jeunes. Vous saluez la secrétaire, vous promettez les résultats d’analyse, vous reprenez l’ascenseur, un peu étourdi. Dehors, en bas, entre les bâtiments proprement dits, des baraquements, certains affectés, selon leur pancarte, aux permanences syndicales et aux formations continues, un qui est assez spacieux, c’est la crèche, plusieurs salles éclairées a giorno, de nombreux enfants autour de tables à leur taille et rondes, des enfants, tant d’enfants aux abords d’une banque. Vous continuez, vous avez le temps, du temps, une petite porte, une grille dont un battant plein, peint en noir, est ouvert. Vous la passez, un couloir, deux statues baroques, des prophètes plus grands que nature, de chaque côté du passage par où vous arrivez, c’est le cloître où des femmes, au XVIIème siècle tinrent tête à la plus grande puissance de leur époque, à un système totalitaire qui leur faisait tenir leleur pour un régime de libération et de bonheur, quoiqu’elles fussent vouées à la virginité, à la clôture. L’ambiance est grise de pierre, du ciel pluvieux, celle d’un monastère bénédictin dans l’hémisphère sud, avait cette odeur de temps passé et de vie vécue autrement, celui d’Olinda.
Vous recommencez, vous répétez comme, imaginez-vous, ce doit se pratique pour le tournage d’un film.

Car le miracle serait là. Tenir sans prolifération cancéreuse un an ou deux encore, « faire » deux enfants, un garçon et une fille,  puis, tout étant accompli, aller sur le billard ou en radio-thérapie s’il en est encore temps. Les anciens bâtiments de Cochin sont ceux de Port-Royal : vous respirez l’esprit, les derniers vestiges attestant une spiritualité, celle de ces femmes qui surent dire : non ! La pièce de MONTHERLANT à lire ou relire, les textes de SAINTE-BEUVE que vous avez en Pléiade. Un choix, celui de reprendre vos billes, vous le signifiez au chirurgien, vous vous faites surveiller et suivre grâce au traceur qu’est ce taux, au sigle automobile, et vous restez disponible à la rencontre que vous souhaitez encore : c’est la ligne du vendredi 31 Mai 1968, redoubler à l’E.N.A. à la manière du Général qui, la veille, a refusé d’abdiquer, ou plutôt que par lui, le peuple abdiquât, présentation des choses qui produit plus qu’une nuance. C’est aussi cette libération qu’a produite en vous l’ordre « en conscience » de ce prêtre que vous avez aidé puis à qui vous vous êtes confié. Bien entendu, un tel choix : durée de vie probablement abrégée, attente d’une autre, va contre la seule contemporaine de vos compagnes. Principe de comportement par contradiction, vous ne rebondissez qu’en cas d’obstacle, qu’à toucher la réalité, qu’à être rencontré et limité brusquement, vraiment par celle-ci ? Ou lecture aboutissant à une réponse contraire. Il est tout indiqué que vous n’étiez fait ni pour la vie conujugale ni pour une fondation familiale, puisque vous ne vous y êtes jamais résolu. Ce qui vous détermine, après bien des hésitations ou du raisonnement, de la prière même, c’est une cristallisation par des événements. Et c’est maintenant. Des enfants, plus nombreux, plus savoureux qu’un unique, et d’une femme que vous n’apercevez donc pas, mais celle-ci sera davantage liée à ceux-là qu’à vous. Vous survivrez par devoir, pas du tout pour jouir de l’œuvre qui n’aura pas été la vôtre, mais au propre le fait du miracle.

Multiforme, évanescent, aussi diversifié que l’inépuisable multitude de ses objets, et il se confond si souvent avec son objet, le désir. Pourtant, il est unique, parce que c’est le vôtre, c’est votre désir, quel que soit sa visée, son attente, ilproduit en vous le même effet, il vous rassemble et vous tend, il vous distribue entièrement vers l’avant, vers l’extérieur, vers le dehors, il est à sa racine, à son émergence votre personne entière tendue, d’une certaine manière donnée, vouée à l’objet, et cette joie, cette plénitude qui sont si totales, tellement vôtres, que c’est tout vous, quand l’objet est atteint, rendu, à vous, quand s’opère la réciprocité du désir, l’objet quel qu’il soit, de la chose à prendre et toucher, de l’aliment à consommer, de Dieu sous ses apparences sacramentelles ou se délivrant, se dénudant, vous apparaissant dans la prière, par la prière, à l’occasion de la prière, de tout ce qui n’est pas vous et dont vous vivez et savez, d’intuition, que ce peutêtre vous, ce peut être assimilé à vous, de même que vous pouvez être assimilé à autrui, à l’univers entier et à Dieu. Le désir est communion, mais ne vous trompez pas d’objet.Bien au-delà des commandements des vieux textes, de toute société, de quelque divinité que ce soit recommandant erga omnes de ne pas convoiter la femme d’autrui, de ne pas faire œuvre de chair avec son fils ou sa fille ou sa belle-mère ou son gendre, l’erreur qui rend le désir si pesant à l’instant qu’il est assouvi, si pulvérulent de cendres et de regrets, de nostalgie d’une lumière et d’une pureté dont vous aviez cru que vous ne seriez jamais dépouillé, et assurément pas en conséquence de cet achat, de cette étreinte, de cette option de carrière, de cette décision. Quoique chaque jour lui impose un degré de plus dans le déclin de ses facultés, votre initiateur spirituel d’autrefois, qui enseignait bien davantage que la relation à Dieu ou l’histoire sainte, et vous apprenait tout selon le tropisme de tout être vivant, de quelque ordre qu’il soit dans la hiérarchie instinctive de la création, ne répond pas à côté quand vous reprenez, dans l’attente de son conseil et pour mieux vous dire à vous-même la chose que vous méditez et décortiquez. La beauté avec ses ramification dans l’esthétique et dans l’éthique, a pour critère son rayonnement,l’évidence de soi pa laquelle elle arrête, fixe, fascine et attire. Quelle soit la beauté à l’état pur, natif, abouti, quelle tienne et délivre par elle-même tout ce qu’il a de désirable et d’accomplissant dans l’ensemble de ce qui est créé et de ce qui est le créateur Lui-même, alors elle ne brûle ni n’annéantit son adorateur, bien au contraire elle se donne à lui, commel’épouse, comme la sagesse rencontrée inopinément en chemin, mais une vie entière, la totalité du cosmos et de l’Histoire convergeaient et se destinaient des origines à l’éternité vers cette rencontre. Le seul fait, la seule disposition intimes de ne conditionner qu’au dessein divin, qu’à l’amour et au plan de Dieu, sur vous et sur le monde entier, ce que vous envisagez et souhaitez, ce que vous avez discerné comme votre souhait, sont l’énoncé d’une vocation, de votre vocation. A vous de trouver et de savoir ce que vous voulez, ce que vous désirez. A Lui de l’exaucer.Une telle relation offrant votre intégralité d’expression et de tension à qui peut vous faire atteindre et vivre ce que vous souhaitez est la plus religieuse, la plus naturelle qui soit. Elle dispose vraiment votre destinée, votre course.

L’expérience n’est pas une analogie, mais bien un des aspects de cette dévotion que forme le désir en vous, l’expérience du désir sexuel que signifie le corps soudain assemblé en sa pointe, celle de l’homme tendu vers l’épouse, la partenaire, l’autre qui est l’altérité en soi, la figure et l’ouverture du monde et de la vie, de l’histoire et du cosmos dans leur entier. Le désir qui ne se décrète pas, qui ne se souhaite pas, vient comme une grâce. Manipulations tendres et efficaces, maladroites et castrantes, ignorantes, masturbations folles, solitaires ou qu’aide l’exhibitionnisme, rien n’érige le sexe masculin, si remplie que soit une tête, si débordant et bégayant que soit un cœur, si n’existe pas une alchimie innommée pour accomplir ce qu’il y a de plus simple, de plus violent, de plus doux, de plus prenant et pourtant de plus réfractaire au vouloir humain. Au vouloir divin aussi, puisque l’attraction des deux chairs formant pour chacune l’autre moitié, une aide qui soit semblable, a subsisté malgré la rupture entre la créature et son créateur. Le mythe tient bon, il dit tout. Alors que, comme chaque jour, vous allez à votre paysage familier, au bord d’un lac que n’épargnent pas les rumeurs de la ville et des industries humaines, mais dont l’image, quelques vols et amerrissages de canards puis de poules d’eau, maintiennent le calme et le silence de votre intimité, vous dispose à nouveau à la méditation, au recueillement de ce que les heures, au regard de la décision à prendre, de la posture à adopter devant la suite de votre existence, auront décanté, vous avez les yeux à toucher, contourner, redessiner et vérifier la douceur et le modelé d’une chute de reins féminins. Un pantalon de toile blanche, est-ce une enfant, est-ce une adulte, la silhouette s’affaire avec une autre à laver une voiture ; elle est penchée sur un seau, puis vers le bas de la portière. Ni pudique, ni impudique, offerte et évidente comme une œuvre d’art, bien posée sur son socle et qu’un plan neutre présente isolément, cette paire de fesses. Puis leur entre deux médian. Seriez-vous capable, dans quelque pénombre et la nudité soudain faites, tout le temps et toute la poésie devant vous, votre main ayant passé de sa tranche du bas de la colonne vertébrale au profond de l’anus, à l’âcreté de ces lieux privés jusqu’à la discrétion qui s’émeut des lèvres féminines à l’orée du sexe et le formant déjà, votre sexe serait-il capable de prendre la suite, c’est-à-dire de prendre votre couple, de l’assembler, de vous emmener tous deux en une seule vibration ? L’imagination testant le désir, mais l’échec, la retombée laide et molle, la protestation d’autrui, votre balbutiement que dans d’autres circonstances, une prochaine fois ou jamais ou toujours, et la rencontre s’est manquée, le texte n’a pas suffi, les images non plus. Que désirez-vous, que désiriez-vous, comment désiriez-vous. L’âme peut-elle se susbituer au corps à l’arc du désir ? est-ce de jouir ou de vous accomplir qu’il est question, dont vous avez envie ? Est-ce affaire que la flèche soit décochée ? ou celle-ci n’est-elle qu’un geste, qu’une parole cetes ultimes mais dont l’œuvre n’est pas votre fin. Le désir, un vecteur ? un chemin ? un état de vie ? Le couple, le saint, l’extase.

Vous sortez juste du mouroir, vous y avez exposé au vieillard votre croix de chemins, êtes-vous à ce carrefour ? et quelle direction choisir ? le prolongement de quoi ? de votre enfance ? de ce que vous avez raté à l’âge adulte ? Que désirez-vous ? Que demandez-vous ? En ouverture de toute supplique, il y les deux conditions, de ne pas se tromper sur l’interlocuteur et ce qu’il est en puissance ou situation de répondre, de donner, et de définir clairement, précisément ce qu’est votre vœu, et l’énoncé pour être crédible doit vous décrire assez fidèlement pour que vous soyez jugé capable d’accueillir le destin s’il vous est, finalement, au vrai,proposé. La jeune femme qui vient à votre rencontre ou que vous apercevez, regardez presque à l’instant où vous vous croisez, la désirez-vous ? oui, mais vous n’évoquez rien de son corps, de ses formes anatomiques, sa voix vous n’avez pas l’occasion de l’appréciez. Le front est large, les cheveux sont coiffés ou vous apparaissent sans qu’il y ait à détaille, ils ne déparent pas l’apparence d’ensemble, vous vous arrêtez aux yeux, ils sont séparés avec franchise, le nez ne vous retient pas, la couleur des yeux est-elle le gris, le vert, le bleu ciel, les yeux sont ceux que vous aimez, depuis toujours, il y entre de la douceur, de la sévérité, de l’intimité, de l’altruisme, de lasimplicité, de la force, de la personnalité. La jeune fille ou la jeune femme, la jeunesse passe de corps à votre droite, sans que ni vous ni elle ne vous arrêtiez, c’est une fin d’après-midi, boulevard Raspail, c’est l’été, elle a les épaules et les bras nus, un chemisier qui ne tient que par de fines brides, qui est orangé ni sombre ni clair, qui ne flotte ni ne moule. Les hanches, les fesses, le ventre sont abondants, tenus dans un pantalon beige, est-elle nue pieds, en sandales, elle marche, continue, tourne dans la rue d’où vous venez, avec aisance, de dos on voit surtout la danse des reins, des fesses, un mouvement évoquant l’éternité, ce 8 renversé qui figure l’infini en cosmographie, en mathématique, le ruban de Moebius, elle ressemble, à âge égal, à regard identique, le vôtre attaché à qui dont le derrière vous émeut, à celle de vos compagnes successives qui fut enceinte de vous, un corps, une vie, des yeux créés pour vous captiver, vous retenir, accueillir de vous de quoi donner un enfant à l’univers et à vous. Vous vous arrêtez, elle ne se retourne pas, est-elle votre unique chance, présentée très à propos, alors que vous vous interrogez : une vie, à date fixée et consentie, où vous ne serez plus capable de saillir, de posséder du corps, de la chair, du réceptable, du consentement et d’y déposer en plein, au miilieu, en évidence et souverainement, de la semence, ou bien attendre encore, attendre aussi longtemps que possible jusqu’à ce que se présente ce vase précieux, parfait,ajusté, définitif. Si c’est elle, il vous faut la rattraper, son visage étaiut franc ni rieur ni triste, elle marchait à votre re,ncontre, ellea continué, elle a tourné dans la rue d’où vous veniez, elle disparaît,elle a disparu, vous n’avez pas couru, vous lui auriez dit d’un souffle, d’abord qu’elle est belle, d’abord que vous l’avez vue, que vous l’avez regardée, que ce n’est pas du désir, en tout pas ce qu’elle croit, et ce qu’on croit quand on agrippe et arrête quelqu’un dans la rue, vous lui dites que vous allez perdre la vie, une partie de votre vie, que vous avez d’ailleurs perdu trente ans, alors que vous étiez capable d’avoir des enfants, de provoquer des enfants, d’en convoquer depuis le ventre d’une femme, depuis les yeux et les mains d’une femme à votre front, à votre sexe, dans votre vie, et que maintenant il faut que tout de suite, très vite, vous aboutissiez, vous êtes prêt, l’est-elle ? Des enfants, de la vie, la suite de la vie, de l’amour.Pas des enfants pour des enfants, mais tel enfant parce que ce sera celui de telle femme, de vous, vous la femme à qui vous vous adressez, à qui vous dites vous, mais que vous caressez et tutoyez au fond de vous-même. Vous ne vous êtes pas précipité, ce n’était pas l’heure, si cette femme jeune et de votre goût, du type qui vous fait plaisir, qu’il vous plaît d’avoir vis-à-vis de vous à table, avec qui il ne vous rebute pas, il n’est pas péjorayif, dimiunuant que vous soyez vu, aperçu, catalogué par l’univers et par les vôtres, si elle se représente un jour suivant, vous l’aborderez peut-être, vous lui direz que cette fois vous ne pouvez pas ne pas l’aborder, à moins qu’un nouveau détail, un détail vous rebute, vous signifie avec précision quoique ce soit imperceptible que ce n’est pas elle, ce ne peut, ce ne doit pas être elle.

En cadence, chaque été, ou bien dans ces deux saisons qui jouxtent l’été, le préparent, l’encadrent, s’en font se souvenir, vos nièces, vos neveux se marient, sont mariés. Des histoires personnelles qui se disent peu ou mal, l’apparition d’un futur conjoint, des sympathies et des évaluations, vous faites partie des tiers, ce ne sont pas vos enfants, d’ailleurs vous ne savez pas ce que sont des enfants pour leurs parents, quand ils ont grandi, qu’ils ne disent plus que peu ou rien de ce qu’ils pensent, projettent et créent. On dit faire. C’est le même spectacle, le même rite avec peu de variantes. Il y a la robe blanche, il y a l’entrée, il y a le père, il y a le gendre, il a le prêtre, dans l’église on raconte beaucoup sur le sens, le risque, la bénédiction que sont en soi le mariage, la décision de former un couple stable, lors des agapes il est question presque uniquement du passé, comme si la prédestination devait rétrospectivement en sortir. Plus tard, les deux jeunes époux s’entretiennent avec vous, en habits de ville et d’habitude, eux-mêmes, vous sentez leur accord bien davantage qu’aux années de leur concubinat ou qu’aux jours où le mariage, les fêtes, le commentaire des familles et des badauds se précisent, se combinent. Certains sont metteurs en scène de l’ensemble, vous l’aviez imaginé pour vous-même gratifié d’une telle aventure, la jeunesse, l’étranger, la brillance d’un type physique inusité, l’étonnant d’un verbe et d’une mentalité d’ailleurs, vous auriez proclamé votre couple, sans doute aussi, si cela avait été, la dialectique fortifiante et enchanteresse d’une virginité de corps pour la jeune mariée, de cœur et d’exérience pour le célibataire endurci jusqu’alors, il y aurait eu du monde, vous ne souhaitiez pas de faire des envieux, voud auriez au contraire convié tous et chacun à consommer un peu de votre bonheur, de votre équilibre, de votre sagesse, ceux de votre personnage parvenu au mariage, à la fondation.

Ces jeunes et le vieux que vous êtes, les corps qui se surplombent, se regardent une dernière fois avant de se lancer, c’est-à-dire de s’étreindre et de se laisser aller, ont-ils, avez-vous comme eux cette décision aux lèvres, entre les yeux, au cœur ? Ces femmes que vous avez baisés au grand sens du mot,les génuflexions, votre bouche au renflement du pubis, vos lèvres à ces autres lèvres, puis l’action, la pénétration, et cette sorte de verrouillage du sourire qui s’échange, du remerciement que signifie le vôtre à la belle qui s’est ouverte, et le sourire de celle-ci qui acquiesce et signale qu’elle est heureuse. Que vienne un enfant, qu’il en sorte un de cet instant, dans quelques mois il naîtra, dans quelques jours, à vos côtés, dans l’activation de chaque jour à tant de choses de la vie, la femme, sa douceur de peau, les contours de son corps, ceux que vous aimez ou ceux dont elle aime que vous les touchiez, deviendront ceux d’une mère, un lien se fera du fait qu’en elle il y a du commencement, ce lien se fera avec vous, ce lien se fera de vous à elle, vous commencerez à veiller, la veille prendra un tout autre sens, celui d’une responsabilité, viendra plus tard et peut-être le bonheur. Ce qui durera, le fait de veiller, de demeurer à tout prix vigilant, de veiller avec constance, en homme, en père averti, aura pris en vous le relais, la place de vos ambitions, de vos nostalgies, de tout. Ce qui commence c’est la vie, vous êtes fait, nous sommes tous faits pour la vie.

Persuadé, vous l’êtes depuis toujours, presque depuis votre initiation sexuelle. Toute différente l’étreinte, sans comparaison la pénétration, l’agitation et la fébrilité, puis la ferveur du sexe se répandant dans le vagin quand vous aurez décidé, d’accord parties, explicitement d’accord et en coincidence avec une femme, donc votre femme, par conséquent votre femme, pas tant de faire ou de mettre en route un enfant, mais bien plus pleinement d’accueillir ensemble ce qu’il adviendra, et qui possiblement serait un enfant. Vous escomptez, prévoyez une tout autre vibration, une tout autre lumière dans les yeux de l’épouse, dans vos yeux, dans vos chairs à tous deux, une intense liberté, une consomption irréalisables, physiologiquement impossible tant que de tête et de corps, de réflexion, de compte-à-rebours vous vous retenez l’un l’autre, chacun de votre côté, séparément de produire un enfant, de donner lieu par inadvertance, par un geste, par quelque retard ou par quelque précipitation à un enfant. Ces jeunes gens, de votre sang, du sang de vos sœurs et frères, mélangés à un autre, et qui vont se mélanger à leur tour, le mariage vaut cette décision et ce bannissement. Les enfants adviendront, recherchés ou pas, mais envisagés, faisant partie de la nature et du programme. Vous les avez avec assiduité et constance refusés, et par tout moyen. Vous avez provoqué, induit dans chacune de vos maîtresses le réflexe, l’attitude de précaution, vous avez mis en garde vous-même et autrui, à longueur d’existence si partagée, si harmonieuse qu’elle soit : pas d’enfant, surtout pas d’enfant. Nul dialogue à ce sujet, mais des évidences, vous n’en voulez pas, vous n’en voulez pas de cette manière, dans ces circonstances, vous n’en voulez pas de cette femme, elle n’en veut pas de vous, parce qu’elle n’en veut pas du tout, ou parce qu’elle n’en voudrait, de vous ou d’un autre, si ce n’est de vous, que selon des modalités et dans une ambiance qui sont pas celles où vous vous ouvrez dans les apparences du désir et du consentement mutuels à l’emboîtement des sexes et des bouches, des doigts, des mains, du souffle. Qu’ils ont été nombreux ces instants de votre refus, ces instants très précis juste avant l’assouvissement ou l’aboutissement physiologique, ou en prévision de ces instants. L’impérarif que vous vous êtes donné, pour qu’il n’y a ait pas de trace, pas d’enfant, pas de résidu, pas de surgeon, aucun germe, rien. On se relève, on passe à la toilette, on passe à autre chose, on s’est limité, on s’est refusé, on continue, on manque.

Lui raconter que condamné, à heure fixée, à perdre vos moyens de l’engendrer, vous avez tout transgressé, vous êtes parvenu à convertir sa mère, désespérée ou désabusée de naissance au point de considérer le monde comme radicalement inhospitalier, et juste, à la dernière minute, pourrait-on dire, vous dirait-il, vous dirait-elle, votre copulation a enfin eu sa destination décidée, souhaitée, voulue. Avec quelle force vous avez joui dans la pensée qu’un enfant, d’un coup, d’un jet, d’un trait commençait de jaillir, cet instant. Sur plus de deux cent ablations de la prostate qu’il a perpétrées depuis sa prise de fonctions à la tête de ce service, vous êtes le cas aberrant. En fait, vous constituez l’indice que peut-être une série est en voie d’apparition, une série statistique. Un autre l’a ouverte. D’ailleurs, le chirurgien vous donnant soudain soixante-quatre ans que vous êtes loin de posséder encore, et vous n’en êtes évidemment pas pressé, vous a confondu avec un autre patient, un de vos prédécesseurs. Etonnant : cet homme se soucie de paternité, de sa paternité. Les circonstances, la biographie, les choses ne vous sont pas présentées, mais vous êtes le second, rare. L’autre a consenti, il y est passé, on lui a enlevé ladite glande. Fini. Est-il allé, par précaution, par désespoir, par illusion à la banque organisée à cet effet ? L’histoire ne le dit pas. Il a consenti, abattu les bras, mort le sexe, morts les enfants du rêve trop tardif. Un pour cent en dix ans, d’hommes qui ont envie d’être père et ne l’ont pas encore été. On ne parle pas de virilité, de trivialité car on n’aime ni ne fait jouir seulement avec du sexe, mais,en revanche et certainement, ne recevoir du plaisir que par des voies détournées tandis qu’on a la certitude que du sexe ce n’est plus possible, ou que du plaisir et des pleurs, il ne sourdra pas, il ne sourdra plus jamais de la semence, du germe, du possible, de l’éventuel, du changement, cela doit habiter, confiner, réduire toute la pensée de la femme qu’on travaille, que vous traveilleriez, pétririez jusqu’à la lassitude mutuelle. Affreuse. Corps inactif qui s’est épuisé de son inaction et de sa stérilité. En ce premier mois d’été, tout juste, vous n’êtes que le cent soixantième à emmagasiner de la provision à toute éventualité, de la provision pour ce qui fait les enfants, pour l’indispensable : des enfants. Bâti autour du cloître, de la chapelle baroque, de la salle capitulaire des filles disciples de Monsieur de SAINT-CYRAN, l’hôpital Cochin est le principal de ces dépôts en France. Les donneurs, donneuses aussi, moins de deux mille, des ovocytes, des spematozoïdes, la mare intérieure des têtards et d’une énorme façon de planète Jupiter, mystérieuse et agressive, la course l’assaut, la bousculade des voltigeurs, l’autre cosmogonie. Contre nature, semble en attester la statistique, ce vœu, ce souci d’avoir des enfants malgré qu’on soit devenu impuissant, stérile, davantage en fin de vie et de course que le plus ténu et diminué des vieillards, de quelque sexe qu’il ait été nominalement de son vivant. Incapable du plus banal geste, faire jouir une femme, se faire jouir soi par une femme et l’accueil de celle-ci, incapable d’offrir quelque terrain aux fleurs, et aux épanouissements de la fertilité, vous prétendriez seul contre tous, seul contre des décennies de votre existence d’homme assez donjuanesque pour faire florès, seul contre la statistique si mince de quelques égarés comme vous dans le rêve et le souhait, à vouloir explicitement des enfants ?

Une destinée qui aboutirait autrement, qui parviendrait en fait à ce que vos comportements, vos indécisions valant expression volonté, ont pertinemment préparé, organisé. Une fécondité tout autre, une œuvre de l’esprit, des influences et des accueils selon des modes que vous avez cherchés et voulus, des livres, des écrits et articles, un ancrage dans du paysage et un certain magistère, de quoi asurément vous occuper, vous remplir et tenir surabondamment lieu de coît et de progéniture, les journées commencées tôt, le projet s’ébauchant, se diversifiant à mesure des pages, des ressauts d’une inspiration vous venant avec autant d’imprévisibilité et de chaleur que naguère le désir rencontrait un acquiescement et vous vous donniez une compagne de plus, ou vous consentiez à cet invasion qu’est tout partage et une autre, une encore, une de plus vous l’aurait proposé,l’aurait représenté, vous y auriez consenti. A se répéter, ainsi, la scène principale de votre vie aurait acquis du vocabulaire et du texte, vous vous rangeriez à la dernière ou l’avant-dernière puisque toujours l’avenir tant qu’il dure, a sa réserve, aurait masquée et latente quelque surprise à vous délivrer. Vos projets sont tels qu’ils maintiennent votre appétit et votre puissance d’être heureux, établi là où vous êtes et demeureriez, des biographies, des essais d’expérience et de philosophie, des voyages, des douceurs, des curiosités, des conclusions et leur mise au net ne remplaceraient rien,mais vous ne regretteriez plus rien ni personne.La grâce vous resterait de relations belles, denses, stupéfiantes, que vous vivriez d’âme, apaisé par un consentement que vous ne retireriez plus. Ce sont les jeunes qui en religion conseillent ou témoignent que l’abandon à la providence produit plus de fruits que toute crispation, et qu’un chemin se trouve mieux après qu’on ait cessé d’en désespérer ; encore faibles de toute expérience, de beaucoup d’événements qu’ils ne vivent pas quoiqu’ils arrivent à tous, mais ailleurs et hors des vœux, que quant à eux ils ont faits devant témoins et devant Dieu, en eux-mêms et autour d’eux, ils enseignent avec assurance une économie de résultat qui n’a qu’un seul objet, ils l’admettent et en cela ont cause et langue communes avec vous, le bonheur, mais dont l’acteur dipose de votre vouloir et de vos sagesses propres. Vous progressez selon que vous vous abandonnez, et nul mouvement n’est désirable en soi, l’important est votre situatuon, votre dépendance, votre attention amoureuse à qui pourvoit à vos hésitations quant à vos fins et manières. Au contraire, ce sont des prêtres au bout de leur rouleau qui conviennent de l’impportance et de la difficulté de ce que vous avez décidé, comme si tout le matériaux prodigieux, exceptionnel, irremplaçable que constitue une vie humaine valait qu’on s’interrogeât, qu’on voulut, et qu’on décidât, au besoin en travers de tout, y compris du bon sens et de l’unanimité des autres, ou de presque tous les autres. Ces années-ci où la mort vous a tellement attiré et de tant de façons, qu’il se soit agi de son rire provocant qui vous aurait libéré de tout et de votre échec surtout ou de son murmure vous appelant à la véritable épreuve qu’est l’attitude d’âme à avoir devant la fin apparente de toutes les apparences, et en somme de votre apparence au regard et dans l’estime des tiers, vous avez au moins reçu une précision essentielle. Décisive. Au moment voulu, c’est-à-dire dans les circonstances de l’extrême et de la plus immédiate nécessité, vous avez immanquablement bénéficié, selon le besoin que vous en aviez, d’un secours, d’un appoint, en soi minuscule mais faisant toute la différence entre une chute et le cramponnement puis le retour à la joie, celle d’être sauvé, ce bénéfice qui n’est pas du doute, qui est celui de retourner aux endroits où l’espérance a le plus de pâture, statistiquement et ontologiquement, les endroits de la vie. Epaisseur et suavité, densité et accueillante souplesse de la vie quand on y revient, quand elle se retourne et cessant de paraître une mort, vous sourit d’enfance et de tous les possibles, de vos possibles et de ce que vos certitudes d’enfant engrangèrent de foi et d’organisation spirituelle,puis mentale.

Que désirez-vous ? Il vous est rétorqué qu’à présent comme à certains moments qui furent suivis de beaucoup de conséquences, votre décision n’a pas été de choisir ni de trancher, mais de vous donner du recul, de l’espace, de l’étoffe. Vous ne décidez pas, vous vous réservez. Et dans cette façon de poursuivre, en ayant éludé, vous avez progressivement, nettement produit de l’égoïsme, de l’hésitation, du flou, ce qui vous regarde mais vous amenuise, et vous avez manqué la révolution, celle au prix de quoi chacun vit vraiment, ou s’est laissé aller à son plus petit commun multiple.Pas tant la banalité que l’inadéquation, le défaut presque total de correspondance entre des talents, des dons, des possibilités et de l’héritage d’une part, et, en bout de course, aux instants où tout vous est retiré, quel résultat ? quel produit ? qu’avez-vous fait du trésor putatif qui vous avait été confié ? Que désirez-vous ? La grâce du désir ! Etait-ce l’année, l’été où la sœur d’un autre de vos camarades, celui que vous avez rencontré il n’y a guère, trente cinq après le collège, vous inspirait quelque émoi et secondairement quelque pensée ? ou quelques étapes plus tard, quoique toujours à La Baule. L’église paroissiale, immense à l’instar d’une cathédrale, juchée sur une esplanade goudronnée, aberrante et recueillie au cœur d’un curieux territoire de villas, d’avenues, de beaucoup d’arbres, des pins jusqu’à un bord de mer fait d’une barre d’immeubles continue, d’un boulevard de mer de justesse franchissable et au-delà dux fois par jour une intensité de sable presque jusqu’aux îlots fermant la baie, ou le remuement de mer à mouiller le remblai et éclater parfois sur la chaussée. Vous y allez souvent, un été, vous suppliez : un signe. La Bible est pleine soit de signes donnés spontanément par Dieu, soit de signes proposés mais refusés par les hommes,quoique Achaz a tout de même un fils en sorte que la prophétie hésite entre l’héritier d’un médiocre souverain ou le fils de Dieu conçu du Saint Esprit et né de la vierge Marie. Vous ne savez que faire, vous ne discernez pas que vous ne savez qu’être et vous suppliez que les évidences vous arrivent, que la décision vous soit donnée, et rien ne se produit, rien ne se passe que l’été puis toute votre vie. Gilbert LAMANDE a-t-il ces années-là quelque secret, par lequel vous verriez tout ? de la vie, de vous-même ? Une retraite de fin d’études, docile, vous y renoncez à cette jeune fille qui occupe votre âme mais pas votre cœur, dont l’amitié et la présence vous sont douces, au quart d’heure américain, elle ne vous laisserait pas tomber, elle vous choisirait, quoiqu’au vrai elleait négligé de le faire une fois,mais c’était pour ne pas s’imposer, n’est-ce pas ? Vous renoncezà elle pour mieux entendre en vous l’appel au plus haut service, vous perdez le fil de la première de vos relations amoureuses à être réciproques, vous n’en obtenez pas pour autant le sésame attendu. C’est seulement maintenant que, le prêtre devenu un quasi-moribond qui, ainsi que votre mère au début de sa fin, ne dit que la répétition des derniers mpots de chacune des phrases qu’il entend, et vous-même êtes à un mois d’une ablation à laquelle consentir pour n’embarrasser ni le chrirugien qui vous la propose ni votre compagne vous aimant assez pour ne craindre que d’être séparée de vous, la vérité est dite, celle de votre liberté. Vousêtes souverain. Que voulez-vous ? que demandez-vous ? que désirez-vous ? dites-le, laprovidence et la vie vous en donneront les moyens. Dans votre adolescence, on ne vous en avait rien dit, et vous vous étiez obstinément fixé dans la recherche de votre fin, n’implorant que les moyens. Tout le contraire vous eût orienté.

Vers quoi ? vers qui ? Les spécialistes en direction de conscience et recrutement pour les congrégations et les monastères vous ont assuré que vous étiez à vous-même votre propre recherche, pis que Narcisse et sans beauté, le désir nu d’être en vue, et puis rien. Ils ne s’interrogèrent pas sur le fiasco qu’ils constataient d’eux-mêmes quant aux effets de l’éducation que les leurs vous avait prodiguée. Tentant un nouveau publipostage de l’offre de votre service, vous lisez ligne à ligne l’annuaire des anciens de votre collège, les trois pages listant votre promotion, en tête ceux de vos camarades déjà décédés, il vous semble que leur mort prématurée a été tôt prévisible, puis les avis de recherche dont vous êtes, perdu de vue. Pour quelqu’un que vos maîtres voyaient assoiffé de notorité, vous avez réussi. Enfin, les autres, pour la plupart, pour tous, d’ailleurs il n’y a dans votre promotion ni écrivain ni artiste et ceux qui sont en religion ou au service mentionné et visé plus haut, ont eu des étapes de grande fortune : un diacre permanent repreneur naguère de France-soir ou un épiscopable, qui a suivi le stage d’un an de l’Institut des hautes études de Défense nationale. Ambassadeur, habilité au secret-défense au niveau national et au titre de l’O.T.A.N. vous n’avez pu, pour une ligne de plus à votre biographie et pour retrouver quelque contact à l’intérieur des bonnes sphères, vous y faire nommé sous quelque gouvernement que c’ait été. Ceux dont les parents avaient quelque argent, ont hérité soit de leur entregent, soit d’un pré-repérage des portes auxquelles frapper, soit de cet atavisme qui fait ne fréquenter que ses pairs à X degrés d’acsendance et inculquer aux enfants à X degrés de descendance, de faire de même. Aucun ne vous étonne, pas le gardien d’ermitage, pas le cancérologue, pas le courtier en assurances, la généralité est de trois enfants. Comment vont-ils vous lire, vous n’avez de métier que celui intransposable de l’intendant dont le Christ raconte le vidage puis l’astuce, tous deux exemplaires ? Avec les têtes d’organigrammes dans les entreprises et autres groupes qui vous avaient cotoyé pendant vos décennies d’activation professionnelle, solliciter était simple quoique cela ne vous ait rien rapporté, à peine le croquis d’une personnalité faisant peu après la couverture d’une revue spécialisée en réussite, et d’un avocat, ancien bâtonnier sinon il n’eût pas été grand chose, qui commençait d’avoir charge d’un patron dans le pétrole débarqué depuis lors quoiqu’avec beaucoup d’égards et de gratifications, avec aussi la chance insigne de n’avoir pas eu à répondre,à quelques mois près d’une marée noire aujourd’hui renommée et toujours pas vraiment étanchée. L’un cynique, l’autre pleurard, éconduire quelqu’un combine tous les arts. Ecrire à vos camarades d’enfance, que leur proposer ? Rien, c’est là votre chance. Demander de l’aide, voilà tout et cela se dit en une ligne. Il est probable qu’ils ne s’en étonneront pas, de quelqu’un connu quand on n’était ni l’autre ni l’un quelqu’un, peut-on quelquefois s’étonner, on s’attendrit ou on ne l’a jamais regardé.

Comment vous voyaient-ils, qu’ont-ils supposé que vous ayez occupé à faire, à créer, en termes indubitablement de carrière ? Du charme, de la facilité, certes, de l’avenir immensément, sans doute. Les prix, la tête souvent de la classe, le récitant de la bienvenue à l’évêque confirmant, aussitôt ensuite les concours, puis la une d’un certain journal, logique l’Ambassade,logiques les voyages à l’invitation du Président de la République comme est attendue la mitre coiffant certains prélats, un prix littéraire eût-il étonné ? pas davantage qu’une entrée au couvent ou que surprit la publication de vos premiers bans, donc de votre entrée presque directe dans la famille industrielle la plus connue de France. Votre débine n’est logique et n’était prévisible, attendue que dans l’estime des vôtres. Deux de vos camarades furent intimes, quotidiens, d’affinités et de confidences complètes au tournant de vos huit-dix ans : ce jésuite qui en pas une semaine, la durée exacte du retard de règles de son unique maîtresse en toute une existence d’homme, quitte la Compagnie, change d’identité et ne garde plus que son sens du devoir et une incommunicable relation à Dieu et à sa vocation sacerdotale première, et ce chercheur à Villejuif. A l’un, dire votre débat, lui qui a su trancher d’un désir à l’autre, succombant en un instant de sorte qu’il perdit ce qu’il avait désiré, cultivé et obtenu en toute une vie d’enfant et d’adolescent, d’adulte jeune et doué, quel débat ? celui de quelle fécondité, de quelle stérilité ? Et à l’autre, demander si le dilemme est bien là, entre une vie atrophiée et une vie abrégée. Est-il en vous théorique, abstrait ce tiers désir que votre mort à termes de quelques semaines ou mois vous ait été annoncé, en sorte que vous n’auriez plus rien eu à choisir et tout à mettre en ordre, conclure, préparer. Toilette mortuaire, choix de vie. Identité pour finir. Deux experts du cas de vie qui est le vôtre.

Tandis que vous écriviez les enveloppes à l’adresse d’une trentaine de vos camarades de classe, la moitié presque de votre promotion, celle du baby boom d’une reprise d’espoir de la moyenne statistique des mères françaises à cause du débarquement anglo-américain en Afrique du nord et d’une victoire de STALINE sur la Volga, celle aussi de la progéniture disparate de beaucoup des illustrations de Vichy et de la finance, de la politique, du grand commerce des années 1940 à 1950, retentit la sonnerie de votre téléphone mobile, sans doute votre compagne. Mais l’appareil, vous ne le trouvez pas. D’une pièce à l’autre de l’appartement qui a des recoins mais n’est pas grand, vous allez et venez sans le trouver. Vous vous téléphonez d’un appareil fixe à votre numéro de portable. La sonnerie est distincte, faible mais aucune localisation n’est plausible. C’est par inspiration, sans la moindre déduction, que vous ouvrez la porte palière, vous aviez dû libérer votre main tenant le petit appareil pour faire jouer la clé, il est là sur la banquette effondrée. On avait sonné, peu auparavant à la porte, et n’étant pas censément chez vous, vous aviez, selon la convention de votre hôtesse, eu garde d’ouvrir, même de calmer les chiens. Panurge ou Candide conclurait qu’il n’y a pas de recette, mais des circonstances. Napoléon et de GAULLE en ont fait application à la guerre et à la politique. Vous ne cherchez qu’à sauver des biens immeubles et meubles, non fongibles, et qu’à préserver des chances statistiquement de plus en plus réduites d’élucider ce que vous vivez et d’accueillir celle qui existe en si grand nombre, dans votre vie propre comme dans celle de tout humain, quoique vous y ayez déjà consacré infiniment plus d’attention qu’à tout ce qui vous fait défaut ou presque aujourd’hui et que vos contemporains, eux, ont su s’attacher et ménager, santé, carrière, finances, conjointe, enfants, notice. La ténacité se fait respecter et elle conserve ce qu’elle a obtenu, le dilettante ne trouve d’identité et d’énergie que dans les revers. A terme, on ne peut mélanger que si discrètement . . . le spirituel et l’humain totalement revêtus par un même homme ?





Ainsi, on voit bien que la puissance extraordinaire que nous avons, ne vient pas de nous, mais de Dieu. A tout moment, nous subissons l’épreuve,mais nous ne sommespas écrasés ; nous sommes désorientés, mais non pas désemparés ;nous sommespourchassés,mais non pas abandonnés, terrassés mais non pas anéantis. Il s’en va, il s’en va en pleurant, il jette la semence ; il s’en vient, il s’en vient, il rapporte les gerbes [1].
Leur bonheur durera autant que leur postérité, leurs descendants forment un bel héritage. Voilà mon repos à tout jamais, c’est le séjour que j’avais désiré [2].


[1] -  Paul aux Corinthiens IV 7 à 15 ; psaume CXXV & Matthieu XX 20 à 28
[2] - Ben Sirac XLIV 10 à 15 ; psaume CXXXI ; Matthieu XIII 16 & 17

dimanche 29 juillet 2012

dialogue - l'impossible est notre vie . récit . 22 (à suivre)













DIALOGUE




La voiture déloquetée, vous en ouvrez le coffre arrière, la poche en matière plastique marron contenant le cadeau pour votre sœur, un cadre de métal argenté, une photocopie numérique agrandissant un portrait de famille, ne sont plus là. Volés. Violé. Vous l’êtes. L’an dernier,presque à pareille époque, vous déjeunez avec Michel JOBERT, sa fidèle secrétaire là également, il en a coûtume, l’établissement au bas de l’immeuble où, au quatorzième étage, il a son bureau (ce fut l’appartement de son retour d’Afrique et de son mariage, en 1958, année où presque tout coïncida) a vissé au rebord de la fenêtre sur lequel il doit poser parfois le coude depuis la banquette, une affichette de cuivre, le memento de son vivant. La conversation est difficile, non que la présence de sa fidèle, qui fut proche de vous quand vous faisiez antichambre de votre chef de service, quai Branly, soit en rien gênante. Au contraire. Il est sur ses gardes, ou bien est-ce que vous avez à lui demander ? Quoi ? Qu’il vous aide dans la biographie que vous avez entreprise. Vous le saviez, le pressentiez distant par rapport à son grand prédécesseur, qui est surtout pour lui l’usurpateur du poste qu’avait son patron POMPIDOU. Ils ne furent pas de la même maison. C’est complexe, car l’un n’avait pas de maison, sinon son intimité intellectuelle avec de GAULLE, mais l’autre qui en avait, pouvait se targuer jusqu’à sa propre mort, d’avoir eu une intimité sinon supérieure, du moins une autre intimité d’autant d’importance et de valeur pour le grand homme, celle qui existe entre deux personnes dont l’une rend beaucoup service à l’autre,immensément, dans de petites choses comme de grandes, des affaires d’argent, la fondation Anne de Gaulle, assurément, et le gouvernement de la France quand l’Algérie, l’O.A.S., le changement de régime coalisent des haines qu’il faut traiter comme si elles n’existaient pas de façon à ce que le peuple n’ait pas conscience d’un débat autre politique. Votre interlocuteur, votre ami paraît, vous a toujours paru dense, mais ce jour-là,vous ne parvenez pas à cette communion dans lesilence ou que nourrit une semi-phrase de vérification ou de complément. Il sait que vous le croyez malheureux, il est veuf depuis peu, il ne change pas pour autant son agenda de reclus, il vous donne certainement raison d’avoir entrepris votre travail, il vous souhaite de le réussir et vous dit que de votre succès il aura plaisir, mais – autre registre – il vous dit, plus tranquillement que jamais, avec certitude, que l’âme de votre vénération n’est pas celle que vous croyez et sur laquelle vous vous documentez et écrivez. Jean MAURIAC, vous passant, d’une main anonyme, des copies extraites de divers mémoires concernant le procès de Pierre PUCHEU, ou ceux de ce dernier, vous induit de même. L’un et l’autre vous mettent au défi, mais non dans le doute. La piste que l’ancien ministre ajoute, au moment où vous vous séparez, est celle d’une maîtresse juive, rencontrée en Tunisie et jamais reniée, cultivée assidûment ce que savait la Mossad au moment de la «  guerre des Six jours » et dont la fréquentation dut faire beaucoup dans la distance qu’on perçut presque partout entre les communiqués de l’Elysée et le discours du porte-parole aux Nations-Unies. Quelques-uns des collaborateurs ne nient pas qu’il y ait eu des liaisons, peu nombreuses, deux peut-être en dehors du cercle qu’on dirait intime. Mais votre conviction tient fortement. D’un autre ancien ministre des Affaires Etrangères, à l’époque du cabinet de Maurice COUVE de MURVILLE, vous avez la précision d’un texte envoyé de New-York pour le nihil obstat du Général, et que ledit texte, en soi admirable puisqu’il présentait un total revirement de la poisition française sur l’ensemble des choses du Proche-Orient et à propos d’Israël en particulier comme une évidence acquise de toujours et que personne ne pourrait contester en tant qu’évidence, revint sans la moindre annotation, que peut-être une virgule remplacée par un point virgule, apostille gaullienne s’il en était. Les femmes, sans doute ou peut-être, mais même celle consacrée par la paternité de trois filles, à plus forte raison les autres, elles n’ont pas pesé sur la liberté intérieure d’un homme bien davantage voué à son exercice professionnel, exercice dans son essence et non dans les structures de sa routine, qu’au plaisir ou au jeu d’alcôve ou du succès notoire.Un homme qui ne se laissait pas entamer et qui ne partageait pas. Quant à Pierre PUCHEU, s’il y eut quelque phrase que ce soit de l’éphèmère secrétaire général des services du Comandant en chef civil et militaire, que COUVE de MURVILLE fut pour GIRAUD, après que BERGERET ait laissé la place libre parce qu’il n’admettait pas que les axiomes de Vichy fussent répudiés même en Afrique du Nord occupée par les Anglo-Américains, ce ne peut avoir été que dans le rappel à GIRAUD d’une certaine logique. Piste que vous explorerez à fond pour répondre à l’avocat du diable, et une recherche d’archives réserve toujours des surprises et surtout dans les cartons où on ne l’attendait pas, et la cherchait encore moins. Les mêmes qui mettent « l’affaire Markovitch » au discrédit du successeur de POMPIDOU à Matignon et voient en lui un habile alors qu’il n’était qu’un inexpérimenté de la lecture des choses, pour tout simplement n’avoir pas du mot politique l’acception qu’on en a généralement par la pratique, ont donc le prcès PUCHEU également à charge, voire laplanque en Afrique tandis que les uns vont payer de s’être enracinés à Vichy, et les autres sont blessés, dont Michel JOBERT, e campagne d’Italie. Comment dialoguer, avancer vers la vérité objective ? vous vous êtes l’un devant l’atre,vous vous estimez, assez d’années ont coulé où vous ne vous êtes jamais quittés, d’ailleurs il n’est aucunement question que vous vous quittiez, et vous avez des manières opposées de regarder un même sujet. Sans doute, parce que vous êtes tous les deux, à ce propos, passionnés. Le livre, le succès d’édition, l’écrit précis de la thèse, l’examen des hypothèses vous rendront harmoniques, pas de doute, c’est pourquoi il vous répond ce que ce qui, de vous,lui fera plaisir, c’est cela. Que le livre soit bon. Vous êtes parvenu,malgré sa répugnance, mais du fait de sa gentillesse, à le prendre en photographie – le mot prenfdre explique la répugnance, il ne veut pas être pris, il ne l’a jamais été – avec les restaurateurs, puis avec votre petite chienne noire. Il l’entoure avec savoir-faire, l’image vous fait plaisir, mais votre dialogue a été tel, vous a tant requis qu’à l’instant de le quitter, l’appareil se perd. Laissé sur le banc où vous aviez posé un pied, ne gardant que votre ordinateur portable en bandoulière ? Posé sur le toit de la voiture, ce qui vous arrive souvent, on achève de disposer d’autres objets plus encombrants dans l’habitacle, on fait entrer le chien, on démarre, on fait demi-tour dans une avenue passante et où la vitesse est possible. Vous avez d’abord sipposé une niche de sa part, vous avez cherché, refait des itinéraires, conjecturé. Puis l’image s’est imposée, l’appareil qu’on débarrasse de la bobine juste terminée, et que vous aviez négligé d’aussitôt extraire. Au mpoins, si les photographies vous étaient restées. L’homme est encore si public et reconnaissable que les clichés développés, la remarque aurait été faite à votre emprunteur. Rien, ces images et d’autres, celles prises lors de ce mariage où il vous fut dit que, pour vous, les plats étaient passés depuis longtemps, qu’ils ne repasseraient pas.

Le viol, autrui dans vos affaires, les mains palpant et déballant le cadeau, appréciant le portrait de famille. Une casquette achetée à Boston, en harmonie de couleur grise et de tissu avec votre manteau. Concentré comme lorsque vous allez ne plus prendre garde à votre appareil-photo, justement révisé et rendu à neuf, vous priez sur la tombe de Pierre BEREGOVOY, une veille de Noël,le cimetière de Nevers, il n’y fait lors ni froid ni lumineux,vous êtes avec des éléments matériels que vous n’avez pas connus de lui, la décoration de rochers et de plantes, l’écrit, la question voulue par les siens, par sa femme : parti où ? Que le dialogue était immédiat et facile, sans doute n’était-il nullement d’un ministre avec ses collaborateurs, jamais vous n’avez conseillé ni suggéré, encore moins été prié de donner un avis sur un point de gestion. Il y avait entre vous une commune vue des choses, de la dialectique de la gauche au pouvoir, non un parti mais une façon de regarder le monde et d’avoir été longtemps traité en incapables, en mineurs, vous n’êtes ni de gauche ni de droite au sens reçu de ces termes, mais vous ne suportez ni la laideur (c’est-à-dire en politique la haine et l’esprit de système, d’assimilation, deux formes de la démagogie) ni le déni de justice, et c’est en cela que vous étiez en communion avec le disciple tardif de MENDES FRANCE, de DEPREUX, et avec un homme qui avait prisé Georges BORIS, ainsi qu’Harris PUISAY qu’il s’était attaché après que celui-ci ait un temps travaillé avec Claude CHEYSSON. Alors une manœuvre sur des titres à introduire en Bourse, ou que vous soyez pressenti pour la direction d’une banque, vous n’en inspiriez pas du tout l’idée. Il vous parlait comme il ne parlait pas à d’autres, tout en vous gratifiant de la manière qu’il eût avec davantage que quelques-uns, la manière attentionnée et personnelle de faire attention aux autres, de les aider, de leur donner signe. Il ne se considérait pas d’une autre essence. Vous priez et évoquez, la casquette ôtée et jetée sur l’arbuste jouxtant la tombe. Vous ne vous apercevez l’avoir laissée au cimetière que le lendemain, vous téléphonez en tous sens, vous repassez sur les lieux, vous en écrivez à la veuve. Quelqu’un tranquille, nonobstant la tombe, et que des cheveux blancs sans doute restés dans le fond de la coiffe n’ont pas gêné, a pris votre casquette, s’en est emparé, n’a sans doute pas même délibéré de la déposer à la porterie, à l’entre-sortie. Le cadre destiné à une photographie de famille prise antan, copiée à l’ancienne, enveloppé en forme de présent, papier, étiquette et ruban, un autre l’a installé chez lui, devant lui et il n’en a pas été aveuglé. Quel est son rapport avec les choses, avec l’imprégnation d’un tiers sur les objets qu’il vole ? Mais d’autres cadres vous ont été pris également, le viol se transforme en un charité forcée, le type se sera fait quelque monnaie en revendant un à un les choses sous leur cellophane. Mais la casquette ? elle n’a pas brûlé la tête de qui l’a mise, et quel profit à la vente retirer d’une casquette usagée ? Le voleur des cadres a laissé les copies de journaux des années 1950, des livres neufs contemporains, d’autres brochés et abîmés sur les événements de 1940 à 1945 :il ne lit pas. Il s’est montré sous son jour le plus banal. Lui parler, le dissauder, connaître son existence et les conditions de celle-ci, non ? Plusieurs fois, votre imperméable, laissé en vue sur un siège de votre voiture, dans Paris, au bord du Tage, des agendas qui vous auraient donné la chronologie de rendez-vous en 1973 avec des personnages de la politique, une, deux machines à écrire portables et à marche électrique, des objets vraiment vôtres ; on se les approprie pour le plus vif prix, celui d’un bien fongible, comme vous l’avez entendu définir en début d’études de droit.Il y a l’irremplaçable, un polycopié, version 1963-1964 du grand maître en contentieux administratif, recouvert de plastique transparent, marqué à votre nom, oublié par vous dans un placard de bureau dans votre administration parisienne, où vous n’étiez pourtant pas inconnu : pas de retour à quelque endroit de passage pour tous. A Cordoue, fatigués d’avoir traversé la Manche entière par canicule, vous ne déchargez pas complètement la voiture, des fenêtres peut-être restent ouvertes, la Remington de votre père, dans les années 1930, s’il la touchait ? ce dût être un présent de votre mère, il avait repris des études sous l’Occupation et peut-être travaillait-il à la machine, ou bien sa femme l’avait-elle escompté. La machine est à vous depuis votre première année dans l’enseignement supérieur, quelques pages d’exercices de perfectionniste, des essais à perdre du temps, une frappe à deux doigts, vous en êtes resté là en plus de quarante ans. La machine de vos débuts, la machine antérieure à vous et à tout ce que vous avez jamais écrit, la machine sous vos doigts, banalisée sur un marché de quelconque revente ou brocante en Andalousie des années 1970. On meurt au hasard, qui peut prévoir la dernière main que sa main serrera quand il faut partir, et qu’on le sait, soi et qui vous regarde et tient votre main.

A l’inverse, les vols que vous avez commis, les cartes postales à l’étal au sortir du Prado, les Que sais-je ? et deux ou trois livres plus épais, de politique extérieure, à la librairie de votre école aux Sciences-Politiques. La haine qu’en conçut Jeannette. Quels étaient ses sentiments ? La jalousie de votre impunité ? Vous étiez pauvre, vos parents étaient ruinés, à peine votre aïeul remboursait-il des factures d’indispensables ouvrages, esorit de colection au vrai. Chez un camarade, des étagères de livres, ces Que sais-je ? en nombre, symbolisaient quoi ? Vous vous faites prendre. Vous apprenez ce qu’est une chaine de conséquences, ce qu’a d’enchaînant une imprudence, une erreur d’appréciation au moment de commettre un acte, de le décider, de le perpétrer. Vous ne fûtes sanctionné que d’un sursis de deux trimestres hors de la rue Saint-Guillaume, et votre carrière n’en fut ni modifiée ni retardée, vous aviez tant d’avance, mais cela défit les relations qui avaient commencé, les camaraderies et les leçons sentimentales, vous ôta pour presque toujours une aisance que vous n’avez plus eue depuis que de façade. N’oser plus se montrer, voilà à quel état intime quel que soit la bravoure de vos comportements et de vos porter beau, vous fûtes réduit.

De même, faisant sursis à votre projet de mariage, renvoyant de fait la jeune fille qui en était l’instigatrice première, vous commettez une erreur dont tout va découler ensuite jusqu’à maintenant, précisément alors que vous vous croyiez en logique absolument paré. Si elle vous aime, elle tiendra, si elle ne vous aime pas, il aura été bon que vous ayez pris ce risque, celui-ci aura été révélateur, salvateur. L’épreuve est effectivement concluante, les conséquences sont pendant longtemps que vous croyez à la fin d’un commencement, à l’interdiction d’une fondation, puis la perspective se modifie. Ce fut la fin d’une vie, d’une attente qui n’avait pas de manière pour prendre la réalité, recevoir les propositions. Un fantasme vous a été ôté, il vous a été montré que des associations ne sont pas possibles, qu’un dialogue n’avait pas eu lieu. Dans la rue, vers l’église sertie, au haut d’une éminence dominant la place Liszt et la rue La Fayette, dans le pâté de maisons voisin, un nu-pieds poussant un tringlot. Hier, tandis que vous fermiez votre voiture, un oisif vous observant rue Claude Bernard, le silence et la pesanteur d’un jour lumineux,épais de lumière, de chaleur, d’une sorte de désert que les vacances produisent dans Paris, surtout quand au centre de la capitale se termine «  la grande boucle » : en somme, vous avez fait cadeau de quelques objets, aujourd’hui ou hier. Mais à Jeannette, qui se vexait, pour l’exemple, d’être volée à son étal par beaucoup, vous auriez apprécié de lui expliquer les circonstances de naguère et de savoir d’elle ce qu’elle avait pensé, au vrai, car – une vie humaine n’a semble-t-il que peu de scenarii possibles, et encore moins de partenaires ou parterres à proposer – vous revîtes, dans les jardins de notre Ambassadeur à Washington ; elle y venait quelques jours ou semaines de vacances à l’invite de l’épouse du chef de mission, et tandis que vous tâchiez d’obtenir de Jacques ANDREANI la manière d’obtenir des instructions et d’y être ajusté, puisque maintenant vous étiez, vous aussi, Ambassadeur, et que celui-ci vous répondait que les choses, les souhaits ou les besoins d’un Gouvernement, il ne mentionnait ni le ministre ni les services, pudeur ou émancipation de quelqu’un qui fait la corporation parce qu’il a été faite par elle et entre eux tiendra toujours le pacte d’une consanguinité, il y avait la libraire pas vieillie, témoin de tout rue Saint-Guillaume pendant des décennies, les vôtres, avant les vôtres et depuis les vôtres, assise à deux chaises et une table à thé de vous, à qui vous n’aviez pas été présenté, comme si d’évidence tout le monde se connaissait de mutuelle et ancienne connaissance. De fait. Vraiment, ne vous reconnût-elle pas ?

Le visage de Kirk DOUGLAS, en laisse un dobberman splendide, il court avec régularité, chemise courte blanche, culotte courte également, des lunettes de verre jaunissant, laplus jeune des chiennes part à sa suite, est lâchée. Au retour du sportif, les chiens jouent ensemble, appréciation mutuelle des races, commentaires, jeux de questions sur les modes d’acquisition, l’éducation, la relation avec le maître, la maîtresse, l’heure ne presse pas, la rumeur dominiciale n’est pas présente, un célibataire qui ne rejoint pas les siens, en villégiature. Cet homme qui tranche assez sur les exhibitionnistes de la course au trot ou des mises au point de quelque muscle par appui calculé,minutieux, plus bidulé que le geste inauguratif d’un chirurgien, et ils sont le plus souvent inélégants, guère sveltes, peu en possession d’eux-mêmes, vous réalisez à son assurance, qu’il est peut-être de ces puissants dont l’accès vous est fermé, si vous n’avez de présentation qu’une lettre faisant supplique. Vous tentez de faire dériver les phrases, l'anonymat n'est pas rompu, il est directeur d'entreprise. Vous n’avez pu vous avancer. Georges POMPIDOU, un Dakota, et le voilà embauché pas encore au centre du dispositif des ROTHSCHILD, mais pas loin non plus ; une place d’avion sur un vol en Afrique aux époques où les voyages avaient l’imprévisibilité de toute œuvre faite à la main, pièce chaque fois unique. Louis VALLON racontait que l’introduction du même auprès du Général tenait plus à une rencontre à heure que l’agrégé sachant écrire avait remarquée être celle d’un certain hygiène du Chef du Gouvernement provisoire qu’à son recrutement, pour tenir la plume, par son condisciple René BROUILLET. A Michel NOIR, vous aviez tous deux debout dans l’allée de Concorde, pendant le voyage officiel de François MITTERRAND au Canada, tenté d’exposer en pas deux minutes une partie où vous lui seriez utile tant au Commerce extérieur que dans le milieu de l’Elysée, s’il avait l’intelligence de vous donner une affectation convenable dans votre propre administration. Que de fois, ce dialogue tenté où il vous sembla que tout pouvait – non se perdre, vous étiez déjà à plat – mais se gagner. Vous n’eûtes, qu’à Moncton, en escale passée sous un hangar, une conversation intéressante avec sa femme : n’eussent les choses tenu qu’à celle-ci que l’imprudent serait resté encore aujourd’hui maire de Lyon et surtout « présidentiable ». La circonscription, le genre des gens et des partenaires, la bonne indication des points forts et des lacunes du mari, tout y était avec tant d’intelligence que la parité homme/femme était enfoncée.

Les dialogues qui ne sont pas par eux-mêmes leur objet, mais où l’un apprend ou confirme à l’autre des données et des vues telles que celui-ci puisse se les approprier, les ajouter à l’ensemble de son univers et de son fonctionnement mentaux, les dialogues où s’échangent, très différemment d’un équilibre où l’information, les mots ont leur unité de poids et quelque arbitre convenu pour en jauger la réciprocité en sorte que personne ne soit floué, des situations métaphysiques, des rôles se vivant et s’appelant à mesure que l’on parle, que l’on lit. L’écrivain, le compositeur et leurs lecteurs, leurs auditeurs se suscitent les uns les autres, n’existent pas les uns sans les autres. Systématiquement, vous avez exploré les pays où vous étiez aposté d’abord mentalement, en écoutant et en provoquant l’analyse, la manière d’être d’un ressortissant de cette géographie, de cette économie précises, dont vous aviez idée, mais pas la structure intérieure et en quoi celle-ci modèle ses sujets et est faite d’eux, travaillée par eux. Quand vous essayiez diverses hypothèses sur la manière dont de GAULLE allait se séparer d’un Premier Ministre et en susciter un autre et que venait à votre rencontre pour soupeser des faits et des dits le dernier ou le second de ses secrétaires généraux à l’Elysée, il n’y avait pas de moindre ou de maître de vous à ceux-ci et réciproquement. La connaissance, l’intuition vous y progressiez l’un par l’autre. Souvent, la fin d’une journée vous paraissait le retour à un point de départ jamais perdu et d’où vous aviez tout le cercle et le point d’arrivée, mais il vous était resté de vivre en lisant, en étant avec quelqu’un, avec la compagne du moment, dans un paysage que vous aviez laissé ensemble pour accéder à un autre, promenade ou voyage, étape ou retour à la maison, seul ou à deux dans le lit, la lecture et la somptuosité d’une cohérence que soudain l’esprit déversait, comme son œuvre de ces heures-là, à l’âme qui arrivait alors à son heure et à son trvail, au travail de cette heure-là, mieux qu’une prise de conscience une sorte de reconnaissance intime, heureuse, joyeuse que chair et intelligence aient vécu pleinement leur fonction ensemble, s’entredisant du plaisir et de la découverte, une richesse communément conquise, des gemmes à pousser du doigt dans la paume, des granulis volcaniques, des versets d’un livre saint, le développement périlleux un temps, très juste et adéquat ensuite d’un texte, d’une succession de textes. Le même sentiment de justesse quand une étreinte, déjà dans son élan, pas encore à son acmée, produit davantage que de la joie, la conscience d’une forme de perfection, celle qu’il est donné, permis, recommandé aux humains d’ambitionner pour leur plaisir, leur fécondité, une réelle coopération à l’intelligibilité du monde et à sa beauté. Parvenir alors à vous l’exprimer, les mots vous en viennent, intimement, encore peut-on les coucher sur le papier, vous l’avez souvent fait, sans que l’écrit ait grand sens que pour vous. Mais le communiquer et à deux, les corps du moment à peine distant de votre dialogue de quelques minutes et vous n’avez bougé ni un membre, ni votre tête et vos yeux maintenant rouverts, ni du lit, si rarement vous y êtes arrivé. Dans le silence de l’un endormi, assommé par l’instant vécu et qui s’est refermé en gardant le souvenir, la marque, la faille d’un certain assouvissement, et de l’autre, vous le plus souvent, regardant, il y a plus de communion que dans beaucoup de mots ou de phrases exposant ou remerciant. Se lever aussitôt après, quand vous en étiez soudain délaissé, nié en tant que partenaire venant de célébrer le sacré avec celle qui s’en va, de dos et revient de face mais simple femme nue, non plus univers entier priant et adoré, vous endommageait autant que de ne pouvoir dire comment la vibration d’une journée ou la satisfaction d’une lecture s’achevant ou d’un travail terminé vous accomplissait, et de constater que vous ne pouviez ni montrer ni partager. Les regards éperdus d’avant l’expérience physique de l’autre, quand ceux qui se rencontrent ne se donnent aucun interdit mais ne se veulent aucune hâte, l’extase du moment en équilibre entre le passé qu’il périme mais qui y a amené et l’avenir qu’on veut entier et définitivement à sa ressemblance, selon son sens.

Il y a l’accord, ne pas se tromper sur les bases qui s’établissent, qui vont s’établir, est-on avisé de ce que l’autre voit, attend ou veut ? FOCH entrant dans une église ou quelque chapelle, un paysan s’y trouve, planté de bout, au loin le tabernacle, du silence. Le généralissime s’interroge puis interroge, que dites-vous donc ? priez-vous ? et alors ? L’homme répond avec simplicité : je l’avise et il m’avise. Quel personnage aujourd’hui, de si petite autorité qu’il soit, ayant à exposer les motifs d’une décision, d’un ordre et fondant l’affaire sur l’observation de la réalité, ne parvient au milieu de son texte triomphalement, à l’inévitable on s’aperçoit que… comme si la direction d’une entreprise, des arbitrages financiers, des réorientations de gestion politique, administrative censément de science exacte consistaient en une soumission rétrospective à quelque hasard faisant qu’on décide, puis qu’on regarde le sens et l’épaisseur de la fumée, et qu’enfin on est à même de conclure, quoique seulement à ce stade déjà bien tardif, les effets de ce qu’on avait antérieurement disposé.

En parler, c’est important, toute la suite est en question, votre initiateur spirituel, celui que vous visitez depuis quelques semaines, autant de fins d’après-midi que l’année passée vous alliez interroger l’ancien Premier Ministre, vous accorde une grâce suprêmement savoureuse. Chacune de vos questions, quoiqu’il y réponde parfois avec le décalage d’une ou deux, ont un sort dont vous avez à décider. Appliquer la réponse à ce que vous cherchez, vous y prenant par le pari que le vieillard comprend, assimile, s’exprime aussi adéquatement, finement qu’aux instants les plus dotés de son existence, naguère ou il y a encore peu, et vous voilà saisi par la main de votre enfance. Du bon sens et une finalité, en fait une manière de vivre avec confiance. Sans que vous lui ayez détaillé votre manière actuelle, il suggère que cette décision : consentir à l’intervention chrirurgicale qui va mettre en cause votre virilité et votre fécondité, ou la retarder, vous en débattiez avec votre femme. Justement, vous n’êtes pas marié, mais précisément, plus encore, votre compagne de maintenant, qu’en pense-t-elle ? comment vous veut-elle ? que veut-elle de vous ? La banque du sperme réserve-t-elle un avenir de couple, de ce couple dont vous vivez présentement, ou d’un couple hypothétique précarisant par le souhait que vous en conservez, celui-ci ? La réponse gît-elle dans l’étreinte le soir de votre premier dépôt conservatoire ? Ou dans celle qui vous est loisible avant le second ? Il est entendu qu’elle ne veut pas d’enfants, même maintenant quand il en est encore temps, de votre point de vue, c’est-à-dire pendant que vous en avez encore la capacité. Vous faites les questions et les réponses, mais celles-ci sont-elles justes ? correspondent-elles à ce que vous pensez ? et à quel niveau pensez-vous ? selon votre couple en ce moment ? où est votre sincérité ? où êtes-vous ? qui êtes-vous ? un amant de fait, un compagnon pour elle ? comment vous voyez-vous-même ? par rapport à elle ? Vous voilà pour la première fois sans doute aussi nettement, et dans la perspective rapprochée de conséquences précises, à peser ce que vous allez décider, et surtout à chercher ce qu’en face de vous, et non en image portée mentalement ou affectivement en vous, quelqu’un pense, souhaite.

D’abord, toujours, systématiquement, pourrait croire un tiers analysant continûment vos gestes, paroles et pensée, ce tiers que vous êtes – en réalité – l’un et l’autre, avec l’autre et avec chacun de vous deux, le refus, la réticence. Une réponse pour ce qui est du physique entre vous, l’amour qu’elle vous porte, que vous pensez qu’elle vous porte est indifférent à vos étreintes, qu’il n’y en ait plus est secondaire, sans portée. Puis, votre insistance qui défait, baisse du vêtement sans qu’elle s’en défende, et son nouveau visage, ses yeux nouveaux, le front, les lèvres entrouvertes. Le sourire, le changement total, soudain de lumière sur ce visage, en sorte que c’est lui qui irradie de la lumière, de l’ouverture, de l’appel, de l’accueil, du dialogue. Passe la suite, mais l’entrée était ainsi, le plaisir sera accessoire, évident, pas loin d’être habituel. La réponse se nuance d’une question seconde, plus précise, que vous venez de préciser, elle en se montrant à vous ainsi, et vous en ayant préféré à tout en elle ce sourire, c’est-à-dire cette façon d’entrer avec vous dans une minute donnée, que vous vous donnez. Quel serait son sourire si vous n’aviez plus, de corps ensemble, un endroit de tête et de sexe, tout intérieur et intime, tranquillement décoré en vous de sensations, d’images, de souvenirs et de voeux ? Vous ne parlez pas de plaisir ni du plaisir. Mais de l’enfant, c’est à froid, à table, vous déjeunez, il faut y revenir, vous voulez y revenir. Elle vous a redit que jamais elle n’avait envisagé l’avenir, d’avenir, encore moins un avenir avec des enfants, fonction d’enfants. Si elle en avait souhaité, elle en aurait eu. On touche toujours la vérité quand, dans une relation à deux, est évoquée une autre antérieurement, le passé de deux amants ne les divise jamais à la condition nécessaire que leur commencement soit séparable de ce passé, qu’il ait inauguré une autre ère, mais que la précédente, les précédentes n’aient pas été indifférente dans la maturité des capacités d’amour de chacun, et que cela se commente, se raconte et s’explique est une bien douce lecture dans les moments où l’on s’abandonne à évoquer qu’on est l’un pour l’autre un providentiel aboutissement, en tout cas le fruit dégusté d’une certaine logique des événements. En revanche, tout se brise, fragile ou solide, à l’évocation d’un agencement où la suite à terme, même très long, différerait du présent qu’elle se serait refusé à prolonger ou dont elle ne ferait pas son matériau de base, si fugitive que soit cette évocation, pis encore si elle ne se perçoit que par quelque déduction d’un lapsus, d’un vague-à-l’âme, d’une soudaine rétention de parole. Deux raisons de ne pas vouloir d’enfants, puisque c’est par cette question que vous voulez placer votre couple devant l’échéance de votre stérilité, et que vous croyez ainsi la convaincre qu’elle est en première place dens votre vie – s’il est jamais possible que ce soit. Deux raisons, la première de principe et la seconde étant qu’elle ne vous pardonne pas le passé proche, tout ce qui fut contemporain d’elle et de votre couple. Elle ne s’émancipe pas d’avoir mise en parallèle, entre parenthèses, d’avoir été secondaire. Que vous lui fassiez la remarque que fantasme pour fantasme, elle aussi vit dans cette ambiance. Vous et elle rêvez d’un amour qui est banal mais que vous ne vivez pas, une sorte de modèle sans lequel on ne saurait se dire qu’on a vraiment tout eu, elle votre préférence, et vous la suite de ces fiançailles mythiques au bord d’un lit que précisément on n’avait pas encore fait. Peut-être n’êtes-vous toujours pas à renoncer au mythe de la jeune fille vous prodiguant tout à la fois, mais elle, à se vouloir aimée comme dans ses rêves ou dans ses schémas et à ne jamais discerner que vous l’aimez différemment de ce qu’elle rêve mais aussi de ce qu’elle suppose, n’est-elle pas exactement dans votre propre attitude, celle qu’elle me reproche. Elle répond à ce que vous lui en dites que le passé, toujours, ne peut s’oublier, tandis que vous, vous tentez de lui représenter qu’un couple marié de longue date ne serait pas davantage qu’elle et vous lié, solidaire, attentif, courtois et nécessaire quotidiennement.

 Avec qui dialogue-t-on quand on sort de la tranchée de son intimité ? Est-on jamais reçu par quelque autre à la ligne de crête, à la cote n° tant, et s’ouvrir n’est-ce pas se faire aussitôt condamner, détester ? Quand la tentative tourne à l’aveu sifflant et terrifiant que l’autre vous fait de ce qu’il supporte de vous, depuis longtemps, mais qu’il ne peut davantage supporter, quand à la foi que vous aviez soudain s’oppose la certitude d’autrui que vous n’êtes au fin de vous-même pas la personne qu’elle attendait et dit si souvent chérir, quand il apparaît que les silences, les égards, les apparences font durer les états de fait et que la parole prétendant les identifier, puis les modifier ne fait rien surgir que des émergences d’effondrement, le dialogue n’est plus le lieu béni où tout apporter, mais bien la ligne à ne pas franchir. On revient, pour ne pas s’en aller, au modus vivendi. Il s’agit parfois de l’éternité exactement perçue, et l’on désespère moins de soi et d’autrui en s’en tenant au vécu, et en le prolongeant sans forfanterie ni imagination, mais avec compassion et tendresse, qu’en déterminant abruptement et à l’avance que le temps détruira même ce qui ne s’est pas encore célébré, et au nom de quoi on patiente à tout, puis s’épouvante d’être jamais à la hauteur, à l’unisson nécessaire. En langage quelconque, ce sont les voies ambitieuses ou modestes du mariage, du compagnonnage, de la rêverie, de la réalité.






En sa personne, il a tué la haine ; il est venu annoncer la bonne nouvelle de la paix, la paix pour vous qui étiez loin, la paix pour ceux qui étaient proches [1].



[1] - Paul aux Ephésiens II 16 & 17