dimanche 29 juillet 2012

dialogue - l'impossible est notre vie . récit . 22 (à suivre)













DIALOGUE




La voiture déloquetée, vous en ouvrez le coffre arrière, la poche en matière plastique marron contenant le cadeau pour votre sœur, un cadre de métal argenté, une photocopie numérique agrandissant un portrait de famille, ne sont plus là. Volés. Violé. Vous l’êtes. L’an dernier,presque à pareille époque, vous déjeunez avec Michel JOBERT, sa fidèle secrétaire là également, il en a coûtume, l’établissement au bas de l’immeuble où, au quatorzième étage, il a son bureau (ce fut l’appartement de son retour d’Afrique et de son mariage, en 1958, année où presque tout coïncida) a vissé au rebord de la fenêtre sur lequel il doit poser parfois le coude depuis la banquette, une affichette de cuivre, le memento de son vivant. La conversation est difficile, non que la présence de sa fidèle, qui fut proche de vous quand vous faisiez antichambre de votre chef de service, quai Branly, soit en rien gênante. Au contraire. Il est sur ses gardes, ou bien est-ce que vous avez à lui demander ? Quoi ? Qu’il vous aide dans la biographie que vous avez entreprise. Vous le saviez, le pressentiez distant par rapport à son grand prédécesseur, qui est surtout pour lui l’usurpateur du poste qu’avait son patron POMPIDOU. Ils ne furent pas de la même maison. C’est complexe, car l’un n’avait pas de maison, sinon son intimité intellectuelle avec de GAULLE, mais l’autre qui en avait, pouvait se targuer jusqu’à sa propre mort, d’avoir eu une intimité sinon supérieure, du moins une autre intimité d’autant d’importance et de valeur pour le grand homme, celle qui existe entre deux personnes dont l’une rend beaucoup service à l’autre,immensément, dans de petites choses comme de grandes, des affaires d’argent, la fondation Anne de Gaulle, assurément, et le gouvernement de la France quand l’Algérie, l’O.A.S., le changement de régime coalisent des haines qu’il faut traiter comme si elles n’existaient pas de façon à ce que le peuple n’ait pas conscience d’un débat autre politique. Votre interlocuteur, votre ami paraît, vous a toujours paru dense, mais ce jour-là,vous ne parvenez pas à cette communion dans lesilence ou que nourrit une semi-phrase de vérification ou de complément. Il sait que vous le croyez malheureux, il est veuf depuis peu, il ne change pas pour autant son agenda de reclus, il vous donne certainement raison d’avoir entrepris votre travail, il vous souhaite de le réussir et vous dit que de votre succès il aura plaisir, mais – autre registre – il vous dit, plus tranquillement que jamais, avec certitude, que l’âme de votre vénération n’est pas celle que vous croyez et sur laquelle vous vous documentez et écrivez. Jean MAURIAC, vous passant, d’une main anonyme, des copies extraites de divers mémoires concernant le procès de Pierre PUCHEU, ou ceux de ce dernier, vous induit de même. L’un et l’autre vous mettent au défi, mais non dans le doute. La piste que l’ancien ministre ajoute, au moment où vous vous séparez, est celle d’une maîtresse juive, rencontrée en Tunisie et jamais reniée, cultivée assidûment ce que savait la Mossad au moment de la «  guerre des Six jours » et dont la fréquentation dut faire beaucoup dans la distance qu’on perçut presque partout entre les communiqués de l’Elysée et le discours du porte-parole aux Nations-Unies. Quelques-uns des collaborateurs ne nient pas qu’il y ait eu des liaisons, peu nombreuses, deux peut-être en dehors du cercle qu’on dirait intime. Mais votre conviction tient fortement. D’un autre ancien ministre des Affaires Etrangères, à l’époque du cabinet de Maurice COUVE de MURVILLE, vous avez la précision d’un texte envoyé de New-York pour le nihil obstat du Général, et que ledit texte, en soi admirable puisqu’il présentait un total revirement de la poisition française sur l’ensemble des choses du Proche-Orient et à propos d’Israël en particulier comme une évidence acquise de toujours et que personne ne pourrait contester en tant qu’évidence, revint sans la moindre annotation, que peut-être une virgule remplacée par un point virgule, apostille gaullienne s’il en était. Les femmes, sans doute ou peut-être, mais même celle consacrée par la paternité de trois filles, à plus forte raison les autres, elles n’ont pas pesé sur la liberté intérieure d’un homme bien davantage voué à son exercice professionnel, exercice dans son essence et non dans les structures de sa routine, qu’au plaisir ou au jeu d’alcôve ou du succès notoire.Un homme qui ne se laissait pas entamer et qui ne partageait pas. Quant à Pierre PUCHEU, s’il y eut quelque phrase que ce soit de l’éphèmère secrétaire général des services du Comandant en chef civil et militaire, que COUVE de MURVILLE fut pour GIRAUD, après que BERGERET ait laissé la place libre parce qu’il n’admettait pas que les axiomes de Vichy fussent répudiés même en Afrique du Nord occupée par les Anglo-Américains, ce ne peut avoir été que dans le rappel à GIRAUD d’une certaine logique. Piste que vous explorerez à fond pour répondre à l’avocat du diable, et une recherche d’archives réserve toujours des surprises et surtout dans les cartons où on ne l’attendait pas, et la cherchait encore moins. Les mêmes qui mettent « l’affaire Markovitch » au discrédit du successeur de POMPIDOU à Matignon et voient en lui un habile alors qu’il n’était qu’un inexpérimenté de la lecture des choses, pour tout simplement n’avoir pas du mot politique l’acception qu’on en a généralement par la pratique, ont donc le prcès PUCHEU également à charge, voire laplanque en Afrique tandis que les uns vont payer de s’être enracinés à Vichy, et les autres sont blessés, dont Michel JOBERT, e campagne d’Italie. Comment dialoguer, avancer vers la vérité objective ? vous vous êtes l’un devant l’atre,vous vous estimez, assez d’années ont coulé où vous ne vous êtes jamais quittés, d’ailleurs il n’est aucunement question que vous vous quittiez, et vous avez des manières opposées de regarder un même sujet. Sans doute, parce que vous êtes tous les deux, à ce propos, passionnés. Le livre, le succès d’édition, l’écrit précis de la thèse, l’examen des hypothèses vous rendront harmoniques, pas de doute, c’est pourquoi il vous répond ce que ce qui, de vous,lui fera plaisir, c’est cela. Que le livre soit bon. Vous êtes parvenu,malgré sa répugnance, mais du fait de sa gentillesse, à le prendre en photographie – le mot prenfdre explique la répugnance, il ne veut pas être pris, il ne l’a jamais été – avec les restaurateurs, puis avec votre petite chienne noire. Il l’entoure avec savoir-faire, l’image vous fait plaisir, mais votre dialogue a été tel, vous a tant requis qu’à l’instant de le quitter, l’appareil se perd. Laissé sur le banc où vous aviez posé un pied, ne gardant que votre ordinateur portable en bandoulière ? Posé sur le toit de la voiture, ce qui vous arrive souvent, on achève de disposer d’autres objets plus encombrants dans l’habitacle, on fait entrer le chien, on démarre, on fait demi-tour dans une avenue passante et où la vitesse est possible. Vous avez d’abord sipposé une niche de sa part, vous avez cherché, refait des itinéraires, conjecturé. Puis l’image s’est imposée, l’appareil qu’on débarrasse de la bobine juste terminée, et que vous aviez négligé d’aussitôt extraire. Au mpoins, si les photographies vous étaient restées. L’homme est encore si public et reconnaissable que les clichés développés, la remarque aurait été faite à votre emprunteur. Rien, ces images et d’autres, celles prises lors de ce mariage où il vous fut dit que, pour vous, les plats étaient passés depuis longtemps, qu’ils ne repasseraient pas.

Le viol, autrui dans vos affaires, les mains palpant et déballant le cadeau, appréciant le portrait de famille. Une casquette achetée à Boston, en harmonie de couleur grise et de tissu avec votre manteau. Concentré comme lorsque vous allez ne plus prendre garde à votre appareil-photo, justement révisé et rendu à neuf, vous priez sur la tombe de Pierre BEREGOVOY, une veille de Noël,le cimetière de Nevers, il n’y fait lors ni froid ni lumineux,vous êtes avec des éléments matériels que vous n’avez pas connus de lui, la décoration de rochers et de plantes, l’écrit, la question voulue par les siens, par sa femme : parti où ? Que le dialogue était immédiat et facile, sans doute n’était-il nullement d’un ministre avec ses collaborateurs, jamais vous n’avez conseillé ni suggéré, encore moins été prié de donner un avis sur un point de gestion. Il y avait entre vous une commune vue des choses, de la dialectique de la gauche au pouvoir, non un parti mais une façon de regarder le monde et d’avoir été longtemps traité en incapables, en mineurs, vous n’êtes ni de gauche ni de droite au sens reçu de ces termes, mais vous ne suportez ni la laideur (c’est-à-dire en politique la haine et l’esprit de système, d’assimilation, deux formes de la démagogie) ni le déni de justice, et c’est en cela que vous étiez en communion avec le disciple tardif de MENDES FRANCE, de DEPREUX, et avec un homme qui avait prisé Georges BORIS, ainsi qu’Harris PUISAY qu’il s’était attaché après que celui-ci ait un temps travaillé avec Claude CHEYSSON. Alors une manœuvre sur des titres à introduire en Bourse, ou que vous soyez pressenti pour la direction d’une banque, vous n’en inspiriez pas du tout l’idée. Il vous parlait comme il ne parlait pas à d’autres, tout en vous gratifiant de la manière qu’il eût avec davantage que quelques-uns, la manière attentionnée et personnelle de faire attention aux autres, de les aider, de leur donner signe. Il ne se considérait pas d’une autre essence. Vous priez et évoquez, la casquette ôtée et jetée sur l’arbuste jouxtant la tombe. Vous ne vous apercevez l’avoir laissée au cimetière que le lendemain, vous téléphonez en tous sens, vous repassez sur les lieux, vous en écrivez à la veuve. Quelqu’un tranquille, nonobstant la tombe, et que des cheveux blancs sans doute restés dans le fond de la coiffe n’ont pas gêné, a pris votre casquette, s’en est emparé, n’a sans doute pas même délibéré de la déposer à la porterie, à l’entre-sortie. Le cadre destiné à une photographie de famille prise antan, copiée à l’ancienne, enveloppé en forme de présent, papier, étiquette et ruban, un autre l’a installé chez lui, devant lui et il n’en a pas été aveuglé. Quel est son rapport avec les choses, avec l’imprégnation d’un tiers sur les objets qu’il vole ? Mais d’autres cadres vous ont été pris également, le viol se transforme en un charité forcée, le type se sera fait quelque monnaie en revendant un à un les choses sous leur cellophane. Mais la casquette ? elle n’a pas brûlé la tête de qui l’a mise, et quel profit à la vente retirer d’une casquette usagée ? Le voleur des cadres a laissé les copies de journaux des années 1950, des livres neufs contemporains, d’autres brochés et abîmés sur les événements de 1940 à 1945 :il ne lit pas. Il s’est montré sous son jour le plus banal. Lui parler, le dissauder, connaître son existence et les conditions de celle-ci, non ? Plusieurs fois, votre imperméable, laissé en vue sur un siège de votre voiture, dans Paris, au bord du Tage, des agendas qui vous auraient donné la chronologie de rendez-vous en 1973 avec des personnages de la politique, une, deux machines à écrire portables et à marche électrique, des objets vraiment vôtres ; on se les approprie pour le plus vif prix, celui d’un bien fongible, comme vous l’avez entendu définir en début d’études de droit.Il y a l’irremplaçable, un polycopié, version 1963-1964 du grand maître en contentieux administratif, recouvert de plastique transparent, marqué à votre nom, oublié par vous dans un placard de bureau dans votre administration parisienne, où vous n’étiez pourtant pas inconnu : pas de retour à quelque endroit de passage pour tous. A Cordoue, fatigués d’avoir traversé la Manche entière par canicule, vous ne déchargez pas complètement la voiture, des fenêtres peut-être restent ouvertes, la Remington de votre père, dans les années 1930, s’il la touchait ? ce dût être un présent de votre mère, il avait repris des études sous l’Occupation et peut-être travaillait-il à la machine, ou bien sa femme l’avait-elle escompté. La machine est à vous depuis votre première année dans l’enseignement supérieur, quelques pages d’exercices de perfectionniste, des essais à perdre du temps, une frappe à deux doigts, vous en êtes resté là en plus de quarante ans. La machine de vos débuts, la machine antérieure à vous et à tout ce que vous avez jamais écrit, la machine sous vos doigts, banalisée sur un marché de quelconque revente ou brocante en Andalousie des années 1970. On meurt au hasard, qui peut prévoir la dernière main que sa main serrera quand il faut partir, et qu’on le sait, soi et qui vous regarde et tient votre main.

A l’inverse, les vols que vous avez commis, les cartes postales à l’étal au sortir du Prado, les Que sais-je ? et deux ou trois livres plus épais, de politique extérieure, à la librairie de votre école aux Sciences-Politiques. La haine qu’en conçut Jeannette. Quels étaient ses sentiments ? La jalousie de votre impunité ? Vous étiez pauvre, vos parents étaient ruinés, à peine votre aïeul remboursait-il des factures d’indispensables ouvrages, esorit de colection au vrai. Chez un camarade, des étagères de livres, ces Que sais-je ? en nombre, symbolisaient quoi ? Vous vous faites prendre. Vous apprenez ce qu’est une chaine de conséquences, ce qu’a d’enchaînant une imprudence, une erreur d’appréciation au moment de commettre un acte, de le décider, de le perpétrer. Vous ne fûtes sanctionné que d’un sursis de deux trimestres hors de la rue Saint-Guillaume, et votre carrière n’en fut ni modifiée ni retardée, vous aviez tant d’avance, mais cela défit les relations qui avaient commencé, les camaraderies et les leçons sentimentales, vous ôta pour presque toujours une aisance que vous n’avez plus eue depuis que de façade. N’oser plus se montrer, voilà à quel état intime quel que soit la bravoure de vos comportements et de vos porter beau, vous fûtes réduit.

De même, faisant sursis à votre projet de mariage, renvoyant de fait la jeune fille qui en était l’instigatrice première, vous commettez une erreur dont tout va découler ensuite jusqu’à maintenant, précisément alors que vous vous croyiez en logique absolument paré. Si elle vous aime, elle tiendra, si elle ne vous aime pas, il aura été bon que vous ayez pris ce risque, celui-ci aura été révélateur, salvateur. L’épreuve est effectivement concluante, les conséquences sont pendant longtemps que vous croyez à la fin d’un commencement, à l’interdiction d’une fondation, puis la perspective se modifie. Ce fut la fin d’une vie, d’une attente qui n’avait pas de manière pour prendre la réalité, recevoir les propositions. Un fantasme vous a été ôté, il vous a été montré que des associations ne sont pas possibles, qu’un dialogue n’avait pas eu lieu. Dans la rue, vers l’église sertie, au haut d’une éminence dominant la place Liszt et la rue La Fayette, dans le pâté de maisons voisin, un nu-pieds poussant un tringlot. Hier, tandis que vous fermiez votre voiture, un oisif vous observant rue Claude Bernard, le silence et la pesanteur d’un jour lumineux,épais de lumière, de chaleur, d’une sorte de désert que les vacances produisent dans Paris, surtout quand au centre de la capitale se termine «  la grande boucle » : en somme, vous avez fait cadeau de quelques objets, aujourd’hui ou hier. Mais à Jeannette, qui se vexait, pour l’exemple, d’être volée à son étal par beaucoup, vous auriez apprécié de lui expliquer les circonstances de naguère et de savoir d’elle ce qu’elle avait pensé, au vrai, car – une vie humaine n’a semble-t-il que peu de scenarii possibles, et encore moins de partenaires ou parterres à proposer – vous revîtes, dans les jardins de notre Ambassadeur à Washington ; elle y venait quelques jours ou semaines de vacances à l’invite de l’épouse du chef de mission, et tandis que vous tâchiez d’obtenir de Jacques ANDREANI la manière d’obtenir des instructions et d’y être ajusté, puisque maintenant vous étiez, vous aussi, Ambassadeur, et que celui-ci vous répondait que les choses, les souhaits ou les besoins d’un Gouvernement, il ne mentionnait ni le ministre ni les services, pudeur ou émancipation de quelqu’un qui fait la corporation parce qu’il a été faite par elle et entre eux tiendra toujours le pacte d’une consanguinité, il y avait la libraire pas vieillie, témoin de tout rue Saint-Guillaume pendant des décennies, les vôtres, avant les vôtres et depuis les vôtres, assise à deux chaises et une table à thé de vous, à qui vous n’aviez pas été présenté, comme si d’évidence tout le monde se connaissait de mutuelle et ancienne connaissance. De fait. Vraiment, ne vous reconnût-elle pas ?

Le visage de Kirk DOUGLAS, en laisse un dobberman splendide, il court avec régularité, chemise courte blanche, culotte courte également, des lunettes de verre jaunissant, laplus jeune des chiennes part à sa suite, est lâchée. Au retour du sportif, les chiens jouent ensemble, appréciation mutuelle des races, commentaires, jeux de questions sur les modes d’acquisition, l’éducation, la relation avec le maître, la maîtresse, l’heure ne presse pas, la rumeur dominiciale n’est pas présente, un célibataire qui ne rejoint pas les siens, en villégiature. Cet homme qui tranche assez sur les exhibitionnistes de la course au trot ou des mises au point de quelque muscle par appui calculé,minutieux, plus bidulé que le geste inauguratif d’un chirurgien, et ils sont le plus souvent inélégants, guère sveltes, peu en possession d’eux-mêmes, vous réalisez à son assurance, qu’il est peut-être de ces puissants dont l’accès vous est fermé, si vous n’avez de présentation qu’une lettre faisant supplique. Vous tentez de faire dériver les phrases, l'anonymat n'est pas rompu, il est directeur d'entreprise. Vous n’avez pu vous avancer. Georges POMPIDOU, un Dakota, et le voilà embauché pas encore au centre du dispositif des ROTHSCHILD, mais pas loin non plus ; une place d’avion sur un vol en Afrique aux époques où les voyages avaient l’imprévisibilité de toute œuvre faite à la main, pièce chaque fois unique. Louis VALLON racontait que l’introduction du même auprès du Général tenait plus à une rencontre à heure que l’agrégé sachant écrire avait remarquée être celle d’un certain hygiène du Chef du Gouvernement provisoire qu’à son recrutement, pour tenir la plume, par son condisciple René BROUILLET. A Michel NOIR, vous aviez tous deux debout dans l’allée de Concorde, pendant le voyage officiel de François MITTERRAND au Canada, tenté d’exposer en pas deux minutes une partie où vous lui seriez utile tant au Commerce extérieur que dans le milieu de l’Elysée, s’il avait l’intelligence de vous donner une affectation convenable dans votre propre administration. Que de fois, ce dialogue tenté où il vous sembla que tout pouvait – non se perdre, vous étiez déjà à plat – mais se gagner. Vous n’eûtes, qu’à Moncton, en escale passée sous un hangar, une conversation intéressante avec sa femme : n’eussent les choses tenu qu’à celle-ci que l’imprudent serait resté encore aujourd’hui maire de Lyon et surtout « présidentiable ». La circonscription, le genre des gens et des partenaires, la bonne indication des points forts et des lacunes du mari, tout y était avec tant d’intelligence que la parité homme/femme était enfoncée.

Les dialogues qui ne sont pas par eux-mêmes leur objet, mais où l’un apprend ou confirme à l’autre des données et des vues telles que celui-ci puisse se les approprier, les ajouter à l’ensemble de son univers et de son fonctionnement mentaux, les dialogues où s’échangent, très différemment d’un équilibre où l’information, les mots ont leur unité de poids et quelque arbitre convenu pour en jauger la réciprocité en sorte que personne ne soit floué, des situations métaphysiques, des rôles se vivant et s’appelant à mesure que l’on parle, que l’on lit. L’écrivain, le compositeur et leurs lecteurs, leurs auditeurs se suscitent les uns les autres, n’existent pas les uns sans les autres. Systématiquement, vous avez exploré les pays où vous étiez aposté d’abord mentalement, en écoutant et en provoquant l’analyse, la manière d’être d’un ressortissant de cette géographie, de cette économie précises, dont vous aviez idée, mais pas la structure intérieure et en quoi celle-ci modèle ses sujets et est faite d’eux, travaillée par eux. Quand vous essayiez diverses hypothèses sur la manière dont de GAULLE allait se séparer d’un Premier Ministre et en susciter un autre et que venait à votre rencontre pour soupeser des faits et des dits le dernier ou le second de ses secrétaires généraux à l’Elysée, il n’y avait pas de moindre ou de maître de vous à ceux-ci et réciproquement. La connaissance, l’intuition vous y progressiez l’un par l’autre. Souvent, la fin d’une journée vous paraissait le retour à un point de départ jamais perdu et d’où vous aviez tout le cercle et le point d’arrivée, mais il vous était resté de vivre en lisant, en étant avec quelqu’un, avec la compagne du moment, dans un paysage que vous aviez laissé ensemble pour accéder à un autre, promenade ou voyage, étape ou retour à la maison, seul ou à deux dans le lit, la lecture et la somptuosité d’une cohérence que soudain l’esprit déversait, comme son œuvre de ces heures-là, à l’âme qui arrivait alors à son heure et à son trvail, au travail de cette heure-là, mieux qu’une prise de conscience une sorte de reconnaissance intime, heureuse, joyeuse que chair et intelligence aient vécu pleinement leur fonction ensemble, s’entredisant du plaisir et de la découverte, une richesse communément conquise, des gemmes à pousser du doigt dans la paume, des granulis volcaniques, des versets d’un livre saint, le développement périlleux un temps, très juste et adéquat ensuite d’un texte, d’une succession de textes. Le même sentiment de justesse quand une étreinte, déjà dans son élan, pas encore à son acmée, produit davantage que de la joie, la conscience d’une forme de perfection, celle qu’il est donné, permis, recommandé aux humains d’ambitionner pour leur plaisir, leur fécondité, une réelle coopération à l’intelligibilité du monde et à sa beauté. Parvenir alors à vous l’exprimer, les mots vous en viennent, intimement, encore peut-on les coucher sur le papier, vous l’avez souvent fait, sans que l’écrit ait grand sens que pour vous. Mais le communiquer et à deux, les corps du moment à peine distant de votre dialogue de quelques minutes et vous n’avez bougé ni un membre, ni votre tête et vos yeux maintenant rouverts, ni du lit, si rarement vous y êtes arrivé. Dans le silence de l’un endormi, assommé par l’instant vécu et qui s’est refermé en gardant le souvenir, la marque, la faille d’un certain assouvissement, et de l’autre, vous le plus souvent, regardant, il y a plus de communion que dans beaucoup de mots ou de phrases exposant ou remerciant. Se lever aussitôt après, quand vous en étiez soudain délaissé, nié en tant que partenaire venant de célébrer le sacré avec celle qui s’en va, de dos et revient de face mais simple femme nue, non plus univers entier priant et adoré, vous endommageait autant que de ne pouvoir dire comment la vibration d’une journée ou la satisfaction d’une lecture s’achevant ou d’un travail terminé vous accomplissait, et de constater que vous ne pouviez ni montrer ni partager. Les regards éperdus d’avant l’expérience physique de l’autre, quand ceux qui se rencontrent ne se donnent aucun interdit mais ne se veulent aucune hâte, l’extase du moment en équilibre entre le passé qu’il périme mais qui y a amené et l’avenir qu’on veut entier et définitivement à sa ressemblance, selon son sens.

Il y a l’accord, ne pas se tromper sur les bases qui s’établissent, qui vont s’établir, est-on avisé de ce que l’autre voit, attend ou veut ? FOCH entrant dans une église ou quelque chapelle, un paysan s’y trouve, planté de bout, au loin le tabernacle, du silence. Le généralissime s’interroge puis interroge, que dites-vous donc ? priez-vous ? et alors ? L’homme répond avec simplicité : je l’avise et il m’avise. Quel personnage aujourd’hui, de si petite autorité qu’il soit, ayant à exposer les motifs d’une décision, d’un ordre et fondant l’affaire sur l’observation de la réalité, ne parvient au milieu de son texte triomphalement, à l’inévitable on s’aperçoit que… comme si la direction d’une entreprise, des arbitrages financiers, des réorientations de gestion politique, administrative censément de science exacte consistaient en une soumission rétrospective à quelque hasard faisant qu’on décide, puis qu’on regarde le sens et l’épaisseur de la fumée, et qu’enfin on est à même de conclure, quoique seulement à ce stade déjà bien tardif, les effets de ce qu’on avait antérieurement disposé.

En parler, c’est important, toute la suite est en question, votre initiateur spirituel, celui que vous visitez depuis quelques semaines, autant de fins d’après-midi que l’année passée vous alliez interroger l’ancien Premier Ministre, vous accorde une grâce suprêmement savoureuse. Chacune de vos questions, quoiqu’il y réponde parfois avec le décalage d’une ou deux, ont un sort dont vous avez à décider. Appliquer la réponse à ce que vous cherchez, vous y prenant par le pari que le vieillard comprend, assimile, s’exprime aussi adéquatement, finement qu’aux instants les plus dotés de son existence, naguère ou il y a encore peu, et vous voilà saisi par la main de votre enfance. Du bon sens et une finalité, en fait une manière de vivre avec confiance. Sans que vous lui ayez détaillé votre manière actuelle, il suggère que cette décision : consentir à l’intervention chrirurgicale qui va mettre en cause votre virilité et votre fécondité, ou la retarder, vous en débattiez avec votre femme. Justement, vous n’êtes pas marié, mais précisément, plus encore, votre compagne de maintenant, qu’en pense-t-elle ? comment vous veut-elle ? que veut-elle de vous ? La banque du sperme réserve-t-elle un avenir de couple, de ce couple dont vous vivez présentement, ou d’un couple hypothétique précarisant par le souhait que vous en conservez, celui-ci ? La réponse gît-elle dans l’étreinte le soir de votre premier dépôt conservatoire ? Ou dans celle qui vous est loisible avant le second ? Il est entendu qu’elle ne veut pas d’enfants, même maintenant quand il en est encore temps, de votre point de vue, c’est-à-dire pendant que vous en avez encore la capacité. Vous faites les questions et les réponses, mais celles-ci sont-elles justes ? correspondent-elles à ce que vous pensez ? et à quel niveau pensez-vous ? selon votre couple en ce moment ? où est votre sincérité ? où êtes-vous ? qui êtes-vous ? un amant de fait, un compagnon pour elle ? comment vous voyez-vous-même ? par rapport à elle ? Vous voilà pour la première fois sans doute aussi nettement, et dans la perspective rapprochée de conséquences précises, à peser ce que vous allez décider, et surtout à chercher ce qu’en face de vous, et non en image portée mentalement ou affectivement en vous, quelqu’un pense, souhaite.

D’abord, toujours, systématiquement, pourrait croire un tiers analysant continûment vos gestes, paroles et pensée, ce tiers que vous êtes – en réalité – l’un et l’autre, avec l’autre et avec chacun de vous deux, le refus, la réticence. Une réponse pour ce qui est du physique entre vous, l’amour qu’elle vous porte, que vous pensez qu’elle vous porte est indifférent à vos étreintes, qu’il n’y en ait plus est secondaire, sans portée. Puis, votre insistance qui défait, baisse du vêtement sans qu’elle s’en défende, et son nouveau visage, ses yeux nouveaux, le front, les lèvres entrouvertes. Le sourire, le changement total, soudain de lumière sur ce visage, en sorte que c’est lui qui irradie de la lumière, de l’ouverture, de l’appel, de l’accueil, du dialogue. Passe la suite, mais l’entrée était ainsi, le plaisir sera accessoire, évident, pas loin d’être habituel. La réponse se nuance d’une question seconde, plus précise, que vous venez de préciser, elle en se montrant à vous ainsi, et vous en ayant préféré à tout en elle ce sourire, c’est-à-dire cette façon d’entrer avec vous dans une minute donnée, que vous vous donnez. Quel serait son sourire si vous n’aviez plus, de corps ensemble, un endroit de tête et de sexe, tout intérieur et intime, tranquillement décoré en vous de sensations, d’images, de souvenirs et de voeux ? Vous ne parlez pas de plaisir ni du plaisir. Mais de l’enfant, c’est à froid, à table, vous déjeunez, il faut y revenir, vous voulez y revenir. Elle vous a redit que jamais elle n’avait envisagé l’avenir, d’avenir, encore moins un avenir avec des enfants, fonction d’enfants. Si elle en avait souhaité, elle en aurait eu. On touche toujours la vérité quand, dans une relation à deux, est évoquée une autre antérieurement, le passé de deux amants ne les divise jamais à la condition nécessaire que leur commencement soit séparable de ce passé, qu’il ait inauguré une autre ère, mais que la précédente, les précédentes n’aient pas été indifférente dans la maturité des capacités d’amour de chacun, et que cela se commente, se raconte et s’explique est une bien douce lecture dans les moments où l’on s’abandonne à évoquer qu’on est l’un pour l’autre un providentiel aboutissement, en tout cas le fruit dégusté d’une certaine logique des événements. En revanche, tout se brise, fragile ou solide, à l’évocation d’un agencement où la suite à terme, même très long, différerait du présent qu’elle se serait refusé à prolonger ou dont elle ne ferait pas son matériau de base, si fugitive que soit cette évocation, pis encore si elle ne se perçoit que par quelque déduction d’un lapsus, d’un vague-à-l’âme, d’une soudaine rétention de parole. Deux raisons de ne pas vouloir d’enfants, puisque c’est par cette question que vous voulez placer votre couple devant l’échéance de votre stérilité, et que vous croyez ainsi la convaincre qu’elle est en première place dens votre vie – s’il est jamais possible que ce soit. Deux raisons, la première de principe et la seconde étant qu’elle ne vous pardonne pas le passé proche, tout ce qui fut contemporain d’elle et de votre couple. Elle ne s’émancipe pas d’avoir mise en parallèle, entre parenthèses, d’avoir été secondaire. Que vous lui fassiez la remarque que fantasme pour fantasme, elle aussi vit dans cette ambiance. Vous et elle rêvez d’un amour qui est banal mais que vous ne vivez pas, une sorte de modèle sans lequel on ne saurait se dire qu’on a vraiment tout eu, elle votre préférence, et vous la suite de ces fiançailles mythiques au bord d’un lit que précisément on n’avait pas encore fait. Peut-être n’êtes-vous toujours pas à renoncer au mythe de la jeune fille vous prodiguant tout à la fois, mais elle, à se vouloir aimée comme dans ses rêves ou dans ses schémas et à ne jamais discerner que vous l’aimez différemment de ce qu’elle rêve mais aussi de ce qu’elle suppose, n’est-elle pas exactement dans votre propre attitude, celle qu’elle me reproche. Elle répond à ce que vous lui en dites que le passé, toujours, ne peut s’oublier, tandis que vous, vous tentez de lui représenter qu’un couple marié de longue date ne serait pas davantage qu’elle et vous lié, solidaire, attentif, courtois et nécessaire quotidiennement.

 Avec qui dialogue-t-on quand on sort de la tranchée de son intimité ? Est-on jamais reçu par quelque autre à la ligne de crête, à la cote n° tant, et s’ouvrir n’est-ce pas se faire aussitôt condamner, détester ? Quand la tentative tourne à l’aveu sifflant et terrifiant que l’autre vous fait de ce qu’il supporte de vous, depuis longtemps, mais qu’il ne peut davantage supporter, quand à la foi que vous aviez soudain s’oppose la certitude d’autrui que vous n’êtes au fin de vous-même pas la personne qu’elle attendait et dit si souvent chérir, quand il apparaît que les silences, les égards, les apparences font durer les états de fait et que la parole prétendant les identifier, puis les modifier ne fait rien surgir que des émergences d’effondrement, le dialogue n’est plus le lieu béni où tout apporter, mais bien la ligne à ne pas franchir. On revient, pour ne pas s’en aller, au modus vivendi. Il s’agit parfois de l’éternité exactement perçue, et l’on désespère moins de soi et d’autrui en s’en tenant au vécu, et en le prolongeant sans forfanterie ni imagination, mais avec compassion et tendresse, qu’en déterminant abruptement et à l’avance que le temps détruira même ce qui ne s’est pas encore célébré, et au nom de quoi on patiente à tout, puis s’épouvante d’être jamais à la hauteur, à l’unisson nécessaire. En langage quelconque, ce sont les voies ambitieuses ou modestes du mariage, du compagnonnage, de la rêverie, de la réalité.






En sa personne, il a tué la haine ; il est venu annoncer la bonne nouvelle de la paix, la paix pour vous qui étiez loin, la paix pour ceux qui étaient proches [1].



[1] - Paul aux Ephésiens II 16 & 17

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