vendredi 20 juillet 2012

depuis - l'impossible est notre vie . récit . 13 (à suivre)










DEPUIS






Depuis, vous avez vécu. C’est un paysage qui, d’abord, se présente à vous si voulez dire ce qu’il s’est passé. Vous êtes assis sur un banc, c’est l’automne, au-dessus de votre tête, quand vous la relevez de l’écritoire qui ne vous quitte pas, vous en avez d’ailleurs inauguré un nouveau à cette occasion, dont le logiciel d’orthographe vous a montré que la vôtre est toute personnelle, mais vous y tenez, vous l’estimez censée et à suivre les indications de la machine, vous la saturez si vite que votre texte se bloque, vous voyez au-dessus de votre tête se prolonger intensément deux troncs d’érable aux écorces qui pèlent. Parfois, des feuilles tombent sur vous, le ciel est par-dessus encore plus élevé. Vous avez votre heure, une heure et demi à peu près pendant laquelle chaque matin, vous vous êtes donné d’écrire sur ce désamour qui vous a mis à terre alors que les professionnels de la gestion des ressources humaines de votre grand employeur n’avaient abouti qu’à vous désarçonner et à vous pousser dans l’isolement. Vous ne vous étiez pas retrouvé ailleurs, ils vous avaient quitté et avaient changé de costume et de langage. Ce qui vous avait relationné, ce qui vous avait donné identité et voies de communication avec le tout d’une réalité qu’on appelle la vie avec sa face métier, la vie avec son aspect affectif et social, la vie avec son effet d’accomplir une certaine vocation, d’appliquer un talent discerné par concours ou amodié par vous à l’expérience, avait un visage multiple et homogène, bienveillant. La base vous a été retirée, le socle sur lequel il faut être pour vivre en société et en couple, car les projets et la structure, tout ce qui fait tenir en vie et faute de quoi la biologie même tombe en faute, les projets du matin pour le soir, de l’hiver pour l’été, de la maturité pour le vieil âge, la structure qui intimement rattache ces perspectives que vous vous choisissez, que vous donnez ou proposez en partage, à des souvenirs, des nostalgies, et qui est faite d’estime de soi corroborée par autrui, d’équilibre des paiements en numéraire, en fiduciaire, en affectif, le matériau à deux consistances qui équilibre une vie, non seulement la forme qu’il avait et qui vous avait permis de vous jucher dessus, s’est écroulé, évanoui au point que vous ne puissiez plus vous souvenir, imaginer qu’elle ait été et que vous ayez trois ou quatre décennies vécu dessus.

La déchéance n’est pas d’être tombé, elle est d’être refusé et nié dans son principe, dans sa proposition, dans sa valeur. La belle qui change d’avis et dont le souvenir à chaque silhouette pouvant la rappeler, à chaque association d’images vous remettant dans les anciennes situations d’amour et de liaison, vous répète qu’elle ne veut pas de vous, absolument, vous apprend maintenant que la société, la profession, tout le mélange quotidien avec autrui sous prétexte de travail, de production, de rémunération sont du même ordre, celui du choix, celui du refus, vous êtes distingué, accepté, ou vous ne l’êtes pas. Choisi, recherché, c’est un fait que vous ne l’êtes plus, et vous devez vivre autrement. L’exercice quotidien d’écrire quatre vingt dix minutes le souvenir que vous avez des événements et des indices gardant quelque forme de cette jeune fille aussi précise et évanescente qu’une senteur, qu’une effluve, présente et impalpable, n’a plus d’autre but que de constituer une activité. Vous n’écrivez plus pour être entendu et retrouver prise, vous taillez l’instrument de votre compréhension et de votre réconciliation vis-à-vis de certains faits. Vous vous épargnez les préalables de la logique, savoir ce qu’est un fait, ce qu’est une rencontre, ce que sont des apparences et l’effet que celles-ci produisent dans une âme humaine. Chaque jour, vous faites précéder l’exercice d’un moment à l’oratoire au fin fond de l’hôpital, vous y lisez les textes de la messe du jour, en prenez quelque élément d’une compréhension de l’univers et de votre destinée qui ne vient pas de vous, qui vous arrive de phrases millénaires données en pauvre impression, un fascicule pas plus grand qu’une main en recevant une autre. Rien ne change, vous le savez, mais la douleur, la sensation d’enfermement se diluent, s’atténuent et disparaissent. Un cycle de deux ans s’achève, vous n’avez pas encore retrouvé l’estime de vous-même mais vous êtes en chemin. Vous n’avez plus l’identité dont, surabondamment, vous assuraient un passeport diplomatique, une feuille de paie substantielle, la rumeur se faisant toujours à votre arrivée en tout lieu et qui tenait à un rapport qualité/prix qu’est, au juste, la relation entre une aisance physique, la présence d’un visage, d’un regard, d’une voix et la fonction dévolue ; vous n’êtes plus le centre d’une société grande ou petite, convenue ou d’occasion, vous n’êtes plus en exercice et vous êtes intérieurement bien plus présent à vous-même et attentif aux autres, aux circonstances. Non que tout vous soit signe, ainsi qu’il est éprouvé dans une retraite spirituelle à thèmes et directions structurantes et personnalisées, ou peut-être dans un mode communautaire d’existence quotidienne à perpétuité et de prière à partir d’une situation partagée et de psaumes millénaires. Vous êtes, tout différemment, dans cette conscience de n’avoir comme intimité ultime, comme pointe de vous-même que cette volonté, que cet élan de survivre. Vous avez rejoint l’endroit où peut s’édifier un autre socle, où vous pouvez cette fois vous enraciner tranquillement et sans crainte que ce ne soit pas définitif ou que ce soit amoindrissant, astreignant, restrictif et mutilant. Vous n’arrivez ni au mariage ni à votre tombe. Vous vous trouvez au point le plus universel qui soit, où se rencontrent tous les éléments, tous les vivants et morts, tous les éternels de la création, vous découvrez qu’au début et à la fin il y a la vie et ce ressort étonnant en vous, comme en tous et en tout, de vouloir et pouvoir, même sans force ni volonté, même sans que soient appliquées aucune force et aucune volonté, de vouloir et pouvoir survivre. Tout le reste en vous n’est qu’oripeaux, construction fallacieuse, ajouts inutiles, et ce qui vous a été ôté par dédain de vos pairs en profession, par désamour d’une donzelle qui, sans le méditer méchamment mais par sa seule apparition, vous avait donné à croire que vous l’aviez de tous temps attendue, elle et pas une autre, ne vous manque plus. Vous êtes débarrassé et vous allez commencer.

Au fin fond, et le voyage n’était pas que mental, qu’une déduction intellectuelle, vous savez, non qui vous êtes, mais ce que vous êtes. La fatigue de ces années vous impose, c’est heureux, de ne pas, comme autrefois, courir aussitôt raconter votre découverte au vent ou à l’objet aimé ; elle vous dispense même de cette impulsion d’embrasser aussitôt des projets, des débuts d’ouvrages, des résolutions magnifiques que permettent les coordonnées enfin trouvées du point, du lieu de votre vie où vous êtes. Vous méditez, vous respirez. L’heure du repas vient, vous êtes dans la salle dite de réunion, vos co-patients de l’étage que d’autres disent celui des fous arrivent ou sont déjà attablés. Il y a les visages et la démarche d’une lassitude tellement physique qu’elle ne peut provenir que de l’âme. Des silences qui ne sont pas voulus, qui sont contraints par l’extrême faiblesse. Une âme épuisée d’elle-même puisqu’elle a perdu l’appétit de vivre, de continuer, de s’éveiller à ce qu’elle ne ressent plus que comme un interminable et vain combat contre l’inexistence et l’aberrant, le triste, l’absolument triste, le reflet de soi combattant avec soi, et il n’y a décidément plus rien d’autre que deux vides, deux solitudes à s’étreindre, le dehors et le dedans, et vos compagnons d’horaires, de couloirs, d’étage et de bâtiments, d’histoire d’une démolition intime dont on ne revient pas, qui ne s’explique pas, qui n’a pas même d’objet. Des rires, des paroles, du silence, le même état général, on arrive, on se place, on mâche, on boit, on part, on reste, on découvre la fraternité, on vit entre gens fragiles, qu’on soit disgrâcieux physiquement, vieux selon toute certitude, ou qu’on paraisse encore jeune, il y a le même terne de la peau et des yeux, plus rien n’est joyeux, le rire est déplacé. Les siestes, le temps quotidiens vous sont doux, la cellule n’est plus l’emprisonnement où vous avez vécu vos derniers jours d’exercice professionnel, quand messages télégraphiés et chiffrés ou demandes téléphonées ne rencontraient plus personne, elle est à présent ce que figure si bien le hamac de vos nuits brésliennes une fois appris comment ne pas s’enrouler dans la toile au point d’en être versé au premier nouveau mouvement. Vous êtes protégé, vous pouvez vous consacrer à vous-même, c’est-à-dire vous êtes indulgent à vous-même. Vous laissez faire la nature sans la commander et sans vous contraindre. Vous écoutez la musique débitée par le poste qui vous est indiqué, vous vous assoupissez. Le soir, vous lisez tard, sur la prière des infirmiers, après la prise du somnifère, vous éteignez, saturé de ce que vous lisez, annotant et copiant à mesure. Des destins de grands officiers pendant la Seconde guerre mondiale, des pages d’Han SU YIN, le parcours de TEILHARD de CHARDIN, des époques ardentes que le mouvement des armes, le choc des colonisés rétifs sous la férule européenne ; dans la pénombre de votre fatigue et de cet état dont vous commencez d’émerger, il y a donc cette sorte d’été animé par ces personnages, les paroles énoncent des idées, les idées sont des apparitions vous assurant que mentalement, toutes vos fonctions sont intactes, qu’elles se ré-ordonnent avec une joie et un recouvrement de jeunesse ressenties d’elles et de vous. Accessoirement, vous recommencez à remarquer des femmes, même parmi vos analogues dans l’état dépressif ; des fantasmes vous caressent et vous prient d’y revenir, vous imaginez et décrivez au plus crû des nudités, celle d’une aide-soignante ou des captures et oblations du passé ; vous parcourez des chemins qui vous émerveillent parce que les couleurs, les reliefs, les odeurs vous sont bien perceptibles ; vous jouissez de cette chambre-même qui vous avait paru les quatre premiers soirs l’exacte promesse de ce que serait la suite inexistante de votre existence, une physiologie vieillissante d’un corps rivé à la petite surface d’un hospice, d’une maison de repos ou de retraite médicalisée, des visites de quelques membres de votre famille vous pesant chaque fois davantage et assommant autant ceux qui vous les rendent, une envie de plus en plus centrale, rayonnante d’être laissé pour compte, à défaut de paix et de n’avoir plus à montrer votre détresse qu’à des spécialistes pour que soit satisfait le besoin élémentaire de n’avoir plus aussi peur, de ne ressentir plus autant d’angoisse. Un état simple où plus aucune raison, plus aucune explication, plus aucune image ou réminiscence ne peuvent être discernées qui motiveraient votre terreur. La terreur sans objet ni cause, soudaine, totalitaire. Vous êtes visité, empli, habité, dévoré par l’exact envers du goût de vivre. Le contraire de l’instinct est une sorte d’abandon total et horrifié à ce vertige, quelqu’un d’autre qui ailleurs, à la bonne place, crie au secours doit espérer qu’il y a un remède. Ce sont des mots et des douceurs tombés de la lointaine enfance qui vous font revenir au charme et à la sécurité de celle-ci, un médecin, une aide-soignante ont, à propos, quelques mots et cette douceur, vous vous rendormez, le drap tiré au menton, vous avez cinquante-sept ans bientôt. A trois heures d’avion et trois ans de séparation et de dénégation, dort aussi ce corps ni beau ni laid, à la peau couleur d’un marbre clair et non veiné, à la consistance lisse et fraîche d’un métal poli, ainsi le bronze de ce nu à la toilette que vous avez dû remettre en gage pour qu’un créancier davantage titré en procédures d’exécution que les autres, ne vous l’enlève pas pour prix d’une atténuation ridicule de ce que vous restez lui devoir, sauf erreur ou omission… le corps exceptionnel d’une femme puisque c’était le corps de celle qui se voulait votre femme, corps qui se donne à un tiers. Celui de votre compagne, à quelques heures de sa précédente visite et aussi de la prochaine, à quelques stations de métro dont elle sort avec votre chien, celui-ci s’arrêtant pour mieux réaliser qu’il vous a ré-aperçu au loin, et de courir à vous, feuilles mortes d’un après-midi froid, promenades au Luxembourg, évocations des Médicis, du milieu du siècle où votre grand-mère vous y amenait et louait pour vous un voilier à lancer parmi beaucoup d’autres sur le grand bassin, ce corps de compagne est tout autre, disposé pour vous mais il n’a pas la destination du sacrement. Les corps vous sont rappelés par le vôtre, des gestes qu’avait votre promise pour tirer et ajuster le pantalon ceinturé et bouclé, faire que du ventre n’en déborde pas, les mains symétriquement aux aines, vous reproduisez le geste au bas de votre ventre nu et vous vous sentez elle. Les sensations de la sieste et de la nuit qui commencent, dont les sommeils ne sont pas identiques, vous ne savez plus ce que vous récapitulez de vos lectures, de vos souvenirs, de vos projets, vous vous endormez, vous étant quitté avant de le savoir. Un autre jour n’est pas loin.

La proposition vous avait paru ultime, votre moi personnel était en jeu, votre médecin traitant vous avait hospitalisé dans son service, d’autorité et en forme soudaine d’une conclusion à méditer. Votre mélancolie était telle que vous alliez, selon lui, mais il ne vous le dirait que des mois, deux années plus tard, passer à l’acte. Bien davantage que celui qui s’est remis à cette issue-là, les médecins craignent la mort, elle est tellement hors sujet, hors du champ de leur art, de leur vocation, de leur métier. Ils la connaissent pour ce qu’elle est, une parfaite négation, une négation achevée, accomplie. Ils la prennent comme telle, c’est-à-dire pour la plus impressionnante et irrémédiable obligation. A elle, ils savent ne pouvoir opposer qu’une volonté de survivre, de revivre : celle de leur patient, bien davantage que la leur par procuration. Insuffler au gisant, au recroquevilé, apeuré de revivre, du goût pour soi, de l’envie qu’il y ait une suite, de la curiosité pour que la nouveauté et l’attrait l’emportent au retour, à la reprise du pied sur un rive changée. Qui s’approche du goût de la mort, l’évalue et le trouve plaisant, si ensuite il en est éloigné plus qu’il ne s’en éloigne car à la fascination on ne s’arrache pas de soi-même, ne retrouve pas la rive qu’il allait quitter pour une autre indéfinie mais si désirable. Il aborde au rivage d’une singulière jeunesse, il découvre soudain la saveur et la force de la vie s’offrant avec violence, s’imposant. Les deux endroits ne communiquent pas, les odeurs ne se comparent pas, elles sont exclusives l’une de l’autre. La conversation est du soir, voici quarante-huit heures qu’il vous a hospitalisé, il a besoin d’un diagnostic soutenant le sien, il ne parle pas d’une thérapie mais d’urgence, de liberté aussi. Prendre tel médicament, consulter tel spécialiste. Que vous y consentiez et l’on commence tout de suite. Un cachet blanc trois ou quatre fois par jour, un rendez-vous avec l’adjoint au chef du service de psychiâtrie. Une expérience sérieuse, une amitié de confrère, dernière campagne, les sous-sols de Serajevo et le claquage dans notre corps expéditionnaire, les terreurs folles ou la chute psychique d’autres pendant la guerre du Golfe. Le praticien du choc, de l’urgence et du danger. Pas d’épreuve plus redoutée, pas de défaite plus définitive que cette déraison dont Yahvé honore les ennemis de son peuple durant l’Ancien Testament quand y est racontée la conquête de Canaan, des sièges sont levés, des galopades mortelles sont provoquées, on périt par l’esprit, non par la chair. Vous ne connaissez que la fatigue, que le noir d'une surface d'eau quand c’est le bassin de la Villette que vous longez au retour de cette soirée chez l’une de vos nièces et que vous est revenu le geste d’âme qui vous a tué, le mouvement intime et résolu de votre fiancée ne revenant ni à vous ni à l’amour qui avait eu votre figure. Votre folie c’est l’hypnose de cette exclusion dont vous analysez et répétez les éléments, les indices, les causalités, les conséquences, le détail et l’ensemble, comme si vous n’étiez plus en vous-même qu’une immense salle des pas, des cris perdus. Exclu de la vie où vous aviez si longtemps et sans prudence vécu, exclu du futur qui vous avait paru si proche, exclu de vous-même, de votre considération de vous-même à n’avoir plus d’exutoire que l’évidente chute de tout le poids que vous ne pesez plus pour autrui et vous emporte vers l’écrasement quand d’en-bas le sol final vous recevra, déjà tué. Soit ! vous en êtes là, mais l’intelligence, la mémoire, votre façon propre de discuter et de réfléchir avec vous-même, avec autrui, avec votre médecin-même, vous refusez le risque qu’elles ne soient plus les vôtres, que quelque métabolisme nouveau soit en programme, soit mis à l’oeuvre, la panne sexuelle, la docilité affligée d’une perte de soi. Vivre en étant le reflet, le cadavre momifié de ce que l’on fut ? Et quelle passe fera sur vous le magnétiseur ? Votre guérison n’est pas à chercher là, elle a son site dans votre ré-emploi professionnel, dans un retour d’amour. Vous refusez, vous débattez, vous avez confiance dans votre médecin, vous vous méfiez de l’inconnu. D’ailleurs, le corps médical n’a pas d’assurance à vous donner, chaque malade quand le mariage se fait avec une thérapie réagit différemment, il n’y a pas d’annales sur la vitesse des réflexes, sur l’érection et son spasme mesurées en fonction des prises médicamenteuses.

Le spirituel l’emporte. Vous ne pesez pas l’avantage de tenter ce qui ne l’a pas encore été. Vous ne faites confiance ni à l’hôpital ni à votre jugement, vous vous rangez à un avis plus perspicace, synonyme de la vie, vous superposez le fait que vous soyez né une fois, et demeuriez encore en vie cette fois avec celui d’une cohérence certaine sans qu’il y ait à discuter qui la garantit ou qui l’a fabriquée. Vous ne seriez pas vivant si la vie n’avait pas sa logique. Votre tâtonnement vous fait vous accrocher à cette souveraineté qui vous dépasse et qui vous fonde, vous acceptez ce que propose votre médecin. Une année s’écoule, conflictuelle avec le neuro-psychiâtre qui n’entre pas dans vos raisons. On confond souvent une transition dont la nécessité ne s’avère qu’en rétrospective, avec un parcours valant en soi. Une promotion entrainant sa mutation, votre praticien passe la main et double la dose, en ce que vous serez désormais suivi par un de ses adjoints et également par une psychologue. Votre nouvelle hospitalisation, en service spécialisé deux ans après la première dans celui de votre médecin traitant qui n’avait pas directement cette pratique, vous apparaît donc, au bout des quatre jours initiaux où il vous a semblé entendre, vivre et voir votre condamnation à la vieillesse immédiate et sans rémission, comme une autre séquence d’exercices spirituels. Dans l’environnement où l’on vous plonge et vous laisse vous y débattre ou y somnoler, vous y installer, vous notez un respect égal à celui que vous manifestait le religieux animant «  les trente jours » selon le programme du saint fondateur, un Ignace de LOYOLA. Vous trouvez tout faits, donnés, disponibles du temps et du travail, du temps pour que quelque chose fasse son effet, du travail qui est de la parole. Aux environs de Paris, en bordure des bois de Clamart, faite de murs du siècle précédent, le centre de récollection propose et commente des textes, une parole écrite que vous vous appropriez, dont vous jouez, l’acmée est répétitive mais toujours neuve, involontaire, surprenante : la prière exaucée dans son fond puisque Dieu se donne à vous et qu’il vous est béatifique de Lui répondre par une remise analogue, dont vous savez que le mouvement même, tout en étant l’entier de vous, ne vient cependant pas de vos forces, de votre vouloir, ce doit bien être l’effet d’une nature, donc de la nature divine. Le parc à la française quoique dessinée pour une Autrichienne, le paysage fait d’une immense bâtisse classique, tranquille et majestueuse comme un vaisseau à quai dont on verrait les rangées de rames tandis que les voiles sont carguées et que la mâture seule se dessine fort contre le ciel, vous les voyez de votre lit, dans votre chambre. La nuit, quelques heures l’abbaye XVIIème reçoit des éclairages et un vêtement de lumière cuivrée. Quand, sur votre banc du rite, vous écrivez le récit, au mode interrogatif et souvent dialogué, de votre relation avec la belle d’il y a plusieurs années, vous voyez davantage le dôme, et des passages architecturaux plus complexes reliant l’église au corps de bâtiments qu’habitaient les moniales. C’est le Val de Grâce à Paris où l’on peut songer aux fêtes de la royauté et de la politique, aux batailles qui rapportent des drapeaux, aux morts qui ont été exposés et pour les voir une dernière et si différente minute que tout lelong d’une vie où on les avait vus au pouvoir ou en amitié, des foules parfois se pressent. Vous y mourrez peut-être vous aussi, c’est d’une grande unité de lieu, ainsi le veut l’art classique en littérature et en construction de palais. La sobriété est le fruit d’un choix, non que les matériaux ou les éléments pour tout varier aient manqué. Ainsi d’une vie individuelle, ou de la tentative d’écrire, choisir d’être clair, adéquat, continu, cohérent et écarter ce qui en empêche ou ce qui obscurcit, ainsi ne lassera-t-on pas les opportunités de réussir, la bienveillance du lecteur, la providence. Vous n’êtes pas encore rendu à l’examen de vie, à l’aveu de votre gaspillage, de vos imprudences, du défi que votre naïveté et l’excès de votre facilité en beaucoup de genres porta à cet univers, à ces mécanismes de la société et de l’amour supposés, par vous, indéfiniment, inusablement providentiels.

En psychiâtrie, telle qu’ici on l’entend et la pratique, la parole n’est pas écrite, rien n’est suggéré, elle est à dire, et à dire par vous. La fermeture à laquelle le patient s’est vue contraindre est son mutisme, si déconcertant pour autrui, si cohérent, obligé, logique pour lui-même. Une nouvelle épreuve vous est proposée, du moins elle se présente à vous non plus en termes de risque comme votre introduction naguère dans la filière psycho-thérapeutique, mais à la manière d’une exhibition qui vous gênerait, qui vous gêne à l’envisager et dont vous craignez l’indiscrétion s’il y a autant de tiers qu’on vous en prévient. Avoir un entretien avec le maître de toute l’école à laquelle appartiennent les praticiens de cet étage où vous êtes : la cause freudienne, et que l’entretien se passe devant les étudiants. Vous ne saurez qu’en remontant de l’amphithéâtre souterrain qu’en jargon local, il s’agit de la planche. Vous croirez même avoir été distingué et que l’exercice est exceptionnel : il s’agit au contraire d’une démonstration pratique au moins mensuelle. Vous découvrirez sur les rayonnages en grande surface de votre libraire que le maître n’écrit que quelques annotations à l’édition qu’il procure de LACAN, nombreux volumes et façon de dire dont vous avez appris la lecture il y a plus de quinze ans, c’était sur le bateau reliant Corfou au continent et à l’histoire moderne des Grecs, ou était-ce sur la côté sud-est des Etats-Unis, il y a moins de dix ans, vous aviez acheté pour la baignade en piscine surveillée le maillot réclame des plagistes, rose phosphorescent. Les deux lectures peuvent se confondre, celle du séminaire et celle du protocole, un médecin à la blouse, au parler sans notes qui filmé en noir et blanc paraît d’abord un génial et fumiste improvisateur, un patient atteint du SIDA et racontant les poses de son homosexualité et les étapes de sa dégénérescence, du mal devenu son mal, et des horreurs du déclin programmé sans compassion des hommes ni de la destinée ; LACAN et Hervé GUIBERT. Vous avez accepté, vous êtes descendu, préparé, toiletté et habillé plus tôt que de coûtume un vendredi matin, le couloir de la mort puisque la salle de cours est au-dessous du niveau du sol, des films sur la peine dite de mort, sur ce qui fait plus que de la peine ou qui peine le plus. Certains de vos co-patients, quand hélés d’un signe, rarement d’un mot par leur psychologue ou leur médecin, à l’heure convenue qu’ils attendaient rangés le long d’un mur, toujours de couloir, ils se levaient, et machinalement, absents de regard et de façon de marcher, ils suivaient dos des mains en avant le praticien : le chien, le troupeau précèdent qui les conduit ; celui qui va se faire soigner par la réinjection, mieux articulée qu’il n’aurait pu le faire seul, de sa propre parole face à face avec un spécialiste de l’exercice, avance pas par pas vers quelque chose d’inexorable, et que tout dans l’existence menée durant la période où s’est imposée et demeure nécessaire la thérapie, paraisse ainsi obligé, absolument pas facultatif, donne à la silhouette qui s’exécute ainsi l’allure affreuse de quelqu’un qui a tout perdu, même le sens de la marche. Vous avez, vous revoyez souvent ces pas de femmes, d’hommes sans regard, consentants et hallucinés, suivant, les épaules voûtées, celui qui les aide à parler. A se parler.

On n’est sauvé que par un ensemble de circonstances où beaucoup de personnes, de faits d’une part et des ingurgitations autrement que d’habitude ou que depuis la chute initiale – la chute ayant tout initié – d’autre part, provoquent l’alchimie décisive. Est-ce un genre de concours que la chance, est-ce l’habileté que de savoir assembler ainsi des influences ? ou n’y a-t-il pas quelque foi indicible, inconsciente qui, quand elle revient ou survient, agite tout d’une manière que l’âme aussi se retrouve, et alors le corps se ré-emboîte, les événements aussi, et ce qui allait de travers, ce qui penchait vers l’abîme ou tournait à la cendre, va à une guérison tellement certaine qu’elle en est, par le fait, aussitôt acquise. Et se retourner alors ne déséquilibre pas, ce par quoi l’on a passé, ce dont on est sorti devient un bien précieux, nullement le gage d’une invulnérabilité pour l’avenir, mais la grâce d’une identification fine, subtile, pourtant très nette, de ce dont on est fait, et de ce que l’on a à faire pour désormais ne plus mourir, et de la vie ne plus faire seulement un moment de plaisir, une illusion de succès. Des années pour accepter votre narcissisme positivement, énoncer que la réalité dépend de votre regard, de votre usage et de votre projet. De projet que celui de faire, la vie fournissant l’être. D’entretiens en entretiens, que vous préparez avec méthode comme on dresse la liste des manquements, des lacunes, des avatars lassants du seul péché qui soit, celui qui abîme une relation avec qui que ce soit, que vous vivez avec abandon et attentivement, dont vous notez aussitôt ensuite la trame, ce qui revient à une troisième lecture des faits, des rêves, des situations qui en quadrichromie ou en gris muraille vous ont tiraillé ou réjoui. Et de ce complément aux paroles que vous avez été amené à dire à propos de tout cela, vous vous apercevez qu’un ordre, un équilibre, de vraies raisons, un progrès sortent et émergent. Vous vous installez dans votre existence, une ligne de conduite apparaît qui n’est plus la poursuite d’une vocation, la divination dans le regard d’autrui de l’identité qu’il vous accorde par révérence ou par distraction. Ces choses, ces découvertes fortes, vous vous gardez de les raconter, même de les systématiser, vous continuerez d’être lassé au premier mot par les diseurs d’art de vivre, par les conseilleurs de lectures pieuses ou décisives. Vous commencez de croire aux rêves, aux images, aux contes pour ce qu’ils sont, la meilleure expression de réalités par essence contingentes et disponibles. Vous guérissez en camaïlleu, vous complimentez à chaque entrée dans le petit bureau de votre psychologue, la mise de celle-ci sans que soit transgressée la bonne règle pour la bonne cause. Vous n’auriez rien à dire que de rebattu, d’ennuyeux et trop attendu, si avec elle, vous étiez au restaurant à conjecturer des manières d’en sortir, d’aller au lit ensemble ou séparément. Vous avez assez l’expérience qu’un menton vous a fait réviser tous les jugements qui étaient en train de vous conduire au sentiment amoureux, qu’une joue médiocre, une tempe molle peuvent profiler un visage, jusqu’à l’instant, celui de la femme pour une vie entière, en un autre signifiant les sept péchés capitaux et déconseillant aussitôt le mariage que vous aviez résolu de consommer. Les mains sont belles, l’espace entre les deux dents en haut et devant est appelé celui du bonheur, mais peut-être la praticienne si elle est nue a-t-elle des pieds qui ne vont pas et l’amour, l’érection, le projet, l’ambiance de s’accorder davantage avec soi-même qu’avec l’autre pour faire ce qu’il y a à faire quand on est deux à être nus et proches l’un de l’autre à se toucher, tout s’écroule et l’événement tourne à la mauvaise humeur.Vous êtes au bord de cette sagesse qui prépare, peut-être à l’amour, sûrement à commencer de vivre, tous préalables oubliés. On ne surmonte pas, on oublie, on oublie quand les angles de la beauté qui manque, cessent d’être aigus et réclament qu’on remplisse d’une certaine tendresse leur concavité. L’aimée a cessé de tourmenter, elle a retrouvé en vous sa contingence de chair, d’un corps ensommeillé, de gestes maladroits, des imperfections multiples que l’existence quotidienne, quand elle est mitoyenne d’une autre, produit pour que s’épanche la haine ou se donne la compassion entre êtres de même nature. Alors, l’heure d’un adieu bien conscient est là où l’on se dit n’avoir rien perdu et où n’avoir plus une présence naguère mythique parce qu’elle manquait, réconcilie avec soi, l’amant éconduit, et avec elle, la maîtresse éphémère. On ne peut pas grand chose mais en cela, on est tous pareils, ce qui nous fait communiquer plus aisément par le bas quand tombe le soir des expériences, que par le haut où les sentiments s’essoufflent si vite.

Ces entretiens ne sont pas une structure permanente que petit à petit l’on édifie en fidélité totale, en prolongement d’un dire, d’une étape antérieurs. Ils suivent le parcours, l’éclairent. La folie est de ne pas comprendre, elle n’est pas de ne pas aimer et le manque qui assassine est celui d’une intelligibilité nous situant dans l’ensemble de l’univers et aussi de celui de notre propre histoire. Tout comprendre ? non ! mais comprendre assez pour que l’inintelligible ne le demeure pas toujours et que seule subsiste la part du mystère, celle qui appelle la foi, l’espérance et la charité, qui gage notre sur-nature à venir. Vos thérapeutes, le maître de l’école, le neuro-psychiâtre, votre praticienne, énumérés dans l’ordre croissant de la fréquence de leurs interventions, une unique fois, chaque mois, plusieurs fois par semaine quand vous séjournez dans la capitale, ont diangostiqué en chœur votre auto-médication. Ils sont pourtant loin d’y être, car quand avez-vous commencé d’écrire et jusqu’à quel point la tenue de votre journal intime n’a-t-elle pas entravé une énergie qui se serait dépensée à produire de l’objet et non du miroir ou de la réflexion ? A eux trois, par bribes, en association d’idées, de mots, en inspiration qui vous étonne dès que les mots vous en sont venus, vous avez raconté, résumé, précisé votre histoire, ses personnages et ses acteurs, les têtes-à-queue, les jeux de scène, les silences, les morts subites, les naissances imprévues si le spectateur est de bonne volonté et vous n’avez fait que vous redire ce qui ne vous a jamais quitté de sensation, de certitude, d’expérience fut-ce un seul jour, que l’existence humaine a sa logique, a même logiquement plusieurs logiques, les subalternes faisant aller beaucoup de causes en effets et les plus hautes rattrapant le presque noyé, le presque mort, toujours de justesse, donc sans dévoiler la raison du miracle ni promettre de le répéter. Vous n’y gagnez, peut-être est-ce le fruit exotique de ces cinq ans commencés en enfer et continuant là où vous êtes mais que vous ne savez situer, sinon par rapport à vous, que cette perception presque amusée d’être affranchi de l’erreur, du vertige et de l’ivresse parce que vous êtes à terre, que vous êtes nu, sans fonction, ni bavoir, ni bracelet d’identité, ni carte de visite à laisser prendre, tandis que bardé de vos lettres de créance, environné de votre titre répété en ouverture ou conclusion de chacune des phrases entendues de vos collaborateurs ou de vos interlocuteurs, vous alliez de déséquilibre en mésestime des embûches et en erreur d’appréciation sur la manière de vous faire apprécier, ne serait-ce que pour ne pas perdre votre emploi, plus vulnérable, puisque classé " à la discrétion du gouvernement », que celui d’une dactylographe ou d’un planton : heureux les irresponsables, on les remplace cent fois moins aisément qu’un plénipotentiaire, d’ailleurs c’est à peu près là la proportion dans la liste des postes à pourvoir. Mais aussi ces professions alternatives que vous aviez regretté n’avoir pas embrassé quand vous fûtes à terre, car celles-ci eussent garanti votre indépendance de comportement et de diction. Voire, car en revanche la drague eût été si aisément manœuvrée des élèves émouvant leur professeur, vous n’y auriez pas suffi, vous auriez enseigné les belles lettres mais votre existence eût été à noircir du papier d’amour, la division serait devenue à l’infini l’opération dont vous auriez victime jusqu’au néant. Vous ne vous prenez pas pour le Guyot de la fable, réalisant que tout est bien dans le meilleur des mondes puisqu’il n’a reçu qu’un gland au pied du chêne sous lequel il dormait. La disgrâce amoureuse et professionnelle vous fouaillait de culpabilité d’autant plus insidieusement que vous ne pouviez pour autant distinguer le carrefour où vous aviez pris la mauvaise direction. D’écrire, de continuer à écrire, votre journal, le conte des autres tels qu’en conversation précautionneuse au premier étage de l’hôpital, celui des f… vous en preniez la substance aux lèvres, dans le regard, en un seul mot de l’un ou l’autre de vos co-patients, un étage de quelques vingt chambres pour une trentaine de lits, autant d’histoires ayant abouti à ce même symptôme, la langue rétractée, le vocabulaire et le sens perdus, la démarche mécanique de qui voit tout, ne regarde rien et ne sait pas ; d’écrire cela ou à partir de cela ne bougeait rien en vous.

Autre chose s’est donc fait jour. Et le chemin s’est précisé, peut-être celui qui délimite, circulaire, une belle propriété où la demeure n’apparaît et ne s’ouvre qu’en fin du roman, à force que la spirale ait amené au centre. Vous aviez cru à une vie linéaire, aspirée par un appel d’en-haut, par une vocation décrétée par un prince ou ses supérieures, les circonstances, l’histoire avec une majuscule, la religion comme une aventure, l’amour arrêtant tout sur une image mais pour le ravissement et de là on continue mais sans bouger. Inimaginable. D’ailleurs, au point précis de le vivre, l’événement vous échappa et devint la banale erreur de jeunesse d’une belle et l’illusion à midi d’un bientôt vieux. Ce n’est pas épouser la manière de présenter les choses, la vie et les gens qu’illustrèrent ces pères putatifs d’un fascisme français, sans chef emblématique mais fortement doté d’échelles de valeurs et de maximes à ne plus faire penser par soi-même et à tout modéliser : réussir par imitation, loi de la cooptation française une fois réussis les concours de même inspiration. Les noms, les livres, les exploits sont connus car SAINT-EXUPERY, LARIGAUDIE, MERMOZ bénéficièrent d’un environnement leur épargnant d’être diabolisés. Des enfances de chef se faisaient après guerre, après toutes les guerres selon ce modèle des vies de saints, de l’exemple à suivre et de la palme à mériter. Devenir semblable est tout le rebours d’une fraternité ou d’une filiation d’adoption même si le prêche est du même tonneau. Vous voilà revenir non en enfance mais au commencement, sans être démuni de cet acquis : toutes les saveurs de l’expérience qui distingue et choisit. Vous venez de secouer tout fourbi d’une vie conditionnée comme un produit enveloppé qu’il suffit de libérer de son papier d’argent ou de ses rubans. Vous vous apercevez, non par vous-même mais en écrivant au sens littéral la biographie d’un autre, que l’existence ne connaît que peu de combinaisons, que les rencontres et les vis-à-vis reviennent et se répètent en un ressac devenu, à force, familier, indiespensable, très peu de gens pour beaucoup de gens, chacun a son troupeau viager, il en fait partie ainsi qu’ailleurs on demeure à vie membre de sa tribu native. L’histoire au total d’une époque, d’un pays est faite de destins obéissant tous aux mêmes règles de la probabilité, de la coincidence, de la répétition d’une même matrice pour reproduire les chutes, les propensions à créer, les excommunications ; avec une périodicité assurée, la poésie supplante la langue de bois et finit par enrouer son chant et les masques bégaient à nouveau.

Ce fut la première leçon de cette compilation que vous aviez entreprise par hasard, par récurrence. Le temps ne vous était plus mesuré quoique chaque jour, vous le viviez encombré, assujetti par les habitudes que vous vous étiez inculqués ou par les nombreuses gestions qu’imposent, en une incroyable variété de motifs et de prétextes, le célibat, les contentieux, le statut d’exclu plus précis que celui de l’employé le plus spécialisé ou du dirigeant le mieux conseillé et gardé. L’ancien Premier Ministre avait été mêlé à tout, avait été nommé à presque tout, avait connu presque tout du monde dont les manuels donnent les dates et les noms de lieux ou de personne en caractères gras, et vous découvriez, parce qu’il vous donnait, par amitié mutuelle, la curiosité de chercher et de lui rapporter les traces qu’il avait quant à lui laissées dans les archives, dans les esprits, dans les faits sans le vouloir ni le percevoir, sans le noter, passant à travers tout, les régimes et les époques, sans jamais changer cet air d’être un peu décalé, un peu déplacé, un peu ennuyé, presque oisif. Les réunions étaient denses, se répétaient des mois et des années, il en faisait un régal de l’esprit pour un lecteur solitaire cinquante ou soixante ans après. Vous viviez avec lui ce qu’il n’avait pas pris conscience de vivre quand il l’inventait de sa vie, de ses mots, de cette dialectique qui fut son art, où il faisait s’enfoncer avec dilection l’adversaire, le plus fort que tout, du moins dans le moment où l’on négociait, où l’on avait des « conversations », il laissait mollement, avec la précision d’un chorégraphe faisant répéter et se répéter ses danseurs, l’autre s’empêtrer, il donnait encore quelques minutes ou jours de grâce, puis l’échiquier figé, le mat était prononcé d’une voix sans élocution, celle de l’évidence. Cet homme avait été si transparent que peu y avait vu l’effet de bien davantage qu’une pudeur ou que la rançon d’une éducation faite tout entière d’une sévère réflexion sur ce qu’il convient de taire et sur ce qu’il est inutile d’exposer. C’était devenu une nature que d’être courtois, anodin, si banal que plus rien n’allait valoir qu’une affirmation tranquillement posée, si placidement qu’autour personne n’oserait plus douter que ce ne fut là le bon sens. Au vrai, une défaite, une victoire, un changement de position du tout au tout, le début d’une stratégie à très longue échéance venaient d’être dits sans que celui qui s’exprime ainsi ait semblé dire autre chose que l’unanimité ambiante. Un tel art place celui qui le pratique au centre et au vif de tout quand il s’agit de décider ou d’analyser, mais l’orfèvre ne trouve plus à qui parler. La chance de cet homme mince de bagage et de corpulence, qui écrivait au crayon le brouillon de ses lettres et de chacun de ses discours, sauf un seul, de mémoire de ses collaborateurs, un seul qui servît à inaugurer un site industriel, manqué à tous égards, ce qu’à l’époque chacun reconnaisait déjà, fut d’être discerné par plus flamboyant quoique de même race que lui. Tous deux crurent par le plaisir et l’aisance qu’ils avaient à discuter ensemble les affaires de leur nation, que l’histoire et le peuple suivraient. Les événements leur donnèrent raison longtemps, les papiers et archives maintenant : aux deux moments de toute histoire, celui où elle se fait, celui on l’on prend conscience de la manière, des contingences et du métier dont elle fut le fruit, les deux partenaires, son ministre et de GAULLE furent et sont applaudis pour l’éclat indiscutable, indiscuté de cet art de dire et de faire dire. Vous avez entrepris de mettre au jour comment ils s’étaient donnés cet art, comment ils en usaient chacun et comment ensemble, dans un secret que ne relate aucune note, aucun témoin, ils faisaient plus qu’en jouir, ils en délibéraient, à jour et heures fixes, chaque vendredi en fin de matinée, durant onze ans. Vous parcourez plusieurs semaines par mois, en divers sites d’archives et de conservation de papiers privés ou d’Etat, les lettres, les peluriers, les brouillons montrant tous que tout est contingent avant que quoi que ce soit, ne naisse. De plain-pied avec les plus notoires dans les circonstances où il fallait comprendre puis décider, vous savez que l’Histoire ne juge pas, que la postérité ne se souvient pas, que l’échec et le succès ne sont qu’à l’indicatif présent et pas à toutes les personnes du pluriel. C’est beaucoup plus : un pan d’éternité enveloppe ce qui est conséquent, cohérent, exceptionnel, l’éthique ne se décrète pas, peu de règles s’appliquent, l’admiration seule décide l’adhésion et vous adhérez. La beauté, à la reconnaître, fait entrer dans le même ordre de relation qui n’est pas assujettissement. Justement, vos amours, vos étapes de carrière vous ont assujetti, vous vous êtes manqué à demander, à attendre. Consacré maintenant, nécessairement, à survivre, le discernement vous vient, le détachement aussi. La dilection s’approche, faculté ultime de l’homme parvenu à se faire. Ce qui est bien autre chose que s’accepter.

A cet homme, ce grand homme qui allait mourir et à qui la mémoire des noms, des dates et des faits avait échappé presque complètement, vous tentâtes de dire ce qu’il vous apportait du seul fait qu’il avait existé et ainsi fourni la matière, paradoxalement jamais travaillée jusqu’à votre entée en piste, d’une recherche en documents, en logique, en reconstitution, en exposé enfin, à ce dernier stade vous arrivez juste. Le vieillard qui tendait l’oreille et se détestait visiblement de ne pas tout saisir, qui se camouflait de quelques phrases habiles, mais toujours les mêmes, quand la raison se dérobait autant que le souvenir, vous rendait simplement et insignement votre dignité propre, celle que le désamour et la disgrâce vous avaient, à vos yeux trop longtemps dociles, enlevée. Le problème sera technique de rendre passionnant ce qui vous avait intéressé et que vous constituiez trait à trait, date par date, témoignage après confidence, document de hasard modifiant un éclairage qu’on avait pu croire fixe, définitif depuis plus de décennies que vous en comptez encore pour ce qui est de votre âge. Vous arriviez à ce moment où soudain apparaît que vos intuitions d’adolescence sont fondées et ont continué de vous construire malgré tous les choix contraires que vous avez ensuite et jusqu’à présent presque, posés assidûment par contrainte sociale et rêves pré-écrits.

Justement, cet homme que vous revoyez dans l’année d’une mort qu’il sent venir souvent, qu’il subit déjà à ce que vous confiera la dernière de ses collaboratrices. Puni dans son intelligence, frappé dans ce à quoi il croyait seulement, son fonctionnement cérébral, l'impeccabilité d’un outil adonné à l’exercice premier de tout humain, quand il est sorti des cercles de l’affectivité, du narcissisme, de l’impudeur, des enfances à tous âges : analyse, synthèse, le soin de finir le tableau laissé aux apprentis, à ceux d’une école qui n’est pas la sienne, mais où il excelle, la suite et l’action dont il n’aura jamais saisi en quoi elle consiste puisque pour lui, sans qu’il l’exprime ainsi, tout se vaut sauf ce qui est absurde.

Ce qu’il vous donne est plus que de la considération, davantage qu’un emploi aussi prenant, à exercer avec encore plus de méthode qu’au temps où vous aviez à suivre des instructions, à en solliciter et à toujours rendre compte dans les termes et selon les tournures les plus convenues, en domestique obséquieux d’un maître à visage anonyme parce que fait d’un compromis de couloir entre fonctionnaires daubant avant tout les chanceux et les mieux-payés qui se prélassent en poste et ne savent rien des pensées souveraines coulant à Paris, à dos de motocyclistes et au fil de la plume griffonant finalement un petit vu. Vous avez de commun avec celui qu’on appelait, péjorativement quoiqu’avec admiration, «  le chef de la diplomatie gaulliste », d’écrire vous-même et non par compilation, par découpage et, en fait, cannibalisme : le jeu des voitures qu’en Afrique on achète en décuple pour tenir longtemps le stock des pièces d’origine pour une seule. PETAIN n’écrivait guère mais il commandait si juste et précis le texte souhaité que les « nègres » avaient tous un même style, que le meilleur d’entre eux y gagna d’avoir une plume aussi forte que son verbe ce qui, les circonstances y ayant pourvu, donna TACITE et parfois CHATEAUBRIAND, réincarnés dans l’exil d’une patrie fleur bleue et d’un groupe de fidèles qui fut une nation quelques étés en 1944, en 1958, en 1968 pour retomber à hauteur d’envoi au pied du ballon rond, foule des Champs-Elysées sans promenade ni bistrot, encore plus foule depuis que le décor et la mode ne sont plus beaux. Vous avez proposé à deux Présidents successifs de cette République actuelle qu’au rond-point, là où naguère CALMETTE à droite, en regardant vers l’Arc de Triomphe, puis MENDES FRANCE à gauche, travaillèrent, avaient bureau, talent et foi, un groupe de bronze à la manière des bourgeois de RODIN, mais très touffu, fondant de Vercingétorix et de « nos ancêtres les Gaulois » jusqu’à des anonymes qu’on fusille à la veille de la Libération ou des poètes qu’on fait taire juste après, comme s’ils n’y avaient pas droit – eux –, tous les héros emblématiques ou damnés de la chanson de nos gestes, Jeanne d’Ac pardonnant à CAUCHON, Louis XVI de cœur avec la troupe que manoeuvra la Révolution et les chefs de celle-ci tous apparentés à la guillotine. Le monument élèverait les têtes à peine au-dessus de celle des passants, les Français en sculpture et en vie se regarderaient et continueraient à la manière d’un pays dont l’abstraction n’est prétendue que par ceux n’ayant pas connu l’éloignement, l’attachement, la déception et la joie, France de chacun. Le relais serait donné du Triomphe à la Concorde. Naturellement, le monument n’existe pas encore de même que l’idée toute simple de fondre à nouveau les statues de la place Gambetta, dont on a les dessins et que l’ennemi désocla et détruisit, puisqu’elle témoignait encore en 1940 qu’il aurait pu y avoir une Défense Nationale, n’a toujours pas eu raison des plans d’eau artificiels en tenant lieu sans texte ni beauté pour un des ronds-points de Paris XXème.

COUVE de MURVILLE vous saluant et vous regardant descendre l’escalier aux marches si larges et si peu abruptes, depuis le seuil d’un appartement, celui pour lequel il négligea même les nuits à Matignon et qui est à égale distance des trois lieux de sa carrière, rue de Rivoli, quai d’Orsay et rue de Varenne, qu’il soit en pyjama ou en complet bleu sombre, a ce regard que vous n’oublierez pas, le regard prenant sourire et faisant contagion et frémissement sur tout le visage, une subtile animation qu’il fige, se prenant soudain à exprimer une sympathie qui le rendrait vulnérable ou qu’il ne convient pas de dire, et ce regard tient au vôtre, la rencontre fut là, l’élégance de toute une vie qui, rétrospectivement en agace et en blesse beaucoup d’autres. L’enquête que vous menez entre hommes et sur papier vous montre de quel secret il s’était protégé et combien les explications les plus simples et directes de beaucoup de ses attitudes ou réflexes, étaient à la portée des plus familiers, si ceux-ci avaient seulement voulu connaître l’histoire. Ce qui ne se fait pas en posant des questions, mais en regardant partout avec les yeux, la pensée et le tempérament, désormais reconnaissables et déductibles comme on a acquis l’habitude d’une écriture. Les billets du Général passés en Conseil des ministres, - la lettre accompagnant pour le sous-gouverneur de la Banque de France des coupures de presse présentant à l’opinion allemande, l’été de 1940, la politique économique que le Reich allait faire prévaloir dans tout ce qui n’était pas encore la « forteresse Europe » et paraissait, pour ce qu’on en fit, butin de guerre et bonne prise, - le haut fonctionnaire devenu ministre sans s’en étonner ne conserve que ce qui n’est pas de lui, mais vous le faites progresser dans ce parcours de la confiance pour les derniers de ses jours de chair, d’os, de fatigue et pourtant encore de maîtrise de soi et d’organisation du propos. Les bulletins trimestriels du lycée Carnot vous en disent davantage que les ratures, peu nombreuses, de la version au crayon des lettres adressées par son dernier Premier Ministre à de GAULLE quand celui-là va rencontrer POHER puis, à peine après, passer les clés à CHABAN-DELMAS et, sans qu’il y ait lieu de se rencontrer, donner la démission du Gouvernement à POMPIDOU. C’est alors que devenu honoraire dans toutes ses fonctions, il reçoit à son adresse personnelle les enveloppes manuscrites de l’homme qui restait, surtout aux yeux du serviteur si avisé des débuts de Vichy à Wiesbaden, « l’homme du 18 Juin », et qui lui donne désormais du «  Président », sorte d’annoblissement républicain accordé par un personnage d’Ancien Régime à un protestant anti-conformiste, donc anti-monarchiste, vestige des Républiques antérieures prodigues du titre et rendant moins compliqué le salut à un ancien Premier Ministre. Un de ses successeurs aux Affaires Etrangères que vous affectionnez particulièrement parce qu’aussitôt nommé, il avait été tant présenté comme une ombre et, lui aussi, un « exécutant fidèle » qu’il vous parut impossible pour quelque personnalité que ce soit de ne pas démentir, et ce fut Michel JOBERT. Trop semblables de fierté et d’habileté nationales, trop adeptes du bon sens, trop indépendants du suffrage populaire ou du commentaire, finissant tous deux par forcer l’estime des connaisseurs et du badaud, seuls chacun à anticiper le jugement quand se clot le dossier et surtout quand d’autres arrivent, ternes et contents, à cette place, les deux hommes ne s’aimèrent jamais et le second post mortem découpe et vous envoie les imprimés les plus salissants, les plus gras à propos du premier. Ce qui ne vous sépare d’aucun, affine votre enquête et vous met au défi. Vous entrez dans le non-dit, parce que non su, de notre histoire contemporaine et sachant que vous n'avez plus l'âge et n’êtes manifestement pas dans la bonne filière, vous êtes plus heureux encore que si vous étiez le héros ou, vous-même, leur successeur, dans l’Histoire dont vous piochez les matériaux et la rumeur quand elle fut interdite. Tête-à-tête avec des grands, jouissant de la permission qu’ils vous ont donnés, vous détaillez davantage l’universalité du destin humain que les actions et les faits d’époque, et vous percevez, retour à une persuasion que vous n’aviez plus pour vous-même, que le désert, la détresse, le dédain n’épargnent pas non plus ceux qui ont connu le pinacle. En poste diplomatique, vous aviez sur chaque terrain, un indicateur, quelque vieillard qui avait été au pouvoir, qui l’avait exercé et qui vous en rendait compte en paraboles toujours analogues sur ce qu’est le gouverné par rapport au gouvernant et sur l’image que celui-ci ressent de lui-même et à laquelle il n’échappe pas. Le miroir de Narcisse n’empêche pas l’eau du fleuve de couler et s’épandre parfois, l’eau se prête au reflet mais en raconte davantage. Qu’en sus, vous ayez été aimé d’une tendresse locale, qu’on vous ai dit la jouissance physique, mentale qui vient en des mots qu’alors on comprend en toute langue, vous pénétriez pour toujours la dialectique d’une nationalité et la position des âmes qui importent, en géo-politique, bien davantage que les contraintes commerciales ou les moeurs constitutionnelles. Vos amis, les ministres, puisaient dans une sorte de connaissance intuitive leur faisant respecter comme des évidences et des acquis ; leur partenaire qu’ils ne détestèrent jamais et dont ils eurent aussitôt l’estime. Les propos de KISSINGER sont à rapprocher de cette appréciation de l’inamovible président de la Commission économique allemande d’armistice quand le ministre des Finances de LAVAL lui annonce que COUVE de MURVILLE est à Alger, non sans avoir préparé ouvertement la manière de maintenir les transferts, paiements et délégations de soldes entre tous les territoires de France que les succès et étapes de la Libération allaient séparer en plusieurs obédiences les uns des autres pour chaque heure de près de deux années, d’autant plus haineuses. Vous admirez autant votre pays que ceux qui le maintiennent, vous exécrez la bêtise et le manque d’étoffe de ceux qui, en position, n’en font rien et l’actualité, vous ne la suivez à votre époque, maintenant, qu’en la niant au profit des moments antérieurs où même la bassesse ou la faute de jugement pouvaient se parer d’au moins quelque chose, la couleur forte d’un temps. Entendre des tiers parler de ceux que vous avez choisis, presqu’à leur insu, pour compagnons de vos débats et de votre esthétique intimes, vous attriste parfois, comme le prosélyte souffre de l’incrédulité de ceux qu’il lasse par son prêche, mais il y a aussi la confirmation d’une intuition, ou le témoignage d’un dévouement circonstancié, éclairé et qu’un mot sait dire.
Sans encore savoir la gloire ou le découragement dont votre recherche nourrira un manuscrit à écarter pour des éditeurs voulant du sensationnel ou de l’alcôve, vous apprenez l’attitude qui n’a pas de modèle que le respect qu’on doit à soi-même et dont on regrette que les autres ne le cultivent pas pour eux-mêmes, également. VIGNY écrit Chatterton, mais ne désespère pas, sans doute pas qu’il l’écrit et les femmes de songe ou de chambre, vos aînés dans un métier que d’autres vous ont arraché, n’en disent rien ce qui est naturel, mais rare. Vous apprenez, et le temps est devenu le lieu paisible où vieillir n’a pas de signification, vous êtes gros de celui de vos mentors autres et le calme qu’ils ont su, tenacement, acquérir et conserver, vous le recevez d’eux. Quant aux lieux, ils ont pour premier plan, sur vos genoux, l’écritoire informatique, si proche des abaques, bouliers et ardoises ou plaques de cire des très anciens ou des peuples, pas loin derrière l’ancien « rideau de fer », qui s’en servent encore ; vous avez ramené deux de ces instruments à compter, et l’actuel écritoire vous a été offert par votre compagne. Celle-ci savoureuse, empressée, abrupte quand elle est confirmée dans sa désespérance de tout, et d’abord de vous, contemporaine de votre malheur mais moins de cette aube par laquelle vous ressuscitez membre par membre,pensée après pensée, selon une mise en ordre qui vous étonne ; vous n’osez lui montrer ce que vous composez et mémorisez car ce serait aussi lui dire votre commune incomplétude et qu’il n’est d’instant où se rejoindre et correspondre que dans le plus pauvre et démuni de notre condition humaine, gymnastique peu amoureuse et pourtant pitié et tolérance sont un aboutissement stable, compassionnel, admiratif. Vous constatez la rencontre, l’harmonie  vous savez que le désir accorde sa grâce, mais en dire plus, vous n’en êtes pas capable, vous vivez jour après jour, matin et soir, téléphones et regards à sa demande. Au-delà, c’est souvent un petit lac au Bois de Boulogne où les canards ont toujours leur sillage et les arbres des reflets à peindre par MONET, c’est aussi l’anse d’une plage qui a sa vérité en morte saison, quand le brouillard fusionne la mer, le ciel sans nul trait d’horizon, ce sont enfin les deux arbres dont le couple vous fascine comme le conte déjà écrit de ces témoins qui, après vous, se seraient donnés pour distraction ou pour responsabilité d’éclaircir ce que fut et connut votre cœur tandis qu’il battait. Des arbres laissés à deux par une tempête immémoriale, dont les pic-verts se régalent des cachettes au tronc d’un desquels vous tentez de faire donner assaut par un rosier grimpant, qui malheureusement ne peut se planter qu’au pied du masculin, plus simple que l’autre d’écorce, de dessin contre le faire-valoir du ciel avec son unique dédoublement. L’autre, féminin comme il se doit, a l’allure plus jeune parce que multiple de branches et de retours des rainures, des écorchures données par les intempéries. Il n’est de jury aux assises pesant et prisant une existence d’homme, de femme, d’enfant, de fonctionnaire ou d’artiste, de président d’une chose ou de dévot d’une autre, que l’enquête aimante, patiente et sachant pourtant s’animer quand une découverte confirme un antécent et affiche soudain une logique. On laisse libre de décider si cette cohérence est l’œuvre de l’esprit ou le legs du hasard.

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