samedi 7 juillet 2012

disgrâce - l'impossible est notre vie - récit (à suivre)

Je commence ici la "publication" ou la "mise en ligne" d'un récit écrit en deux fois : de Février à Août 1997, dans une ambiance très dépressive, puis en Juin-Juillet 2000 tandis que je suis atteint d'un cancer de la prostate.

Chaque jour - si Dieu le permet - je mettrai en ligne un "chapitre" de cet écrit : le personnel est toujours universel


L’impossible est notre vie, récit

B a s
Disgrâce
Destinée
Disparition
Désastre
Détour
Dédain
Demande
Départ
Deux
Dénégation
Désamour


H a u t
Désamour
Dérision
Depuis
Dignité
Diagnostic
Discussion
Demain


M o u v e m e n t
Déchirure
Disjonction
Distance
Décision
Discernement
Dialogue
Désir


L i e u
Dévotion
Dilection
Déraison
Détestation
Début


S i t u a t i o n
Définir
Devenir
Durer

               

                  à Edith


                                                                                              & à celles et ceux qui m’ont aidé à survivre
                                                                                                                      et ont été chacune, chacun
                                                                                                                      providentiels
                                                                                                                      dans leur ordre
                                                           et selon mon histoire.


                                                           En sorte qu’a eu son écho,
                                                           sa persuasion à cœur humain,
                                                           une relation à Dieu –
                                                           décisive par elle-même –
                                                           mais invivable sans ce secours d’autrui,
                                                           mon pareil,
                                                           sauf que lui manquent les circonstances
                                                           de notre ressemblance.

                                                           Ainsi se sont mélangés
                                                           pour tout reprendre
                                                           les méfaits du présent,
                                                           les sourires les compensant,
                                                           les souffles divins
                                                           qui inopinément ravivent
                                                           l’espérance du perdant
                                                           et celui-ci,
                                                           sans qu’aucune perspective soit donnée
                                                           pour autant, s’est mis à aimer
                                                           ce qu’il était contraint de vivre,
                                                           puis à le préférer.

                                   & à la mémoire de mon père

                                                           C’est l’affirmation d’un fusillé de 1945
                                                           à pas trente-cinq ans :

L’important est de ne faire qu’un avec sa course,
même si l’on n’en aperçoit pas tout de suite l’aboutissement lumineux [1].

En témoignage enfin
de chaleureuse reconnaissance
à mes amis du Val de Grâce,
toutes disciplines confondues,
autant que de communion avec mes co-patients à l’étage de psychiâtrie
                
Que mon nom ne soit rien qu’une ombre douce et vaine
Qu’il ne cause jamais ni l’effroi ni la peine !
Qu’un indigent l’emporte après m’avoir parlé
Et le garde longtemps dans son cœur consolé !

Marceline DESBORDE-VALMORE




B A S




                     DISGRACE




                  Un jour ordinaire. Votre vie n'est pas ordinaire, c'est la vôtre : elle grouille de projets, d'insatisfactions, de joies. Vous êtes friand de rencontres, vous parlez facilement avec des gens, des inconnus, ou des familiers que vous avez le don de mettre, un moment, le temps qu'il fait, en confiance. Ils parlent, on vous parle. On vous trouve du charme, vous savez écoûter, vous regardez, des oeuvres d'art mais aussi les passants dans la rue, de l'autre côté des portières de voiture, vous imaginez des intérieurs, des chambres sous les toits, des appartements, rien qu'à voir des immeubles, une lampe le soir, une fenêtre sombre, et vous imaginez aussi la suite de la journée pour cette adolescente qui traverse, en courant, hors du passage protégé. Va-t-elle retrouver un amant, en fuit-elle un, va-t-elle à un cours ? Votre existence est banale. Vous ne vous épanouissez pas au travail, mais vous n'y êtes pas amoindri. Vous attendez autre chose, vous guettez des visages, pas vraiment des opportunités. Vous pensez que la suite sera conforme, enfin, à ce que vous attendiez de la vie durant votre adolescence. Vous admettez que vous n'êtes jamais sorti de votre adolescence. Vous dites que la plupart des humains sont ainsi, la face au jour, au bureau, dans les transports en commun, une préservation de l'anonymat qui couvre mieux l'idendité. On fait semblant d'être adultes, de connaître et de respecter les règles du jeu, celles de la société, est-ce un jeu ? Question oiseuse. Les organigrammes, les feuilles de paie, les droits à congé, les retenues diverses sur le salaire sont codifiés, les mêmes pour tous. Vous êtes un parmi tous, exceptionnel pour quelques-uns qui vous détestent sans vous connaître, qui vous aiment en vous connaissant à peine mieux. La société n'est pas un jeu de miroirs. On s'y voit rarement. Vous ne vous y regardez pas, vous dites qu'elle ne vous ressemble pas, que vous n'y êtes pas ressemblant. Vous êtes ce que vous n'êtes pas, votre place dans la société, votre emploi, votre fonction, votre curriculum vitae, vous dites qu'ils ne vous décrivent pas. Vous ne souhaitez pas être décrit, et vous commencez à ne plus souhaiter être ni apprécié, ni aimé. Simplement accepté. Votre vie est ailleurs, elle est intérieure, vous n'êtes pas de ceux qui murmurent sans cesse un dialogue intime, mais vos joies sont rarement des moments d'amour-propre, de reconnaissance sociale, d'augmentation de grades ou d'échelons, elles sont intérieures, le souvenir y apporte beaucoup, situe presque tout ce que vous vivez dans une litanie où l'analogue pèse de plus en plus. Les promotions, les mutations professionnelles, les rencontres d'amour, de paroles, de corps, de regards, une expérience religieuse intermittente mais sans qu'une certaine foi, une habitude métaphysique, de l'optimisme vous aient jamais quitté, voilà probablement ce qui rythme votre existence mais ne la remplit pas. Vous ne savez ni vous définir ni vous situer, vous êtes embarrassé quand il vous est demandé : que cherchez-vous ? Vous n'apercevez pas aussitôt que vous n'attendez rien, mais quelqu'un ? Vous-même, enfin au seuil d'un commencement, au début d'un accomplissement dont vous croyez qu'il est toujours retardé par votre distraction autant que par celle des circonstances ? Ou autrui ? Qui est plus étranger et plus intime à nous-mêmes que Dieu ? Ce n'est pas une réponse, donc.

                  Vous vous voyez exceptionnel, donc fabriqué et vous présentant comme tout le monde. Sans âge, de visage que pour les habituels, les quelques cinquante personnes, de la plus indifférente à la plus chère, que chaque jour, au maximum, on cotoie de près de loin. Evidemment, des réflexes de génération, une génération culturelle, une structuration personnelle de ce que vous avez vêcu au jour le jour de l'histoire de votre pays, du pays ; les livres et l'actualité y ajoutent peu ; réflexes et structuration qui vous signifient un écart, une différence quand la rencontre est de désir, c'est-à-dire quand l'autre vous importe, que son opinion a charge et résonnance pour vous. Peut-être guettez-vous une main, pour - à son dos - y poser la vôtre, un coeur, une intelligence ? Vous avez expérimenté déjà qu'entre hommes, chacun occupant sa fonction, on se livre peu. Danger ? Inappétence. On connaît le dossier dit personnel de l'autre, la curiosité, et vous en avez, ce qui vous distingue assez mais ne vous pose guère pour beaucoup de vos collègues ou anciens condisciples, ne vous montrerait que les réactions de votre vis-à-vis, du nouveau venu face aux questions. Celles-ci seraient banales, mais le fait même des questions inusuel. Comment réagirait-il cet autre ? Une vue sur la société, un regret amoureux, une manie, un goût, tout ce qui ne se met guère en fiches, mais qui caractérise, qui rend intéressant. On ne s'ennuie pas avec vous. Puisque vous écoûtez, dès que vous avez suscité. Pas d'interrogation en retour. Etes-vous si transparent, votre regard est-il si parlant qu'on sache tout de vous, implicitement ? Vous seriez donc, à l'état naturel, en déséquilibre, quoique vous ne fassiez, n'attendiez rien d'étrange ni d'original. Vous vérifiez que le vocabulaire s'appauvrit, que vous ne savez plus exprimer ce que vous souhaitez, ce que vous souhaiteriez, si... Mais les conditions, les circonstances, vous ne savez pas non plus les définir. Marchez-vous à côté de la vie, de votre vie ? Vous affectionnez le mot de vocation, vous jugez que nous nous ennuyons au travail, que le bonheur est en heures supplémentaires, toujours dérobé aux habitudes et à l'enlacement des horaires, des convenances, des jours avec et des jours sans.

                  Vous avez réussi, vous passez pour avoir réussi. Vos fonctions sont intéressantes, enviées, en vue. Vous n'êtes ni notoire ni inconnu. Ni vraiment jeune, ni déjà sur la pente déclive. Vous êtes jalousé parce que vous paraissez libre. Sans doute, un culot relatif, vous n'y tenez pas quand vous avez résolu de séduire, de conquérir, vous êtes tenace et enveloppant, vous avez de la ressource, vous pratiquez le boutoir. Vos entreprises cependant n'ont jamais été sensationnelles. Votre carrière rattrape périodiquement des périodes de ralentissement. La faveur et la disgrâce, vous savez. Professionnellement, vous n'êtes technicien de rien et le paradoxe veut que votre métier s'exerce avec une routine qu'on peut, à son choix, agrémenter d'une personnalité forte, bigarrée même, ou laisser nue. Vous ne vous maîtrisez guère, vous ne cachez ni vos estimes ni vos dédains ; en réunions, vous changez les dynamiques du groupe, mais pas les rapports de force, et cela n'illusionne que vous. Vous comprenez très vite et avec personnalité ce que vous saurez restituer avec brio, mais vous comprenez aussi que le brio - notre défaut national - nuit et détruit, non l'adversaire, mais vous. Les résultats sont une addition, jamais un renversement ou un hasard. Peut-être, n'êtes-vous pas très fiable, au jugement de votre employeur, et aussi dans l'esprit des femmes que vous avez arrêtées, retenues de coeur, et qui vous ont laissé, l'esprit gagne toujours dans les relations humaines. On raisonne, vous raisonnez peu. Vous êtes remplacé, vous gardez mémoire. Vous n'êtes pas traité comme vous traitez. Vous plaidez l'exception. Peut-être dérangez-vous ? Qu'on parle de vous, vous gêne. Vous entendre expliqué, exposé à vous-même - on vous met facilement à nu, vous ne vous défendez pas, vous ne rétorquez pas, vous ne blessez que par inadvertance ou par oubli, on vous dit que c'est pire - oui, cela vous gêne. Vous êtes pudique.

                  Vous ne savez pas que tout cela, c'était hier. Un portrait nuancé, un bilan éludé, la liberté de poursuivre. Sans payer. Soudain, votre dette va vous être montrée, chiffrée. Vous croirez au lendemain, au futur auquel on fait appel du jour présent. Vous connaissez vos capacités de retournement, de redressement, d'enveloppement, de séduction. L'organisation à laquelle vous appartenez a ses arcanes, sa logique certes, ses chefs et ses cooptations ; elle n'a pas de tabou, elle a de l'orgueil et de la tolérance, vous lui devez des décennies - déjà, des décennies - d'une sorte de fidélité réciproque, parfois bougonne, mais loyale. Vous lui devez qu'elle ne vous a pas nui. Votre originalité a été tolérée, vous avez été prodigue, dans quelques occurences vous avez vraiment été utile, personnellement. Cela s'est su et dit. A d'autres, vous avez eu la chance que les détracteurs et les jaloux durent peu dans une situation où ils auraient pu vous mettre à mal. Au fond, tout cela vous est demeuré extérieur. De même que l'argent vous coulait des mains, que les années se succédaient sans que vous ayez jamais l'obligation de prévoir la suivante, vous respiriez un air sur mesure. Cela ne vous allait pas mal. Considérés rétrospectivement, vos soucis étaient nuls, ce qui vous avait accaparé, occupé, inquiété parfois étaient la contradiction du moment. Tout ce qui vous arrivait, il avait semblé jusqu'à présent que vous l'aviez machiné : souffrance et bonheur faisaient somme, à peine des différences.

                  C'était hier, mais demain sera comme hier. Aujourd'hui, vous recevez improviste, tellement improviste que vous lisez, relisez plusieurs fois par minutes, puis à chaque heure ces quelques lignes. Banales, anodines, si simples. Il n'y a rien de personnel, pas même votre nom, c'est votre fonction qui est visée, donc incidemment votre emploi. Vous êtes remplacé. Voilà, vous êtes remplacé. Quelqu'un est nommé pour vous succéder, pour être à votre place. Voilà. Cela n'a rien d'original, c'est courant dans ce métier. L'affectation suivante, on l'apprend ensuite un peu plus tard, on a le temps, et d'un trapèze à l'autre… C'est courant. Vous sentez cependant que ce qu'il vous arrive est personnel. Très personnel. Vraiment personnel. Relire l'avis par lequel vous êtes prié de préparer - par le vide - la place au successeur ne vous apprend rien, c'est une intuition. Vous saviez que les temps venaient où il faudrait changer d'affectation, où cela serait avantageux, en tout cas les propositions qui vous seraient faites, pluriel ou singulier, avec ou sans délai, mesureraient votre réussite dans ce que vous êtes chargé d'accomplir, de faire, là où vous êtes. La fonction vous allait comme si vous l'aviez toujours exercé, de naissance. Elle n'était sans doute pas votre vocation, niveau trop intermédiaire, ou orientation encore trop peu personnalisée. Mais vous avez aimé cette fonction. Depuis ce matin, depuis que le papier, que vous gardez plié dans une poche, remettez dans l'autre, classez dans votre serviette, reprenez, voici que vous parlez de cette fonction au passé. Vous avez l'intuition que rien ne vous sera proposé, qu'il n'y aura pour vous aucune succession dans un emploi, un poste équivalent. Vous ne saisissez pas ce que cela implique. Inquiet ? Non. Ce qui se finit est concret, charnel, avec des gens, des lieux, des habitudes, cela se termine donc. Ce n'est pas exactement demain, mais ce n'est pas selon vos convenances. Vous êtes seul à savoir, seul avec celui qui vous a porté le papier. Vous n'avez pas mal réagi. Impassible. Vous avez donné l'impression - convenable - que vous n'étiez ni surpris ni gêné, mais cependant celle de vous y être attendu. Vous n'avez rien changé de vos projets et programmes du moment. Votre plus proche collaborateur, au moins en terme de confiance, va bientôt vous presser pour votre confort personnel, dans l'intérêt du service, d'annoncer la nouvelle. Vous vous y prenez vraiment bien. Votre départ est une chance. Bien entendu, une chance pour vous, mais ce n'est pas à dire. Vos mérites sont si connus, au moins de vos collaborateurs, sous-ordres, partenaires, visiteurs : quelle flatteuse rumeur, du moins celle qui vous revient ! Une chance pour tous, pour le service, pour le travail. Une mission a été accomplie, qu'on y mette fin en haut lieu c'est signe d'appréciation. C'est évident. ceux qui restent rebondiront, veilleront à ce que l'acquis demeure. On assure de partout que vous ne serez pas remplacé ni dans les coeurs ni dans la manière dont vous procédiez. C'est à un irremplaçable que l'on va succéder. L'avenir a commencé ce matin, vous ne le préparez pas, vous n'avez jamais été entraîné, forcé à la prévision. Vos découverts en banque, vous les avez négociés, à des montants parfois considérables, après coup, la tombe ouverte, et vous en êtes ressorti. Vous avez de la surface et de la vitesse, même en finance. Professionnellement, vous êtes dans un créneau lucratif, sous-fiscalisé. Il n'y pas que l'amour-propre, voire quelques honneurs qui soient appréciables (et que vous avez appréciés) dans ce métier qui est le vôtre, tout uniment, depuis que vous avez été diplômé de cette prestigieuse école. Statutairement, rien à craindre ; ce n'est pas un milieu d'où l'on est exclu et puis il y a une continuité dans votre carrière et beaucoup se fait par relations. Vous y avez excellé jusqu'à présent, au moins dans les deuxièmes et troisièmes rangs que ceux du premier vous concédaient parce qu'ils ne les ont jamais brigués. Oui, vous n'avez jamais gêné personne.

Vous accusez réception du message. Vous prenez la fin de votre mission comme un quitus, un témoignage de félicitations, vous dites une autre évidence, votre disponibilité pour la suite, votre dévouement, vous insinuez, sans y insistez, que vous avez acquis quelques mérites. Vous attendez. Il y a une direction du personnel, vous appelez. On ne vous prend pas au téléphone, cela ne vous étonne pas, rien ne s'y décide qui soit de votre niveau. Aller ad limina. Aux nouvelles... Vous êtes encore dans l'autobiographie. Le mouvement de personnel, c'est l'expression, vous concerne, vous en connaissez les signataires, les décideurs. Un autre de vos collaborateurs vous dit qu'il était, quant à lui, au courant depuis l'avant-veille. Un autre encore, qui vous est arrivé il y a quelques semaines, en avait été averti au moment de son affectation, il y a déjà quelques mois, et eût juré qu'il vous croyait, dès ce moment-là, au courant. Vous écrivez, suivant les filières qui vous sont depuis des années habituelles et surtout bénéfiques, aux gens en place. Ce ne sont plus ceux qui vous ont nommé, vous faites semblant qu'ils vous sont favorables, qu'ils sont au moins équitables. Vous vous apercevez que vous ne connaissez plus personne qui soit directement et personnellement en situation de décider pour vous de la suite. Vous pensez que votre fonction maintient ouvertes les portes que vous franchissiez avec avantage, quoiqu'avec modération, il y a si peu encore, que votre situation, parce qu'elle est banale, est du ressort de sous-ordres. Vous avez pourtant l'intuition du contraire, et tout renforce votre intuition. Rien ne vous est proposé pour la suite de votre carrière. Progressivement, vous êtes amené à passer du compte-rendu de votre mission à une défense de l'exercice que vous avez commis pendant trente mois, de votre fonction. D'une objectivité aisée parce qu'elle ne traiterait que du service, de ses nécessités, du point où il se trouvera à votre départ, vous voici obligé de parler de vous, de vos nécessités personnelles. Ce n'est pas même le vide qui est fait autour de vous, c'est pire. Vous n'êtes plus du ressort de votre employeur actuel. Vous êtes renvoyé au précédent. Vous aviez quitté celui-ci avec honneur, pour lui comme pour vous. Putativement, votre carrière avait continué de s'y poursuivre, d'autant plus avantageusement, que cela n'y coûtait plus rien. Votre ancienne maison, vous en étiez fier, vous en êtes encore fier, mais elle vous avait tout donné et votre bifurcation, quoique rare, était sage. Vous aviez le profil, tout le monde en était d'accord. Cela flattait tout le monde. Votre départ de là, votre détachement ici. Maintenant, l'accord persiste, mais en votre défaveur. Comment cela s'est-il fait ? Vous n'avez pas le profil, vous l'avez entendu dire, vous l'avez lu, vous n'y avez pas cru. Vous seriez incapable de changer de manière de faire et d'être, le voudriez-vous. Ce qui était à votre actif a changé de sens, c'est à votre débit. Deux des principales autorités de votre maison actuelle vous l'ont signifié, vous n'y avez pas pris garde. Quelques instants dans un bureau, des phrases ne correspondant manifestement ni à vos efforts et succès personnels sur place, ni à la conception que vous vous faites du métier. Vous ne répondez pas, vous n'avez pas répondu. Vous n'avez aucune expérience de la disgrâce. Sans doute, des revers, mais précisément vous les aviez surmontés, ce qui a ajouté à l'estime de vos capacités de navigation. Pas fait pour ce métier, celui-ci, celui-là qui en était proche ? On vous a, quelques mois plus tard, non seulement redonné de l'emploi, mais en très supérieur à celui dont vous aviez été évincé. D'ailleurs, ces deux-là, dont l'un affirme vous protéger contre la sphère souveraine, et dont l'autre calcule que votre remise à l'endroit d'où vous êtes venu donnera de la souplesse aux gestions actuelles d'ayant-droits qui n'ont pas vos positions de repli, ces deux-là ne vous paraissent pas superbes. Combien sont au pouvoir dont le physique est abusivement laid, ou, ce qui n'est en rien le contraire, beaucoup trop marqué par les conventions de vêtements et de beauté personnelle du moment ! Le premier, au cou gras, au ventre tonnelant, est un dur que vous n'aviez pas identifié tel. Il est au sommet de la hiérarchie des emplois dans votre parcours. Ni dans ses fonctions actuelles, ni dans les précédentes, également très en vue, il ne vous a paru performant, vraiment au fait. L’autre ne demeure que peu dans l’ombre ; il a l’avantage décisif d’appartenir à deux hommes, susceptibles, de surcroît de se succéder l’un à l’autre. Donc de devenir bien davantage que le directeur du cabinet d’un ministre des Affaires Etrangères, qui serait rejeté après usage, comme beaucoup,l’ont été. Or, rien que ces deux postes sont décisifs. Qu’en sus, vous regardiez leur chef du moment, un si haut personnage, comme vous le faites selon toute apparence et ne sachiez le celer, est-ce prudent ? est-ce seulement conséquent ? Vous ne vous le demanderez que trop tard, et vous n'eussiez - averti - pas joué autrement. Le directeur, jeune et en chemise, le nez, les dents, le cou également longs, a le sourire enjôleur de son appartenance politique, la dégaîne de quelqu'un sans inquiétude. La photographie d’un des premiers accueils de quelque homologue officiel d’Alain JUPPE au Quai d’Orsay, où à peine derrière le nouveau maître des lieux, Dominique de VILLEPINsourit à l'avenir, à la satisfaction d'avoir réussi, peut-être même d'avoir porté le maître là où il paraît pour cette première fois, aurait dû vous avertir. Elle montrait une assurance totale dans la course des étoiles formant la constellation du succès. Vous n’y vîtes qu’une figure de parvenu pour se croire tout dû. Vous aviez pris langue avec assurance, vous aviez pu remonter, le premier de votre caste d'adoption, la mécanique des audiences particulières, vous l'aviez donc rencontré, préalable de politesse, vous n'aviez rien vu qui soit stratégique, des fragments maintenant vous reviennent qu'exploités, vous auriez peut-être mieux réservé votre situation personnelle, votre emploi. A ce moment-là, quand vous fûtes devant le nouvel arrivant, rien n'était en question que l'estime que vous lui porteriez. Vous le jugiez innocent dans la position suprême qu'il commençait d'occuper. Vous n'avez rien discerné de son caractère, rien deviné qu'il arrivait pour ne plus jamais redescendre, que les décennies - vous avez à peu près le même âge, tous les deux, il est même votre cadet de trois ans -les décennies que vous aviez consacrées, employées à vous cultiver, à cultiver rencontres, libertés et quelques autres accueils de l'existence, lui, les avaient disposées comme autant de cartes, l'oeil fixé. Vous n'avez manifesté aucune révérence, vous n'avez fait aucune allégeance, ni à l’homme, ni au ministre ; vous considériez qu'un simple hasard produisait que vous ne fussiez pas à sa place, une place où vous seriez bien meilleur que l'impétrant. Tous les ingrédients de la disgrâce sont dans votre regard car vous admirez l'excellence, mais vous la rencontrez rarement. Vous avez semblé supérieur, donc inconscient. D'où le papier de révocation, bonnement. Et rien d'autre.


[1] - Robert BRASILLACH, Comme le temps passe…


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