jeudi 19 juillet 2012

dérision - l'impossible est notre vie . récit . 12 (à suivre)









DERISION





Il chante en semblant aboyer, les jambes trop longues mais portant bien les pantalons rayés pour redingote de l’autre siècle, la bouche et le menton faisant autant l’angle aigu à branches immenses que ce qu’il a de corps dédoublé entre ceinture et sol de la scène. C’est à Vienne : La chauve-souris, et la mélodie de STRAUSS rend plus savoureux encore les deux mots seulement qu’échangent les rivaux dans ce qu’ils veulent faire l’un à l’autre, leur langue maternelle, la vôtre de Français au Volksoper où les choses sont dans l’allemand qui fait référence même à Berlin. Appuyé d’un coude au pupitre qu’on croirait une chaire, si en face il n’y avait le jeune rapporteur et de côté, sévère et muet, le jury des cinq magistrats, le Commissaire du gouvernement vous fait aussitôt penser au ténor autrichien. Le menton provoquant, le nez qui pointe, le gris du visage mais pas de l’élocution. C’est vous qu’on assassine en Conseil d’Etat.

S’il est un recours qui ne fait pas un pli, c’est bien celui que vous introduisez contre votre administration d’origine, quelques lignes fondées sur le décret régissant votre corps, l’expansion économique à l’étranger, en toutes lettres. Qu’une réaffectation, précisément à l’étranger, vous soit refusée est illégal, la possibilité que s’est, vingt-cinq ans après la prise du texte originel, donnée la gestion des relations économiques extérieures au ministère de l’Economie et des Finances, n’est manifestement qu’une aisance, et celle-ci est àl’adresse des agents et non de la hiérarchie, il peut bien arriver qu’on n’ait absolument plus convenance de servir à l’étranger pour raison de famille ou de santé et « la centrale » est trop petite pour accueillir et employer les conseillers commerciaux en nombre, d’autant qu’elle recrute elle-même pour en disposer à Paris des administrateurs civils. Le point de droit n’est pas considéré par votre adversaire, qui met deux ans à motiver son refus et se garde de le faire discrétionnairement. On recopie des éléments d’appréciation et de votre dossier signés à vos débuts et qu’on provoqué votre collaboration au journal Le Monde ou la frayeur que causèrent vos chiens berger-allemand à votre prise de fonctions en Grèce. Qu’il soit illogique de vous prétendre malfaisant et nul à des dates très antérieures à vos plus prestigieuses ou honorables affectations, et d’en reprendre l’argument maintenant que celles-ci vous ont quitté, qu’on s’appuie sur des suppositions pour s’expliquer que détaché au ministère des Affaires Etrangères et rendu sans procès ni explication à votre premier employeur, ce qui vous rend doublement impropre au service selon votre métier, vous régale d’abord quand vous en lisez l’écrit et les annexes qu’on y a jointes. Vainement, vous avez tenté d’être entendu par la signataire, nouvellement promue à la tête du Personnel rue de Bercy, agent d’autorité, pas seulement féminin, mais fin, artiste, pieux, ne commet-elle pas un commentaire de beaucoup de belles photographies de l’abbatiale de Conques, que vous affectionnez tant, quant à vous. La dame n’a pas même la curiosité de voir la bête, l’aplomb de ses refus vaut le faux qu’a commis pour le dossier de Jean ARTHUIS une autre, sa devancière au cabinet des ministres, quatrième ou sixième étage avec accès direct au fleuve ainsi qu’aux airs, à la plate-forme pour hélicoptères et à l’embarcadère à quai de la Seine. De ces bâtiments bien posés et bien proportionnés, aux noms de baptême ou d’enseigne qui vous plaisent, MENDES FRANCE, BEREGOVOY, ne sort donc avec labeur qu’un étal de juris-classeur et un anti-portrait léché, dont vous savez l’auteur au beau profil d’adolescent cachant son ardeur à plaire et sa complaisance d’être tout proche d’une première arrivée à des emplois de direction. Vous tartinez, vous dépouillez, vous lassez mais vous dites et écrivez tout, ce que vous renvoyez en observations pour répondre devant le juge administratif est copieux comme ce qu’on donne à un jury de thèse. Vous avez raison de tout, c’est manifeste et vous ne sollicitez aucun fait, vous n’en omettez aucun, la cohérence de votre carrière, le soleil qui souvent l’abrite, le soin que vous avez de vos collaborateurs et qui l’éclaire sont convaincants. La rétrospective vous va bien.

L’aboyeur, dont vous reconstituerez après coup, qu’il ne passe que quelques mois au contentieux entre le conseil du président Abdou DIOUF au Sénégal, référence de légalisme en soi et de pratique du droit français, et les fonctions en vue de rapporteur pour la commission de la Concurrence et des Prix, ou est-ce celle des Marchés publics, certainement exposées, lui, n’entre dans aucun de vos cadres et développements. D’une phrase, il réduit une centaine de pages à la vanité de votre tentative de situer dans leur contexte les reproches qui vous sont faits, et dont au contraire il évalue au plus lourd le poids de vérité. Médiocre serviteur, personnalité plus attirée et concernée par le lucre que par l’abnégation d’une profession très représentative, vous êtes, à bon droit, justiciable d’une gestion personnalisée et précautionneuse. Le sort qui vous est fait est le bon, il ne s’agit pas de sanction mais de prévention : en cage le pestiféré, le dangereux ! Place du Palais-Royal, une fois passées les grilles, laissée une pièce d’identité, reçu un badge (vous conserverez celui qui a numéro un et qui vous aura échu à l’une de vos nombreuses venues aux nouvelles de vos cinq recours en excès de pouvoir ou en inexécution de la chose jugéee)et monté le grand escalier qui se divise à mi-étage pour servir beaucoup de salles aux décors PUVIS de CHAVANNE et à boiseries tristes, on ne peut bondir comme à une audience, crier au mensonge, au déni, au viol, à la caricature manifeste. On reste assis et prostré, on ne peut obtenir aucun des textes, des plaidoiries qui décident de votre destin. Vous restez aussi impassible qu’il vous est physiquement possible, vous regardez les jurés, promenant sur eux très lentement vos yeux, les attardant sur une femme, puis l’autre, qui encadrent le président de section ou de sous-section et ses autres assesseurs. Ouvriront-ils votre dossier, auront-ils le mouvement de lire une seule de vos pièces car il est trop gros le trait qui présente votre visage au jugement ? Tenter de si loin d’émouvoir ces gens d’en-face, passer de cœur, de bon sensles quelques mètres de plancher séparant le public des magistrats, et le commissaire du Gouvernement du banc et des tables du greffier et du rapporteur. Une députée, il y a peu, s’est interrogée, le Conseil d’Etat rest-il, comme on l’enseigne le garant des libertés individuelles et publiques en France, la dualité de juridiction est-elle de bonne justice ? Elle répond que non et vous le vivez, juge en premier et dernier ressort de tout fonctionnaire nommé par décret, le Conseil d’Etat est originellement et toujours, d’abord le conseiller et le gardien des mécanismes d’Etat. la liberté, le droit ne doivent pas entraver l’instrument de la collectivité, cette maxime l’emporte statistiquement, ce jeudi en tout cas d’un printemps qui n’a pour vous aucun parfum, aucune fleur, pas la moindre légèreté. Huit recours sont balayés, avant le vôtre, par le même à la laideur adéquate à son texte. Il s’agit de protester huit fois contre un tracé d’autoroute faisant enjamber par d’immenses arches toute une ville de notre Massif central, et si vous avez le malheur d’avoir choisi la tranquillité des environs de Millau, votre terrain, votre maison vont jouxter un stationnement de voitures, une distribution d’essence en sus du bitume pour X voies, à ne plus pouvoir aller à l’autre bout du jardin sans rouler quelques dizaines de kilomètres pour passer enfin sous l’obstacle et rejoindre votre parcelle. Précieux directeur adjoint du cabinet de Jacques TOUBON, Garde des Sceaux, il piétine sans le savoir un des hôtes de son ministre quand celui-ci avait la nominalité du pouvoir, en sorte que vous ne pourriez démontrer qu’a été commandée contre vous la vindicte. Pas même d’une promotion voisinant le chef qui vous refuse votre emploi. Votre avocat ne peut ajouter ou commettre davantage que vous, vous avez d’ailleurs rédigé seul votre recours, votre mémoire, vos observations ; il vous a à l’époque de vos écritures assuré de tout en opinant que vous pourriez ne répondre qu’en deux mots : sanction déguisée puisque l’administration établit son refus sur une longue motivation ; il vous dit à présent que la suite compte seule, celle tenant aux rédactions de son cabinet, et d’attendre le résultat des procédures engagées en exécution par le ministère des Affaires Etrangères, de l’arrêt qui a été rendu en votre faveur. De fait, vous attendez.

Car il s’était trouvé dix-huit mois auparavant un autre commissaire du Gouvernement pour révolutionner, par l’espèce que vous présentiez, toute la matière, fort grande et important beaucoup, des nominations dites longtemps à la discrétion du Gouvernement, et maintenant à sa décision. Votre arrivée aux fonctions d’Ambassadeur s’était faite uniquement sur un plan politique,encore était-ce le fait de Pierre BEREGOVOY, Premier Ministre ou allant l’être, c’est-à-dire de celui des trois signataires du décret pertinent qui, en principe et d’ordinaire, intervient le moins dans ce genre de nomination. Il est vrai que vous aviez déjà fait exception puisque Michel ROCARD vous avait fait rembarrer. Quand viendrait l’heure du revers, vous n’auriez plus aucun protecteur de la décision d’antan, puisque ne vous ayant pas nommé en onze ans de règne accomplis, François MITTERRAND accepta la proposition de son futur Premier Ministre au printemps de 1992, mais ne la fit pas sienne au point de vous défendre trente mois plus tard ; sa maladie ne détermina pas sa passivité, il était prévenu contre la corporation mais pas engagé envers vous ; le ministre des Affaires Etrangères qui vous avait nommé n’avait pu imposer, en sus, votre intégration. Vous avez parié, en introduisant votre recours, sur une ambiance dans laquelle le Conseil d’Etat, voudrait, à proportion que s’accèlère ces années-ci la succession des gouvernements, cadrer un peu le sujet, réduire l’arbitraire. Celui-ci, certifié à l’entrée en fonctions par le barrage opposé par les gens de «  la carrière » à tous ceux qui n’en sont pas, et prévisible, admis selon un système des dépouilles faisant tomber les favoris du camp précédent. Vous n’aviez pas projeté aussi précisément que ce qu’il se passa. Celui qui boucla votre dossier devant la haute juridiction, vous l’aviez consulté, dix ans auparavant, dans un cas similaire, quoique de moindre portée : le refus de vous réaffecter à l’étranger dont vous pâtissiez une première fois, mais la décision à attaquer n’était pas implicite, elle avait pour elle un écrit de votre hiérarchie et une annotation du ministre d’alors, en charge du Commerce extérieur, Alain CARIGNON qui a depuis fait florès. La menace de votre recours survenant dans un moment où une élection présidentielle allait se jouer vous tira d’affaire en 1987-1988, et vous aviez encore des amis, aux endroits où se bloque ou débloque une décision. L’automne suivant juste le renversement de la majorité parlementaire et le retour de socialistes, sinon « des » socialistes, au pouvoir avait constitué à l’été et à l’automne de 1997, l’ambiance ; les magistrats ne prendraient pas position politique, puisque la jurisprudence, cotée au recueil Lebon, pourrait également valoir pour ceux que les nouveaux venus auraient eu envie de dégommer, surtout ils traiteraient des droits de l'homme et imposeraient certaines conditions de forme aux mises au rancart. Justement Ronnie ABRAHAM est militant de ces droits, c'est le coup de théâtre. Autant, le recours contre le ministre des Finances vous paraissait gagné d’avance, ce qui rendit votre déconvenue totale, autant celui dirigé contre les Affaires Etrangères était jouer au loto. Mais – paradoxe ! - le revirement de la jurisprudence, justement, vous défavorise. Les changements au gouvernement vous firent recevoir dès le début du premier été de Lionel JOSPIN à Matignon et d’Hubert VEDRINE au Quai d’Orsay, d’abord par un de vos camarades de promotion, numéro trois bis dans la hiérarchie des services parisiens. Il balisa pour vous les Ambassades à solliciter – utile géographie car depuis six ans, vous n’avez pu atteindre aucun exemplaire pas trop démodé de l’annuaire diplomatique, précisément –, il fit le portrait du ministre remplacé, et croqua pour le plaisir quelques rivaux qui avaient tout misé à droite. Vous connaissiez le principal d’entre eux, qui n’avait pas prévu la dissolution manquée de 1997, mais vous avait peloté dans la perspective de 1988, puis instrucutionné à votre départ en Ambassade quoique vous ayez aisément reconstitué que vous n’aviez jamais été son candidat pour le pays où vous alliez. Jacques BLOT, qui s’attribue la restauration et la remise en valeur du palais Farnèse, faute d’officier à Washington ou à Moscou, est surtout celui qui, directeur d’Europe, affirmer réserver sa copie pour la seule lecture du Président de la République ; résultat : François MITTERRAND, s’il n’y avait pas eu l’entente d’esprit et d’expression de Roland DUMAS et de GENSCHER, aurait eu tout faux quand la République fédérale fut en situation d’absorber inconditionnellement l’autre République allemande. Nationaliste quant à lui, suffisant comme presque tous les Français quand ils sont en position de force ou d’être vus, il ne pouvait imaginer qu’un partenaire, surtout de faible envergure, le soit aussi, un petit peu ; par lui, sauf démenti par ses rédactions dont il vous avait promis la collection rétrospective, la France fut maintenue à côté de ce qui secouait l’Europe et était un retour, qu’on le déplorât ou non, aux nationalités. Comme toujours, le propos et sans doute l’écrit sont intelligents, dialectiques, irréfutables pourvu qu’on en accepte les prémisses ; la doctrine, au rebours de nos refondateurs de 1958 à 1969 et d’un épigone en 1973-1974, est au « multilatéral », c’est-à-dire qu’elle justifie l’instinct de peur et de grégarité au détriment d’une perception de ce qu’a, par nature pour notre pays tel qu’il est et où il est, la résurgence des patries, fussent-elles exigües ou domestiques. Vous partîtes au Kazakhstan avec un programme contraire, d’autant plus à aiser à structurer dans vos premoers entretiens officiels, que comme les autres Ambassadeurs dans les anciennes Républiques soviétiques ou du camp socialiste, vous n’aviez pas d’instructions préalables. Les lauréats des années 1990 furent, dans la diplomatie française, tous ceux à qui avaient échappé les événements de 1989 à 1992, des manifestations de Dresde et de Berlin, au coup de Moscou et au déclenchement de la guerre de Yougoslavie. Celui qui à Prague n’avait pas su empêcher la partition de la Tchécoslovaquie était promu à Londres puis près le Vatican et n’a décanillé que depuis peu. Claude MARTIN, amical et averti, cessa d’être amical et attentionné parce qu’averti de la suite quand il ouvrit notre Ambassade à Berlin et que vous avez essayé d’obtenir quelques papiers pour documenter cette biographie dont vous n’aviez encore aucun projet de l’entreprendre quand vous gardiez encore les espérances qu’il ravivait. En ce sens, les événements depuis que vous avez chuté ont toujours eu pour effet d’engendrer de l’imprévisible, comme si aucun plan, aucun repère à  l’ancienne ne serait plus jamais valable en ce qui vous concerne, et ainsi êtes-vous acculé à marcher vers l’inconnu, puis à reconnaître cette direction comme celle vous ayant toujours convenu, quoique vous l’ayez longtemps négligée parce que la banalité d’une carrière administrative, à peine favorisée, vous avait dispensé d’être tout à fait conséquent avec l’image libertaire et incoercible que vous donnez de vous-même, persvéramment.

L’été de 1997 se finissait et l’automne avait commencé sous des auspices favorables. Sans doute, vos relations de l’époque MITTERRAND s’étaient-elles dérobées. Jean VIDAL et Jean MUSITELLI, gardant le nouveau Premier Ministre dans les matières européennes, étaient, à tout prendre, une relation moins opérationnelle que celle offerte par le propre conseiller diplomatique, Jean-Maurice RIPERT. Vous ne l’aviez pas visé mais le directeur du cabinet vous avait indiqué d’avoir à le rencontrer. Les conversations se suivaient, vous montraient que Jacques CHIRAC, parce que maître des salons et gardant de la signature, n’était pas encore perdu et que votre nouvel interlocuteur était flatté que le Président de la République traversât un salon pour aller lui tendre sa main. Les écrouelles, même les républicains, aiment à en être guéris. Une certaine gloire d’être ployé et solliciteur, se grandissant à proportion qu’on hausse, dans son intime, le souverain de l’heure ou de l’habitude. Les thèses « gaulliennes » n’étaient ni plus ni moins brocardées que depuis 1969 et vous vous gardiez, dans l’instant de ces rencontres dont vous espériez une prochaine nomination, d’opiner contre celui qui recommanderait la vôtre au ministre des Affaires Etrangères au nom du Premier Ministre. Le voile se déchira, quand – nanti du texte de l’arrêt par télécopie de votre « avocat aux conseils » - vous laissâtes votre homme continuer d’exposer que le Premier Ministre ne voulait aucunement user de la force dans le registre des nominations quelles qu’elles soient, et attendait plutôt que les délais de convenances permettent quelques remplacements. Vous listiez périodiquement au Journal officiel les nominations qui cependant étaient faites, on vous répondait que vous étiez dans la charrette des plus méritants, à l’égal (ce qui vous flattait) d’un ancien commissaire au Plan, voire d’un député, par exception, battu, malgré le rose de l’époque. Puis, vous avez déposé les trois feuillets de « votre » arrêt, et vous avez vu. Plus rien n’était désormais accessible,l’annulation du décret ayant nommé votre successeur en ce qu’il avait pour premier effet de vous virer inquièta aussitôt le conseiller diplomatique pour son camarade de promotion, lui-même presque risible homonyme du nouveau ministre de la Défense – combien avait-il dû être félicité là-bas lors de la formation du nouveau gouvernement ! Il ne s’agissait plus de vous trouver un point de chute, expression piquante quand elle traite l’espèce de quelqu’un déjà totalement à terre et depuis du temps, mais bien de protéger un autre personnage des conséquences de la décision du Conseil d’Etat. Accessoirement mais décisivement, il allait s’agir pour le ministère des Affaires Etrangères de rentrer dans la légalité sans vous gratifier de rien. On commença par vous prier de consulter votre dossier administratif. Jusques là, il vous avait été affirmé qu’un Ambassadeur n’a pas de dossier ce qui prive d’objet toute demande d’y accéder. Y figuraient vos droits à congé, et quelques papiers topiques, notamment des correspondances de l’avocat du Quai minimisant la décision de la haute juridiction, ou bien un commentaire au crayon-feutre, interne à la maison et au petit cercle faisant et défaisant les nominations, qu’un anonyme avait porté en marge d’un de vos télégrammes réclamant quelque clarté sur la suite de votre carrière. Enfin, il s’avérait que dès l’été de 1993 quand se préparait laborieusement la visite d’Etat du Président de la République, de « votre » Président de la République au Kazakhstan, vous étiez dans le collimateur. Le contexte, en gestion des ressources humaines, était crayonné, celui des tirs que vous aviez essuyés, cinglants pour votre amour-propre et, pour un observateur attentif, heureusement il n’en existait pas localement d’assez averti, désastreux en termes d’image et de crédibilité. Les mois s’écoulèrent, plus d’un an après le rendu de l’arrêt, vous fûtes prévenu qu’on allait reconstituer les quelques années de carrière séparant vos moments de gloire de ceux de votre débine, on ferait signer aux trois signataires désignés par la Constitution un décret dans la même forme que ceux qui vous avaient nommé puis dé-nommé, le décret disposerait non pour la date de sa signature, mais pour quelques secondes du temps devenu lointain où l’on vous renommerait Ambassadeur à la date où l’on vous avait vidé, puis, étant supposé que vous aviez désormais eu toute satisfaction de forme, puisque votre dossier administratif vous avait été communiqué, vous seriez à nouveau dénommé. C'était ridicule, vous l’écrivîtes et votre avocat le dit autrement, la chose fit long feu et vous attendez depuis lors un simple arrêté dont le fond vous dispensera de rembourser la différence certainement sensible entre vos émoluments parisiens perçus rue de Bercy (en emploi fictif) et ceux que vous auriez perçus, si vous étiez resté, comme de droit, au ministère des Affaires Etrangères mais en administration centrale. Car vos recours en exécution sous astreinte du premier arrêt dont vous aviez été favorisé, ont abouti en trente mois (même délai que celui mis par vos collègues d’occasion pour avoir votre peau) à une indemnité équivalant à un mois de traitement en fonction à l’étranger et à quelques frais d’avocat dont vous avez bien sûr à reverser une part à votre conseil. Il est en revanche confirmé que vous ne faites partie que des cadres du ministère des Finances. Le revirement est sauf puisque cette mise à la charge de l’Etat de frais et d’indemnité signifie que vous avez raison. Moralement. D’expérience, vous concluez qu’il n’est pas certain qu’une juridiction jugeant en premier et dernier ressort des cas de personnes (tout fonctionnaire de l’Etat nommé par décret en Conseil des Ministres)soit forcément la meilleure gardienne possible des libertés individuelles et publiques, et que l’exceptionnalité napoléonienne ayant établi chez nous et quelques-uns de nos satellites intellectuels du siècle dernier, la dualité des juridictions soit à tellement défendre si dans l’avenir, il fallait fusionner tous les systèmes juridictionnels en Europe. En quelques minutes, sans que vous puissiez élever la voix, rectifier une erreur de date ou de chiffre, et a fortiori tenter de raisonner une charge caricaturale à votre encontre, le destin se noue et plusieurs années d’attente, d’espérance puis de bienheureuse distraction par rapport aux lignes principales de votre vie, sont d’une phrase conclues. C’est de ces moments qu’a daté votre imagination d’un meurtre vous donnant accès à une procédure où décide finalement un jury, éclairé par l’ensemble de votre vie, par l’étude de votre caractère, des circonstances atténuantes et après qu’aient enfin défilé à une barre, tous ceux qui, en droit administratif, peuvent impunément détruire, stranguler, moquer leurs concitoyens comme si le droit divin ou la classe des esclaves ou des métèques étaient encore, sont toujours notre sociologie nationale et quotidienne. Les assises sont toujours davantage peaufinées, des juridictions d’appel viennent d’être instituées, le juge d’exécution des peines, la grâce préidentielle ouvrent autant de recours, de voies d’adoucissement. Pour celui qu’on met et maintient au placard, il n’est même pas la ressources du tapage, le droit à un dialogue minimum. La corporation dissuade le ministre de se soucier de vous, elle écrit même - sous la signature du directeur du personnel, un de vos camarades de promotion, nommé depuis en Côte d’Ivoire où il a excellé à prévoir la chute des épigones d’HOUPHOUËT-BOIGNY - qu’elle n’obtempèrera pas à ses demandes d’être informé. Le secrétaire général, successeur de celui qui vous avait présagé, le premier, votre chute, avait été très amène d’apparence quand vous étiez en cour et en phase ascensionnelle ; il vous assure, décision ou pas du Conseil d’Etat, que, si d’aventure vous parveniez à vous re-faufiler comme autrefois dans les «  allées du pouvoir », le Quai d’Orsay opposerait toute sa masse d’inertie aux injonctions politiques vous favorisant : observation crédible puisque vous n’atteignîtes votre aléatoire pinacle qu’après douze ans de correspondance avec un Président régnant et redoublant son mandat. Quant au ministre de la énième « cohabitation » qui avait été précisément le dernier des secrétaires généraux du Président défunt, vous n’accèderez à son audience que par raccroc, la documentation de cette biographie d’un de ses prédécesseurs. Vous irez par un escalier qui vous fut familier, quoiqu’il soit assez grandiose, vous asseoir dans des salons où Michel JOBERT à vos trente ans vous raccompagnait, et méconnaissable d’angoisse, quoique les huissiers vous aient remis, vous entendrez pendant une quarantaine de minutes un homme sans prestance mais en place vous exposer que le plus prestigieux et durable de nos ministres des Affaires Etrangères depuis VERGENNES et DELCASSE, ne serait qu’un amateur en chambre s’il revenait aujourd’hui à cette place. Le « multilatéral », le courrier électronique et les complexités d’agenda sont tels que les gouvernants n’ont de liberté dans l’emploi de leur temps qu’au moment de passer le service. Une ingénieurie immense et formidable, actionnée par des experts est donc à la source de la grandeur française contemporaine, celle qui a tout à gagner des guerres à mille contre un aux frontières de l’Irak ou aux alentours de Belgrade et de Pristina, et qui « plaide » pour les truismes humanitaires et européistes, quand les coups sont depuis belle lurette décidés ailleurs, et tirés ensuite. Vous n’interrompez guère, les mains moites de la conscience que vous avez de jouer votre avenir sur l’impression que vous tâchez de donner ; d’une certaine manière, vous êtes absent de votre enveloppe corporelle, vous invoquez la divinité pour qu’elle infléchisse celui qui d’une demi-ligne au crayon en marge de la lettre cachetée que vous lui remettez, à l’instant où il vous donne congé, peut vous rétablir en presque tout. Ainsi rencontrez-vous Hubert VEDRINE, de la destinée de qui, non plus, vous n’aviez pas eu la prescience rien qu’à le voisiner en déjeunant ensemble, avec beaucoup d’autres, sous les yeux d’Andreas PAPANDREOU recevant François MITTERRAND, entre socialistes de gouvernement. Démocratie française et sécurité statutaire de la fonction publique, cartomancie et qualité objective que vous aviez reconnu, dès les premières pages aux Mondes de François Mitterrand. Mais un gouvernant capable de libre examen, quand c’est une question de personne qui lui est posée, vous n’en avez plus connu depuis vingt-cinq et quinze ans. Le disgrâcié est moins chambré que n’importe quel Chef ou Secrétaire d’Etat.

Son adjoint à la Présidence de la République est devenu ministre ou secrétaire d’Etat au Budget ; mince et pincé ce qui peut valoir une élégante de silhouette, Christian SAUTTER, bien après le rendu de décision en Conseil d’Etat déboutant les Affaires Etrangères, accepte de vous donner quelques mots au téléphone, par strict souci d’économiser les deniers publics puisque vous coûtez à ne rien faire ou à être malade. Le directeur du cabinet du Premier Ministre, peut-être descendant de ce ministre de l’Intérieur de Léon BLUM que Charles MAURRAS menaçait de bastonnade par ses camelots, donne instruction à son homologue des Finances pour traiter votre réaffectation puisque le Quai d’Orsay n’est pas compétent, aperçu décidé proprio motu ou à l’instigation des Affaires Etrangères. La note est aux initiales du conseiller diplomatique s’étant ainsi ostensiblement défaussé tout en gardant l'apparence de vous traiter  - même procédé que trahit la gloriole des initiales du rédacteur faisant signer à l’échelon supérieur, quand un peu plus tard, vous avez tenté d’obtenir quelque charge ou maîtrise d’études ou de conférence aux Sciences Politiques dont vous aviez autrefois été l’élève. Elle n’est suivie d’aucun effet, mieux votre hiérarchie directe dans les quinze jours où vous tentez de reprendre pied honorablement dans votre corps d’origine change deux fois de titulaire et le bellâtre qui était chef du personnel peut agir en nom propre, puis pour ordre du directeur démissionné et que lui-même va remplacer, et enfin, dernier temps, pour ordre du ministre lui-même afin d’être couvert. Et il y a de quoi puisque vous êtes préposé, latéralement comme le signifie l’emploi de chargé de mission, aux statistiques et aux études de votre ancienne direction, chargé de mission auprès d'un de ses sous-directeurs. Autant que le ministre des Affaires Etrangères du Général de GAULLE passe pour anté-diluvien selon l’estime de son lointain épigone, autant vous êtes démodé et l’exercice de vos fonctions jusqu’il y a peu, ne peut plus vous servir d’expérience. Christian SAUTTER et VILLEROY de GALHAU feignent d’apprendre votre acceptation empressée, alors que vous avez écrit votre refus, et vous félicitent. Le mensonge est à tous les stades d’une procédure totalitaire, de discussion, de perspectives, d’éventuelles attentes ou remises à jour à quoi vous vous prêteriez naturellement, il n’est pas question. L’aboyeur qui a remplacé, comme commissaire du Gouvernement, l’apôtre du droit, sinon de la petite bête en même temps que des grandes causes, l’une tenant aux autres et déterminant parfois celles-ci, vient donc à point nommé faire la symétrie de votre chef de service. Ni de l’un ni de l’autre, vous n’avez jamais croisé la route. Bourreau par accident, commensal aux frais du contribuable si vous n’aviez pas décanillé. Le détail, les détails feraient mille et et une nuits de récit. Qui cela peut-il intéresser ? La Cour européenne des droits de l’homme ?

Justement, l’un des conseils des parties civiles au procès de Maurice PAPON a établi le « crime de bureau » ou celui «  de papier », les signatures qu’on donne illisibles quoique reconnaissables, la graphologie de ceux qui tiennent le destin d’un pays (crayonnement de l’Amiral DARLAN en Conseil des Ministres pendant l’ « affaire » de Syrie, minuscule et méticuleux paraphe de ROBESPIERRE perdu, quasiment introuvable, parmi les fioretti de ses assujettis au Comité de Salut public), ainsi un manuscrit sans date du directeur du cabinet du ministre des Affaires Etrangères, ou l’éventail à la plume que dessine, griffe et pose celui du Premier Ministre en bas de la note déjà citée – Michel ZAOUI donc se souvient de votre intervention au colloque des tenants d’un judaïsme libertaire, laïc et en somme de gauche, quoiqu’assez éclectique pour que Simone VEIL y côtoie Elisabeth BADINTER, ce qui montre en passant, et ce passage vous a pour beaucoup et longtemps édifié, que les vrais clivages ne sont plus, depuis des lustres, ceux des partis actuels. Mais pour aller devant la Cour européenne, il faut qu’aient été épuisées toutes les voies de recours en droit interne. La tentative de récupérer un emploi, donc le droit de cité, tourne à une course contre l’âge qui, lui, ne vous quitte pas et qui s’augmente d’années en années. De délais en délais, de recours en démonstrations que les décisions originelles ne sont pas plus respectées que l’élémentaire équité, une demi-décennie passe, celle qui vous fait quitter le bord d’une jeunesse encore, celle de vos quarante ans, de vos cinquante ans à peine annoblis s’il le faut par votre mouvement acsensionnel, et le bord brumeux et âpre, désertique où ne vous attendent que, parmi les retraités, ceux seuls qui n’ont pas de conseils d’administration, de pantoufles en banque et directoire, de position dans l’humanitaire et le bénévolat ou de sièges aux prudhommes et au Parlement, le bord des soixante ans qui jouxte celui des soixante-dix où plus rien ne se vit qui tienne à autre que soi. Y toucher à bouts de forces, en mésestime logique de vous-même puisque chacune des administrations qui vous employaient, vous congédie et vous minore, puisque le secteur dit privé reste hypnotisé par les influences publiques, c’est-à-dire par l’initiation privilégiée aux futures législations ou aux circuits déversant des mannes budgétaires ; y aborder sans ressources, car l’attente des créanciers de votre retour à bonne fortune est maintenant révolue.

L’ordre judiciaire vous accueille par le portail vaniteux, mais que vous croyez indispensable faute de connaissance des usages et des jurisprudences en droit civil, des avocats, des avoués et des huissiers. Ordre immense et coercitif pour qui ne s’y est pas aventuré, monde inconnaissable où jouent des paramètres rendant tout imprévisible. Et d’abord, la science et la diligence des avocats que vous vous donnez. Le premier à qui vous vous confiez laisse s’imposer à vos frais une hypothèque de plus sur votre maison et ne demande à vos deux créanciers (au titre de votre optimisme des premiers mois de votre retour en France et de vos fiançailles ramenées de là-bas) que des délais, alors qu’à l’audience voilà trois ans que vous êtes redevable, naturellement vous êtes débouté. Pour le principal qui est de faire juger à forfait votre marché avec votre maître d’œuvre, dont le montant originel a été plus que doublé rien que dans la conduite de la première moitié de votre chantier, l’homme de l’art laisse s’imposer un rapport d’expert ne relevant que des défaillances mineures quoiqu’ayant tout à son long établi que leprodigue de vos deniers n’a tenu aucune comptabilité. Le jugement est rendu qui vous favorise de fort peu et aboutirait encore moins si vous en restiez là puisqu’il apparaît, qu’ayant modifié son activité ce qui est, de soi, un aveu, ledit maître d’œuvre n’est qu’imparfaitement assuré pour son ancien métier. Pressé par vos créanciers, vous auriez laissé tomber si vous aviez, là, récupéré quelque chose tout de suite pour les calmer.Votre avocat part tout juste en vacances, vous laisse environné de papiers bleus et sans qu’ait été signifié au seul débiteur que vous ayez encadré durant ces cinq ans, l’arrêt le priant de rembourser un peu son abus de votre confiance. Vous aviez commencé de douter précisément quand celui-ci pour opérer à moindre coût des réparations, à peine certaines prestations finies, vous avait proposé de truquer la réception pour envoyer tout aux assurances. De même que vous aviez intenté un procès au conducteur de travaux, de même vous changez de conseil. Parisien dans le XVIIème arrondissement, plus jeune, l’œil bleu, le verbe agréable, votre nouvel avocat, chargé de l’appel des trois instances vous ayant condamné pour deux et pas vraiment conforté pour la troisième, se fait fort d’annuler tout ou presque de ce que vous devez, mais il oublie simplement les délais d’appel. Il apparaît vite que la faute est irréparable à vos dépens mais que sa responsabilité professionnelle ne peut être actionnée, parce que de tiers conseils n’y tiennent pas et parce qu’il vous faudrait mener à vous tout seul le mime entier de l’instance pour prouver votre perte de chance. Celle-ci est toujours aux calendes tandis que les voies d’exécution vous entourent d’une géographie coercitive. Pour desserrer l’étau, vous devez rédiger en assignation aux soins du juge de l’exécution, nouveau coût, la veille de l’audience, votre conseil énième, improvisé parce qu’un huissier apitoyé par votre infortune depuis que vous l’aviez rencontré pour secourir un de vos concitoyens locaux, a finalement estimé la rédaction trop ardue. Ainsi qu’en procédure administrative, vous maniez à longueur de mois de plus en plus de dossiers à sangle, de sous-chemises et vous répétez les mêmes faits, les mêmes explications à en faire des mètres cubes d’archives.

Ce devient une nausée que d’avoir à vous remettre chaque fois dans le tout de votre infortune, et ne pouvoir jamais expliquer l’ensemble où les causes et effets sont liés d’évidence. Regardées tronquées, vos affaires continuent de vous montrer riche ou putativement solvable, on vous charge donc davantage encore. Vous devenez familier de l’entrée sur cour de la rue des Blancs-Manteaux, vous dégagez pour alléger la charge des intérêts, vous ré-apportez pour abriter d’une intrusion des huissiers ce que vous avez accumulé d’objets, de tableaux, de livres sans vraie valeur marchande mais tenant votre mémoire dans la chaleur des temps passés, ceux de votre insouciance tant il y avait de soleil et d’avenir dans votre vie. Une nuit, c’est avec vos « saintes femmes » de Bretagne, un déménagement presqu’au complet du décor maintenu sur vos murs et entre vos meubles jusqu’à une réception que vous vouliez donner comme chaque année, en milieu d’été après une messe votive dans l’une des chapelles rurales qui porte le nom de votre ex-fiancée. Les amendes subies à Paris, les frais de fourrières, les excès de vitesse vous incombent aussi, les avis à tiers détenteur dont vous obtenez ensuite remise partielle à force de faire entrer dans votre situation quelque agent du fisc habitué aux aléas de carrière des diplomates dont elle gère les déclarations annuelles. Une sorte de tourbillon allant s’accélérant vous entoure et ne laisse plus inentamé que votre sommeil, celui de l’inconscience encore ? Il semble désormais écrit que non content de vous avoir démonté, la fortune qui n’est plus vôtre veut vous enlever ce qui vous soutient encore, vos choses et vos lieux.
La pièce culmine un jeudi en début d’après-midi où le juge d’exécution est avisé du plan de surendettement qu’en une très grande année, la commission compétente de la Banque de France à votre chef-lieu de département, a instruit. Les dettes sont listées, les créanciers priés d’opiner, on fait masse de tout, y compris et surtout des mensualités que l’assurance de vos contrats de prêts immobiliers refuse désormais de payer à votre place, arguant pour l’un de ces contrats que vous avez repris votre activité professionnelle censément, et pour l’autre que vous êtes au contraire dans un des cas où l’assureur est exonéré puisque c’est celui d’une retraite-invalidité, et que pour être bénéficiaire des prestations, donc du remboursement par un tiers de vos échéances mensuelles, c’est au moins la petite voiture pour vos fesses et membres inférieurs et la bave aux lèvres pour votre photographie d’identité, qu’il faut que vous ameniez à l’expert qui contrôle les précédents examens en vous convoquant à Paris, c’est-à-dire à près de cinq cent kilomètres de votre résidence. La collection des contradictions par écrit, des atermoiements et retards de décisions produit, elle aussi, d’épais classeurs. On est en rond, les avocats de vos créanciers, le fisc et la troisième génération en quinze mois de vos conseils. Comme, pour les instances au fond, les choses sont désormais en appel, le jeune avocat vient de Rennes à vos frais supplémentaires. Vous êtes prié de porter bas et de fait le juge pérore tellement d’entrée en scène que les larmes vous viennent. L’accidenté de la vie, c’est vous ; le bénéficiaire d’un étonnant arrêt du Conseil d’Etat préjugeant de fortes indemnités, c’est vous, chanceux quoique sur votre lit de mort. Il n’est pas utile de distinguer celles de vos dettes directement exigibles, de celles dont le défaut de les honorer incombe aux assurances. Le capital dû est énorme, vos ressources en arrêt-maladie infimes, une fois les impôts réglés. L’évidence est là, vous donner un an pour réaliser votre bien immobilier. De tous les participants au banquet, vous êtes le seul à connaître vos faiblesses juridiques,mais surtout le peu de conséquence de laplupart de vos créanciers dont les conseils ne sont que très partiellement au fait. Vous vous gardez de jubiler, il vous a été assuré à la succursale locale de la Banque de France que ses recommandations sont toujours suivies par le juge, et celui-ci fait redondance, la Cour d’appel lui donne toujours raison, voilà vos adversaires réduits. Vous quittez le dernier la salle, le magistrat est en chemise, son greffier prend encore des notes, vous murmurez que vous comprenez votre situation et que vous vendrez plutôt que de désobliger vos créanciers. Voilà qui doit plaire. La mise en délibéré est à trois semaines, vous êtes sûr de votre fait.

L’arrêt est le contraire, à croire que l’un ou l’autre des avocats adverses est allé dîner chez le juge ou l’inverse. Ecrire à celui-ci qu’il aurait pu, puisqu’il vous écrase en refusnat le plan proposé par la Banque, se dispenser et surtout vous dispenser de tirer vos larmes et de vous présenter en ecce homo. Vous vous ravisez, l’inamovibilité de la magistrature du siège n’est pas un vain mot aux tribunaux de première instance, et vous avez tant d’affaires à y faire venir ou revenir, vous brouiller est impossible, la lettre ne serait attachée à aucun dossier mais à vous entier chaque fois que vous auriez une cause ou qu’on vous en imposerait une. Vous faites appel et cette fois, vous plaidez vous-même. Il y a ces obscurs concours, ces sympathies sans cause, des gémellarités d’infortune qui renversent parfois le cours de tout. Dans certaines des administrations fiscales, vous avez pu être écouté, quitte à subir ensuite la hargne cynique d’un remplaçant saisissant à la source mais qu’un nouvel appel à sa hiérarchie a rembarré. A la Banque de France, le rapporteur, malheureux d’avoir été quitté par sa femme sait ce qu’est la dépression, la collision de toutes les conséquences, la solitude devant une société qui ne commet plus que des procédures et vous ouvre la gorge de force, après de longues intimidations pour vous fatiguer, vous culpabiliser, vous mettre progressivement à la chaîne. Il faut bien que vous ayez fait quelque chose pour ne plus rien avoir, ne plus rien être. Le jeune homme triste mais précis vous donne les jurisprudences de la Cour de Cassation, le juge de première instance avait le devoir de proposer un plan, même sans contenu, un moratoire donc. Au premier étage du Parlement de Bretagne, réinauguré à neuf, dans une petite salle, vos affaire passe devant un juge et son assesseur, après deux autres et avant une autre, comme à l’église naguère où les femmes s’asseyaient d’un côté et les hommes de l’autre, vous êtes sur le banc opposé de celui où se serrent les avocats. Pour eux, c’est tout simple : vous êtes un débiteur indélicat, selon une de vos banques, il appert même que vous ne faites pas diligence, c’est celle qui vous avait fait signer en annexe du contrat de prêt un contrat d’adhésion à une assurance dont elle se désintéresse aujourd’hui. La chance veut aussi que vous ayez peu auparavant reçu un couple de visiteurs, intéressé pour l’exemple du marché local, à visiter votre propriété. L’agence et plus particulièrement celui de ses employés, faisant groupe avec d’autres vendeurs groupés sur le même bien, qui vous avait donné l’affaire, a pu rédiger un papier attestant une valeur vénale énorme. La charge de la preuve est renversée à votre avantage, vous faites bel et bien diligence, et vous l’emportez. En arrière-garde, banquiers et avocats lancent d’autres agences proposant avec un bel ensemble et une spontanéité coincidant trop avec la publication de l'arrêt rendu en appel. La presse régionale fait aussi état d'ententes lors de ventes judiciaires en sorte que des commettants des créanciers achètent à bas prix, revendent pour compte au maximum, tandis que le débiteur, privé de son bien et peut-être même de ses meubles, reste encore devoir la moitié ou les deux tiers de la somme réclamée. Heureux est-on puisque le système contemporain d’amortissement des prêts rend, à moitié délai du remboursement, redevable de la quasi-totalité du capital emprunté un débiteur dont les mensualités n’ont jusques là couvert que des intérêts calculés d’avance et en sorte qu’aucune anticipation n’est possible pour l’emprunteur vendant, revendant ou gagnant au « millionnaire ».

Parallèlement, la plaidoirie d’une autre de vos affaires vous échoit. Le conseil du moment ne rédige que la quasi-veille pour le presque lendemain les conclusions qui doivent décider en appel de ce que devra vous rétrocéder, en honoraires et en coût principal du marché, votre maître d’œuvre. Les choses sont si bâclées, si approximatives quant au rappel des faits, si peu argumentées quand au renouvellement de votre prétention que vous ne pouvez pas ne pas le faire remarquer au jeune juriste. De même qu’avisé par votre conseil intérimaire que les délais d’appel étaient expirés quand il avait pensé à la démarche que vous le pressiez de faire depuis des semaines, vous n’aviez pas pu non plus ne pas interroger le praticien sur sa responsabilité ou sur celle de l’avoué. On vous laisse donc tomber, on tombe des nues, on argue que l’ensemble des clients n’a qu’à se louer de celui que vous critiquez, que vous êtes donc bien le seul à ne pas vous en satisfaire, et vous voilà à vingt-quatre heures de la clôture du dossier à écrire le soutien d’une thèse concluant à l’obtention de près d’un million et demi de francs. Vous ne détestez pas cette ambiance de presse où tous les papiers faisant tapis autour de vous, vous réfutez, avancez, écrivez, montrez. Au moins vous faites-vous plaisir et la prière est déjà exaucée qui au fin fond d’elle-même implore la survie, laissant à la providence le choix des moyens, la roue de fortune, la réaffectation, le retour d’amour, le riche mariage avec quelque héritière, les gains en bourse de votre compagne, la fin du monde ou votre décès par la corde ou quelque cancer. Dans les heures de ces rédactions pour le Conseil d’Etat ou la Cour d’appel, vous êtes l’écrivain déjà attendu de son public, vous choisissez vos paysages et le tempo des dialogues ; comme le temps est compté, vous parvenez à finir, ce qui n’est pas votre fort ni en amour ni en confection de romans de gare ou d’élévation, vos deux formes de romantisme. D’ailleurs, vos déboires amureux provoquent votre œuvre puisque vos correspondances et votre journal intime où vous les insérez et qui en développe les causes et les attentes que vous avez après avoir posté vos lettres, gagnent un tel volume que sans l’informatique, vous auriez, rien qu’en manuscrits, l’équivalent de quelques procès en canonisation quand il y a beaucoup de dévots et de miraculés sur le coup.

Votre expérience devient telle qu’à l’échec du passage en Congrès du Parlement de la réforme judiciaire ou de la magistrature, vous pouvez écrire au Premier Ministre et à la Garde des Sceaux, d’évidence, deux pages courtes suggérant la plus complète des révolutions. Celle-ci consisterait d’abord à s’installer au point de vue des usagers, et non des fonctionnaires animant le système. Vous voyez que la gendarmerie avec davantage de commisération et sans frais suppléerait les huissiers oublieux de l’acte que signifie leur papier bleu, déposant en mairie sans qu’en soit bloqué pour autant la course des délais des plis incomplets et couteux. Vous venez d’éprouver que si la justice est égale et gratuite pour tous, les voies d’accès, avoués et avocats sont payants, au forfait et non au succès, que le défaut de ces portiers retombe sur vous, jamais sur celui qui rédige incomplètement ou présente ses honoraires pour provision, rien qu’en ayant recopié sous son en-tête les éléments dont vous l’avez muni. Le service public d’avocaterie, comme il existe l’hôpital et l’école, quitte à ce que ceux qui ont les moyens sinon de la perfection, du moins de choisir leurs gens de loi aillent au secteur privé et payant. L’aide juridictionnelle est à la justice ce que les revenus minima ou les salaires de croissance censément garantis sont à l’emploi, inadéquats pour l’immense majorité statistique. Enfin, dans ce débat où vous êtes seul contre l’Etat, l’administration, plusieurs banques, des compagnies d’assurance, des organismes de caution mutuelle et où même votre maître d’ouvrage peut se défausser sur son assurance professionnelle, une personne morale de plus contre vous, seul individu physiquement et personnellement vulnérable, attaquable et rossable, enfermable et dépouillable, il est d’évidence que l’égalité doit être rétablie d’autorité, que des avantages soient donnés en procédure et que ls pénalités et condamnations soient modulés suivant qu’une personne physique se débat contre une entité morale, ou n’a à faire qu’à une autre personne physique. Encore même faudrait-il distinguer entre les surfaces parfois si différentes qui existent entre deux personnes physiques, ou même entre deux personnages moraux s’il peut s’agit de l’Etat matant quelque syndicat obscur. Révolution qu’il est aussi vain d’attendre que celle d’une unification des deux ordres dans l’administration de la justice. Pourtant, l’abolition de la question préalable sous Louis XVI ou le placement des cadettes dans les couvents paraissaient tout aussi impossibles et utopiques quand commença le siècle des lumières. Comme le cancéreux ou le sidaïque ne peut attendre pour en recevoir l’application, les progrès scientifiques qui s’accompliront inéluctablement dans le traitement de ce dont il souffre, ainsi serez-vous plumé et désossé avant ces réformes et la moindre deleurs anticipations. Il fallut de GAULLE et CAPITANT pour qu’on aborde la question des avoués.

En fait, depuis que vous n’êtes plus à la tête d’un des multiples organismes déconcentrés de l’Etat, vous vivez l’agressivité et la mauvaiseté constitutive de toute institution quand elle n’a de visage que celui de ses clercs et de ses professionnels. Dans le jeu de rôles, vous avez toujours celui du mal placé, du souffrant à terme. Dans le couple que vous vouliez former, vous y avez le jeu du floué et du raseur irréaliste et ennuyeux. Le parti où vous vous inscrivez, jugeant que la succession de l'ancien ministre député depuis plus de cinquante ans dans la circonscription où vous habitez désormais, a juste et sur place de quoi vous initier au plus verrouillé des systèmes féodaux : le roi du département tient à être seul de son espèce aux législatives, en sorte que la droite n’est jamais aux prises avec des adversaires portant des couleurs assez vives pour que la gauche s’y reconnaisse par investiture et assez nuancées pour que les modérés ou les subtils, les gens libres et ceux qui à droite croient quand même que l’élection porte sur la qualité d’un homme, soient enclin à faire la différence entre les deux camps,l’un éclatant, l’autre rassemblant.Votre circonscription doit participer aux apparences de la parité homme/femme dans la statistique nationale, première raison pour que vous ne puissiez être candidat, la seule fois où vous consentez enfin à jouer comme tout le monde le système des partis. La seconde raison est plus forte, vous n’êtes pas à l’image des quelques vingt ou trente enseignants qui font la claque, la majorité et toute la structure des comités à X échelons de ce parti dans le département ; le centralisme démocratique ne vaut pas que dans l’histoire soviétique. Rien ne peut aller contre, quoique vous soyez reçu à l’époque, souvent, par un ancien Premier Ministre socialiste, président du groupe de ce parti à l’Assemblée Nationale, ancien et futur président de celle-ci, et qui a eu sa carrière toute faite par le parrainage amical d’un député de Normandie se retirant et par pas plus de temps d’une première conversation avec François MITTERRAND, que celle que vous eûtes à la même époque, avec le même, alors premier secrétaire du P.S. et chef de l’opposition de gauche. Votre charme n’opère nulle part, pas même à l’église où les intentions de prière que vous proposez au moment où est dite celle qu’on appelle universelle, sont déclarés aussitôt non conformes, alors que les honoraires de la messe en question sont de votre poche. Un vicaire à la silhouette bien prise, à la voix insistante de toute la chaleur de Méphisto quand il s’agit de Faust, mais aux yeux trop petits pour que le visage soit beau, serein et généreux quand on le considère de près, vous décommande le matin pour le soir en réponse de votre confirmation d’un dîner convenu des semaines d’avance, et vous laisse toutes provisions achetées, sans manifester la moindre souvenance de la parabole du banquet. Vous expérimentez, à chaque occurrence où il y a lieu d’échanger de la chaleur et du regard, hors site et ensemble, entre humains, que l’homme censément de Dieu n’est qu’un  professionnel ne pouvant se maintenir, être maintenu dans son célibat et son austérité pécuniaire relative que parce qu’il est atrophié d’une bonne part de son affectivité, et presque totalement du savoir-faire requis par la société de tous les autres mortels. Le relever parfois en réunion publique où un archiprêtre joue des manchettes en argent de sa belle chemise pour présenter un texte pontifical à un parterre qu’il traite en potaches et en débutants dans l’art de comprendre et de mémoriser, vous fait huer par la petite foule qui ne peut supporter la démonstration que sa servitude sociologique et mentale est son fait, et non une contrainte ou un dogme. Ceux qui refusaient de faire la belle en camp de prisonniers ou de déportés, et dénonçaient ceux qui la leur avaient proposée : demeurer esclave alors que la preuve éclate qu’on peut ne pas l’être est trop difficile à vivre puisque c’est revenir à soi et constater que l’on est son propre empêchement, et le ferment certain de sa propre médiocrité.

C’est le discours que vous entendez dans les prétoires, que vous lisez en courrier recommandé, une logique vous est inculquée répétitivement, les conséquences de votre disgrâce n’incombent qu’à vous qui devez payer, en revanche les causes, c’est-à-dire l’injustice et l’absence de motivations, n’importent à personne, ni aux juges, ni aux créanciers, ni à votre ex-employeur. Vous vous frayez tout vivant un chemin qui vous mène parmi les morts, vous ne pouvez plus débattre tant le filet se reserre, vous n’avez plus l’âge de ceux à qui l’on prête de l’avenir,à défaut d’argent, vous n’êtes pas entouré, imprudence cardinale que votre attente d’absolu ou de coincidence vous a fait commettre sans avertissement, par des vôtres, épouse, enfants, petits-enfants ayant votre nom, partageant votre sang et donc votre fortune, faisant groupe, tribu sans compter les ascendants de votre moitié dont il est connu que bien souvent ils redressent et recommandent la situation d’un gendre qui leur importe au titre du bonheur ou de l’honneur de leur fille, et du futur de laprogéniture de celle-ci. Aucun des mécanismes de la solidarité tribale, aucune des normes juridiques valant pour le cas social, le syndiqué de base, le clochard du groupe ne joue en votre faveur, votre continuité est celle de l’adolescent qui n’a pas mué, vous êtes a-social par imprévoyance ou par quelque péché, il est conséquent que la société vous mette là où il y a toujours de la place parce que c’est par là qu’elle se vide, le cimetière et ses prémisses de l’arrêt-maladie, de la pré-retraite : le minimum vital, comme la ration de calories ou la promenade en rond dans une prison, maintiennent l’indicateur de vie biologique en position verticale. Tout le reste, à l’intérieur de vous, gît et que cela s’aperçoive ou pas, il n’y a aucun remède, car votre maladie est d’être déconsidéré, à commencer par vous-même. Jeté dehors, forcément pour quelque cause vous incombant tout de même un peu, et surtout incapable de rentrer, vous n’avez plus de visage propre, vous n’êtes qu’échec, échoué. Et que pantelant, vous persistiez à demander du temps, à chipoter les ardoises, à défendre ce à quoi vos années de service vous dont donné droit, achève d’impatienter ceux qui résument votre histoire à une grande maladresse ayant suivi de grande forfanterie. Justice vous est faite, de la pitié et du conseil peut-être, de l’espérance en votre possible redressement, évidemment pas. On vous parle en famille à voix basse, on vous fait plaisir, croit-on, en vous mettant sur des passes-temps, on vous démontre que le détachement est la clé du soulagement et qu’à défaut d’esquiver les coups, vous les sentirez moins en maigrissant, en vous ratatinant, en ne tendant que la main.

Que d’aventure, vous tentiez ce jeu-là et vous êtes alors au plein centre de la dérision. Telle de vos belles-sœurs auprès de qui l’un de vos frères, longtemps drôle et généreux, vous a envoyé, vous et vos factures cherchant leur tiers-payant, une réponse minimale assortie d’un extrait du journal de son compte courant, pour vous édifier sur la pauvreté dans laquelle se débat l’une des héritières d’un groupe agro-alimentaire jadis familial. Il est vrai que celui-ci passé sous gestion des banques compte plus de quatre cent ayant-droits. Les soutiens vous viennent du plus bas de l’échelle des revenus et votre compagne emprunte à ses parents pour payer les premiers accrocs à votre solvabilité, alors que vous êtes à la trahir en ne l'ayant pas choisi pour future. Vous avez dépassé le stade qui vous était habituel d’ennuis pécuniaires par docilité trop fréquente à vos impulsions – d’ailleurs, l’avocat de votre maître d’œuvre et l’expert commis par le tribunal stigmatisent votre «  goût du beau ». Vous restez dans la conviction de vos premières années que sont légitimes par naissance le droit de chacun au bonheur et à la satisfaction de besoins loin d’être uniquement matériels. Vous prétendez avoir, comme tous, quoique vous regrettiez que tous précisément n’aient pas votre exigence, une créance sur la société et sur l’univers du fait de la valeur ajoutée au labeur collectif et à la cause commune par votre imagination, votre enthousiasme.

Vous balbutiez ces raisonnements, entre deux moments de vertige et, devant le jury qui ne se constitue jamais, vous désespérez des institutions et de la vie.Vous n’avez plus aucune chance, alors que dans le passé vous ne jugiez pas du tout en avoir et que ce qu’il vous advenait n’était que rétribution de votre droit de naissance, que la conséquence et la preuve d’un bon fonctionnement de l’univers, ayant revendre de la providence. Immaturité ? parce que vous êtes déshabillé ? ou imprudence de n’avoir pas, dès vos premiers pas indépendants, à vos vingt ou vingt-cinq ans à peine, tout réglé en fonction d’une chute certaine. Ce qui n’était que répit, vous l’avez vécu en termes d’éternité. Vous êtes sommé de tous côtés, vous n’avez plus même le choix d’un mouvement, vous ne mourrez pas avant d’avoir payé. Aucune délivrance, encore moins aucun sursaut ne sont à escompter ni de votre machine personnelle ni du hasard. Vous êtes réduit. La dépression accompagne celui qui tombe encore plus en lui-même qu’à un sol que vos adversaires jugent bien trop doux pour vous. Ne cherchez personne que les médecins vous abritant comme dans la clinique de la vallée aux loups où LEAUTAUD pouvait songer à CHATEAUBRIAND contraint d’évacuer puis allant taper Charles X, toute dignité avalée sauf la majesté de sa plume. On diagnostiqua soudain que vous êtes mélancolique, comme une commensale s’aperçoit que son vis-à-vis loin de la faire briller dans ses yeux en fuit tout reflet pour suivre ce que par pudeur on appelle l’ange qui passe. Vous êtes donc hospitalisé, la chambre petite, les deux ou trois objets que vous avez amenés, l’illusion est parfaite, vous êtes entré dans le dernier âge, celui où vous voyez bien les quatre murs présageant l’étroitesse du cercueil quand ne le camouflent aucun drapeau ni couronne, et dans l’habitacle être si fatigué de votre aventure que les visites depuis le dehors, l’autre monde déjà, vous pèseront autant qu’à ceux venant vous en rendre. C’est pourtant de là que vous aurez à sortir pour dire des raisons à un tribunal, pour placer une supplique à un ministre, et c’est là aussi, que de retour pour les repas, d’une ou deux heures avancés par rapport aux horaires de la ville et du monde, vous commencerez de regarder avec impuissance et objectivité la maladie qui vous a rejoint et dont souffrent vos co-patients, la démarche lente, les yeux qui ne fixent rien de proche, la perte du sens de la parole, la perte du goût de manger, la faiblesse insigne de tous ceux, dont vous êtes à présent, à qui ont été ôtés tous leurs repères et le chemin de retour vers du plaisir et de l’estime. Le charnel et le mental, désormais recroquevillés, vous êtes les uns et les autres d’une intime tolérance parce que le désastre, le naufrage sont objectifs, vous en êtes et dérivez avec les autres, appelant parfois le praticien, plus jamais le miracle et son Dieu. Les langues de la liturgie orthodoxe, grecque ou slaves, donnent l’article à Dieu, preuve que leurs ressortissants ont une expérience concrète de la divinité. Dans votre Occident, il y a le possessif ou l’agnosticisme.
Pourtant, certains lieux vous gratifient. La Banque de France, en sa succursale départementale, accueille au guichet voisin de celui où vous faites mander votre correspondant pour le surendettement des particuliers, maugréant et lourde de sacs à billets, une employée de la trésorerie générale. Le visage est de ceux qui vivent au jour le jour, ont conscience d’être peu mais d’avoir aussi une dignité valant beaucoup si on la défend. Elle vous détaille la réforme mise au point par le nouveau ministre des Finances, votre Christian SAUTTER et sans doute le tout nouveau directeur général des Impôts, votre VILLEROY de GALHAU. On va vers une épreuve de force, en début d’année fiscale, les collecteurs de ressources sont en situation. De fait, les cyniques de l’autre automne décanillent au premier printemps de leur supplément d’ascension. Vous n’en remontez ps, vous-même, pour autant, mais à Laurent FABIUS qui quitte l’hôtel de Lassay où depuis 1988 vous avez conversé avec lui, vous pouvez télécopier les doléances de la base et aussi les remarques des cadres, puisque l’avant-veille du ravaudage gouvernemental et du retour des « mitterrandiens » dans l’organigramme, vous avez passé la matinée avec un trésorier principal à boucler le budget primitif et les comptes administratifs de votre commune. Mieux, la biographie de votre grand homme vous a fait rencontrer l’expert en tout budget des Quatrième et Cinquième Républiques en attendant de GAULLE, puis sous celui-ci. Vous pouvez définir à leur origine les notions, dont à propos de la la cagnotte, contribuables et journalistes, donc la France entière, discutent depuis des semaines. Il vous semble, tenant la plume du grand revenant qu’est l’ancien Premier Ministre, disculpé de l’ « affaire du sang contaminé » par la Cour de Justice, que vous en êtes un aussi. Largué de tout réseau d’informations, maintenu hors des conversations qui décident la culture orale des gouvernants, vous avez l’œil frais, vous êtes le premier, donc d’abord le seul, à vous étonner par de nouvelles télécopies à Matignon et surtout à Bercy, de ce que mis en place à une parité de 1,17 et quelques par rapport au dollar, l’euro soit tombé en quinze mois à moins de 0,89 cents, soit un dévaluation qui si elle avait affecté en une telle proportion quelque monnaie nationale que ce soit dans un des principaux Etats actuels, eut emporté à coup sûr le gouvernement de celui-ci. Vous n’êtes plus publié, donc vous n’êtes pas cité, mais vous en êtes certain, c’est vous qui avez donné le branle. Depuis toujours, c’est-à-dire quand quelques jours avant de rentrer de Mauritanie en France, vous marchiez dans le sable qui fait trottoir jaune ou rouge à Nouakchott, et que vous évaluiez vos chances de « bien » sortir de votre école de classement, vous vous êtes reconnu, à défaut d’hérédité, d’une particulière aptitude à mémoriser ou comprendre, ou encore d’un talent pour les mathématiques, deux forces intellectuelles : l’imagination et l’analyse, deux qualités à cultiver sans que soient utile l’acquisition d’un vocabulaire à la mode ou l’accès à des informations « privilégiées ». Voir et comprendre comment l’enfant apprenant à lire, est certes confronté à un code, mais pour pénétrer celui-ci, s’en pénétrer, les annonnements que l’entourage ou la maîtresse le forcent à répéter ne servent que peu ; c’est sa capacité d’apprendre, tout simplement indicible mais mesurable aux résultats, qui doit donner, produire. Ainsi, avez-vous toujours préféré les missions d’éclaireur, de pionnier car les dossiers sont sans faits acquis et les faits, il faut les établir. C’est ce que vous cherchez à vendre quand vous vous proposez. La dérision est que vous vous heurtez aux usages, et non à la compétition antique des athlètes nus à la palestre. Le site d’Olympie vous parut à vos quarante ans, témoigner davantage de l’intelligence des premiers philosophes que le site et les proportions du Parthénon. Modeste, pratique, agréable.

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