DISCERNEMENT
Exactement la pose de l’acteur jouant le pape dans la trilogie de CLAUDEL, vous en étiez spectateur dans votre adolescence, le premier amour que vous ayez identifié comme tel et en tant que vôtre, parce qu’aussittôt il avait été dubitatif, unilatéral, douloureux. Une sœur cadette d’un de vos camarades de collège, une juppe à plis lourds, une fin de printemps pas bien loin des grandes vacances.L’interrogation durerait quelques années douces puis aurait deux dénouements, la répons en deux temps, sur un voilier, celui de votre camarade, en baie de Rotheneuf, le décor idéal d’un conte de ROHMER ou du Beau ténébreux de GRACQ, chaque jour vous cotoyez la jeune fille, elle a le même nez que votre contemporain, un peu camard, est-elle si jolie ? n’importe, votre chambre est au deuxième étage de la villa, la sienne aussi, vous écrivez comme l’étudiant fébrile des poèmes nocturnes de MUSSET ou des romans d’alors, le récit de vos atermoiements, de votre peine, vous ouvrir, mais à qui, de votre penchant, vous imaginez des scènes d’escalier où vous porterez les bras à hauteur du ventre, l’aimée, ses cuisses sur vos bras, ses bras à votre cou, la sauvant ou l’emmenant, et le frère vous apprend qu’un autre est déjà là, depuis quelque temps, agréé surtout par madame mère, polytechnicien, service militaire fait. Vous n’avez aucune chance. Voire ? La jeune fille, un jour qu’elle est en robe jaune vous murmure, êtes-vous tête-à-tête ce dont vous n’ayez pas souvenir que vous ayez jamais eu une opportunité de ce genre, elle vous dit quelques mots que des décennies après, davantage que dans les minutes qui suivirent, vous pouvez vous répéter sans qu’ils soient vraiment dits, mais vous les avez entendus et gardés, que dans d’autres circonstances, vous auriez toutes vos chances. Toutes . . . De fait, près de trente ans ensuite, vous la revoyez, elle est avec son mari, c’est une retraite spirituelle dans les lieux qui commencent de vous venir habituel et qu’anime celui qui devient votre maître. C’est le silence de rigueur pendant trois jours, vous vous cotoyez à nouveau, elle est très abîmée de visage, elle ressemble à sa mère dont elle a presque l’âge à présent. Fânée, le visage flottant diaphane sous un masque où la peau a craquelé. Ces dessins parfois, dans les histoires de votre jeunesse où pour rendre plus réaliste le trait, on surcharge de menues rides le portrait ce que ne faisaient pas les maîtres : HERGE ou JACOBS, ce sont les péripéties pour une dizaine d’années d’une paire d’hommes avec finalement quelques femmes, dans le milieu automobile des années 1950 puis 1960, les aventures de Michel VAILLANT, l’introduction des femmes dans la bande dessinée pour pré-adolescents se fait à peu près à l’époque où celle-ci, sous la forme (atténuée ?) des sœurs de vos amis, ou des amies de vos sœurs, apparaissent dans le cercle de vos présences au monde, les trajets pour le collège, des vacances de plage, et dans vos pensées. MONTHERLANT en morceaux choisis, Solange Dandillot qui se déshabille avenue Henri Martin, dans la pénombre, le corset d’Emma Bovary, le texte lu et relu, un trouble bizarre, singulier,ombreux, les Chansons de Bilittis, dans une jolie édition des années 1930 que vous lisez d’affilée dans le grand salon des parents, où des livres sont accessibles, couverts de papiers craft, des rayonnages en bois plaqué modern’styl. Vient la dernière instruction, vous décidez d’aborder cette femme, de lui dire votre nom, de savoir si vrament elle ne vous a pas reconnu. A table, vous avez été vis-à-vis, il y a tout de même eu,le silence était désormais rompu, votre voix même si la demande du sel ou d’un plat st anodine. Elle vous dit que vous ne lui dites rien, rien, aucun souvenir. La preuve du contraire et de ce qu'il se passa réellement, dans son cœur censé engagé, cet été-là où vous ne pouviez vous déclarer qu’à son frère,que plaisanter continuellement pour la faire rire, pour la capter, l’attirer à vous regarder, vous entendre, vous écouter, peut-être vous préférer si ensuite elle allait rentrer en elle-même, réfléchir, s’apercevoir, c’est l’heureux gagnant, moins changé que l’épouse, qui vous l’apporte. Lui,il se souvient, et il atteste avoir craint de la perdre, et que vous, vous occupiez les pensées de l’adolescente. Il ne vous était resté qu’une image, qu’une matinée triste, où vous vîntes àpied d’une gare de campagne, à travers champs, pour ne parvenir que la messe de funérailles dites et l’heure presque passée des condoléances à la famille devant la tombe ouverte : le père chrirugien en renom extrême, venait d’être tué en voiture, doublé en troisième position. La famille endeuillée, les cinq enfants, la mère, et derrière Viviane, muette et belle, le mari prévu et visible, accueillant les mains et les sourires affectueux, au même titre que les intimes par le sang du défunt. Vous écrivîtes plus tard, à l’annonce du mariage, auquel vous assistâtes d’ailleurs, même défilépour les mains à serrer, que lors d’un enterrement, Viviane en blanc, fraîche, convenue, à l’affiche. Elle était venue, avec son frère, aux débuts de votre histoire, déjeuner chez vos parents, vous lui aviez fait voir votre chambre, et sur la table de chevet, pas bien grand, mais évident, une photographie d’elle, l’été précédent, vous l’y aviez vue aussi en costume de bain noir, les une-pièces moulant la nudité et l’offrant bien davantage, quoique stricte et neutre comme une épreuve en marbre. Séquence qui se reproduirait souvent dans votre vie : hôte en même temps que vous mais alliée à un autre des enfants, une fillette de treize ans, Bénédicte dont vous ne réaliseriez que bien après qu’elle a un nom d’empire industriel, elle est grand-mère à présent et votre frère aîné la mentionne parfois quand il raconte les mondanités pieuses et très organisées en cercle fermée autour d’une sommité de la sainteté et de l’église catholique que vénèrent proches, fortunés, groopies et tout ce qui dans une île atlantique et un arrondissement parisien y faisant saisonnièrement transhumance, transportent avec ostentation bonne conscience et responsabilité par argent héréditairement ou cooptativement accumulé d’un monde à évangéliser par bonne compagnie. Bénédicte vous regarde souvent et vous fait comprendre qu’elle vous regarde. Vous sortez de l’eau, vous avez dix-sept ans, déjà une poitrine qui devient pileuse, encore des pectoraux, les cheveux de jais collés au front, le nez parfait, on vous l’a dit ensuite et souvent, le nez mais pas le reste, ou les jambes seulement, car votre dos es pis à voir que ce qu’en donnent les radioscopies et la schintigraphie. L’enfant vous dit que pour elle vous évoquez un dieu, sortant des eaux et allant à elle. Vous persévérez dans la stratégie pleunircharde qui a Viviane pour objectif, vous négligez l’amour de vacances, semé à l’écart maximum du jeune âge, guère que quatre ans, mais la puberté et quelques classes du secondaireentre une enfant et un bachelier. La récolte eût été à votre retour de service militaire, exactement le modèle que vous ne parviendrez pas à mettre en cause et auquel est vouée celle à qui vous vous êtes malheureusement attaché. L’amour suivant, raisonnable et doux et en travers de quoi les parents de part et d’autre se mettront d’accord, vous ne l’éprouvez plus quand vous pourriez le perpétrer.Laetitia vous en fait la demande, vous arguez d’amitié et d’ouboli, elle entre au Carmel, en ressort trois ans ensuite,se marie avec un sous-préfet, dont elle a tant d’enfants qu’elle en est certainement heureuse, votre mère reçoit chaque année les faire-parts, mais elle à qui vous écrivez une fois que tout est largement passé, ne vous répondra pas. A juste titre.
La scène est en plein air, un chat la traverse souvent, vous commentiez CLAUDEL et sa splendeur à votre voisine, Viviane et son frère vous avez invité au théâtre. C’est de là qu’est venue votre mémoire, qu’est né ce fantasme résumé par une phrase, celle de Pierre de Craonne, à mafiancée, à travers les branches en fleurs, salut ! Lointainement pour l’époque, mais pas dix ans après, c’est d’une condisciple en faculté de droit qu’il s’agit, votre premières fiançailles ont échoué, dès la première leçon un automne de 1968 où vous redoublez la dernière année de vos scolarité à l’ E.N.A. et c’est pour pallier la médiocrité probable de votre rang de sortie au printemps suivant que vous reprenez des études universitaires et envisagez même l’agrégation. Un visage à l’ovale parfait, un regard, un front qui respirent avec un humour sérieux et grave la pureté, l’attention, la précision. Vous l’abordez, ne la quittez pas au sortir rue Saint-Jacques des bâtiments familiers, vous vous attablez place du Luxembourg, vous parlez, vous lui empruntez un ticket de métro, vous faites une part ensemble du trajet souterrain et au printemps dit, sous un mimoza tandis qu’elle vous supplie de ne pas dire encore des mots peut-être prématurés et qui vous empêcheront de continuer sans rien expliciter, encore quelque temps et librement,légèrement, rien que joyeusement et par goût profond l’un de l’autre, vous vous déclarez à travetrs les branches en fleurs. Elle vous aura séduit parce qu’un soir, elle sait enfiler des gants de soirée, qu’elle s’est coiffée en formant un lourd chignon, l’apparentant soudain et délicieusement, sans qu’elle puisse deviner le transfert de vos sentiments d’un souvenir à un autre, à un brève admiration que vous eûtes et qui n’eût pas de lendemain, mais celle qui en était l’objet et que les photographies ensuite retrouvées et que vous avez exposées parmi les autres, vous avait paru la plus belle femme possible, donc du monde, ce que démentent les images de votre couple en train de danser, quelque part en Ile-de-France, logis de campagne des parents recevant pour la fille à mettre en valeur et marier. Multiples anecdotes, multiples visages, à peine quelques corps, presqu’aucune étreinte et de saveur qu’une certaine tristesse à l’époque, qui aujourd’hui grossit d’un interdit bien plus impératif, violent, assourdissant que l’âge, votre âge atteint subrepticement et dont le rappel ne vous est pas encore familier. L’interdit par le handicap, la mûtilation, l’interdit de l’impuissance et de la stérilité.
Votre métier, celui dont on vous a retiré l’exercice, était tel, attaché de toutes parts aux dispositifs de l’Etat, aux procédures et aux façons administratives publiques que sur le marché de l’emploi, il vous handicape bien plus que vos cinquante ans révolus, bien plus que sur les scènes de l’amour où vous continuez d’imaginer une jeunesse accueillante et voyant la vôtre à travers vos vêtements, votre peau de chair vieillie et vos références surannées quand vous menez la conversation. Au veillard qui vous attend sans se lever, blotti, pas bien grand ni imposant, dans un fauteuil, juste au seuil que l’on vient de vous faire passer, protocolairement, l’audience précédente, celle d’Otto de HABSBOURG venu présenter au Pape le dernier-né de ses petits-enfants et l’heureuse génitrice, en mantille comme l’exige le protocole, vous exposez la disponibilité des pays de l’ensemble anciennement soviétique à un catholicisme dont le rite est plus simple, plus accessible que la somptueuse liturgie orthodoxe. L’Eglise, de surcroît, est une internationale organisée qui garantira l’ouverture au monde de ces Etats : la jeunesse attend de la métaphysique et des voyages à l’étranger. Vous avez lancé le processus de relations diplomatiques entre le Kazakhstan et le Saint-Siège et vos derniers mois en mission à Almaty, vous les avez vécus très souvent à la rencontre du Nonce. Vous en êtes remercié. C’st un homme d’Etat polyglotte, mentalement très organisé qui vous fait parler, vous portez la fin de l’entretien vers votre propre avenir, quelleorientation pour le bien commun, quel usage de vous-même vous suggère-t-il, puisque la diplomatie n’est plus votre débouché d’office. Jean Paul II n’opine, a quelques commentaires sur l’Eglise de France, une phrase facétieuse sur les démêlés, qui lui semblent typiquement français entre Mgr.GAILLOT et ses homologues. L’exposé de votre projet de mariage l’attire davantage, pas de remarque sur l’âge que vous avez atteint. Il se récrie sur celui de votre fiancée, l’indépendance de vos jeunes compatriotes lui paraît gager l’échec, elle lui est familière comme s’il en avait eu directement charge d’âme et de pédagogie. Mais elle est russe, l’opinion du Polonais change alors du tout au tout sans que vous ayez à allusionner sur la probable ascendance de ce pays de la femme de vos pensées : le fait que celle-ci soit communiste donne toute certitude à sa fidélité conjugale et sans doute à son bon jeu de la mère de famille. Dans une albergo toute proche, où il vous traite sitôt votre sortie du palais, Marian OLES, curieux, sinon avide de votre relation et de vos impressions, tranche : puisque vous êtes décidés, faites vite, épousez-la au plus vite. Discernement d’un professionnel de l’humain, des moeurs, de l’âme que documente avec directivité l’Ecriture sainte et ses récits de noces, d’accouplements, la barbe blanche des patriarches allant si bien avec les cheveux dénoués qui taquinent la raie des fesses après avoir encadré les yeux amande. Les rencontres, pour être providentielles, doivent être de mesures et de proportions inaccoutumées, les circonstances doivent en être si imprévues qu’elles en sont fatales. Faites vite puisque c’est fait, donné, acquis, magnifique. Un autre clerc, également converant à Rome, verra au contraire non du tout unejeune femme sérieuse et mûre, mais le démon s’adonnant à plus encore de prostitutions qu’il est fémininement possible et masculinement imaginable.Projection de quelles admonestations de nopbreux livres « sapientiaux » de l’Ancien Testament ? Discernement fondé sur le malheur et le mal être où vous enfoncez une compagne délaissée par vous à peine rencontrée et émue d’un amour auquel elle s’est donnée, mais que vous vouez sous es yeux ou presque à une autre, ne le méritant pas. L’abbé ne détaille pas, condamne et veut la rupture. Tout un été, vous n’avez su voir que faire et n’avez pu choisir que le sursis. Les événements et la nature ont ensuite décidé.
Mais voici le véritable été de votre vie, le choix n’a plus rien de théorique. Et surseoir, c’est choisir. Reporter le choix à quelle date, selon l’expiration de quel délai ? Vous donner la chance, le temps de rencontrer la femme de rêve, la femme rêvée dont vous croyez encore que vous l’avez attendue jusqu’à maintenant et que vous lui avez systématiquement accordé lapréférence au détriment de toutes celles qui se sont présentées dans votre existence, l’existence en sursis d’un homme à qui vont être ôtées les capacités de l’amant et du père. Pourquoi ne s’est-il pas marié, n’a-t-il pas procréé quand il en avait tous les atouts, les attributs, capacité et aptitude, âge aussi ? Trop tard déjà, et accepter le verdict, ce qui n’a pas été fait ne le sera plus. Reporter l’intervention non pour que dure encore le plaisir de votre compagne, mais pour que se perpétue votre attente, celle-là même qui a été vaine et stérile. Délai que vous vous accordez au péril de votre vie, tandis que votre extérieur continuera de draguer la minette, en pensée davantage qu’en pratique puisque celle-ci votre aspect physique la limite à l’évidence du silence qui s’oppose à vos avances ou imaginations, votre intime, à l’endroit précis où font bouquet les canaux, muscles et arrangments anatomiques pour le plaisir, la semence et la conscience de soi communiquée à sa sœur complémentaire, sera rongé, débordé et quand vous vous rendrez, n’ayant pas rencontré plus qu’avant « la femme de votre vie », le bistouri, les examens, les pronostics ne porteront plus que sur l’irréparable. L’irrémédiable de votre amputation de la glande décisive ? Ou bien l’irrémédiable des métastases et des proliférations, la hideur d’une lèpre intérieure. Le péché qui a pour nom la mort, votre mesure à vos mesures et selon vos choix.
Anticiper l’endroit où vous allez vous rendre. Vous rendre dans les deux acceptions du terme. Donner votre accord, le processus s’engage du questionnaire des anesthésistes aux précisions de calendrier en fonction du plan de charge en chirurgie et des disponibilités hôtelières du service. Vient un matin tôt, vous aurez revu votre testament, toujours la même affaire d’avoir à confirmer la dévolution de votre proipriété, en cas de décès, les assurances n’ont plus aucun échappatoire, procès victorieux contre AXA mais pas contre les banques qui ne valent pas moralement davantage puisque les contrats qu’elles vous ont amené à signer ne vous garantissaient pas dans ce qu’il pouvait vous arriver et qui vous est arrivé, diminution drastique de vos émoluments, mise en retraite prématurée. Vous n’aurez plus souvenir de votre endormissement, vous vous réveillerez emmailloté de partout, couché en parallèle sur un lit roulant avec d’autres souffre-douleurs, ce sera d’abord uniquement physique, la souffrance, la douleur, rien que tousser sera horrible, à éviter, à retenir absolument, à subir en hurlant presque, le retour à lachambre, le sommeil, la douleur, puis du sommeil calme, de la lecture, de l’écriture, des visites, celles seulement de votre compagne. Celle-ci gagne sur tous les tableaux pour un tiers notant les événements suivant leur apparence.Vous voilà sauvé, les analyses de ce qui a été retiré sont rassurantes, le cancer était aussi circonscrit qu’on l’avait analysé. Vous êtes donné à la vie, à cette femme qui vous aime, vous connaît. Mais précisément elle connaît que vous auriez souhaité une autre femme, quoique la description que vous feriez serait si pitoyablement banale, puérile, gourmande autant qu’évaporée. Pourquoi vous débattre, être si rétif devant ce partenariat pour la suite, pour la fin, pour vos vraies fins. Sans doute, vont demeurer les procédures judiciaires et doivent reprendre, aboutir à date proche vos prospections pour récupérer un emploi. A moins que ce premier accès – forcé – d’une lucidité que vous n’aviez jamais manifestée soit suivi d’un second. Vous vous délestez de tout, de vos biens immeubles et meubles, trois ou quatre valises de manuscrits, une ou deux disquettes zip, pas davantage pour la sauvegarde de tout ce que vous avez rédigé, écrit en correspondance ou en essais divers, et vous voilà à la tête d’un immense avoir, d’un vrai bonheur, encore vingt ans d’espérance statistique de vie, une volonté de créer et produire dont l’application plus méthodique et avec une tête libérée des harcèlements de vos créanciers, vous avancez méthodiquement une œuvre qui bientôt a sa reconnaissance et vous place là où vous avez toujours ambitionné, prévu, voulu d’aller.
Soit, il vous manque la prostate, et ce n’est pas une plante qui repousse. Vous y avez consenti, n’est-ce pas ? L’eunuque éprouve-t-il du désir ? La silhouette d’une femme, à contre-jour d’un habituel soleil soudain passé au rang secondaire, l’ébranle-t-elle, lui fait-elle traverser la rue, aller sur les ramblas de Barcelone dire à lapassante que vous êtes sculpteur, et que vous allez la copier, qu’elleva vous inspirer, qu’elle se mettre nue comme pour une toilette, qu’elle défera ses cheveux, que vous l’arrêterez dans cette pose, et il y aura que vous ne la reverrez jamais, juste quand elle aura constaté que la statue est faite, vous aurez dans une pièce où vous écrivez la présence permanente qui au début vous aura gêné, d’une nudité silencieuse s’observant elle-même et qui vous deviendra familière. La sculpture aura à son tour fait poser, bras de chair autour d’une taille de bronze, d’autres femmes que vous photographierez, tout aussi nues, le fantasme du fantasme, toute votre quarantaine y passa sa puissance, ses délais encore immenses et y usa votre corps. L’envie vous aura-t-ellepassé ? Comme celle que l’enchanteur, le roi des aulnes aura rendue miséricordieusement amnésique, ablation autant décisive, vous aurez le regard vide d’Ondine sur le corps et le visage de son amant.
Votre initiateur spirituel à qui vous posez la question l’entend dans son extrême vieillesse, il a le regard bleu que, dans votre enfance et même il y a quelques années seulement, vous n’avez vu de cette couleur et de cette acuité longtemps rieuse, et maintenant alternativement douce et méfiante, douce dans le dialogue, aux aguêts quand pourrait se produire quelque agression qu’un vieillard ne sait parer, sauf s’il s’y est entraîné ou est, à l’avance, très prévenu. Vous préférez que dans l’attente d’une conversation ultérieure, à tenir selon que les choses auront mûri en vous par du temps, du détachement, de la prière et probablement quelque événément apportant des données supplémentaires et empaquetant les choses autrement.
Mais lui quelle est son expérience ? il a prononcé le mot, si propre au jargon ignatien qu’on a fait du patron des Jésuites, un spécialiste de cette dialectique qu’en religion on dit être celle de la liberté et de la grâce, propre à rendre compte de la relation de l’homme à Dieu, et que dans le profane on appliquerait à tout processus de décision. Justement, Ignace ne conçoit son affaire que dans deux circonstances, celles nombreuses et menues de toute existence humaine, envoyer une lettre ou pas, proposer à un subordonné ou à un collaborateur la charge de tel collège ; ce n’est pas affaire de vie, c’est question de calme intérieur et d’un certain détachement faisant germer et apparaître, sans qu’entrent dans la délibération du vouloir propre ou des préjugés, une solution pas seulement acceptable, mais vraie. Cela peut se broder d’accessoires comme celui d’une conscience informée, d’une maturité suffisante pour répondre de soi, d’une compétence reconnue pour traiter de la chose d’autrui. On débouche assez aisément sur la situation ambigûe des pères spirituels promus directeurs de conscience. Les princes ont les leurs, et dans notre République actuelle, le fou du roi est bien le chef du moment, vagabondant selon que les sondages lui promettent l’assouvissement de l’étape à suivre de sa carrrière personnelle, tandis que la sagesse, totalement disparue dans les milieux où l’on prend les décisions, a été substituée par du savoir, c’est-à-dire la compilation des précédents, la mémoire administrative, à quoi remédient l’urgence ou la pression populaire. Défier, si judicieuse que soit la réorganisation des services du Trésor et des Impôts, les agents chargés de lever ceux-ci, et au moment précis d’analyser les déclarations de revenus, le bon sens tranche et désapprouve,Laurent FABIUS y gagne et Christian SAUTTER part dans l’humanitaire qui est comme chacun sait affaire de commandement et de technique à quoi il vient de démontrer qu’il excelle. User du monde comme n’en usant point, adage religieux que traduit le candidat à l’élection présidentielle dans le moule du politique de l’autre siècle qui gardait les yeux fixés sur la ligne bleue des Vosges : y penser toujours, n’en parler jamais.Le tout ne faisant pas une décision mais permettant de celer ce qu’on voit, quoiqu’on se conforme en tout suivant ce qui permet de l’atteindre et de le cerner davantage.
Mais il y a la vocation, la décision de vie. Ce sont les deux étendards, image toute trouvée pour un contemporain de la bataille navale de Lépante. La proposition ignatienne est bien entendu de choisir le Christ. L’exercitant y est longuement préparé, il a consenti à passer trente jours au silence sinon au pain sec. Vous y arrivez fatigué d’une vie amoureuse en partie double, c’est un 13 Juillet.Vous connaissez les lieux pour y être venu, déjà, vingt-cinq ans auparavant, comme à des examens en hospitalisation de jour. Le prédicateur d’alors, déjà proche d’être aveugle, parle les yeux fermés ou presque, le visage est particulièrement énergique, les cheveux roux, dressés sur le haut d’une tête rectangulaire, coupés courts. Laisser monter en vous ce qui vient, c’est un exercice de respiration, on semble bien loin du discernement. Votre mère vous a regardé partir là-bas, une ligne d’autobus de banlieue, une grande montée traversant Meudon ou est-ce la pente du Petit-Clamart qu’un attentat contre de GAULLE vient justement de rendre célèbre ? Elle vous voit aller vers un genre de vie qui ne vous conviendra pas, elle ne sait exprimer, et d’ailleurs vous ne lelui demandez pas, quelle orientation devrait logiquement être la vôtre, la logique par la connaissance intime, amoureuse et désintéressée, le regard d’une mère sur son fils. Elle dirigera une part, longtemps, de vos choix d’amour en en interdisant certains, en jouant avec une divination juste de ce qui en vous se prête à la dénégation et au refus, la plus passionnante et passionnée de vos maîtresses en fera les frais,vous peut-être avec elle, au motif que votre mère ne vous dira que tard et bien après coup, qu’enceinte de vous votre partenaire n’eût pas dû avorter, quelqu’étaient votre souhait ou vos objurgations. On ne tue pas un petit Mozart, elle n’avait pas douté que c’aurait été un fils, et qu’il eût donc été génial. Mais la musique, pourquoi ? Aucune résonnance dans votre généalogie ni dans votre vie familiale, car posséder une bonne discothèque en microsillon n’est pas un atavisme. Les cinq jours d’examen de conscience et d’existence s’accrochent à un débat précurseur de votre consécration à une activité unique, écrire. Allez-vous, à mesure de la retraite,noter les éléments qui se mettent en place et ceux qui s’égarent. Peut-on prier par écrit ? Est-il coupable et trop distractif d’acheter l’opuscule, pourtant à l’étal de la « villa Manrèse », des Exercices spirituels.vous avez en sus une convocation pour le permis de conduire. Vous ratez l’ensemble, de vocation aucun signe. Du bureau où reçoit Jean GOUVERNAIRE, vous voyez sortir quelques-uns de vos compagnons de ce moment-là : le visage extasié, ils sont reçus, ils seront prêtres, vous ne les identifiez pas et vous ne les reverrez plus.
L’exercice se complète d’une expérience, l’illumination sans cause, la joie fortuite, envahissante, merveilleuse, totalisante vous donnant des facultés d’extra-lucide en même temps qu’enfin, vous savez vous reposer, être content de ce que vous êtes et de ce que vous avez, la rencontre d’un partenaire d’une délicatesse et d’une force extraordinaires qui vous empoigne et vous berce. Quand Dieu entre à l’improviste est le livre majeur de l’aveugle, tâtant de sa badine rétractable blanche les massifs, les contours des pelouses tandis qu’il monte pendant trente ans ensuite du bâtiment principal vers les hauts très arborés, au sol couvert de lierre, du jardin qu’entourent des murs pas bien hauts. Un chemin de croix en faïence laide a été disposé en 1940 ; toute une promotion de Jésuites a été ordonnée en 1943, le plus fort de la guerre. Quelques-uns des membres d’alors de la Compagnie de Jésus sont de véritables héros, l’un suit ses ouailles, sans décliner sa qualité, jusqu’en Bavière, où celles-ci sont affectés par le S.T.O. Il est surpris par un de ceux qu’il soutient à dire la messe aux initiés ; dénoncé, il est mis à mort. Un autre a sa vie changé par ses années à Dachau. Les religieux ne semblent pas s’édifier entre eux, ces re-fondateurs ne sont ni suivis dans leur époque, ni reconnus pour cet épisode une fois les existences continuées et longuement vieillies. Curieusement, les professionnels du discernement ne savent plus rien lire ni voir quand la consultation est terminée. L’ouvrage du Jésuite pourrait être nourri d’une expérience qui en fait l’objet, c’est-à-dire que le prêtre, le confesseur, l’animateur verait, aurait vu dns les âmes se produire, se re-produire en forme d’une constante de la vie spirituelle et donc d’un moyen de reconnaître les inclinations les plus positives de l’inconscient humain ou de la grâce divine, ce qu’Ignace a consigné dans son diaire. Jean GOUVERNAIRE a l’humilité, la discrétion de ne rien dire de ce qu’il a vu et au contraire de commenter à fond, vivement et de toutes les manières le texte choisi.Le résultat,il est vrai,aboutit au même, la consolation sans causeni avertissement précurseur est signe de quelque chose. L’amoureux qui ne sait pas encore qu’il est, ressent soudain un changement dans sa respiration et plus encore dans l’estime qu’il a de lui-même et de l’existence : l’autre, l’aimée n’est pas loin et elle s’est approchée, ellele frôle déjà. Sensation et situation bien différentes de celles d’avoir à reconnaître l’existant, la compagne contemporaine et acquise, pour ainsi écrire.
Les « trente jours » vous passionnent et sont difficiles. Votre culture biblique est déjà en place, mais la saveur vous ne l’avez pas sur la langue et dans le cœur. La retraite commence dans la dilection, cherchant les passages suggérés à l’appui ou en accompagnement de chacun des jours dont Ignace fait un élément du parcours initiatique, vous tombez sur d’autres, vous en entrecroisez de divers, les livres résonnent et s’appellent ; l’ambiance est telle, votre prise de notes si abondante que l’exercice devient une œuvre en soi que vous servez avec docilité, pénétration intellectuelle et qu’à recevoir, fortuitement, une lettre de mise à pied par vos autorités professionnelles, au prétexte articulé comme plus tard cela sera consacré en Conseil d’Etat, que vous êtes nul au Brésil, de même exactement que vous le fûtes en Grèce, au Portugal et que vous le serez immanquablement ensuite, vous n’en défaillez point, vous réfutez, luttez et entrez tranquillement dans une période de disgrâce. Vous y gagnez quelques points supplémentaires, vous n’avez certainement pas une vocation religieuse, rien ne point en vous, qui serait d’ailleurs déjà fort tardif. Vous avez alors plus de quarante ans. Epoque que caractérisent durablement deux femmes qui se partagent votre cœur, mais dont une seule depuis quelque temps déjà vous réjouit et vous fait envie au lit et en toutes circonstances où l’on peut s’étendre ou se prendre, il est clair que l’avenir, s’il n’y en a un, ne peut être que du côté où cela penche vers le sexe, donc vers l’âme. L’expérience vous conduit à une fréquentation assidue et confiante de Jean LAPLACE dont vous ne comprenez que ces jours-ci, à présent, au moment où la pièce va vers les dernières scènes, qu’il est promotionnaire d’un autre de vos pères spirituels, le premier en date. Tous deux prêtres depuis 1943, tous deux affectés tôt dans leur vie religieuse à la culture d’un charisme évident et que la Compagnie , par exception, n’a pas contrecarré : les « exercices spirituels » que l’un donne depuis cinquante ans, la catéchèse, la pastorale d’enfants reçus quand ils ont de sept à huit ans et amenés aux premiers sacrements et à des rudiments définitifs, un art et une manière que Gilbert LAMANDE a porté, rue Louis David, pendant près de quarante ans, à un degré suprême. Vous ne pouvez avoir été mieux guidés à des moments où, censément, la vie se décide. Vous êtes un enfant marquant pour le second, certainement un disciple qu’on n’oublie pas dans le cercle et les annuités du premier. Cela ne convainc ni n’incline les tiers. D’une éventuelle vocation religieuse qui vous ferait débarquer dans la Compagnie ,à peine quitté ses collèges parisiens, le « père spirituel » en terminales de Saint Louis de Gonzaguene veut entendre parler. L’expertise confiée aux spécialistes de Manrèse est soutenue par une analyse graphologique : vous avez trop de volonté, trop d’intelligence pour ne pas vouloir, avec passion et succès, briller, demeurer en vue. Ce n’est pas d’un saint. Que votre incapacité à choisir une femme quand il s’en présente une, « bien sous rapports », et cette occurrence ne vous a pas fait défaut, puisse être le signe que vousêtes « fait » pour autre chose que le mariage et le « donjuanisme », n’est pas davantage retenu. Vous êtes renvoyé au célibat des laïcs, non consacré, non heureux, non fécond, espèce statistiquement proiliférante, y compris dans les ambiances chrétiennes et pratiquantes où la hiérarchie des clercs n’a à proposer que l’impossible : le mariage, le sacerdoce, la vie religieuse. D’un tiers état, pas question quoique le plus grand nombre en soit. On recrute ce qui peut s’encadrer. A lire : Vingt ans au couvent, Dieu ne m’a pas parlé, vous jubilez tristement d’une découverte d’évidence. Recalé pour non-conformisme et excès de place prise dans tous les organigrammes auxquels les grands concours de l’Etat et, en fin de période, un zeste de faveur présidentielle vous ont donné accès, vous l’auriez été plus encore, et avec davantage de subtilité dans toutes les congrégations religieuses du siècle. Le libre-examen a rendu impossible,l’eussent-ils sollicité, le retour des protestants dans l’Eglise catholique, le libre-arbitre est encore pire, car quoique vous ayez, précisément ces jours-ci, conscience de n’avoir jamais eu à décider auparavant, qu’on l’exerce ou pas,il fait désordre, il rend celui qui s’y adonne imprévisible. Les sociétés actuelles préfèrent l’impossible, soit la mort d’inanition ou par suicide de leurs sujets, à l’imprévisible,à ce qui est par nature ingérable. Or, un groupe n’a compétence sur ceux qui consentent à le composer ou s’en trouvent membres de naissance et par raccroc, qu’à raison de les gérer. On vous traite, on vous enferme dehors, on ne vous gère pas. Voilà.
Or, votre motif de comportement, surtout quand il passe pour rébellion, insubordination ou transgression, est purement d’un ordre que ni une congrégation religieuse ni une administration ne peuvent considérer chez un de leurs membres ou agents. Un métier, un état de vie, dès lors qu’on en es, qu’on y est, il est superflu ou seulement accidentel qu’ils épanouissent, qu’ils concourent à l’accomplissement d’une vocation. Si vous demeurez à près de soixante ans, toujours dans l’ignorance de votre vocation, en revanche vous ne doutez pas d’en avoir une, d’être appelé à quelque chose, à quelque mission,à quelque position pour l’intérêt général ou dans le plan de la providence. Verbiage quand il est celui d’un raté, prétentieux pourtant, forte note et explication de tout quand une telle conviction fait aboutir à un pinacle. Si « l’homme du 18 Juin » a toujours fait remonter sa légitimité à tous égards et envers tout et tous, à cette date-là, il n’a, par contraste, ni écrit rétrospectivement ni prétendu avant l’événement qu’il y était prédestiné. Mais quelques proches, durant l’époque antérieure à la notoriété et à l’exceptionnalité, attestent de la prescience qu’il eût parfois de ce moment où la patrie s’accrocherait à ses basques. Charles de FOUCAULD n’a, dans son ciel astrologique, que des oppositions. Sa destinée, est à proprement dire, impossible. Pourtant un corps, une âme, un esprit, des appétits lourds et coûteux, des talents et du métier reconnus,peu communs à l’époque encore coloniale ont nom et grade ; il faut vivre. Docile à un « directeur » d’exception, l’Abbé HUVELIN, Charles, dont vous aimez le prénom et qu’on vous donna plus ou moins, n’a de ressource que la transversale,d’orientation possible qu’en transcendance. D’une prise à la lettre des textes évangéliques à lapérégrination dans tous les lieux où marcha et respira le divin maître, rien de sort pourtant qui apaise et stabilise le fou de Dieu. Inachevé de composition et de documentation, seulement intuitif et provoquant un tantinet, le livre de jea-Edern HALLIER rend compte du phénomène, ces vies qui n’ont pas le choix et dont quelqu’un par naissance,porte en croix les contradictions souffrant d’une inextinguible soif d’absolu, de beauté, d’une vérité totale et ensevelissante. La mort par un éblouissement supportable, l’Abbé PIERRE en témoigne à sa manière d’une vie passionnément ingénieuse, inventive et somme toute politique quoiqu’elle soit celle d’un franciscain d’origine. Le vieillard décrié du printemps de 1996 – celui de « l’affaire Garaudy » -, disant la messe en odeur de sainteté et assis dans une chambre d’hôtel où vous et deux pélerins qui sont venus exprès à Zermatt, a comme image posé sur le livre du « canon » la photographie qu’il a prise sous beaucoup de ciels : le cercle que font les étoiles quand la pose est assez longue et qu’aucune réverbation parasite et davantage terre-à-terre ne trouble l’exercice. La mort ou sa version la plus achevée, une vie consacrée, orientée qui dépasse celui qui en est dotée et qu’alors tout pousse à retourner vers le créateur, en collaborateur important, parfois nécessaire (saint Paul), de celui-ci. Vous avez cherché le prince vous employant, faute de lui, vous avez cru à l’accomplissement domestique, discret et intime d’une conjugalité qui cependant aurait tous les traits d’une vocation. Une femme aussi faite pour vous que l’habit religieux, qu’une vie héroïque,mais qui devrait pourtant satisfaire aussi à quelques déformations imputables à des lectures, toutes dans le même sens, et à une éducation ayant quelques conséquences. Le goût de la rencontre, de l’extraordinaire dans la rencontre, davantage que celui de la durée, à laquelle vous avez toujours consentie à condition qu’aucun vœu ne la consacre. Bien entendu, l’extraordinaire est survenu à volonté à l’instar des moulins à vent défiant Don Quichotte. Livre qui vous a enchanté mais dont la dernière page ne vous avait jamais retenu. La lucidité que donne l’article de la mort.
Pour Gilbert LAMANDE comme pour Jean LAPLACE,l’histoire de leur vocation est courte, lapidaire, ce qui a compté c’est la fidélité dans la durée et leur ministère, ils ont répugné toujours à en systématiser les secrets ou à révéler les rencontres que leur art leur procura, les âmes nues, Satan parfois, La névrose chrétienne souvent, la perte de soi et des repères originels quelquefois. Pour l’un et l’autre une évidence, davantage amoureuse chez le premier au cœur admiratif et féminin, plutôt ludique chez l’autre prisant le mime, la parole publique et laissant incertain du point de savoir, si – religieux – c’est un tendre, compatissant, ou un dur, détaché sans abnégation des personnes puisque celles-ci sont si contingentes. Leur ministère à chacun est de disposer quelqu’un devant Dieu ; de Celui-ci, ils ont la sagesse ou l’instruction de ne pas témoigner au propre, directement ; ils se retirent, une fois accomplie la mise en présence mutuelle de la créature et du Créateur, et ne reviennent, parfois, que pour éviter au novice l’illusion de se croire arrivé. Leur texte, oral, s’arrête là et ne va pas aux drames auxquels ils ne purent rien. Et dont vous avez connu certains des acteurs-victimes. Etre jésuite parce que cela me faisait plaisir, quelle vérité dans un aveu, dans le souvenir qu’à près de quatre-vingt-dix ans un religieux garde de sa décision à seize ans tout juste. Pas d’autre solution quoique le vieillard ne fasse discerner qu’il y ait eu un problème. L’évidence qu’avec le sourire trois de vos condisciples, autour de votre âge, quand ce sont les dix et les quinze ans pour tous, vous disent, en réponse à votre interrogation : comment ? Vous ne sollicitez pas qu’ils vous révèlent des moyens, les moyens, ceux-ci sont secondaires, puisqu’ils « ont » la vocation, en bien propre, vous demandez à savoir comment ils s’y sont pris, pour se reconnaître, pour être reconnus : appelés, élus, aptes à entrer en religion. Pas un n’y a survécu, du moins survécu dans l’état qu’il avait embrassé sous vos yeux. Qu’avaient-ils discerné ? comment ont-ils cédé au mirage ? comment une telle discontinuité dans les apparences peut-elle constituer cependant le seul tenant d’une vie unique ? Votre continuité est l’attente et il vous faut avoir atteint beaucoup de décennies pour que vous perceviez qu’en vos lieux et places, quelque chose d’intime s’est fait qui est cohérent : vous, vous-même et vos attentes, vos manques, votre adolescence demeurée, votre capacité intellectuelle et votre énergie vitale si mal appliquées quelles soient. Vous faites envie autant que pitié, ainsi qu’à d’autres – en termes de votre carrière professionnelle, vous fîtes peur. Vous avez plus d’effet sur autrui que sur vous-même et c’est de vous que vous cherchez les moyens de vous évader.
Debout ! Engage un procès devant les montagnes, que les collines entendent ta voix. Et il reçoit cette réponse : Homme, le Seigneur t’a fait savoir ce qui est bien, ce Ce qu’il réclame de toi : rien d’autre que pratiquer la justice, aimer la miséricorde, et marcher humblement avec ton Dieu. (…) Sur le chemin qu’il aura pris, je lui ferai voir le salut de Dieu [1].
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