mercredi 25 juillet 2012

déchirure - l'impossible est notre vie . récit . 18 (à suivre)











M O U V E M E N T
















Il ramassa le manteau qu’Elie avait laissé tomber,
il revint et s’arrêta sur la rive du Jourdain.
Avec le manteau d’Elie, il frappa les eaux,
mais elles ne s’écartèrent pas.
Elisée dit alors : « Où est donc le Seigneur, le Dieu d’Elie ? ».
Il frappa encore une fois,
les eaux s’écartèrent,
et il traversa.

second livre des Rois II 13 14








Mais, un jour,
sur mon corps dépouillé,
refleurira ma jeunesse !

Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, tome III in fine




Oui, si tu demandes le discernement,
si tu appelles l’intelligence,
si tu la recherches comme l’argent,
si tu creuses comme un chercheur de trésor,
alors tu comprendras la crainte du Seigneur,
tu découvriras la connaissance de Dieu.
(…)
Alors, tu comprendras la justice, l’équité,la droiture :
Les seuls sentiers qui mènent au bonheur.
Proverbes II 1 à 9

















DECHIRURE




L’écriture, la parole, le travail, la rencontre sont autant de mobilisations assurant contre la précarité,le déni et la mésestime de soi. On construit ou reconstruit un chef-d’œuvre, celui de comprendre, vouloir et choisir ce qui est en cours, ce qui est en train, ce qui se vit et qui manquait d’explication. La cohérence trouvée, l’unité et le projet jubilent à nouveau. Combien de fois ne l’avez-vous pas vécu ? Ce sacrement de réconciliation, si profane, si providentiel, et qui n’est pas l’aveu d’un péché, car elle est difficile la définition du péché, sauf à le voir non en termes de matière,mais seulement de relation à soi,à autrui, à l’univers, à Dieu, à l’environnement, de péché que contre le dessin qui présida naguère à la création et continue de conduire à l’achèvement de celle-ci, et combien nous le sentons, vous le sentez, d’intuition, plus encore que de conviction.

L’espérance est autre, elle est cela même, votre mouvement intime ou l’aide divine, diffuse, diaphane, reconnaissable seulement à son effet, jamais mobilisable a priori,qui vous fait répondre à laplus inattendue, laplus coercitive des situations. Elle ne vous arrache pas du lieu où vous arrivez, contraint, mais elle vous y fait vivre et continuer de vivre d’une tout autre manière que par contrainte, vous dépassez, vous recevez grâce, force, aliment. C’est quelque chose ! quelqu’un ? Majuscule ? minuscule ? banalité ? névrose, psychose ? Vous n’en faites pas l’étude, vous n’en êtes plus là, vous avez dépassé toutes les étapes et tous les lieudits du choix, de l’alternative, de la prise de conscience. Vous n’êtes que là. Est-ce possible ? c’est-à-dire est-ce vivable ?

L’annonce de votre exécution à date fixée et rapprochée, demain, la semaine prochaine,la préfèreriez-vous à ce qui se conclut, la phase des investigations se combine désormais avec celle des décisions.L’ablation de la glande vous rend très probablement eunuque. Le rapport mental ou concret, celui du rêve, celui de la rencontre et de l’abord d’une femme, des femmes, de la femme change complètement. Il est interdit, le rapport. L’abord est interdit parce qu’il ne peut plus y avoir physiquement de rapport, physiologiquement de fécondité. La femme de votre vie, manquée au passé par distraction, immaturité ou à raison parce que ce n’était pas elle, il est maintenant trop tard, dans quelques semaines il sera trop tard, autant dire maintenant, puisqu’en X décennies, elle n’est pas venue, trop tard pour l’aborder, si elle se présenter, donc impossible désormais de l’imaginer. L’espérance de faire et vivre ce que vous n’avez jamais fait jusqu’à aboutir, vous fuit.Il est trop tard. Ce que vous n’avez pas connu, ce dont vous n’avez pas été psychiquement, spirituellement,tout banalement capable, vous ne le connaîtrez pas, désormais pour une raison bien plus forte. La caresse, la jouissance de la vue et du geste, du sexe lentement se dépliant, s’organisant, s’érigeant, vous n’en serez plus capable,la grâce vous sera-t-elle faite de n’y même plus songer, et regardant une grande part de l’humanité, ce ne sont plus vos semblables ou vos partenaires que vous apercevrez, maisles silhouettes fantomatiques, démabulant, s’unissant et passant leur existence sur une autre rive, celle de vivants que vous avez quitté par à-coups, avec des secousses, mais irrésisitiblement en cinq ou six ans.

Dénouement logique, privé d’abord d’espérance professionnelle et de considération sociale, vous avez été expulsé de votre passé, de tous vos projets. Puis de déboires amoureux en panne d’emploi et d’utilité, vous avez conséquemment douté de vous-même, et si écrire un journal intime, depuis des décennies ou vous atteler à documenter une biographie, puis à la rédiger, vous raboute,la désespérance est cyclique, la médication consistant à vous dire à vous-même devant incitatrice que vous continuez de choisir la vie, c’est-à-dire la suite puisque vous vous identifiez, dernier raccroc, à ce point final en vous, vouloir survivre, regimber contre la mort. De thérapie en passe-temps, la prière ne se faisant plus qu’à domicile ou en chappelle de fond d’une cathédrale, nonobstant la routine des célébrants et le peu d’ambition et de persîcacité de leurs homélies, rajouts et exhortations, vous étiez béant pour la dernière intrusion, cellequi vous expulse d’un monde dont vous n’étiez plus à un autre, où sont déjà, si nombreux qu’il faut bien leurmoirt à mesure pour débarrasser le plancher, la vue des gens heureux et bien-portants, les vieux,les amputés, les hémiplégiques, tous les accidentés de la route, de l’économie, de la drogue et même des sectes ou de votre Eglise quand elle prétend au tout de la pédagogie, non contente de témoigner, comme elle peut, de l'escathologie et des fins dernières.

Si le stade ultime de la réclusion est d’abord qu’elle soit à perpétuité et qu’en fait, elle vous enfermelà où vous êtes parvenu par défaut, à qui dire que vous en souffrez ? Ce n’est pas à votre ex-promise que lui annonçant une ablation de la prostate, qui ne peut passer au jugement d’une jeune fille éclatant de santé et s’eenvoyant un robuste contemporain de sa langue et de sa ville que pour une maladie de vieillard important et répugnant d’une libido seulement mentale et implorative, vous pourrez davantage attendre le retrour, dare-dare de préférence pour emmagasiner l’enfant et votre union plus que d’aller à la conservation de vos semences et à l’apprentissage des simulacres auxquels jouer si d’aventure une nouvelle femme se présentait. A la jeune fille d’il y a si loin dans vos espérances et dans votre vie antérieure, mieux vaut ne pas écrire et comme la logique de votre fin, par cette extrêmité-là, c’est crû mais vraiment dit, lui donne a posteriori raison de n’avoir pas persévéré, il est tout indiqué que vous la renfermiez quelque part dans la réserve encore vive de vos souvenirs et de vos espérances putatives. Vous plaindre d’être condamné à demeurer, maintenant, dans la situation que vous vous êtes faite par défaut et par accident, avec votre actuelle compagne serait lui infliger pire que ce qui vous est administré. Elle rame contre vent debout pour se rétablir, elle aussi, elle aussi, dans une profession vérolée où l’argent fait saliver plus encore qu’ailleurs puisque c’est l’unique produit de cette épicerie et qu’il s’agit de gagner de l’argent par la gestion de l’argent. Fine, avisée, cultivée, de contacts chaleureux et adaptés, technicienne de son métier, intuitive pour ce qui réclame des choix et apte à discerner l’éthique de ces choses, leur véracité économique et la morale auxquelle elle tient davantage parfois que ses comettants, elle a des journées longues, et elle a le souci de vos soucis. Elle vous projette elle et vous à la première personne du pluriel, elle ne croit ni au ciel, ni à quelque bienveillance que ce soit, ni aux enfants qu’on met au monde ou qu’on décide alors que le monde est puérilement peu prometteur et les décisions sans effet. Lui exposer que le pire, dans ce qu’il vous arrive, est de n’avoir pas de rechange à votre relation mutuelle et de perdre d’ici quelques jours toute possibilité en esprit et en physiologie d’imaginer quelque rencontre ultérieure, mettant fin à une liaison à laquelle vous avez déjà préféré un autre projet d’union, est impossible. D’un directeur de conscience, vous ne pouvez attendre que la réponse qu’à force de tourner autour du piquet de toute la longueur de  votre corde, vous trouvez après peu de tours, du moins jusqu’à présent, une recrusdescence de l’espérance qui vous est donnée, plus qu’elle ne vous vient et qu’aucune logique, aucune volonté ne peut vous apporter.

L’époque et le temps où vous vous trouvez ne sont pas propices. Au derrière des autobus, au flanc des taxis, à quelque côté nu que ce soit des immeubles de beaux quartiers, en panneaux d’affichage qu’on les ait équipés mobiles, lumineux, interchangeables ou alternatifs, fleurit un âge, une faune, un pays inaccessible, de jeunes femelles aux traits d’enfance, de jeunes mâles au visage en rectangle que vous eûtes,net et découpé. Une offrande répétée et insistante d’adolescence, d’insouciance, de fertilité dont vous savez qu’elle est précaire mais dont les modèles affichés sont si pleins qu’ils en reportent naturellement à plus tard l’exercice pour ne pas entraver la danse du présent. Une jeune fille, arrivant au Trocadéro, a les jambes fines et serrées par un pantalon marron clair, lasilhouette est élancée, haute, dégagée, mais la tête trop petite et le visage grincheux, aigu, recroquevillé sur un mécontentement durable ou natif, qu’importe, elle peut ouvrir les cuisses, elle peut fermer les bras autour d’un cou, d’un dos, donner du paradis, du rire en réplique à la drague, au sourire, à l’invite, et des enfants après qu’ait été enfournée, accueillie la giclée du sperme de l’autre que vous ne pouvez plus être.

L’an dernier à pareille époque, une noce en famille un peu éloignée, à l’instar de deux autres en cercle plus proche – tous les étés de votre infortune amoureuse ont cette ponctuation festive, aussi rituelle et impérieuse que les fêtes de fin d’année obligeant à réveillonner et se réunir, sauf à tout fermer et seul à dormir pour arriver plus vite au lendemain et à des ambiances qui ne soient pas à des joies que vous n’éprouvez plus, que vous ne pouvez plus éprouver, faute de matière ces années-ci, par impossible les prochaines années – et c’étaient deux jeunes filles, assez dissemblables à qui vous adressâtes successivement la parole, il y avait du jeu autour d’elle et des oreilles autour de vous, on vous écoûta, on vous regardait, vous étiez dans la peau, la silhouette d’années si antérieures à votre page, à ce qu’était devenue votre apparence. La carte de visite, donnée à l’une qui portait – la énième – le prénom de l’autre, de l’ex., de votre ancienne, et à la seconde, écrite avec un commentaire, une invite, quelque charade de votre désir qu’il y ait une réponse, ne déclenche que le plus pitoyable des jeux de scène. Vous attendiez que la seconde, à la grande table des jeunes et donc des mariés, ne lise que revenue à son intimité, quelque chambre du petit matin. Elle fait au contraire circuler la carte, on se gausse, vous êtes dos semi-tourné, à l’une des tables des vieux, celle de vos cousins, dont le fils aîné, en mal lui aussi de mariage, quoique de moitié moins votre âge ou presque, observe votre ridicule et le scelle : les plats sont passés,mon pauvre… qu’il dise votre prénom ou pas, est indifférent, vous êtes parti le premier des agapes et quelques jours plus tard vous avez égaré ou vous êtes laissé voler l’appareil-photo.contenant la pellicule où vous aviez fixé le double objet de vos tentatives.

L’amoureux moqué en public, surtout s’il n’a pas d’amoureuse, aussi drôle que le sourd répétant de travers ou servant la ritournelle de ses phrases passe-partout, pour prétextant la nécessité d’une enquête, dans ses ouvenirs ou dans son libre-arbitre, avant toute réponse. La situation de ce moine encore très jeune, mais déjà prêtre et découvrant que passés tous les degrés de sa profession, de ses études généralement théologiques et impropres à tout autre état de vie que lemonastique, il arrive sur le plateau nu de ses vœux,à perte de vue et de prière, le même paysage, la même absence de ces sanctions que lemonde offre au talent, à la responsabilité, au chef ou au commis, et voilà le visage qui s’abîme, et les choix d’antan sont revus, évalués rétrospectivement comme ayant été trop peu informés, prématurés. Ce ne sont plus les fins dernières dont il débat, mais des chances qu’il conserve, et qu’il vaut mieux jouer vite, de rencontrer la femme de sa vie. Lui aussi. Situation d’avoir à vivre, figé désormais, ce dont on n’avait pas mesuré que ce serait, que c’est définitif.

Vos lieux changent, aucun n’aura été cette plage filmée en noir et blanc, vers la fin des Liaisons danegreuses, la version VADIM où s’aiment et en meurent, pour l’image, Gérard PHILIPE et Marina VLADY. La plage est de Deauville, un matin tôt comme celui où mourut, ne tombant qu’ensuite de sa bicyclette Jean-Edern HALLIER, inachevé de partout, sauf du culot de vivre scandaleusement pour crier plus fort au scandale que procurent trop d’autres. Il y a eu vos bureaux successifs, que de plus en plus, à mesure que se répétaient vos affectations, vous avez décorés par vous-même, habité beaucoup de votre travail, de vos conversations téléphoniques, de vos rédactions vers les compagnes ou proies du moment, du pays, de votre âge d’alors, de vos correspondances avec les princes. Il y a eu, à votre chute, la lisière des bois tronqués de Clamart, une « villa » dite Manrèse en souvenir de cette retraite d’un an au cours de laquelle le saint fondateur tint son diaire et expérimenta les Exercices spirituels. Une chapelle à verrières épaisses répétant des textes d’Ignace et des versets des deux Testaments a été, pendant trente-six ans, de loin en loin, puis très souvent ces dernières années, le tabernacle dont vous aviez besoin, alentour quelques jours de votre séjour, un vieil homme étonnamment vert et intuitif, convaincant. Chassé de la succession de vos bureaux, périmé de toutes vos correspondances, vous perdîtes aussi l’accès à la conférence spirituelle parce que vous vous étiez cru chez vous, et qu’il vous parût que ces profils religieux exceptaient de leur métier le cas à faire des personnes, de leur affectivité et peut-être tout simplement de l’individualité de leur parcours et de leurs nécessités. Il y a maintenant le grand hôpital de beaucoup de gens simples parce qu’ils appartiennent à l’armée, et qui est aussi celui de la nomenklatura française et assimilée. Vous vous plaisez dans ces étages oùchacun a sa spécialité, et dont vous avez fréquenté beaucoup, vous toujours en excellente santé, débordant d’énergie et ne trébuchant de fatigue que pour mieux exceller à vos réveils divers. Là au moins, ceux que vous croisez, souffrent, vont souffrir ou visitent des souffrants. Dehors, tout visage est celui d’un père, d’une mère, d’une épouse, d’un amant, dehors tous sont fertiles,employés, partent en vacances,projettent le mariage de leurs enfants, le cadeau à la concubine, une retraite à agrémenter. L’autre sorte de regard se cache, qui n’est pas seulement celui accompagnant la manche aux arrêts de voiture.

La prière n’est pas l’essentiel, celui qui, en apparence, est le priant,l’orant, non plus. L’important est celui qu’on prie. Intervient-il ? Est-il de son genre de faire tourner les aiguilles dans le sens inverse de celui de la montre, précisément, et rendant l’épouse, l’espérance, la carrière, les commencements dont vous n’avez pas su partir, d’accorder une autre chance ? Il ne le semble pas, d’ailleurs, lui-même st formel. Je suis Dieu, et non pas homme. Beaucoup de majuscules pour l’écrire, beaucoup de témoignages pour le confirmer. Vos pensées ne sont pas mes pensées. Mais il dit aussi, celui-là, par la bouche d’un humain d’il y vingt-cinq siècle, malheureux et toruré en mariage, pourchassé par les autorités de son temps : Mon épouse infidèle, je vais laséduire, je vais l’entrainer jusqu’au désert, et je lui parlerai cœur àcoeur. Et là, je lui rendrai ses vignobles, et je ferai de la vallée du malheur laporte de l’espérance.Là,elleme répondra commeau temps de sa jeunesse. En ce jour-là, délare le Seigneur, voici ce qui arrivera. Tu m’appelleras : « Mon époux » et non plus « Mon maître ». Tu seras ma fiancée, et ce sera pour toujours ? Tu seras ma fiancée et je t’apporterai la justice et le droit,l’amour et la tendresse. Tu seras ma fiancée, et je t’apporterai lafidélité, et tu connaîtras le Seigneur. Et encore : C’est moi qui lui apprenais àmarcher, en lesoutenant de mes bras, et il n’a pascompris que je venais à son secours. Je le guidais avec humanité, par des liens de tendresse ; je le traitais commeun nourrisson qu’on soulève tout contre sa joue ; je me penchais vers lui pour le faire manger. En fait : tu t’es effondré par suite de tes fautes Peux-tu me confondre avec idoles ? C’est moi qui te réponds et qui te regarde.

Nul ne peut s’abreuver de telles paroles, s’il n’en reçoit la grâce, aucun raisonnement ne pousse l’amoureuse qui ne l’est plus à revenir aux sentiments qu’elle ignore puisqu’elle ne les éprouve pas et au ministre de l’Economie et des Finances qui vous recevait, avant de l’être, et ancien Premier Ministre, Président de l’Assemblée Nationale ou du groupe parlementaire de son parti, et qui, maintenant qu’il pourrait directement prendre en votre faveur la décision efficace en soi, ne vous reçoit plus, faut-il demander encore ? et quoi ? si ce doit être une faveur et non de l’appréciation ? à la jeune fille qui continue de vous téléphoner à ses moments ou selon ce qu’elle croit la convenanceannuelle, vous ne pouvez plus demander son retour puisqu’elle a le mot décisif, que cela lui compliquerait la vie, et vous n’obtenez donc que du silence auquel il vaut mieux désormais, par l’effet d’une certaine pitié, qu’elle se cantonne. Les blessures de la vérité… excellent titre et sincérité de l’écrit. Les politiques ont cela de différent des écrivains qu’ils sont généralement supérieurs à ce qu’on lit et entend dire d’eux. Avares de leur temps,pas tellement pour se donner et se garder celui de leur œuvre, les littérateurs savent la raison de leur désert et de leur refus d’une certaine intimité qui ne serait pas la facile société, applaudissante et tirée, mais un tête-à-tête qu’ils n’ont qu’avec l’égérie et avec leur éditeur : ne pas donner à voir qu’ils sont inférieurs àleur œuvre, et que celle-ci provient du singulier mystère de leur médiocrité personnelle quand l’universalité du lecteur tient leur plume. Vous : plonger dans la prière, dans le travail comme naguère, allez-vous bientôt expérimenter, vous plongiez dans le sexe féminin, et à défaut d’extase, la simple et salvifique perte de vous-même, la conscience que vous vous ôtez le plus souvent possible et ainsi marcher pas à pas, non pour cultiver un des derniers attribus de la vie physiologique, mais pour ne rien voir que l’instant et en oublier tout le reste puisque plus rien n’existe, que vous ne précédez que de peu cet état du monde d’où vous aurez été retiré, avec votre complicité et votre consentement, et qui n’en aura pas pour autant perdu ou gagné quoi que ce soit. Apparemment.

L’espérance ne peut prévoir ni son objet ni la rémission. Elle n’est qu’espérance. Mais à disserter de la sorte, votre tête n’est pas encore coupée.Les affiches promettent aussi que Tôt ou tard, Dangereuse séduction , il n’y a pas que le cœur dans la vie : suggestion sur quatre mètres de haut et un de large, les bonnes proportions, chute de reins et paire de fesses, couleur et velouté de l’abricot,Mathilde SEIGNIER sans doute, posant déjà selon LE TITIEN dans une pochade de casse aux bijoux et pour La neuvième porte en sorcière chevaucheuse aux yeux verts. Vos stances vous laissent entre deux spasmes d’apitoiement sur vous-même et quelque retour à un stoïcisme,qui n’a jamais été démodé puisqu’il est à base de respect d’autrui (n’encombrer pas son prochain ou son voisin ou son quotidien)et de respect de soi (garder la cohérence que voulait de vous pour maintenant l’adolescent, le quasi-nouveau né que vous fûtes et qui sur les photographies signées tous les dix-huit mois par HARCOURT ne montrait aucun sentiment, aucune intuition, qu’une intense curiosité, oublieuse d’elle-même),le temps d’entendre Jean-Louis MESSIER tousser en coulise,puisque changer de métier est toujours possible,à condition que l’employeur vous reçoive ou y croit, or la Bourse ne plébisicite pas toujours à date choisie,à cours imposé, et de regarder d’évocation, par un commentateur-radio digne de ceux des années 1940 (Jean-Paul BROUCHON), la science, l’esprit et le cœur d’Américain rescapé de la leucémie, et qui, ailleurs qu’aux Etats-Unis, chez nous par exemple ou il gagne le Tour de France, serait « présidentiable » un temps dans les sondages à égalité avec le tribun de Millau. Michel POLACK et Philippe BOUVARD publient donc leurs journaux et feuilles détachées d’intimité, le premier de fesses conquises parce qu’offertes à l’homme des médias, le second de propos nombrilliques certes mais apostillés de l’observation que beaucoup de nombrils se ressemblant,l’universel et le particulier se jouxtent. Et, changé par l’âge, une vulnérabilité nouvelle le rendant compagnon d’on ne sait quoi, mais soudain proche, le même sait dire qu’il a évité de s’inventer des misères pour ne pas se rendre intéressant seulement de ce fait. Mais vous, ce sont les misères qui vous inventent et la maladie qui vous est donnée, vous dit enfin le nom de toutes celles, aussi concrètes mais qui n’étaient pas encore d’ordre physiologique, la prolifération folle de ce tout ce qui est mortifère, la nécrose inopinée mais que vous n’êtes pas parvenu à éradiquer, à enrayer, à localiser en sa source, de tout ce qui vous convenait, vous souriait, vous était bénéfique. L’animateur des médias cumule les récompenses, puisque les provocations et mépris qui avaient longtemps été son métier, sinon son fond, semblent n’avoir pas pour autant amoindri, pour l’heure où il viendrait y puiser, ce tréfond d’une certaine qualité personnelle. Enigme que les puissants ne parviennent que par durcissement d’eux-mêmes, endos d’un vêtement de cynisme et de méchanceté, mais qu’ils gardent l’autre face du tableau et quand un ralentissement de carrière ou l’atteinte d’un certain seuil que l’âge figure, en sorte qu’ils démontrent aussi une certaine capacité de bonté, sinon de générosité. On n’en fait pas l’épreuve, mais ainsi ils témoignent d’une certaine humanité rémannente, on ne les condamnera pas quoiqu’ils aient omis,antan, de prodiguer le bien dont ils avaient la puissance ou la responsabilité morale d’en faire quelque don. Ainsi, paraissent-ils parfaitement humains, vulnérables et contingents selon la dose voulue et leur réussite rétrospectivement n’en trouve que davantage sa justification. Ainsi dit-on d’un stoïcien heureux de cette sorte, qu’il est accompli et méritant. Vous n’auriez jamais pu l’être de cette manière, jamais déguisé, jamais en réserve et la moue de ceux-là, qui n’ont jamais été des réprouvés, au plus étaient-ils à vivre quelque épisode, ainsi que beaucoup de vos camarades que vous n’étiez pas le dernier à réconforter et à assurer de votre diagnostic qu’ils se redresseraient certainement vite et bien, a, quand ils vieillissent ces plis et visages qu’ont aussi les époques quand l’empire après la république est décadent, à Rome ou ailleurs, ou quand la république est invoquée à tout bout de champ,pour tout pique-nique, pour qualifier le contraire et le tout, religieusement dans un univers et selon une civilisation qui commente, impose mais ne philosophe plus. Pourquoi pas vous ? dépouillé, mais survivant, distrait de votre chute par la fierté de n’en rien laisser paraître, fuyant vers l’infini de la dérision mais ne donnant rien à connaître de celle-ci et ne détaillant plus ce qu’il vous adviendra puisque la bataille vous la jouerez avec les armes de l’instant, dans des paysages intimes ou de salles d’hôpitals ou encore sur quelques lits que vous ne pouvez prévoir, ayant assez raconté ce qui vous a fait tomber dans le commun, et entrant dans chacune de ces minutes. Quitte à mourir,quitte à vivre. La vérité, c’est vous. Nudité de la vie, quand tout n’est plus qu’humin, n’y a-t-il plus rien d’humain ? que le sort ?

Vous allez d’une stance à une résolution, puis l’aspérité à laquelle vous vous raccrochiez vous amène à une autre qui vous déchire. C’est l’époque du cumul, de l’effet cumulatif, ces fins de guerre par capitulation, ces naufrages : une brèche, vous en venez à peu près à bout, puis une autre, puis une autre, à chaque nouvelle occurrence, une médication, un eimprovisation, un toyr de rein, une revers de manche, une hosptalisation, un projet, une imagination, le soutien d’une grâce à point nommé, l’ultime. Et, puis sans trêe, à l’autre bout du champ, un nouvel ennemi, une échéance, un renversement de tendance, une astreinte prévisible mais que vous n’aviez pas prise en compte, l’improviste d’un cancer, certes pris à temps, l’incurie d’un avocat et de son argumentation, certes possible à pallier, un moratoire bienfaisant, calmant, environnant mais des voies d’exécution ou des exigences hors de son rayonnement. Vous épuisant vous-mêmes, et ceux qui persistent à veiller mais déjà pleurent, vous manoeuvrez, conjecturez, courez d’un bout à l’autre de la scène, tandis que bat le gong, que tout désormais ne va plus qu’en un  sens, que selon une seule pente.Ilvos reste encore le sommeil, il y a beau tempps que vous ne riez plus et les meileurs matins sont ceux où vous admettez que les rêves ne sont plus,mais qiu’il y a encore quelque réalité,peu importent sa couleur ou sa saveur, à gérer. Résignation dont vous devez vous vêtir, même si c’est froid, mouillé ? ou est-ce un travail dans lequel vous pelotonner en perdant, presque béatifiquement reconnaîtriez-vous, si vous vous interrogiez là-dessus. Mais il y a longtemps que tout narcissisme vous est impossible ; vous ne contempleriez qu’un au-delà de toute surface, de tout miroir qui serait aveugle, sans fond, sans plus aucune dimension.

A mesure qu’elles se présentaient, les épreuves qui n’étaient plus des déceptions mais une confirmation chaque fois davantage documentée de ce que vous ne retrouveriez pas pied, qu’aucune main ne se tendrait, que tout continuerait à vous enlacer davantage, à se resserrer autour de vos parties vitales, devenaient une continuité, elles se complétaient, leur addition ne formaient plus qu’une seule traine, celle de votre corps, de votre âme, de vos dernières capacités de raisonnement, d’espérance, d’enthousiasme, et cette traine prenait progressivement tous les sols où vous persévériez à marcher. Vous étiez enfoncé de plus en plus dans une cohérence qui vous apparaissait désormais celle de votre vie entière, vous n’aviez de tout le temps que la biologie impartit à l’être humain qu’accumulé ce que vous receviez maintenant. Au-delà de la science ou de la discussion de votre culpabilité ou pas, de ce que la société ou telle institution, ou tel partenaire auraient pu ou dû vous apporter, ne pas vous enlever, il y avait cette sentence,maintenant si aisée à lire car elle était définitive et qu’il n’y avait absolument rien d’autre à lire, rien d’autre écrit sur le livre vous concernant que la sentence de réclusion. Fermé sur vous-même de force, privé de tout attrait pour le dehors ou pour autrui, étranger à tout bonheur,à toute histoire, à tout commencement, ceux que votre regard obscurci par la détresse, la honte, l’impuissance percevait encore comme autant d’habits dans lesquels les vôtres et tant d’autres, presque tous les autres se pavanaient, vous n’étiez plus personne ni rien. Le propre des vivants est de se rencontrer et de se reconnaître entre vivants. Les déchus, ont en sus de leur infirmité galopante, de leur dégradation intime, de la perte de tout sourire à échanger entre eux et l’existence, entre eux d’un côté de l’impossible et les autres du bon côté, celui du possible, du souhaitable et du productif, ceci d’infini : l’enfermement en eux-mêmes,en ce qu’ils sont devenus,en ce dans quoi ils ont été versés, selon une chaine de causalité dont ils ne peuvent plus percevoir où, quand et comment elle débuta, un enfermement sans fin sans loi qu’indéfiniment se prolonger, se perpétuer, s’affiner. L’enfer dont on ne meurt pas, l’enfer qui périme l’espérance où tout arrive, cumulativement, de ce qui détruit, enlève et la richesse originelle de celui qui est tombé et que l’indicible et l’anonyme, l’irrépressible et l’innommable, maintiennent en état de chute permanente, accélérée, reste toujours telle qu’il y a encore, toujours, de nouveau à ôter, à charcuter.Il n’y a ni Lucifer, ni anté-Christ, il n’y a que l’absence de Dieu et bien autre que le malheur dont la propriété pourrait être de fabriquer, de contraindre l’espérance, la conscience de soi, l’intuition approfondissante d’un univers dont tout n’est pas inaccessible, il y a la mise à mort intime, constante, persévérante que nul ne vous administre ni commande,en sorte qu’il n’y a à se défaire d’aucun jugement, à se défendre d’aucune main ou machination, il y a votre peau,l’enveloppe en temps, espace et chair pour votre âme et quand celle-ci part encore en reconnaissance vers les cieux sans lumière ni nuit du dehors, vous ne recevez d’écho que la certitude de ne plus pouvoir jamais revenir à ce que vous avez quitté ni à ses prolongements si vous n’étiez pas devenu qui vous êtes. Car l’univers a changé parce que votre identité n’est plus que celle-là, n’être rien qu’un désespoir sans effet ni recours, et à qui rien ni personne ne peut porter secours. Vous délivrer, vous ré-enchanter de ce que communément on appelle la vie, l’épanouissement, la suite serait attenter à tout l’univers dont vous êtes le produit, et cet univers-là autant qu’il porte et a fait votre déchéance, est – ultime maléfice quand on est du mauvais côté de soi-même – le même que celui qui réussit pour d’autres. Vous les revoyez ceux qui furent vos compagnons de naissance mais vous en êtes séparés. Les lieux de fêtes, les champs que mettent en valeur les talents, les cercles de la reconnaissance et de l’amour mutuels vous les connaissez, mais – même y seriez-vous revenus ou y demeureriez-vous par quelque ingéniosité, dont parfois il vous reste un peu – qu’ils ne vous guériraient pas. Vous avez changé, vous n’êtes plus.

Si, par miracle ou d’aventure, vous reveniez de l’autre côté, vous ne pourriez y vivre ni en jouir, tant cet état serait différent du très ancien dont vous fûtes autrefois ; sa précarité périmerait, fêlerait tout en permanence puisque le lieu où vous êtes est inoubliable, il est l’envers de tout, la réalité de tout. Ce qu’on croit d’ordinaire impossible, vous savez qu’il est possible. Cela arrive, cela vous est arrivé. Rien ne se restaure ni ne se rattrape. Les rescapés des enfermements et autres espaces physiques et mentaux des concentrations d’il y a soixante ans, ne parlent toujours pas, ou que si peu. Parce qu’il est impossible de se défaire, et sans doute même de sortir, de certains lieux même si selon les apparences de la vie physique, on en est revenu. Ce à quoi l’on revient semble dérisoire, artificiel et ne masque plus ce dont, avant d’avoir vécu là-bas, vous n’auriez jamais eu l’idée,l’imagination que cela pût être. Ce qu’il y a au bout du vertige et à quoi, pourtant, on parvient sans la précursion du vertige. Vous n’y êtes pas allé,vous y êtes.

L’une des colonnettes qui dansent autour du premier tronc porteur de l'église de Montréal en Morvan, et l’étoffent, à hauteur de main d’un homme qui l’aurait levée, a été creusée d’une forme tenant du triangle et de l’ovoïde,la pointe la plus aigüe en bas : ce n’est pas un cœur, ni une prostate ; ce peut être une feuille, dissymétrique, ne ressemblant à aucune dans les flores que vous connaissez, bilobée avec quatre arrondis pour le petit côté et cinq pour le plus enflé. La figure est donnée sans retouche, elle n’a que des reliefs simples, pas d’ourlet, que l’ombre incurvée de sa ligne médiane, et pas non plus de tige.

Quand d’Avallon, par Pautaubert, on arrive à la colline éternelle, on ne distingue de la basilique de Vézelay qu’une seule des tours : le soir, elle est sombre, à contre-jour, puis à avancer vers Saint-Père, la seconde des tours se détache de l’alignement, s’aperçoit ; plus tard encore, le monument se donne, allongé sur l’abrupt.

Seul à l’office du mariage d’un de vos neveux, le rythme est annuel, se célébrant chaque été,en coincidence de la chute de vos projets et de votre piédestal : un cousin, sa fille aussi. Celle-ci répond à votre question : sa mère qui a déjà subi deux auto-greffes de la moëlle osseuse, est à nouveau hospitalisée, elle souffre tant qu’on tâche, en lui raclant l’os et la chair, dans le dos, ceux d’une vertèbre, ces mots métalliques appliqués à la tendreté, à la porosité, de la soulager. Les statistiques sont de pronostic, de rémission, d’espérance. De vie.

Hier, pendant près d’une heure, sentencieusement inculte et échappant d’autant mieux à la prise, le masque de plus en plus lourd, visible, gonflé,épais à ne plus laisser voir que du rire sans le son ou du flou sans la brume, l’homme le plus durablement public en France depuis François MITTERRAND, a laïussé sur l’après-2002. Les trois journalistes se taisaient, médusés d’ennuyer autant, par leur truchement, les plausibles téléspectateurs. La gauche plurielle de maintenant invoque la République,la droite monocéphale ausculte et cerne la démocratie ne sachant quelle redondance, actualité et texture lui proposer. Aux terrasses rouvertes de l’aérogare d’Orly, se dépliait et se tendait ce qu’un commentateur appela, l’inévitable nappe de Vichy. Histoire contemporaine de vos histoires individuelles. Obsèques en l’absence et qui n’en finissent pas.

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