mardi 31 juillet 2012

dévotion - l'impossible est notre vie . récit . 24 (àsuivre)





L i e u























DEVOTION



Vous lui dites, brusquement, à l’instant de vous laver les dents puis de partir – elle ne vous accompagnera pas chez votre médecin traitant – que si vous retardez l’opération, conjecture précisément soumise à celui qui vous connaît le mieux médicalement et qui a laculture générale laplus vaste du sujet, c’est-à-dire des conditions d’une vie humaine, tant physiologiques que psychologiques, c’est par désir d’enfants. Or, elle n’en veut pas. Vous préparez donc votre séparation à tous points de vue, votre vie risquée et la mise aux voix (féminines) de ce désir. Un dépoart enivisagé, souhaité et que vous ne pourriez accomplir, ce qui est pire. Etre demeuré avec elle arès en avoir choisi une autre, puis avoir été incapable d’aller au bout de ce choix-là, ce qui est pire.

Qu’il vous est familier ce parc, où vous cotoyez les images précises de vos divers séjours, des aventures vécues en songe ou en souvenir lors de chacun d’eux, où viennent à vous des pages de notre histoire, des figures contemporaines ou des époques baroques. Eclairés les bâtiments figurent la stabilité de la prière, de la présence mais leurs disparités, les redents et recoins que soulignent les ombres sont autant de vies, d’individualités, d’autres aventures que les vôtres et qui pourtant les rejoignent, des existences humaines que fige et embellit la mort. Le salo d’attente une nouvelle fois, durant cinq ans ce n’étaient que des lignes de sièges lelong de mur, une porte capitonnée, le passage devant vous qui lisiez ou rédigiez sans relever la tête mais vous ressentiez ces personnes, leur journée, leurs responsabilités, la blouse blanche et tout autant la condition humaine commune.Le jeu de rôles pour s’entraider et tenter de gagner, de s’en sortir, de vaincre une ennemie à la fois floue et précise, proportionnée à chacun, la mort dont on a envie, la mort qu’on redoute, la mort d’autrui, la mort trop vive, la mort prématurée, la mort enfin. Il est là,smeblable àlui-même, silencieux quand il pense passer sans que vous l’aperceviez, de fait, vous ne quittez pas le fauteuil où vous avez maintenant votre habitude, tandis qu’il descend, puis va remonter – vous l’entendez – vous vousêtes levé, être allé à la gravure ou la gouache originale, une revue passée par Napoléon III dans la cour d’honneur, devant l’église, donc en bas de ces fenêtres, il y a cent cinquante ans, lePrincePrésident ou l’Empereur, en costume de ville, serre-t-il la main qu’on lui a présentée, de sa gauche, ou bien est-ce l’hôte des lieux qui tint la main et la présente,l’apporte au souverain. Se détache au premier plan, le visage d’une jeune femme sur une auréole très blanche que fait un chapeau ou une voilette. Chacun tient ses pieds comme au début d’une chorégraphie, les talons sont tous hauts des hommes autant que des femmes, on a la chaussure fine et mince, la cheville aussi, les pantalons semblent bouffer et si les ceintures sontajustées et font la taille de guêpe aux hommes, en revanche les basques s’échancrent et font presque corolle, la virilité dans la mode et les avatars de chacune.

Le général – c’est le grade de votre médecin – n’a pas remarqué ce qui fait la matière de votre question, et Napoléon III n’était pas gaucher.Vous passez dans son bureau, celui qu’il occupe depuis neuf mois maintenant, il a remonté une valise, celle des revues qu’il avait emmené pour en dépouiller le plus grand nombre possible en ses huits jours au vert, il vous propose qu’on s’asseye comme au salon, loin de sa table, vous êtes sur le canapé, ce que François MITTERRAND affectionnait, on y trône à l’aise pour tous les jeux de bras, et votre ami, un peu gauche, le visage très rougeni en blouse médicale ni en uniforme, a pris un fauteuil. Il est aussitôt net. D’entrée, vous êtes dans la meilleure conjoncture physiologique pour l’opération a minima. Sans qu’on puisse vous le garantir, il y a de très fortes chances que votre virilité n’en soit pas affectée, aucune métastase loco-régionales, osseuses, hépathiques, une ablation ce qui est la meilleure thérapie ; c’est l’éradication. Retarder, surseoir comme vous l’envisagez, alors que vous sembliez consentant lors de votre dernier conversation, c’est aller vers une prévisibilité redoutable. On ne pourra, quelque suivi que vous soyez, vraiment savoir l’évolution, la prolifération. Sans doute, n’est-ce pas une échéance de trois ou deux mois, mais d’une année sur l’autre, il peut s’avérer impossible de vous opérer, ou si l’intervention est encore possible, elle portera aussi sur l’environnement de la glande, on grattera et curera, on s’attaquera à des nodules, votre virilité, or vous y tenez n’est-ce pas ? sera certainement atteinte. Pis, si l’hormonothérapie est seuleloisible, il y aura certes des résultats d’abord brillants, puis soudain tout cèdera, il y aura une échapée de la testostérone, une éruption de métastases, vous souffriez beaucoup, vous aurez une triste et très douloureuse fin de vie, et pendant la période rémission, tout ce qui en vous est androgène s’effacera, votre caractère changera, vous vous féminiserez, ce n’est pas ce que vous voulez. Vous l’écoutez, il sait de quoi il parle, il vous connaît, vous regarde tout en exposant ces variantes, un homologue en visite annuelle systématique se révèle avoir un taux de PSA de 15, refuse de revenir à l’examen et l’année suivante on en est à 50, il n’a rien senti ni vu, on l’opère de justesse. Vous n’en êtes qu’à 7, personne ne peut savoir où vous en serez dans un an. Evidemment, il peut ne rien se passer, mais c'’st très peu probable.

En regard, quoi ? Vous allez être tendu. Ce qui vous fatiguera trouvera aussitôt son origine dans votre tête, dans vos sensations, cette douleur ou cette présence là, vous l’attribuerez à coup sûr à votre cancer.L’épéede Damoclès, votre recherche, et laquelle ? ne sera pas sereine, vous allez faire des bêtises, vous tromper, vous lancer à la tête et au ventre de n’importe qui, et puis votre amie, vous y tenez bien plus que vous ne le croyez, déjà quand vous avez sursis à votre projet avec votre jeune Russe, n’était-elle pas intensément présente dans son désespoir mais aussi selon toutes ses qualités, sa solidité, son charme. Pourrez-vous la quitter, chercher dans de quelles conditions de dénuement affectif, d’angoisse physiologique quelqu’une inconnue ? Et si vous la rencontriez par impossible, avez-vous les moyens de vous marier, et la laisserez-vous veuve parce que vous aurez été soigné trop tard, et l’enfant ? connaîtra-t-il son père. La simulation, dans sa bouche, est textuellement abstraite mais les images passent, défilent et se pressent en vous, une sorte de divagation fébrile et folle, dans des décors et selon des paysages vides, blafards ou excessivement lumineux en sorte que rien d’un relief, d’un accident de terrain, d’un passant, d’un visage, du temps et des journées, des nuits qui se succèdent et qui coulent n’est perceptible, la solitude d’un enfer à travers lequel courir, déjà enterré. Non, il ne vous en croit pas capable, qui le serait ? Vous lui aviez demandé conseil, vous lui aviez exposé votre trouble, votre lassitude, déjà, alors que rétrospectivement analysé, le combat ne faisait que débuter, entre votre fiancée et les appels, les malédictions de votre compagne, l’assemblement des créanciers vous n’aviez plus de quoi tenir, ressources épuisées, du répit par pitié ! Si elle tient à vous, elle aura attendre, si elle avait tenu à vous, une femme va carrément à l’éviction de la rivale, elle serait revenue au alop. Vous avez ce souvenir, vous ne pouvez pas lui petre apparu tiède de sentiments et de convictions cet été-là et quand, partie depuis peu, elle a voulu revenir, vous ne l’y avez pas encouragée, vous avez feint chacun que ce fût un caprice, c’était cependant votre dernière chance de couple. Vous auriez été son Pygmalion, vous l’auirez quelque temps retenu, votre vie a été si chatoyante, vous êtes beau, cultivé, vous avez du charme, vous auriez pu, mais cela n’aurait pas duré. Vouslaissez votre médecin, votre ami broder, exagérer, êtes-vous encore beau, l’étiez-vous encore ? Les lieux,le texte, les circonstances, presque la date de l’adultère qu’aurait fatalement commis la trop jeune et belle étrangère, vous les avez imaginés,conjecturés, prévus, mais vous auriez vidé la question, et il y aurait des enfants de vous quelque part dans le monde. Un père au loin, un père depuis longtemps décédé, s’il en demeure une rumeur admirative, des échos beaux, il vous a semblé d’expérience de votre propre géniteur, que cela vaut mieux qu’un aîné disparu moralement, tué mentalement, revu perpétuellement à terre et failli, malheureux de surcroît.Votre père ne s’analysait pas et ne se prêtait pas à l’analyse. Les experts n’y parvinrent en tout cas pas, on trouva pour eux l’explication propre à changer la qualification des imprudences ou malhonnêtetés, escroqueries ou détournements commis et c’est ce qu’il advint. Vous auriez aimé un père confident, un père avec qui partager vos vues à chacun du monde, et sans doute son expérience de votre mère et de votre propre enfance, un témoin. Tel qu’il fût, n’était-ilpourtant pas bien plus éloquent, humain,réfractaire aux embellissements lénifiants ou à une légende qui n’eût tenu qu’à vos projections, sans jamais qu’il ait eu la parole.Peut-être fut-ce la responsabilité de votre mère que ce projet-là, qui coïncida de moins en moins avec une âme, un cœur différents de ce qu’elle avait cru. Tenter de se départir d’une vision faite d’avance,modelée par on ne sait quoi ou qui, et qui vous fait considérer vos relations, vos attachements les plus intimes à travers des prismes où il n’y a que vous, et uneimage déformée de vous-même. Une lucidité une curiosité axphyxiées par un déplorable jeu de miroirs, une atrophie d’un goût particulier, celui qu’on doit avoir pour l’inconnu,pour l’insaisissable,pour tout autre, principe de réalité s’il en est et puisque le terme, galvaudé, est usité aujourd’hui tellement. Votre enfant, vous lui feriez cadeau d’une image toute faite, d’un puzzle. Que vous l’imposiez à votre compagne, elle vous assure qu’elle le détesterait, elle ne pourrait aimer une vie par raccroc, donnée ou décidée par dépit et pour tenir lieu d’un rêve. Le médecin et votre compagne, sans s’être concertés font donc chrorus, et l’alternative est claire, vous partez au hasard et la pêche n’a qu’infiniment peu de probabilités d’être miraculeuse et vous avez en cours de navigation ou à votre retour à quai la certitude d’un état physique tel que, bredouille ou comblé,vous n’en profiterez pas, vous aurez à tout laisser, et la douleur, et ses grimaces, votre culpabilité en sus, seront seules victorieuses. Vous ne pouvez tomber dans un tel choix.

Il n’argumente nullement en éthique médicale et selon le principe absolu, premier et final, que la vie doit être préservée autant que possible. Il vous peint les conséquences de votre choix, perdant en tout, alors que vous avez pris la précaution sur son conseil d’aller à la banque du sperme. Qui que ce soit vous aimant, et peut-être votre compagne toute destinée à cela, acceptera le protocole d’une fécondation artificielle, vous aurez la longévité pour vivre cette éventualité si elle se produit, vos chances de guérison totale, sans aucune récidive, sont en ce moment les plus grandes. Ce que vous entendez n’est idyllique, vous vous voyez condamné à votre compagne, condamné à quelque surplace mérité par votre inaction d’antan, vous vous sentez incapable d’un jugement de valeur, celui qui bonifiera celle qui vous aime. Ce n’est pas la première fois que l’on tâche de vous convaincre que vous aimez plus que vous ne le savez, celle qui est dans votre paysage du moment. Vous avez donc à fabriquer du consentement, alors que vous entriez dans cette conversation avec l’idée d’une évaluation souple et permissive de l’endormissement possible de votre petit cancer. Pour exercer votre petite liberté. Il n’est enfin pas exclu que la tension qui ne baissera pas, à laquelle contribuent vos échéances judiciaires, vos prospections pour un ré-emploi, accélère les processus qui vous désagrégent intimement et n’ont qu’entamé leur œuvre. Pas exclu d’ailleurs que vos cinq ans d’enfermement et de mise au silence hors cadres aient agité l’alchimie dont vous êtes la victime. Votre ami n’entre décidément ni dans l’hypothèse gratifiante que l’espérance vous ressaisisse quel que soit son manque d’objet dicible, ni dans ces alternatives de lecture de votre vie, un dépouillement ultime vous faisant passer sur un autre plan, un engrenage dont vous ne pourrez vous dégager. Jamais, vous ne vous êtes vu perdant lors de la dernière scène, pour la première fois, vous vous heurtez à une limite nette, physique. Combien de temps vous donniez-vous pour avoir des enfants, ou jusqu’à quel âge ? Vous répondez ne vous ête jamais fixé une date, une époque, un âge, tout vous sembla toujours ouvert, votre espérance était polythéiste, inentamable, impersonnelle, vous l’aviez donné à croire. Vous aviez tout de même voulu, pensé faire une fin avec votre jeune Russe, une passion ? Pas du tout, ou bien davantage, c’était un fait totalement acquis, plus solide, intangible, réel, résistant, quoique vous n’ayez nullement su en saisir les conséquences, vous marier aussitôt au lieu de prendre le rythme de vacances et de visitations, de tour du monde ou de la France. Au fait, quand vous reçûtes l’avis d’avoir à présenter aux autorités locales votre successeur, il vous apparût tout de suite que vous étiez vidé, que vous ne vous rétabliriez pas avant longtemps et que ce serait difficile, sinon impossible, que le point de chute, vous ne pouviez le prévoir, vous avez aussitôt su et déduit que la chute serait parfaite, continue, un vide sans fond. Mais vous ne l’aviez pas intégré, assimilé, vous avez continué comme si le ciel vous restait ouvert,à vaquer à vos tâches de chef d’une équipe qui vous avait mentalement déjà quitté et qui commençait de vous trahir, vous avez laissé s’allumer sous vos yeux tout ce qui flamberait vos dernières possibilités de vous récupérer. Ce n’est qu’au bout d’une très grande année que monté au sixième étage de votre ministère d’origine, reçu par une femme sans grâce mais arbitre des questions de personnel, sinon de personnes, au cabinet commun des trois gouvernants aux Finances et rue de Bercy, vous comprîtes d’un coup ce qui vous était impersonnellement adressé. Il va vous falloir changer complètement vos projets, vos orientations, la vue que vous aviez de votre carrière. La femme, hommasse, assurée, ne vous ayant jamais rencontré à votre époque, dans vos quelques vingt-cinq de liberté, de gloire et dans l’esprit de tolérance où l’on vous avait laissé baigner à laplupart des niveaux où se décident des sorts particuliers dans une administration régalienne, n’avait pas même de regard.une procédure était lancée, elle écrirait mensongèrement à Jean ARTHUIS un veto de principe des Affaires Etrangères à votre réaffectation à l’étranger, à toute forme de votre ré-emploi en Ambassade. Vous auriez beau démontrer que cette affirmation fut un faux et agiter, copier, envoyer, multiplier la correspondance avec le directeur du cabinet du ministre des Affaires Etrangères, qu’au contraire on ne voyait pas d’obstacle à de telle nomination, lachose serait scellée, acquise, elle l’est toujours. Vous étiez redescendu abasourdi. Qu’on vous dise l’exécrable de votre dossier, quoiqu’on ne l’ait pas lu, qu’on en exploite les pièces tout à fait anciennes et dont chacune était et demeure contestables vous faisait bondir, répliquer, rétorquer, mais quand la polémique a tour statutaire, que la hiérarchie est impénétrable, incontournable on ne ne peut que mourir. Pas même bien mourir, seulement mal mourir.

Votre médecin qui vous trouve fort bien – raison de plus pour ne pas surseoir à l’ablation – au contraire vous avait jugé en péril l’automne dernier, vous n’avez plus ce souvenir-là de vous-même. Votre compagne vous avait accompagné à votre consultation au premier étage. Elle avait en quelques mots décrit votre épuisement au psychiâtre, vous fûtes hospitalisé dans les vingt-quatre heures, la dislocation était en phase triomphalement terminale, vous étiez tête baissée dans l’anneau de corde. Vous n’imaginez pas cet instant au petit matin où anesthésiste venu une ultime fois la veille au soir, vos dispositions personnelles revues à votre écritoire portable, les divers lavements absorbés et ayant produit leur effet, vous aurez à vous abandonner aux horaires, aux infirmiers et aller à l’ablation, à la stérilisation, à l’horreur d’une autre vie, couché et consentant sur un lit roulant. Jusques là, jusqu’à ce qu’au moins la date soit fixée, tout va continuer de vous paraître théorique. Débarqué de l’Ambassade à laquelle vous aviez été nommé, vous aviez toujours vos immunités diplomatiques et le chiffre par télégraphe, vous buviez à pleins traits la duplicité de votre projet de mariage et lacommunication téléphonique avec votre compagne. Avec la jolie blonde à peau gourmande et bouche enfantine, vous tiriez les rois si souvent que vous aviez toujoirs l’un ou l’autre la fève. Le marc de café vous avait fait entendre des prophéties sinistres, la poisse au moins deux ans, mais d’autres vous alignaient de vraies fèves, les dispersaient, les comptaient et vous faisaient envoler vers notre Ambassade à Moscou pour y poursuivre votre carrière sidérale.

A combien de femmes avez-vous manqué ? A celle qui à une année d’accomplir la cinquantaine, consulta devant vous un faiseur d’enfants qui vous avait été recommandé, se fit traiter en conséquence et que, vivant encore plusieurs semaines avec elle, vous n’avez pas approchée. A celle qui ne pouvait qu’avorter, ablation s’il en est, puisque vous l’en conjuriez et ne vouliez pas qu’un enfant vous liât à elle prématurément, en fait jamais. A votre compagne vers laquelle à votre dernier envol pour votre fin de mission, vous ne vous êtes pas retourné passés les contrôles d’où l’on peut encore voir les accompagnants qui vont vous survivre dans les lieux que vous quittez. Vous êtes sans sensation, impression ni capacité de synthèse quand vous quittez les bâtiments abbatiaux,le jardin de curé jusqu’au seuil duquel votre ami vous a raccompagné. Ainsi qu’à son habitude, il a fait bifurquer votre conservation vers vos projets,votre sujet, l’ancien ministre du Général. Vous avez opiné ensemble sur les affaires de Corse, sur l’inculture et l’astructuration des deux compétiteurs pour un pouvoir qu’ils dévalorisent quotidiennement. Boursouflé, les yeux écarquillés par les lunettes, pressé plus par les personnes physiques que par les questions et l’émotion, le Premier Ministre est venu sur les lieux de la catastrophe pour parler. La course en toute occasion de décès, de triomphe, de discipline sportive ou d’incendie sous tunnel que se livrent les deux temples de la politique, emblématiques pour que le communiqué tombe le plus tôt. Il est saisissant pour qui en aurait la mémoire ce contraste entre la parole publique d’aujourd’hui et la geste d’autrefois. Quand a coulé l’Eurydice ou la Minerve, dans le noir d’une Méditerranée d’hiver, la réponse du Président de la République au coup du sort qui fait périr en service commandé des hommes, des soldats, fut, jusqu’aux endroits et profondeurs supposés du naufrage, la plongée d’un vieillard corpulent, à la vue basse, s’enfonçant par le « trou d’homme » d’un sous-marin, exacte réplique du disparu. Aucun communiqué n’avait été préalable, une fois encore la nation fut figée par la justesse parfaite, grandiose de l’acte. Plus tard, quand l’insomnie des précipitations et de l’image à constamment maintenir sous le nez des spectateurs aurait effacé les rêves de ce qui est beau parce que noble, un tout autre Président de la République accorderait (imposerait) un entretien à la presse dans le caveau du Mont-Valérien, puis à Auschwitz, un autre encore ferait reprendre nos expériences nucléaires le jour anniversaire d’Hiroshima puis, justifiant autant la procédure référendaire que la liberté qu’il garderait vis-à-vis des résultats quelqu’ils soient à propos du « quinquennat », assurerait que le fondateur avait eu une conception plébiscitaire des consultations populaires qui ne serait rétrospectivement que la sienne. L’irresponsabilité des acteurs quant au texte qu’ils récitent, l’important seul étant d’être en position sur les planches pour le réciter, soi et pas un autre.

Concorde, il est à peu près certain que ce ne fut pas une affaire de moteur, mais le fait de pneus éclatant ou du train gauche s’avariant, la chaine de causalités jusqu’à l’enflammement d’un puis de deux moteurs n’est pas encore claire. En revanche, il est certain que les passagers eurent plusieurs minutes pour contempler l’impossible, ne pas pourtant en défaillir d’horreur en sorte qu’ils s’entre-regardèrent brûler tous vifs. Immédiatement, c’était l’affirmation par le ministre des Transports que ce type d’appareils n’est pas pour autant condamné, et le surlendemain, c’est le président de l’entreprise couvrant son service des mécaniciens au sol. L’occasion montre que quel que soit le statut d’une compagnie aérienne du niveau d’Air France, ce sont finalement l’Etat et le pays, l’ensemble de son profil, de sa manière d’être au monde, lasuite de son histoire économique, industrielle et commerciale qui sont en cause.L’opinion ne détaille pas, elle amalgame selon le dernier des événements, selon – seul – celui qui a l’a appelée à se formuler. – Politique . . ., les cotes de confiance des «  deux têtes » de l’exécutif à largement plus de soixante pour cent, l’indicateur est complètement faussé, ce qui reste seulement significatif ce sont les variations ; le niveau au contraire décrit la perte de conscience critique d’un peuple, et en fait le passage très en arrière-plan dans la conscience commune de tout ce qui est de la politique. La suite ininterrompue des compétitions sportives à grands enjeux d’images et de budgets occupe à longueur d’année bien davantage les esprits et les grilles de programme ; les politiques ne s’y trompent pas qui s’y accrochent pour être encore aperçus, comme d’autres payent pour placer leur encart publicitaire à la télévision directement ou en calicots sur les maillots des joueurs ou sur le passage des cameras et du Tour. Scenario analogue quelques semaines après, une rame de métropolitain déraille, on couvre puis on découvre, on avoue. Quand c’est le Koursk qui est tiré par un collègue en surface, qu’aussitôt tout meurt à bord, un grand pays passe soudain d’un régime millénaire d’autorité à presque un gouvernement d’opinion. Le chef du moment, comme autrefois GORBATCHEV, est justement sur la Riviera de Russie quand tout se joue, puis devant les veuves, les filles et les parents des victimes du sytème d’opacité et de désinvestissement, il cale et renonce à parader. Les veuves de la place du 1er Mai à Buenos Aires étaient parvenues, elles d’abord, à ce qu’une dictature fléchisse. C’est la voix de MALRAUX évoquant les Glières, voix pour le noir et blanc, pour Ingmar BERGMAN, pour la solitude et le martyre de Pierre DESNOS à Theresienstadt où le camp de mort par le travail n’était que charme et pelouse entre les redoutes et redents, les fortifications à la Vauban qu’avait ordonnés la grande Impératrice deux siècles auparavant pour couvrir Prague. Passivité béatifique de celui qu’on traine par un tunnel sous le rempart pour aller au lieu adéquat pour le fusiller, horreur de toute impuissance physique quand moralement l’inujustice est si incompréhensible. Minutie des totalitarismes et, cas par cas, des tribunaux ou commissions paritaires des plus avérées démocraties. A l’inverse, ce moine qui croit à ce qu’il fait et à ce qu’il vit, au téléphone, il s’enquiert de vous entre Laudes et messe, puis à vos questions répond sur le chant grégorien dont l’élan, la saveur et la vérité ne peuvent se produire qu’à condition d’une existence réglée depuis quinze cent ans par cet autre fondateur d’ordre religieux qui seul rivalise maintenant avec le gentilhomme blessé à Pampelune. C’est cette assiduité tendre et dépossessive d’hommes et de femmes qui à longueur d’années, à chacun de leur souffle, choisissent d’approndir davantage encore ce qu’ils ont dans leur cœur et sous les yeux quelle que soit l’alternative qui sur le trottoir d’en face ou en visage de partenaire, s’offrirait à leur faire comparer leur vœu de mariage ou de religion à ce fruit où mordit Eve, flattée comme le renard de LA FONTAINE : à ton beau corps, à ton visage, bien conviendrait cette aventure ! La différence entre le péché collectif et l’héroïsme individuel est que le premier se revendique et se publie toujours posthume, tandis que le second préfère l’anonymat de la dévotion amoureuse qu’aucun éclat de l’objer à quoi il est consacré, signalera jamais. Se dévouer, seul acte en soi.

Ils m’ont abandonné moi la source d’eau vive, et ils se sont creusés des citernes : des citernes fissurées, qui ne retiennent pas l’eau !
Pourquoi parles-tu à la foule en paraboles ? Celui qui a recevra encore, et il sera dans l’abondance ; mais celui qui n’a rien se fera enlever même ce qu’il a. Si je leur parle en paraboles, c’est parce qu’ils regardent sans regarder, qu’ils écoutent sans écouter et sans comprendre.
Beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu. [1]


[1] - Jérémie 12 à 13 & Matthieu XIII 10à 17

Aucun commentaire: