dimanche 15 juillet 2012

départ - l'impossible est notre vie . récit . 8 (à suivre)












                        

DEPART





                  Tout vous coûte, rien ne vous dit. Il n'y a donc plus personne, pas même vous. L'effort, changer de pensée, quitter cette pensée, toujours la même, quelques facettes sans doute mais répétées l'une par l'autre, renvoyant la même pensée. Plus rien ne vous dit, plus rien ne vous met en appétit, plus rien ne vous provoque. De provocation qu'à la vie, à davantage de goût et de curiosité de vivre. Vous n'êtes pas provoqué, vous êtes conduit à la mort, en toute logique. La vie, elle est heureuse tandis qu'on la vit, ou bien elle est supportable parce qu'on l'imagine, la conjecture, la prépare, l'attend meilleure, plus riante, conforme à des promesses qu'elle vous a faites d'origine, et par droit de cité, puisque vous êtes né de race humaine ; on ne doute pas, vous n’aviez pas douté qu’elle fût plus riante, conforme à des promesses que vous vous étiez données au vu de vos ressources, de vos adéquations à l'époque ou à la société, non sans logique, plus riante, enfin et vraiment riante, passionnée, passionnante, douce et forte par des promesses qu'on vous avait faites et auxquelles vous aviez cru, tellement cru qu'il n'y avait besoin ni de paroles, ni de textes, ni de gestes. Quelqu'un, à soi seul, par son existence, son apparition, constituait d'un seul coup, imprévisiblement, la promesse, l'objet autant que le moyen que soit réalisée la promesse. Ces considérations, auxquelles vous vous attachâtes longtemps, c'était votre carrière, ce fut un projet de mariage, et en coïncidence, c’était aussi symbolique que concrète, une construction, une propriété. Le tout à cinquante ans passés. Rien de précoce, rien d’hérité, tout à l’attente. Il n’a fallu que quelques mois pour que de tout cela vous soyez arraché, que se précarisent ou se périment les titres, les lettres, les sourires,les évidences, l’assurance. C'était déjà l'échec, vous étiez déjà abandonné, à l'évidence, aucun retour en grâce ni amoureuse ni professionnelle n'était plus logique, n'était plus prévisible, mais il vous restait le témoignage - quelle douceur, encore ! - que demeure en vous cette foi, cette attente, attente du retour d'amour, attente de la vérité dépouillée d'un amour qui persistait à se dissimuler, mais dans sa dissimulation-même existait encore à vos yeux du moins, sinon pour des prières qui n'avaient plus d'accueil ni d'effet sensibles pour vous. Attente d’une justice mélangeant tout pour tout vous restituer, pour vous rendre ce dont vous n’aviez pas même eu le loisir de contracter l’habitude. Qu’est-ce qu’une possession qui n’a pas duré et qui ne laisse aucun titre ?

L'exclusion professionnelle avait été une relégation, une appréciation sans retour de votre inutilité, vous étiez renvoyé à vous-même, à vous de vous employer par vous-même. Des cyniques, à l'époque au pouvoir, non loin de ceux qui nomment et ne songent plus qu'ils sont soumis eux-mêmes à élection, vous avaient conseillé d'écrire, de rédiger. Guy SORMAN,entre autres, dactylographiant sur papier en-tête de Matignon, et vous montrant par son allusion à la fable de la cigale et de la fourmi, combien vous lui aviez fait de l’ombre en quelques articles autrefois. Des mémoires, des rapports, mais pour qui ? Vous n'étiez déjà plus à chercher un lecteur, vous saviez n'avoir plus d'interlocuteur, aucun thème n'avait de vertu propre, vous étiez déjà reclus, sur le tas du fumier de Job à entendre ceux qui ne peuvent concevoir une chute, une solitude, un exil sans une culpabilité certaine, quoique cachée, de celui qui les subit. Vous n’aviez pas encore commencé cette redite, cette ré-écriture, ces compilations écoeurantes et à vomir, que sont d’années en années, presque chaque mois, la présentation pour un avocat, pour un tribunal d’un aspect de votre misère comme si aucune instance n’était capable de prendre tout en considération, de délibérer en jury, et de rendre un jugement dernier mais favorable, équitable, humain et attentionné. Chaque recours, toute assignation sont des placets : la mise en œuvre d’un texte n’est qu’une supplication, il y a beau temps que ce n’est plus qu’une espérance, alors entendre ceux qui vantent la sécurité de l’emploi dans la fonction publique, la sécurité que procure à ses ressortissants un Etat de droit vous fait crier intérieurement autant que ces homélies et lectures ajoutées à celles de laliturgie quand il y a mariage d’un homme et d’une femme, jeunes, parfois beaux, le plus souvent vos aînés puisque vous n’êtes jamais passé par là.

L'abandon par l'aimée est une autre forme d'exclusion, vous vous en étiez soudain aperçu, et elle est probablement pire parce que l'aimée, tant qu'on l'aime, n'est pas interchangeable, que son silence et son désamour sont sans remèdes, que la persistance en vous du désir, de la nostalgie et du projet ne sont qu'un aiguillon retourné vers vous seul car la belle est ailleurs, ailleurs de lieu peut-être, ailleurs surtout de pensée, d'occupation et sans doute d'amant en succession, et de fait en totale remplacement. Les gens qui nomment et qui dégomment sont tôt ou tard remplacés, la question étant de savoir quand, puisque la réponse induit votre propre état de fraicheur ou de décrépitude si revient l'heure de quelque bienviellance. Vous avez le mauvais âge, l'âge qui démode, l'âge qui enlaidit. Toutes ces considérations, vous pourriez les réciter, ajouter des faits - pas à propos d'amour car qui vous écoute vous aime et il n'est pire injure que de parler d'un autre amour à qui vous aime d'attention, de sollicitude, de tristesse, d'amour, de communion de partage, d'amour donc ! - mais cette récitation, vous ne la vivez plus même, c'est une identité, une histoire - pourtant récente et non sans influence sur ce que vous vivez à présent - et cette identité, cette histoire vous ont quitté. Vous n'êtes plus qu'un sentiment, plus même un corps, plus même un tube digestif ou une machine à écrire, le sentiment que vous voulez partir. Excès de souffrance ? pas même. C'est pire, vous êtes vide. Il est dérisoire de continuer d'aspirer l'air de ce temps, l'air contemporain de votre existence chronologique et située. Sentiment ? sensation ? vous ne sauriez même l'expliciter.

                  C'est en cela que tout vous coûte. Vous avez été prodigue, parce que vous désiriez tout, vous désiriez tout, les cuisses de la passante qui vous avait, même visage fermé, mis un sourire au coeur, le tableau qui vous avait happé, avait happé votre regard, vous avait fait vous asseoir pour le dévisager, l'étudier, car il y a un visage dans toute peinture, le vôtre, qui s'idéalise, s'exalte, se transporte et comprend l'unievrs, les plus intimes et grandioses machineries de la vie, de son sens, de ses fins, de son déploiement, de sa pulsation : tout, en cet instant où la toile vous paraît. Vous désiriez tout, et tout vous était parabole. Celle de votre compte bancaire aussi, à sec, à découvert. Le coût d'aujourd'hui est d'un autre ordre, si intime, si ultime. Vous étiez prodigue, prodigue de vous-même, l'homme à tout le monde, avait diagnostiqué une de vos compagnes. Soit ! mais, en ce temps-là, également l’homme à elle, et peut-être même un peu plus qu’aux autres. Rétrospectivement, elle ne le reconnaîtrait pas même, se privant plus qu’elle ne vous a privé. Vous vous prodiguiez à vous-même, en ce sens que le temps ne comptait, n'était pas compté, parce qu'il ne vous était pas compté, la trentaine, la quarantaine, bon ! L'énergie chaque jour, aux aurores ou à la nuit, écrire, vous émerveiller, vous donner à l'existence, au spectacle de celle des autres, vous investir dans toute beauté, les monuments de la Grèce antique, dans leurs paysages et leurs restes de maintenant, le mouvement de l'Histoire quand tomba, mité plus que déchiré, le rideau dit de fer. Tout vous subjuguait, vous happiez l'expérience qu'un homme peut avoir de Dieu, et vous êtes et avez été cet homme, vous goûtiez comme une faveur inouïe le déshabillement d'une femme, d'une jeune fille en peu d'heures après qu'ait commencé la ronde des mots ou le repas ad hoc, des livres vous inspiraient d'en écrire vous-même, vous dialoguiez avec des auteurs de plusieurs siècles, vous appliquiez des formules bien tournées à des caractères actuels, sans doute n'étiez-vous en rien réalisé au terme que vous vous étiez intuitivement donné, cet homme idéal relativement à ce que vous pouviez et deviez être, pas absolument idéal, bien sûr, et d'ailleurs cet absolu que parfois la statuaire ou la sainteté évoquent erga omnes et soudian présentent si proche, si accessible : qui n’en est intéressé, qui ne s'en sent interpellé, invité, motivé davantage à se construire soi-même. Justement, vous construsiez-vous ? Sans doute pas au sens où l'on confectionne une carrière avec habileté, patience, la dose nécessaire d'obscurité, de platitude, avec des entrées et des sorties suivant des reéseaux ou des places, sans doute non plus au sens où l'on repère une fortune, une famille, un patrimoine, un type de beauté et de caractère et parfois on épouse le tout, et peut-être même avec une fidélité réciproque en sus - de bon ton lors des souhaits de mariage, étonnants après coup à entrevoir les désaccords ou de lamentables départs de l'un ou de l'autre pour des conjoints bien loin de valoir, à aucun égard, celui d'origine. D'adolescence. Vous ne construisiez rien, et cela augmentait votre appétit.

                  Rétrospectivement, vous ne vous enviez pas. Quelle était absurde cette course au bonheur, en fait vers le vide, maintenant que vous voyez le vide. Cela rend les yeux fixes, cela creuse les joues, cela se voit de l'extérieur, que vous, vous voyez le vide. Au début, l'arrêt-maladie avait été une ingéniosité ; fictivement - il reconstituait votre traitement de haut fonctionnaire à un assez bon niveau que vous fassiez ainsi face, sans débit, à des engagements contractés selon vos périodes fastes. Vous vous êtes toujours défendu qu'on les considère fastueuses. La générosité d'autrui, vous la sentez selon l'appétit à table, le coup de fourchette, la levée de coude autant que dans le degré d'ouverture du portefeuille, la vérité de la compassion, la disponibilité de l'agenda, le mot adéquat que vous attendiez, que le malheureux attend. Il est faux de prétendre que le mot juste est affaire de talent, d'habitude, de métier ou d'intelligence quand il s'agit du mot qui fera du bien (ou à l'inverse qui tuera, blessera, accentuera la détresse). Cette justesse-là, c'est le don de présence à autrui, pour le meilleur ou pour le pire. La lucidité ne tient ni à l'âge ni à la culture, elle produit la cruauté, l'amour. On sent parfois, à la pointe si souveraine de la prière, quand on prie, que là est la suprême lucidité que d'être venu à Dieu, comme on était, à l'instant où il nous fut inspiré d'y aller, d'y venir. Vous n'avez jamais été fastueux, vous n'avez été qu'heureux d'instant en instant - et seulement à votre échelle, et à celle de vos facultés de sentir et de jouir, limitées et contingentes, éducables et épuisables, comme celles de tout être humain, celle de tout autre que vous. Quand les instants n'ont plus de sens, que la mémoire est rayée par le présent, que l'avenir n'a aucun goût puisqu'il perpétuera l'inappétence actuelle, à preuve le peu d'attrait qu'il exerce sur vous, alors le vide est là. Cela ne se décrit pas le vide, on est devant, on en fait partie. Est-on dedans ? Pas encore, puisqu'on en ressort.

                  Le professeur de médecine interne - vous lui reconnaissez de l'affection pour vous, elle vous intrigue cette amitié, cette compassion, il est seul à vous dire et à vous répéter que vous en sortirez, que vous vous battez bien, que vous avez même une utilité. Il a de la tactique, il n'est pourtant pas professionnel de l'entretien psychologique, de la psychiâtrie, ou du divan encore moins. De ces récits, de ces associations, dont la littérature depuis quelques cinquante ans foisonne. Il n'est pas familier d'une explication globale du stade où vous vous trouvez, ni du point où - si l'on appuie - cela fait mal, et puis cela ne fait, ne fera plus jamais mal. A la sortie de stations de métro dans le Xème arrondissement parisien et dans le XVIIIème, au bas de la voie aérienne, des Noirs en bou-bou et calotte distribuent des billets presque transparents, la carte pour consulter un de leurs sages. Retour d'amour, profession. Voilà qui est sérieux, voilà qui concerne intimement, non le passant, mais l'homme, la femme. Le soir de la fête de celle que vous aimiez - dans le rite catholique de l'Europe occidentale - le desservant, âgé, épuisé par la chaleur, racontant chaque année l'invention de la "vraie" croix dans un fossé de Jérusalem (comme s'il n'y avait eu en quatre siècles d'occupation romaine qu'une seule crucifixion au Golgotha, selon les textes, il y en eut au moins trois simultanément), a lu cette fois-ci quelques pages du cahier mis à la disposition des passants, car la chapelle Sainte Hélène reste ouverte dans la journée en contre-bas de champs de maïs avec non loin une fontaine semi-enterrée et couverte. Les phrases étaient simples : la paix trouvée et identifiée sur cette petite route, la prière pour être orientée vers le compagnon d'éternité qui doit bien s'y préparer quelque part, la mer intérieure trop orageuse, insupportablement houleuse et lourde à obscurcir le ciel qu'on ne peut plus discerner, que cela se calme, oui, que cela se calme, s'il Vous plaît, et en grâce. Voilà qui est sérieux. C'est là le problème. Ceux que vous abordez et qui viennent d'entrer, désoeuvrés, un homme et une femme quelconques, mais vivants, chez le papetier scolaire où vous renouvelez le stock pour votre imprimante, vous plaisantez, vous interrogez : en vacances, en congé, non ! au travail ! pas vraiment. Chercher du travail, est-on sincère dans cette « démarche » telle qu'on la dit. Travailler pour s'épanouir, avoir sa place dans la société, une place à considérer, valant considération ? Ou bien de l'argent, de la monnaie d'échange, du matériel ? On ne le dit pas assez, ne croyez-vous ? On rit, vous riez, l'épanouissement, qui y croit aujourd'hui, dans le travail ? Et s'il n'y a plus de travail. Vous tirez sur la carte bancaire, c'est payé, c'est abstrait, mais vous emportez les cartons de papier, les autres baguenaudent. Ont-ils trouvé sérieux que vous les questionnez ainsi ? A la poste, depuis quelques fois, un autre bureau que celui de votre village, un visage ovale, du bleu aux yeux et à la robe, une chair sans boursouflure aux épaules nues, sans rides ni traits au visage. La croix copte vous avait prendre la parole. Vous en fûtes hier à lui demander si du visage ou des mains, elle tient davantage compte, vous sous-entendez une évaluation amoureuse, elle vit chez ses parents, selon toutes ses réponses ou comparaisons, quelques phrases en faisant le guichet tandis que les timbrages sont automatiquement confectionnés ; elle est plutôt belle, elle respire surtout une santé intérieure, et elle répond ainsi, que le visage, oui, les mains non et quand elle les remarquera, elle n'y fera plus attention, ou elle les acceptera. Elle est heureuse comme elle, là où elle est. Vous admirez. En d'autres temps et situations de votre propre existence, vous auriez été dépité et attiré. Une drague de prix, et pas facile, car qui n'a besoin de rien ne s'éveillera pas facilemenbt à ce qui cause forcément plus de troubles à terme que de plaisir prochainement. La drague ne vous intéresse plus, non que vous n'en connaissiez les statistiques de réussite, moins atones qu'on ne croit sans pratique, moins ouvertes tout de même que les vanteries de repas pour gens déjà d'un certain âge (c'est-à-dire qui ne s'y adonnent plus, qu’en vague pensée, parce que l'allure leur en a été retirée, physiquement...). Oui, le désir s'en est allé. Même de votre tête, même de votre mémoire. Vous ne savez, vous ne sentez plus ce que c'est, ce que ce pouvait être, ce que ce serait. L'élan, la composition intime, l'implication. Ce n'est pas affaire d'imagination ni d'anticipation, c'est affaire d'appétit et de goût. Si longtemps ! vous avez cru et vêcu que le goût vous est donné et apporté par autrui. Sans doute, puisque si vous n'avez plus de goût à rien ni pour personne, c'est bien parce que quelqu'un s'en est allé. Mais il y avait en vous une sorte de réponse, de correspondance innée qui s'éveillait à un appel que l'autre - peut-être - ne procurait objectivement pas, mais qui tout de même provenait de lui. L'autre au féminin, mais elle a pour datif lui... Maintenant, si - quelque part en esprit et non au centre ébouriffé ou terne de votre corps d'homme : la femme encore plus a ce centre - vous vous tâtez, vous vous interrogez et simulez l'occasion du bonheur, d'un retour, d'une dispobilité, vous sentez et savez alors que vous ne désirez plus même celle que vous avez désirée. C'est fini, il ne vous reste que - secs - les os. Les os de tout, c'est-à-dire rien.

                  Comment vous y prendre avec vous-même ? La liberté d'autrui, les aléas qui vous ont débarqué là où vous êtes, et votre lieu, où que vous soyiez, voyagiez, avec qui que vous soyez, votre lieu, c'est votre état, c’est votre situation. Vous avez ressassé vos culpabilités, les erreurs, les distractions, les manques de précautions, le peu de délibération - même avec Celui que vous priez et rejoignez si souvent, mais, l'expérience resttiuée par les textes est tout à fait juste, donc vêcue, on ne sait la présence divine qu'après coup. D'ailleurs, l'amour, la sollicitude, la jalousie, la patience de Dieu tels qu'en cent histoires, ils sont décrits, montrés, prouvés, illustrés - histoires vraies mais très interprêtées, chargées de leur sens intime et transposable à vous-même, à nous-mêmes, un des rares cas où vous pouvez dire et pensez à la première personne du pluriel.... ne vaudrait-il pas mieux d'ailleurs écrire : au pluriel de la première personne ? - oui, l'amour divin n'est-il pas le moule que ne remplit jamais complètement l'amour des hommes entre eux, entre hommes et femmes surtout, entre rôles masculin et féminin surtout, entre étrangers de sexe, d'âge, de civilisation pour aller au paroxysme, quoique la plus grande étrangeré soit la différence de sexe entre humains. Ainsi, ne sait-on également le prix de l'autre, le prix de l'aimé qu'après coup. Et le coup, c'est le départ. La mort ne sépare pas ceux qui communiaient depuis longtemps ou aux derniers instants avant qu'elle survienne, tandis que la vie - affeusement - éloigne à chaque unité de temps, à chaque événement nouveau ceux qui ne sont plus ensemble. Partager, infimement, une planète limitée en contemporanéïté et en espace-plan, n'unit pas. Ce qui unit, c'est d'être l'un à l'autre, même si rien n'en est exprimé. On est uni tacitement, on est séparé explicitement. Vos méditations ne vous guérissent de rien, repasser les événements vide ceux-ci du peu de suc dont vous pensiez qu’ils demeuraient chargés dans quelque impasse de votre nostlagie. Non, il n'y eut rien et cela augmente, s'il était physiquement et mathématiquement possible, le fait qu'il n'y a rien.

                  Le praticien passe une première fois sa porte, la double porte capitonnée, d'un chef de service. Il s'excuse, vous fera encore un peu attendre. Sur la banquette, vous dormiez assis, d'épuisement. On dit ou l'on croit, quand on est à l'état libre réputé normal, cet état de vie où l'on a de l'appétit, où l'on s'éveille à une chanson, une musique, de la beauté, à la perspective d'un avancement, d'une gloire ou d'un bon gateau..., que la fatigue éteint l'esprit, la fatigue du corps. Peut-être... mais celle de l'esprit enferme aussitôt le corps dans une léthargie qui le fait ressembler à ces sauterelles que l'araignée prestement emmaillotte, une fois que les pieds pourtant griffus, ou parce que griffus, se sont pris dans la toile, une toile si ajouré qu'il y a plus de vide que de fil, mais le fil l'emporte... Il vous reçoit, vous restez assis, quoiqu'ayant changé de siège, c'est un fauteuil assez raide. En le quittant, vous ne serez pas modifié, vous admirerez cependant son art, c'est celui de l'amateur supérieurement doué, sans doute parce qu'il aime ses congénères. Ne parlons pas de vous, quoiqu'il vous parle, quoiqu’il vous dise que vous êtes beau, encore jeune, que vous séduisez, que vous êtes séduisant. En d'autres circonstances, les tiers se poseraient les questions d'usage... Lui et vous, savez de quoi il parle. Il a commencé par constater votre état. Un état-record, jamais vous n'avez été si mélancolique, au sens clinique, jamais aussi prostré, cela se constate, se voit à l'oeil nu. D'où l'importance de la première scène, vous avoir vu sans insistance apparente et sans que vous ayez à composer ou à répondre, à habiller de paroles, de traits ou d'effacements le portrait que vous donnez de vous-même. Les mensurations, les plis, les rides, la couleur des cheveux, objectivement, cela se modifie-t-il ? La présentation, qu'est-ce que c'est ? La présence, qu'est-ce que c'est ? sans aller encore au charme, à la séduction, ou à l'autorité. La clarté, le pétillement, la joie aux pupilles, un visage qui a sa couleur, ses mouvements, sa vivacité, une sorte de légèreté semble rayonner de vous : c'est le bonheur du corps, de l'âme, le bonheur de l'amour, l'émotion de la gloire, la fausse timidité quand on sait que le grand instant est là. Vous êtes nommé, vous arrivez, on vous aime, vous êtes aimé, vous êtes promu, vous êtes choisi de toutes parts, vous triomphez, un assemblage de tous les moments de votre existence, vous le constituez d'un trait, et ce trait vous enlève hors du commun. Vous vivez. Le paroxysme, passager ou durable. Qui peut se voir dans l'étreinte amoureuse, à l'aboutissement pleuré ou chanté de celle-ci, aurait sans doute ce rayonnement bleu et sombre qui est le plus parfait rayonnement, brun et sombre, selon la couleur de vos yeux, de ceux de votre partenaire. Le grand partenariat, s'emmener si loin et si intimement, là où tout est nu, tout est désert, tout est âpre, tout est à tenter sauf jamais de se retenir, et l'on n'y arrive ou pas. Mais si l'on y arrive, vous savez qu'on y arrive et vous savez que l'on n'y arrive pas -quand vous n'y arrivez pas, vous n'avez plus mémoire qu'on y arrive, que vous ayez pu y arriver, et surtout vous désespérez, dès cet instant que vous pourrez jamais y ré-arriver.... et quand vous y arrivez, et cela vous le sentez et le savez presque dès l'entrée en matière, beau et juste terme, dès l'entrée en érection, dès l'entrée en sexe d'autrui et qu'a commencé le mutuel accompagnement, quand vous y arrivez, vous ne pouvez plus concevoir de n'avoir pu ou de ne pouvoir y arriver, d'ailleurs si vous le conceviez, à cet instant précisément vous n'y arriveriez plus - si l'on y arrive, on vit, vous vivez, vous avez vêcu que c'est là l'état humain idéal, et pourtant si incarné, ou parce que si incarné. Le médecin ne vous le dit pas, mais - en vous - il l'a toujours perçu. Vous avez l'expérience de ces deux faces de l'état idéal et achevé promis à l'être humain, l'expérience de ces brefs accès que sont l'aboutissement sexuel et le commencement de la prière. Ne s'accomplir, ne se pressentir dans une perfection universelle, qui n'est pas anonyme, que par rapport et grâce à un autre. Un autre immédiatement, immédiat. Votre amour d'une femme que vous appelâtes votre "promise", votre comportement de toute votre existence n'ont-ils pas ce vice ? Le projet préféré à l'immédiat disponible, proposé, objectivement adéquat et aimant. Vous vous émerveillez quand le concret vous touche, parce que vous vivez dans l'abstrait, et votre désespérance a même cette texture-là.

                  Il vous palpe donc mentalement, une fois admis que vous êtes au plus creux, au plus mal. Il vous retourne, vous soupèse, éprouve vos réflexes. Mauvais état : soit ! mais irrémédiable ? L'épreuve est celle de l'appétit. Il touche juste, vous n'en avez plus aucun, vous ne savez plus ce que c'est, et d'ailleurs vous n'avez pas envie d'avoir de l'appétit, rien que pour la performance. Un retour en grâce professionnelle, il agite le hochet, les escaliers et les tapis officiels, les honneurs et les marques que vous intéressez ? non ! Vous avez connu tout cela, sans doute pas à un pied très haut levé, mais assez pour savoir et avoir vêcu que c'est révocable, que c'est fonctionnel, attaché à du révocable, révocable à tous les degrés. Non, la gloire fragilise, on se méprend sur soi, on perd du temps et de la conscience, c'est d'ailleurs ainsi qu'on commet les fautes qui feront la révocabilité. Non, la gloire si vous la retrouviez serait un vrai souci, parce que vous ne sauriez pas plus la gérer que quand elle vous échut, longuement attendue mais guère connue pour savoir s'en servir et non la servir. Pas d'escaliers, ni de déjeuners, je vous en prie, je sais ce que c'est. De l'estime, alors ? Vous avez eu un parcours atypique. Justement, faites-vous. Vous avez un rôle à jouer, vous l'avez joué, vous avez un nom, une carte, vous êtes particulier, ce que vous disiez, on ne le disait pas, ce que vous diriez, on ne le dira pas. Bref, le professeur, qui apprécie et lit l'histoire en volumes, qui conçoit de publier quelques portraits de maîtres et confrères dans sa discipline si la retraite lui en donne le loisir, qui accueille à son étage ou en consultation, la nomenclature française presqu'entière depuis bien vingt ans et en chef, vous connaît mieux qu'assis devant lui, ou en position gynécologique pour vérification d'une prostate dont votre médecin traitant, celui qui avait murmuré sans que vous compreniez mais rétrospectivement vous vous en effrayâtes quand l'heure des armes sonna, que c'était un peu petit... avait beaucoup plus tard, c'est-à-dire beaucoup plus récemment, jugé que vous aviez de beaux, longs et nombreux jours et années (encore) devant vous, c’est-à-dire selon cette glande décrite en forme de coeur. Il vous dit donc - renseignements peut-être pris, échos recueillis - que vous avez un avenir propre et intéressant. Vous n'en disconvenez pas, quoique vous n'ayez jamais su cultiver ce lopin qui n'est qu'à vous et où pourraient, de fait, se développer quelques espèces utiles et rares. En tout cas : pas cultivées ailleurs. Cela ne vous fait rien. Il vous interroge sur l'amour dont vous désespérez : vous vouliez faire une fin. Réponse de votre part, désolante ? Pas du tout. Votre inertie vous étale sur le fauteuil. Rien du moment suivant n'est plus imaginé, pas le moindre projet, voilà l'état clinique du désespéré. Vous n'êtes pas bien : certes, mais vous faites encore des projets. D'où tire-t-il cela ? Vous vous êtes donné intimement des dates, des hypothèses de dates après lesquelles, il n'y aurait plus à espérer ceci, à attendre cela. D'ailleurs, vous récupéreriez tous vos bien, comme Job à la fin de son livre ou de ses jours, que cela ne vous rendrait pas le nerf ni le goût. Vous devinez aussi que non seulement votre amour, tel que vous le crûtes proposé et incarné, ne vous reviendra pas, mais que s'il vous revenait, vous seriez incapable de l'accueillir, ou bien vous verriez qu'il vous est néfaste, qu'il est incomplet, que vous ne coincidez pas l'un l'autre et pour cause, vous souffrez et pas elle. Décalage de l'existence et de la culture. Vous ne vivez pas dans la même atmosphère, eussiez-vous le même âge, les mêmes références de civilisation et d'éducation. L'atmosphère, il n'y en a qu'une, le coeur. Réflexes et équilibres s'y caractérisent, en découlent. Avec cette femme qui s’était promise et qui s’est reprise,par elle, c'est tout à la fois l'échec, alors que d'autres réussissent en amour et en profession, peut-être par inconscience ou réelle simplicité de leur matériau intime, qui sont bien moins doués et chaleureux que vous, tout à la fois l'échec et aussi la sanction, qui n'est pas donnée à d'autres mais qui vous est pleinement appliquée, de lacunes, de défauts, de dépenses à tous égards que vous reconnaissez et que vous répétez, vous détaillez à vous-même en sorte que, le plat repasserait, vous feriez à l'avenir autant de bêtises. Non ! vous n'êtes pas fait pour vivre. Heureux avez-vous été de ne vous en apercevoir que maintenant, votre passage vous a plu, mais c'est terminé. Le suicide ne cause pas la mort, il l'entérine.

                  A une séance précédente - ce sont tout de même des séances, une par mois, pour renouveler les papiers d'arrêt-maladie, cela se passe dans le bureau, fenêtres fermées à n’importe quel moment de la journée, mais votre moment est plutôt du soir, on le commence par le monologue confiant et désabusé, parfois scandalisé et au bord de la colère que le praticien vous récite, souvent à l'identique puisque les choses se modifient ou se rangentencore plus lentement que les gens quand on les gère à l'impossible et à l'abstrait, ce qui change en fait c'est l'accumulation, leur accumulation, pour vous l'accumulation du néant, pour lui les conditions d'exercice du métier hospitalier, et cela continue par des évocations familiales que vous provoquez, l'auscultation, l'examen proprement dites, vous y procédez, vous y faites procéder rarement, vous prenez soufent du poids, vous avez la sensation que vos mains, au réveil, très souvent, sont gonflées, vous avez une perte d'audition et du mal aux oreilles, acousie : reprend votre ami en blouse blanche, le visage parfois très rouge, les yeux perçants, petits et enfoncés, qui tels qu'ils sont devraient être inquisiteurs et méchants, et qui sont tendres et fraternels, singulière impression, et le récit continue qui est celui d'une existence immense par les soucis, le défilé des malades, les morts survenant et pourtant raréfiée tant épouse et enfants se sont lassés d’un tel rythme, quittentune telle absence et que se démembre une structure familiale, alors vient votre propre histoire, depuis que vous consultez, c'est une histoire arrêtée, comme si le pendu pouvait espérer qu'en retenant encore un peu son souffle, il aurait la liberté et la vie... - c'est une expérience vêcue en début de pratique médicale, celle du suicide, de l'obsession du suicide. Il vous la rapporte, non en médecin, mais en homme qui sut les symptomes, ne pouvait rien guérir, aurait peut-être pu prévoir, et empêcher. Mais là est le noeud de ces histoires-là, que vous sentez devenir la vôtre. Il vous raconte l’histoire d’un autre, ancienne, des histoires d’autres, anciennes aussi, mais en termes contemporains. Vous écoutez, vous êtes dans ces histoire, de cette histoire. Un patient dont on ne put empêcher qu’il se jette d’une fenêtre, il la cherchait partout, toujours il y a en une. On n'empêche rien parce qu'on ne peut rien empêcher. L'obsession ne relâche plus son étreinte, la comédie est jouée, l'idée incessante et détaillée vagabonde : réunir les moyens de l'exécution. Il était très déprimé, c'était mon oncle, je le vis cet après-midi-là, c'était patent, les yeux, le regard, le teint, les mains. Un cas de figure, la question de cours. Il vivait seul, chez lui, quoique pas très loin de chez mes parents. J'en parlais à mon père. Et mon oncle se suicida. Un malade, dans un service, mais pas ici, on le sait à ce point-là. On prévoit tout, on surveille les médications, on va et l'on vient, on verrouille, on enlève : les issues, les objets. Il est parvenu au bout de trois jours à sauter par le vasistas des toilettes. Rien n'aurait pu l'en empêcher. D'une certaine manière, il n'y avait plus que cela qui le faisait vivre : y parvenir. Celle que vous avez mentionnée, comme votre "promise", lui en aviez-vous fait l'évocation ? pas vraiment. Elle vous dit cependant, c'était au téléphone, comme se vêcût cette vie que vous avez cru amoureuse, préparatoire de l'amour, laboratoire ? Non, tu n'as pas le caractère à te suicider, tu as trop de ressources, de manières en toi de t'équilibrer. Vous l'avez entendue vous dire cela, comme une des marques multiples de son désamour, d'un dédain pour ce que vous vivez. Entendu, pas encore compris. L’incrédulité, plus négationniste que le refus. Le pacte de vous suicider en priant votre compagne de vous suivre ou vous précéder, en vivant à deux ce moment décisif, est pratique et raisonnable : l'aide mutuelle et concrète est nécessaire, vous ne connaissez pas le mode d'emploi. Vous questionnez à la fin d'un repas, tête-à-tête, une de vos nièces qui a "fait" deux tentatives ; elle est légère, est-ce donc si loin, elle ne vous confie plus ses amours peut-être parce qu'elle est hygiéniquement satisfaite, elle serait en peine de vous décrire une quelconque ambition, des mots banaux, les vrais qui brodent l'amour et le bonheur, elle ne les prononce pas, elle n'a pas trente ans non plus. Il lui avait fallu la complicité des médecins, la clé de quelques armoires, mais elle se réveilla, elle a toujours été susceptible, est-elle moins seule ? Le suicide n'est qu'une phase si on n'en a plus besoin pour survivre. Vous, vous avez ainsi trouvé le dernier degré de la liberté, ce qui vous rendrait sympathique la vie, bonne joueuse enfin, c'est de pouvoir en sortir. Le menu toujours pas servi, la carte non plus ! vous pliez la serviette, l'addition : c'est votre déception qui l'a réglée, ne détaillons pas si vous vous êtes déçu vous-même, si ce sont les autres, ou les circonstances, ce n'est ni réparable, ni négociable, vous partez : c'est logique. Tout bonnement. Vous n'en voulez plus. Vous dites que vous n'en voulez plus, et non pas que vous n'en pouvez plus. Vous pourriez encore. L'endurance n'est jamais ce qui manque, c'est le sens. Synonime imprévu - nouveau dans votre vocabulaire - de l'appétit. Comment faire ? puisque vous y êtes déjà. Qu'en tout cas, la main sur la poignée de porte, c'est ainsi que vous pouvez être encore debout...

Votre compagne, celle qui vous accompagne depuis la débâcle, désespérée de naissance, elle vous questionne au plus vrai et mystérieux : comment a-t-elle pu, oui : pu, survivre, si de naissance elle n'espère rien, si la vie lui pèse tellement qu'elle répugne à se raconter car ce serait vivre une seconde fois ce qu'il lui a tant pesé de déjà vivre. Vous aime-t-elle ? Votre relation est au-delà des étiages connus et conventionnels, elle est forte, elle est faite d'un enchainement mutuel, elle vous donne les cîmes de l'apaisement, d'une recherche du plaisir et d'un don de la tendresse à l'autre - son autre qui est vous -  quand vous n'êtes qu'à vous étreindre ensemble. Elle, elle souffre à deux degrés : par compassion de ce que vous endurez et parce qu’elle est astreinte à la confidente de votre désespoir, d'un malheur qui ne vient pas de vos déboires mais de l'abandon par une autre, une femme qu'elle méprise - objectivement. Comment, vous qui n'existiez pas, il y a si peu d'années encore, lui êtes-vous devenu si nécessaire qu'elle ne veuille vous survivre. Elle a douté de votre parole, de votre respect de ce pacte, vous l'avez assuré du contraire, de votre fidélité en cela, et du balbutiement qui est maintenant le vôtre car une relation si altruiste, si manifestée tant de fois par jours et nuits, alors que vous ne vivez pas ensemble, que vous êtes mordu d'une autre, mais que vous la désirez cependant, peut-être est-ce - dans l'absolu du moment présent - votre seul désir résiduel, quelle est donc cette relation ? Y aurait-il une relation supérieure à l'amour. L'amour se périmerait-il banalement par l'infidélité et l'abandon, et suprêmement par l'impossible ? L'impossible à identifier, l'impossisble à vivre ? Le Christ, pour qu'il ait humainement donné sa vie, fallait-il qu'il eût conscience à en mourir de n'aimer pas assez, de n'aimer que trop imparfaitement, s'Il ne mourait pas, une mort pour se prouver à Soi qu'on aime ? Se suicider avec une femme, en compagnie d'une femme, grâce à une femme, pour l'amour d'une autre : impossible ! Quoique, à l'instant-là de cette fin-là, choisie telle, qui aimerez-vous le plus, qui aimerez-vous enfin ? Oui, partir, puisque rien n'est possible que partir.

                  Le médecin, votre médecin renouvelle l'ordonnance, le traitement - parce qu'il a été prescrit, que des tombes de pharmacien seront collés à l'ordonnance, aux papiers, aux imprimés, adressés à la Mutuelle, au centre de Sécurité sociale, traités et remboursés - fera foi, en cas d'expertise. Les expertises, vous en avez subi. Par chance, vous étiez si mal, si objectivement en mauvaise apparence et en mauvaise posture, qu'elles ont été chaque fois conclusive : inapte. C'est hallucinant. Ce qui était subterfuge, ce qu'il est risqué de faire figurer à votre dossier administratif, est entièrement fondé : vous n'êtes pas bon, plus bon pour le service dont vous avez été expulsé. Vous faites savoir, et c'est tout aussi objectif, qu'à environnement constant, vous persistez, mais qu'en cas de changement, c'est-à-dire à nouveau considéré, vous vous porteriez mieux ; c'est cela, vous seriez capable de vous porter tel que vous êtes si la société en fait autant et vous accepte, vous porte, vous comporte de même. Donc apte, éventuellement, conditionnellement au service. Deux Ambassadeurs dignitaires s'étant suicidés dans la décennie, vous vous entendîtes conseiller par un ancien ministre, ne se consolant pas de n'avoir été que trop tardivement nommé et seulement délégué ..., même redevenu avocat (grandes causes, renom, belle adresse et donc les honoraires et la maîtresse épousée qui vont avec) d'avoir à faire de même : c'est couru et courant. La déprime pour n'avoir pas été à la hauteur, c'avait été l'aventure de l'un, notre représentant près le Saint-Siège, poste qu'il n'avait pas sollicité, et qu’on mit à la prison après qu'il ait tué en détail tous les siens ; et ce fut le choix de l'autre, intelligence suprême mais solitude tout autant, rien qu'un caniche, noir et amusant, quand à quatre heures du matin, il retenait le dernier des hôtes à lui rester dans les salons de l’Etat, ceux pas très remarquables de sa résidence officielle à Tokyo, où il vous entretînt longuement. Vous aviez eu par Michel JOBERT le récit d'AMANRICH et vous fûtes à plusieurs reprises sur le chemin de Louis de GUIRINGAUD, ou l'inverse, mais quand on souffre, tout est analogue. Vous pensez à eux, à l'instant où ils ont choisi la liberté. L'instant qui n'est que le leur. Aux suicidés de toutes les époques, de toutes les circonstances. BOULANGER sur la tombe de sa maîtresse à Bruxelles est-il ridicule, qui eût pu présider la République le soir des élections de 1887, s'il avait marché avant minuit sur l'Elysée, et Pierre BROSSOLETTE si grand qu'il sauta du sixième étage, avenue Foch ? Vous et le professeur affectionnez l'histoire. Il a hésité à prescrire les médicaments que vous ne prenez pas, et dont vous délibérez, chaque fois négativement avec lui, s'il vous faut ou non les prendre : ces anti-dépresseurs. Vous lui demandiez, vous alliez vous quitter, porte capitonnée, seuil de l'ascenseur, hall de la nuit, silence du boulevard, vous lui demandiez, si avalés en quantité réservée, accumulée depuis plusieurs mois, vous pourriez... Il a hésité à continuer d'écrire, et ne répondant pas, il vous donnait à penser qu'il vous faudrait y aller autrement. Un de vos amis, rares amis, que vous ne supportiez plus de revoir parce qu'il avait défroqué et se maria mal, après - tandis qu'il était encore dans la Compagnie de Jésus, à tous les sens des termes - avoir tenté deux fois de se suicider : avec de la pharmacie... se remaria, puis, pilote patenté d'avion de tourisme, alla, dans les quinze jours, écraser lui et l'appareil sur une vague colline, par grand beau. Ce fut dans les environs un peu pelés de Montpellier, un mois de Juin, du soleil. Et du ciel. Pas de médicaments, se précipiter. Les Résistants et les Ambassadeurs font çà aussi. Quand on n'est pas militaire, ni chasseur, que voulez-vous ? Qu'on n'est qu'humain, ou qu'il n'y a plus que l'humain, sans qualité... que le trait tiré.

Aucun commentaire: