mardi 24 juillet 2012

demain - l'impossible est notre vie . récit . 17 (à suivre)









DEMAIN





Visions, résolutions, convictions et intuitions sont laissées, pas par inadvertance, au seuil de l’hôpital, au plus tard sur la chaise des salles d’attente, quand vous vous asseyez et que la porte en face de vous doit ouvrir, moins sur un lieu que sur un temps. Le temps de l’examen, le temps de la manipulation. Le praticien arrive, vousavez été préparé, l’examen vous a été expliqué, la distinction entre homme et femme qui vous a toujours paru,àl’épreuve et surtout dans le détail quand on l’approfondit, très émolliente, seule l’âme, la personnalité sont sexuées, mais égalité devant la maladie, devant l’empêchement chrirugicalement pratiqué d’une fécondité désormais.La position gynécologique, peu élégante,mais ce n’est plus du tout l’instant où on le perçoit, est la même que la raie des fesses s’orne de testicules et de bout entre celles-ci, ou se double d’une autre raie, velue et aux bords renflés. Ce qui est commun, ce sont les jambes repliées, les pieds pas tyrès commodément placés sur des supports chromés, les mains où l’on veut, où l’on peut : elles sont moites. Vous êtes vierge de douleur et de souffrance. En quelques jours, c’est une viriginité qui se récupère, et les chocs du réveil post-opératoire pour peu que vous les ayez vécus il y a quelques semaines, a fortiori quelques années, ne vous donnent pas la moindre expérience de ce que vous allez maintenant subir. Détendu, vous l’êtes.La suite,maintenant, a commencé. Insensibilisé, vous ne sentez rien de ce qui vous a été introduit intimement, et dont la sculpture savante est fort loin de la simplicité d’un bon gros sexe érigé avec son casque pour tête chercheuse. Ce sont les claquements semblables à ceux d’un pistolet à amorce qui sonnent l’heure exacte. Dans une semaine, les résultats ; suivant ceux-ci, d’autres examens pour opter entre la chirurgie (l’ablation) et la radio-thérapie, à soutenir sans doute par une hormono-thérapie, s’il s’avère que le cancer a eu de vitesse vous-même qui ne sentiez rien, sinon quelque chose de très abstrait, qu’il se passerait une échéance cet été dont beaucoup allait dépendre, mais vous ne pouviez définir cette échéance, sinon qu'elle serait importante, peut-être décisive, de nature à préparer toute la suite, toutes les suites, vous et vos médecins. Dans un cas, on éradique le mal à la source, dans l’autre on court après lui, c’est à la fois la technique du contre-feu et c’est aussi la tentative de priverle cancer de son moyen le plus naturel de propagation. Comme le confrère de votre médecin traitant, de votre ami traitant, écoutant, discourant de ces entretiens mensuels depuis cinq ans tout juste, vous savez tout l’un de l’autre, n’avez que quatre mois de différence d’âge et malgré des professions très différentes que très peu d’écarts de langage dès lors que vous n’êtes pas, chacun, dans votre partie,comme le confrère est un excellent chirurgien, il y a de bonnes chances que les divers canaux séminaux soient épargnés. Vous pourrez continuer de tout faire, c’est-à-dire d’espérer, pas à coup sûr mais très probablement. Un mauvais chrirugien et l’ablation vous couperait de tout,du regard sur les femmes,d regard sur la vie, du regard quotidien, car impossible de regarder une femme si l’on sait d’avance que l’aventure tournerait au ridicule ou à la conversation pleurarde si celle-ci vous était proposée en réponse à vos yeux qui ont admiré, presque par atavisme, et la vie sans l’alterité du charme, de la beauté et de tout ce que par une éducation persvéramment enseignée, on met à la charge ou à la gloire des femmes tandis que celles-ci attendent,encore aujourd’hui, que l’homme en soit un, surtout si l’on se donne à lui, c’est-à-dire si on lui permet tout. Le tout qui est si simple, qui est naturel mais mystérieux tant qu’on ne connaît pas et inimaginable dès qu’on ne peut plus, ou chaque fois, cela dépend d’une femme qui, sciemment ou sans qu’elle y puisse rien, régulièrement s’offre à la tentation réciproque mais ne porte pas à la conclusion,l’empêche même, quitte à vous faire croire que c’est vous qui êtes constitutivement empêché. Situation qu’heureusement vous avez connue, encore jeune et que démentait deux liaisons parallèles, heureuses,tranquilles, compulsives où chacun des deux rôles était bien tenu, et d’abord le vôtre.

La banque du sperme, l’hôpital en est un des correspondants, on vous prépare, on vous amène, on vous remmène. C’est automatique, explique la jeune infirmière,le genre que vous aimez, que vous aimiez, plutôt, car tout est devenu conditionnel ou au passé, pas tant à cause de l’échéance présente, mais parce que le désamour dont vous avez été victime a opéré en vous ce qu’une ablation fera à son tour, une sorte de désintérêt pour ce qui n’est plus. Jeune infirmière qui est une jeune femme aux yeux clairs un peu trop brillants, au teint hâlé de deux jours seulement à la montagne et qui se marie dans le mois. A sa collègue qui faisait les prises de sang et qui classera tout à l’heure les huit biopsies,à mesure que le chef de service enquête,pointe, récolte sur la carte d’opérations produite par l’échographie, vous aviez demandé s’il lui arrivait souvent de prendre un patient au stade où vous en êtes et l’année suivante, ou six mois, il n’y a plus rien à accueillir ou à prendre, puisqu’il a changé de planète pour le moins ; elle n’avait pas répondu. Celle-ci vous assure, ce qui est pire, qu’elle aurait tout à fait le temps – avant son mariage, avant la fin du mois donc - de vous assister en phase de récupération à la suite de l’intervention chirurgicale envisageable.

Le professeur, cheveux noirs et collés, taille moyenne, physionomie peu riante, débit clair mais peu abondant – vous, prié d’uriner dans un appareil mesurant la dynamique de votre expulsion de liquide, vous étiez trouvé sans débit, sans voix qu’un mot d’excuse, vous être exécuté, précisément avant la consultation - de plusieurs années votre cadet, et qui vous donne votre titre honoraire, ce qui vous valorise tous les deux, est si précis, entrée et sortie, que vous voyez bien l’essentiel. Chaque patient relativise tous les autres et est relativisé par un seul autre, que votre fécondité soit en cause, que votre vie soit en instance de désespérance statistique, importe certes, mais le temps d’y prêter attention, et l’on ne peut s’arrêter longtemps à un seul, au seul que vous êtes – sauf en position de Dieu qui sait tout, englobe tout, et peut être en particulier tout à tous, quel indice non de la valeur humaine, individu par individu, mais de la puissance divine ! D’un coup, en ressortant, seul, de la pièce étroite, un tampon dans le caleçon,vous voyez ce qu’il en est. Vous n’allez pas accaparer l’attention de ce professeur, chef de service, pas davantage celle de votre médecin traitant, pas plus que celle de vos amis ou de vos relations. Quelqu’un qui disparaî, c’est aussi courant et irrémédiable que quelqu’un qui arrive. Il n’y a que les mariages qu’on fête à tant de frais,les enterrements aussi mais selon un mystérieux égard que beaucoup se croient contraints de rendre, surtout à celui qu’on transporte d’un endroit à l’autre, jusqu’à le laisser en cendres ou sous le niveau du sol. Cet égard est sans doute une sorte de révérence envers soi-même, on distingue dans la mort des autres, qu’ils vous aient été proches ou que ce ne soit par société que vous alliez à la cérémonie ou au cimetière, une sorte de précédent à sa propre mort, on se reconnaît, tout bas, au fond de soi, du même genre que celui, que celle qui n’est plus. On sent que les vocabulaires,les souvenirs, les rites ont de la vérité par leur exhalaison spéciale de respect, mais c’est le respect de plusieurs générations envers leur fin à toutes, qu’elles pressentent, qu’elles tâtent en regardant le mort devenu de cire.

Aux obsèques d’un familier du monastère que vous fréquentez, l’impression avait été différente, vous étiez encore très loin de ce dans quoi vous êtes entré maintenant, mais la vue que vous avez à présent est la plus parlante. Elle vous parle, elle vous rassure d’une certaine manière, elle vous rend semblable, vous faites partie du lot commun. La pétition d’exceptionnalité, qui vous a tant été comptée à charge, ellevous pesait, vous eussiez préféré le mode grégaire de vivre, parvenir, continuer, procréer et suivre la vie dans le sens qu’elle impose. Voilà que vous êtes maintenant exaucé, qu’assez vite, à mesure que vous vous enfoncez dans l’échéance, vous vous dépouillez sans peine des ambitions et des projets de la veille encore. Mourir est un allègement, conjecturez-vous parce que vous en êtes encore loin.

Mais si cet instant vous trouve si lucide,l’accompagnement par beaucoup y contribue. Vous n’avez assisté à aucune agonie, les rencontres de ces temps-ci sont plus éloquentes, vous dialoguez entre vivants, vous et vos grands amis qui perdent force et mémoire, qui présentent à eux tous toutes les variantes de ce que, en pleine santé, en pleine espoérance de vie surtout, vous auriez jugé être leur déclin. A mesure qu’il vous apparaît que c’est dépouillé de ses souvenirs, de la plupart de ses mécaniques d’expression et d’évocation, qu’un homme est le plus semblable à ce qu’il aurait voulu être, à ce qu’il était initiatlement, à sa petite enfance, au sortir de son adolescence, respirant l’avenir, l’ambition de vivre à pleine intelligence, à plein cœur, à pleine chair affective, impatiente et pourtant confiante, à mesure aussi vous constatez qu’entre ce temps où rien n’avait encore été commencé et celui où tout a été parcouru de ce qu’il était logique de parcourir, selon le commandement de chaque étape induisant la suivante, il n’y a guère eu que de la vanité, des erreurs ou des lenteurs d’accomplissement, des obstacles mal contournés, des chances pas discernés, et qu’au mieux une vie est la relation entre l’enfant que vous fûtes et le mourant que vous serez bientôt. Et au cours de ces dialogues que vous avez à deux degrés avec l’ancien Premier Ministre, avec le grand fonctionnaire, sur le trait décisif de leur relation aux circonstances ou à ce dont ils se croyaient intimement capables, avec le religieux à qui vous demandez ce qu’est pour lui la prière alors qu’il vous confond avec un double, vous prédit, avec insistance et détails précis, volubiles, convaincants, une imminente révolution et qu’il se prépare quant à lui à prendre les billets nécessaires à son propre, vous parlez avec des âmes qui ont déjà quitté laplupart de leurs moyens terrestres, contemporains mais qui continuent de vous répondre et font même plus cas de vous que jamais. Etes-vous déjà leurs semblables, sentent-ils d’expérience cette fraternité avec vous d’avoir presqu’ensemble à formuler des conclusions semblables, chacun pour soi, et pourtant ensemble ?

Cette leçon à laquelle vous mène une thérapie, plus de deux ans tout même pour arriver à vous la formuler et surtout à tâtonner plusieurs jours, en tous sens, de vous-même, ou avec le secours et la sollicitation de multiples coincidences, des circonstances, la réalité dépendant de la manière dont vous la recevez, la prenez, la modulez, léluder. A ce compte, le fou est un géant, et l’habile qui s’adapte et abdique un niais. C’est la relation qui compte. Cela ne signifie pas pour autant que la réalité n’existe pas en dehors de votre acquiescement ou de la peur que vous en avez, mais elle est en permanence, dans ses multiples composantes, toutes curieusement proportionnées à vos perceptions, une sorte d’appel à votre savoir-vivre. Les autres, analogues à vous, constatation, observation, affirmation qui devraient fonder l’égalité et bannir le racisme et tout sesixme, sont eux aussi à vivre cette difficulté, comment faire, comment prendre, comment être face à ce qui se présente. Et en somme,notre relation à nous-mêmes, la conscience que nous avons de notre destinée, de notre tempérament, de nos constantes à l’épreuve, entre autres, de la réalité, de ce cheminement de l’ensemble de la vie cosmique et infime à nos côtés, autour de nous et en nous, dérivant à la même allure et selon la même consistance que nous, sont tout à fait secondes et la conséquence de ce rapport initial et final avec notre environnement, avec nos partenaires. Le nouveau-né et le vieillard,à égalité d’amnésie et d’approximation dans les réponses à donner réagissent et continuent de se manifester selon leur seule spontanéité, ils n’ont de relations qu’avec autrui, qu’avec le dehors,ils subissent l’érosion ou l’inconsistance dont intérieurement ils sont faits.

Jamais, aucun point de vue si glorieux, comblé, désespéré qu’il ait été dans vos années et décennies passées, révolues, n’a été aussi central, aussi subtilement à même de tout vous donner à comprendre, donc à embrasser que le point de vue où vous vous trouvez à présent. Décapé de force, amené sans l’avoir prévu jusqu’à cet instant, vous voilà convié au dernier concours. Et vous ne vous sentez pas moins frais, moins curieux de la nature de l’épreuve qu’à ces moments lointains où vous entriez dans la salle du « grand oral » de l’Ecole Nationale d’Administration, ou dans le bureau du Président de la République, seul dans votre costume et votre corps, mais l’esprit fraternel de tout ce qu’il peut y avoir de vrai, de fraternel dans le fait d’exister humainement.

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