dimanche 22 juillet 2012

diagnostic - l'impossible est notre vie . récit . 15 (à suivre)










DIAGNOSTIC





Au carrefour, vous êtes neuf, aucun précédent, pas de préparation. Le premier indice, à vous y reprendre dans cet exercice de mémorisation d’une chronologie qui sera peut-être décisive, est cela : vous n’avez pas la mémoire des dates. Vous ne l’avez plus. De ces dates. Celle de la première fois, où – réaccueilli par votre médecin traitant qu’avaient assailli soucis familiaux et organisation de sa pratique en sus de la direction de la plus prestigieuse école de santé des armées – vous êtes tous deux devant les examens, des prélèvements opérés trois mois plus tôt. Il y a du cholestérol, vous pesez un peu trop. Vous dit-il qu’il y a déjà, sur la dernière feuille, le relevé d’un taux qui n’est pas exactement ce qu’il doit être, ce qu’il est chez les bien-portants ? La prostate, palpée chaque année, déshabillez-vous, détendez-vous, allongez-vous, les poignets sous les fesses, là, tranquillement. Cet homme est d’une douceur et d’une précision ! alors que sa vie conjugale est, à l’entendre sauf ce qualificatif : ratée. Ses mains à palper ensuite votre abdomen, des mains d’amants. Le visage est pointu de profil comme de face, la tête comme un cœur renversé, exactement la glande dont vous parlez, dont il vous parle. Refaire les examens, l’écart entre les deux prélèvements est, par chance, exactement celui qui donnera les repères voulus. Si c’était cela, on le verrait alors. Vous avez droit à un cours d’histoire de la médecine, de cette médecine et de ce diagnostic-là, HIGGINS en est le père. C’est clair à pouvoir prendre des notes, vous ne le faites ni cette première fois, ni la seconde, ni quand vous êtes venu – troisième fois que vous êtes sur le même sujet, le seul sujet qui se précise en proximité mais pas du tout en forme et en fond – en appelant au secours par une lettre que vous avez composée, nette. Combien de temps ? jusqu’où ? la souffrance, la diffusion, la fécondité, la vérilité. Le cours est assez clair, vous le suivez bien, il ne s’agit pas de vous, ni de ce qui se trame en votre plus intime et là où d’ordinaire c’est déjà fort intime, l’ensemble est très distinct de la conversation que vous menez, c’est un excursus. La toponymie ne vous est pas assez familière pour que vous l’assimiliez et la mémorisiez. Vos études de latin et de grec vous dispensent de demander des définitions, ce qu’il vous manque en entendant cet exposé, c’est le mode de fonctionnement, qu’est-ce que çà enlève, qu’est-ce que çà abîme, comment est-ce que cela tue, et quoi donc ? Trois hypothèses, contrairement aux examens un peu limites, il dit boarder line, la génération qui aura appris dans une médecine et un français universellement triomphants et réputés et qui fera retraite quand les revues, on ne pourra plus y accéder qu’en rédaction anglaise, et plus aucune autre ne fera foi. L’historique de la science adéquate à votre cas, à ce point du récit, aucun mode n’est plus éventuel, une fois fait, les gens de recherche et de clinique ayant pallié les risques induits par les premières médications de 1940, embolies et autres tromboses, on changeait alors seulement de genre de mort, mais on n’y échappait pas. Ce que vous écoutez vous semble cependant la description de ce à quoi on n’échappe pas davantage. Même encore maintenant, en tout cas vous, vous qui êtes concerné, l’histoire est type, l’avancée médicale vaut pour l’espèce, mais vous, vous êtes situé à un instant précis de l’histoire de ce diagnostic et de cette thérapie, et la suite arrivera trop tard ou ailleurs. La première hypothèse, vous n’avez rien. On fait des biopsies chaque semestre et on attend. On aurait d’ailleurs pu attendre dix ans et soudain on se trouve devant des métastases. Qui ? lemédecin ? vous ? Si vous n’avez ni saignement dans les urines, ni besoin de pousser quand vous p…, si vous n’avez pas à vous lever la nuit, jusqu’à ces années-ci, on – le médecin ne voyait rien, maintenant ce taux, le vôtre  19, la norme étant à 35 et la ligne rouge à 14 ou 15. On voit. Vous n’y êtes pas encore. Il y a peu, votre médecin est en train de vous annoncer un raffinement récent dans la technique du diagnostic, il y a peu on a découvert que le rapport entre deux taux pouvait à lui seul donner l’alerte. De ce point de vue-là aussi, vous êtes « limite », mais encore du bon côté. C’est ainsi que des examens à l’identique vous avaient été prescrits, et que vous étiez, dans le même cabinet, au rez-de-chaussée, flanquant l’église d’Anne d’Autriche et donnant sur un charmant et touffu jardin de curé, à la même heure de milieu de soirée, à lire un texte identique, écrit en chiffres et qui recommandait en dernière ligne de passer à la consultation d’un spécialiste. Votre vis-à-vis, ami de plus de sept ans à présent, allait s’occuper de vous l’obtenir. Sans délai.

Deuxième hypothèse, un cancer de la prostate bien circonscrit. Le chirurgien vous l’enlève, il est excellent chirurgien et saura préserver fécondité et virilité, d’ailleurs la glande n’est pas séminale, mais lubrifiante. Troisième hypothèse qui motivera peut-être des examens plus poussés pour choisir la thérapie : un début de rayonnement du cancer, il est inutile d’enlever la prostate ; on fait une radiothérapie, et peut-être une hormonothérapie. Après la description de l’hypophyse, de l’hypothalamus et des testicules, fusée à trois étages, puis l’évocation des régulateurs de certaines hormones, c’est la reprise du schéma déjà exposé les fois précédentes. L’inquiétant devrait être le point de savoir comment évolue cette histoire d’une discipline scientifique, et point du tout votre santé. D’ailleurs, la question n’est plus de cet ordre, c’est de vie ou de mort, de suite ou pas, de conditions de survie qu’il s’agit. Vous le comprenez, paradoxalement soulagé. Donc on parvient à peu près à contrer le rayonnement du cancer par un non rayonnement de la testostérone. Bien évidemment, il n’y a aucune sécurité ni assurance quant à la préservation de la fécondité. Ce ne vous est dit qu’à ce rendez-vous, si souvent de simple amitié, de conversations sur la politique au sens moral et à celui aussi des acteurs que vous connaissez et portraiturez ensemble à travers toute l’histoire du siècle, sous l’angle de la France et du caractère, de la culture. Conversations aussi sur l’existence quotidienne de cet officier général, sur sa vocation médicale, les aléas d’une carrière où il est question d’un sacerdoce des débuts de nuit et des matinées employées dès avant huit heures à examiner, selon les règlements, les confrères généraux bons pour les avancements, les campagnes, la retraite, les opérations, le bureau. Cinq ans durant, ce furent des échanges où vous vous administriez l’un l’autre quelque assurance sur le monde contemporain, lui se donnant sans vous le communiquer, le point de votre mélancolie, le progrès d’un retour à l’animation et à l’optimisme, et vous l’accueillant en paroles, en jugements et en anecdotes en sorte qu’étaient validés en pas loin de deux heures vos itinéraires parallèles, celui d’un généraliste passionné de médecine, de patrie et d’équité, de caractère et celui d’un haut fonctionnaire renversé et n’ayant plus à soigner, faute de carrière, qu’une psyché malade et dubitative, souffrante, modifiée.

Vous changez complètement de thème, l’âge était en cause, qui varie d’un jour à l’autre, en tout sens, n’en prétende l’état-civil ou le nombre des bougies à souffler. L’empêchement va être objectif, ce n’est plus vous qui, vous attachant à la séduction et à l’attente d’une ambassade, d’un succès d’édition, d’adolescentes pouvant, une au moins, tenir rôle d’épouse, vous astreignez à échouer, à veillir, à rouler d’une déception à l’autre, de droite et de gauche à la façon de vos espérances de remise en selle et des revirements du suffrage populaire, faisant se succéder les tenants de la hiérarchie qui vous gère, qui vous a géré et installé, enfermé au rancart. Ne plus oser aborder la femme-enfant, crainte qu’elle vous repousse, c’est un scenario démodé, bien trop optimiste. Maintenant, d’ici peu, vous ne pourrez plus regarder aucune femme parce que, qu’elle vous cède et ce sera le pire. Vous ne pourrez honorer la pétition de votre désir, et si d’aventure et par habileté qu’elle aurait ou que vous auriez, vous parveniez à vous introduire en elle, vous n’y laisseriez rien. La fécondité, vous ne l’avez plus. La déception amoureuse dont vous ne vous guérissez que par raison, mais pas vraiment d’instinct ni d’envie, vous épargnait toute conclusion, vous maintenez en état de cicatrisation et arriverait, quelque jour, une autre ou autre chose. L’interdit soudain brandit sa pancarte, on butte dessus, on casse, on est arrêté ou l’on s’arrête. C’est la limite, il n’est au pouvoir de personne que vous la franchissiez, que quelque chose qui vous aura été, au bistouri ou aux hormones, enlevé trouve son substitut. Fin des projets, fin des regards, finies les perspectives et la longueur du temps. Tout est maintenant, c’est tout de suite fini. Il vous suggère la banque du sperme.  

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