lundi 30 juillet 2012

désir - l'impossible est notre vie - récit . 23 (à suivre)













DESIR




Regard d’une infinie brièveté, mais qui fut le grain de pollen minuscule, tout chargé de forces inconnues, d’où naquit mon plus grand amour.(…) Un mouvement très gracieux et très jeune rejeta sa tête en arrière, comme pour aspirer le paysage. C’est ce qui conclut la matinée, vous avez trouvé MAUROIS en livre de poche, Climats ; autrement, malgré trois entrées dans des échoppes paraissant spécialisées pour les belles éditions ou les originales, vous auriez fait chou blanc. Ce sont bien ces phrases qui vous avaient enchanté à vos vingt ans et qu’en conséquence vous aviez copié sur les fiches de bristol, à quoi « votre » moine de Solesmes vous avait accoutûmé. La première fois, qu’un soir, il sortit de sous son scapulaire deux de ces rectangles blancs travaillés de son écriture très personnelle, un peu écrasée, nettement noire et épaisse quoique courant vite sur le carton. Mais ce n’est pas Hélène, c’est Odile. Ainsi, l’initiale demeure mais elle aura son substitut, elle l’a même préparé, annoncé.

Dieu n’opère pas dans les cieux de l’abstraction ou de l’arbitraire, selon le saint-Esprit. Quelle expérience plus commune que le vent, et pourtant qui sait d’où il vient et où il va ? après bien des hésitations ou du raisonnement, de la prière même, que verriez vous ? que pourriez-vous décider qui vous prolonge et vous corresponde ? C’est une cristallisation par des événements, Dieu ne parle pas ex cathedra mais notre langage et selon nos matériaux, nous sommes créés libres, même et surtout vis-à-vis de Lui et son secours et son plan se manifestent à notre échelle. Vous tombez sur Marie-Hélène, anciennement secrétaire de votre médecin-traitant : elle a quitté l’Elysée où elle avait été détachée auprès du Général KALFON, elle est en uniforme qui lui va bien, jupe bleue sombre et chemisier impeccablement fluoerescent blanc, les épaulettes, le sourire, les cheveux coiffé en cloche, une tulipe noire ouverte et souriante. Devant les ascenseurs de l’aile C, elle vous demande où vous en êtes – forme interrogative la plus complète qui soit entre voyageurs à vie de l’existence humaine et qu’avait eue excellement François MARTY, quand vous l’abordâtes à l’issue d’une des sessions annuelles des Intellectuels catholiques français, à la Mutualité que vous fréquenterez à nouveau pour entendre Arlette LAGUILLIER. Vous répondez lapidairement : cancer de la prostate, sans métastases, un choix à faire, une vie diminuée ou le risque d’une moindre espérance de durée de vie : vie abrégée ou vie diminuée. Elle répond d’une façon dont la manière importe plus que le texte, que c’est évidemment important et elle vous laisse ressentir et vous dire à vous-même que mieux vaut vivre moins de temps mais intact et disponible. C’est dans ce mouvement de pensée que vous retournez à la banque du sperme, le sixième étage du bâtiment le plus reculé à l’hôpital Cochin. Les choses s’y passent vite, la secrétaire à l’accent flamand est en fait polonaise, l’aviez-vous déjà noté ? Vous vous masturbez rapidement, fonctionnellement, sans présence mentale à votre geste, sans plaisir ni imagination. Le délai d’abstinence bien moindre que la prescription (trois à cinq jours) et vous produisez peu, d’un mélange encore sanglant ; vous aviez été placé dans une autre « salle », au mur, au-dessus du lit plat et sans apprêt analogue à ceux des hôtels de « passe », une image d’un  des nus de MODIGLIANI dont vous avez la reproduction depuis sur votre table à écrire, en sous-verre. Vous manoeuvrez, faites et vivez la pratique prescrite comme s’il s’agissait d’une préparation à la communion, et en pensant à votre pétersbourgeoise presque exclusivement. Votre compagne jugerait que l’ensemble a de la cohérence, vous, le lieu, le fait, le geste, et la semi-déesse dont l’évocation fait arriver le bourgeonnement, l’enflement, la docilité et l’accompaagnement d’un sexe désormais dompté à la main jusqu’à ce qu’il s’en suive la conséquence, flottement et émergence, éprouvette déposée sur la tablette indiquée, à gauche, en rouvrant à peine la porte de la cellule.

Passant reprendre langue chez votre médecin traitant, l’unité de lieu parfaite de poart et d’autre de l’avenue de Port-Royal, en plein XVIIème siècle, piétiste et rigoureux, vous tombez sur lui. Il vous prend « quelques secondes » , vous redonnez du texte à l’identique de celui qu’avait suscité son ancienne secrétaire, une heure auparavant. Un choix philosophique qu’il peut éclairer : une vie diminuée physiologiquement contre le risque d’une vie de moindre durée. Reprenant votre mot, il admet que la question est légitime mais qu’il faut en parler posément. Impossible qu’il me reçoive ce soir, il a à 18 heures une Melle L. venant pour travailler, avec lui. Alors ? demain à 20 heures. Vous allez reporter vos entretiens d’avocat, continuer vos rédactions, sans penser y ajouter un nouveau moment, mais écrivant et développant toute la dialectique de votre sujet. Vous êtes, comme dans la chambre de mastrubation, bien en possession de votre instrument, celui-là : mental.

Ce matin, dans les lieux de la banque du sperme, dans son appaartement de destination(car l’étage,le dernier, donne plus à penser à un espace à vivre familialement qu’à un ensemble hospitalier), il y avait une pièce où jouaient, sagement assis, de très jeunes enfants, quatre ou cinq, tandis que devant le secrétariat attendait un couple. Vous avez pensé à des prélèvements, alors que ce doit être au contraire, un couple en attente de donneur, à moins que la femme ne tienne à masturber elle-même le mari ou le compagnon pour la banque du sperme. Et puis dans des baraquements entre les bâtiments proprement dits, une crèche, là encore des enfants. Les scènes se répètent jusqu’à vous obséder. D’abord, votre quête dans le service censé vous accueillir pour l’ablation : on vous y doit des égards.

La jeune femme vous sourit,vous l’oubliez dès qu’entré dans l’ascenseur, les résultats sérologiques ne sont pas revenus, à moins que traitant entre autres du VIH, ils n’aient été adressés sous enveloppe au suppléant de votre chirurgien, depuis que ce dernier est en vacances ; vous aviez été l’un de ses derniers objets d’entretien. Contrairement à votre médecin traitant, votre chirurgien putatif sait être ailleurs, une fois terminé son servive, à preuve. Peut-être est-ce le trait de tous ceux qui ont pour métier, finalement, de trancher ?

La banque du sperme n’a plus de secrets, son sigle vous est connu, l’itinéraire entre les vieux bâtiments, vous le variez, la secrétaire à l’accent flamand est d’origine polonaise, elle vous demande s’il y a bien eu abstinence de trois à cinq jours, soit depuis le premier dépôt, vous dites que cela s’est fait il y a juste trois jours, en vérité vous comptez comme les évangélistes, on est au troisième jour ce qui fait à peine quarante-huit heures, pas même puisque ce fut une grasse matinée. Un couple attend, arrivé avant vous, qui ne se lève pas pour faire valoir un numéro d’ordre, visages banaux, presque vulgaires, visages de silence. La femme veut-elle que ce ne soit qu’elle qui masturbe le donneur, le déposant, ou vient-elle donner des ovocytes ? Mari et femme, l’un stérile, et tous deux attendent les donneurs, l’accès à la banque pour pouvoir, à partir d’un tiers, procréer ? Que pensent-ils, qu’en pensent-ils ? Ils sont deux en apparence, mais qu’ils se ressemblent, une seule chair, un même air tranquille àl’acmée d’une attente et d’une tristesse se passant de mots et de regard. On vous indique la pièce où opérer le prélèvement,pour ainsi parler. L’étage n’a rien d’un milieu hospitalier, ce semble un appartement, un couloir et des pièces avec fenêtres sur le dehors et vitrages intérieurs :on voit tout, mais l’on n’entend rien car ici on ne parle pas, on examine, on correspond, on attend, on classe, on fiche, la burette à petit bout et gros col d’accueil cylindrique, diamètre d’accueil pour un bon gros membre et réceptacle pour quelques gouttes qui glisseront en filet sirupeux, se pose par l’entrebaillement de l’unique porte sur une tablette sensible, le léger changement de pression sur le liège doit déclencher un signal que le dépôt est prêt, recueilli, collationné. Vous êtes dans l’autre pièce, il n’y en a que deux affecté à l’exercice pour lequel vous venez, vous êtesdans l’autre, l’orientation est différente, pas l’agencement, au mur un nu de MODIGLIANI, vous en avez, en sous-verre sur votre table à écrire, plusieurs, dont celui-là, corps orangé, chair et pilosité de brune, les bras ouverts, coudes sous la nuque, cuisses reposant. Mais vous, vous avez changé, la décision est en vous, l’enfant, vous entrez dans la pièce comme dans une chambre, comme à la chapelle d’un communiant matinal, vous allez penser fortement à la mère probable, à celle que vous souhaitez, à celle qui s’était présentée, quoique vous n’ayez jamais eu l’indication, la sensation qu’elle désirât au plus vite un enfant, des enfants. Vous ne vous en étiez ni alarmé ni étonné, c’était hors champ puisque le mariage était résolu, d’une certaine manière consommé, reste que vous preniez des précautions, qu’elle plaçait le contraceptif, qu’elle s’était enquise de son efficacité, qu’elle y avait réfléchi. Vous ne vous souvenez ni qu’elle fût ardente et portée sur la question ni indifférente. Voius êtes là pour autre chose que des considérations, vous avez à opérer un prélèvement, un dépôt, dont vous avez la matière, numéraire et destination. La belle un peu épaisse, rougie par endroit selon la pression ou les passages de vos mains sur elle, à ses hanches, c’est le dos qui retient le plus ce genre d’empreintes. Vous êtes en train de communier, vous célébrez quelque chose d’important, de décisif, de sacré, vous devez affecter spirituellement ce que vous allez éjaculer, il faudra qu’à travers les années et la conservation cryogénique ce sperme ait trace et souvenir d’une pensée, d’une image d’enfant et sa mère d’alors. ce n’est pas compliqué, l’image du corps, celui photographié en détail et beaucoup de clichés la nuit, le soir d’avant la nuit à l’hôtel de l’Odéon, est aisée à mémoriser. Vous ne mimez pas mentalement, vous ne mobilisez pas une sensation de pénétrer un sexe, son sexe, vous priez ce corps, vous n’en avez pas d’autre sous la main et dans la tête, que le cœur n’y soit évidemment plus, est autre chose. Vous conjurez une destinée, vous faites comme vous pouvez, imaginer le passé est plus aisé que de vous décrire l’inconnu, surtout au féminin. Votre sexe répond, ce n’est pas désagréable mais cela donne peu, et le mélange est toujours carmin, sombre. Nu, vous entrouvrez la porte et posez le récipient rebouché, diposé dans son vagin de métal en quoi il se cale, vous vous rhabillez. Vous avez remarqué du couloir, la pièce d’angle où jouent, tranquillement et silencieusement assis à une grande table pour adultes, cinq ou six enfants très jeunes. Vous saluez la secrétaire, vous promettez les résultats d’analyse, vous reprenez l’ascenseur, un peu étourdi. Dehors, en bas, entre les bâtiments proprement dits, des baraquements, certains affectés, selon leur pancarte, aux permanences syndicales et aux formations continues, un qui est assez spacieux, c’est la crèche, plusieurs salles éclairées a giorno, de nombreux enfants autour de tables à leur taille et rondes, des enfants, tant d’enfants aux abords d’une banque. Vous continuez, vous avez le temps, du temps, une petite porte, une grille dont un battant plein, peint en noir, est ouvert. Vous la passez, un couloir, deux statues baroques, des prophètes plus grands que nature, de chaque côté du passage par où vous arrivez, c’est le cloître où des femmes, au XVIIème siècle tinrent tête à la plus grande puissance de leur époque, à un système totalitaire qui leur faisait tenir leleur pour un régime de libération et de bonheur, quoiqu’elles fussent vouées à la virginité, à la clôture. L’ambiance est grise de pierre, du ciel pluvieux, celle d’un monastère bénédictin dans l’hémisphère sud, avait cette odeur de temps passé et de vie vécue autrement, celui d’Olinda.
Vous recommencez, vous répétez comme, imaginez-vous, ce doit se pratique pour le tournage d’un film.

Car le miracle serait là. Tenir sans prolifération cancéreuse un an ou deux encore, « faire » deux enfants, un garçon et une fille,  puis, tout étant accompli, aller sur le billard ou en radio-thérapie s’il en est encore temps. Les anciens bâtiments de Cochin sont ceux de Port-Royal : vous respirez l’esprit, les derniers vestiges attestant une spiritualité, celle de ces femmes qui surent dire : non ! La pièce de MONTHERLANT à lire ou relire, les textes de SAINTE-BEUVE que vous avez en Pléiade. Un choix, celui de reprendre vos billes, vous le signifiez au chirurgien, vous vous faites surveiller et suivre grâce au traceur qu’est ce taux, au sigle automobile, et vous restez disponible à la rencontre que vous souhaitez encore : c’est la ligne du vendredi 31 Mai 1968, redoubler à l’E.N.A. à la manière du Général qui, la veille, a refusé d’abdiquer, ou plutôt que par lui, le peuple abdiquât, présentation des choses qui produit plus qu’une nuance. C’est aussi cette libération qu’a produite en vous l’ordre « en conscience » de ce prêtre que vous avez aidé puis à qui vous vous êtes confié. Bien entendu, un tel choix : durée de vie probablement abrégée, attente d’une autre, va contre la seule contemporaine de vos compagnes. Principe de comportement par contradiction, vous ne rebondissez qu’en cas d’obstacle, qu’à toucher la réalité, qu’à être rencontré et limité brusquement, vraiment par celle-ci ? Ou lecture aboutissant à une réponse contraire. Il est tout indiqué que vous n’étiez fait ni pour la vie conujugale ni pour une fondation familiale, puisque vous ne vous y êtes jamais résolu. Ce qui vous détermine, après bien des hésitations ou du raisonnement, de la prière même, c’est une cristallisation par des événements. Et c’est maintenant. Des enfants, plus nombreux, plus savoureux qu’un unique, et d’une femme que vous n’apercevez donc pas, mais celle-ci sera davantage liée à ceux-là qu’à vous. Vous survivrez par devoir, pas du tout pour jouir de l’œuvre qui n’aura pas été la vôtre, mais au propre le fait du miracle.

Multiforme, évanescent, aussi diversifié que l’inépuisable multitude de ses objets, et il se confond si souvent avec son objet, le désir. Pourtant, il est unique, parce que c’est le vôtre, c’est votre désir, quel que soit sa visée, son attente, ilproduit en vous le même effet, il vous rassemble et vous tend, il vous distribue entièrement vers l’avant, vers l’extérieur, vers le dehors, il est à sa racine, à son émergence votre personne entière tendue, d’une certaine manière donnée, vouée à l’objet, et cette joie, cette plénitude qui sont si totales, tellement vôtres, que c’est tout vous, quand l’objet est atteint, rendu, à vous, quand s’opère la réciprocité du désir, l’objet quel qu’il soit, de la chose à prendre et toucher, de l’aliment à consommer, de Dieu sous ses apparences sacramentelles ou se délivrant, se dénudant, vous apparaissant dans la prière, par la prière, à l’occasion de la prière, de tout ce qui n’est pas vous et dont vous vivez et savez, d’intuition, que ce peutêtre vous, ce peut être assimilé à vous, de même que vous pouvez être assimilé à autrui, à l’univers entier et à Dieu. Le désir est communion, mais ne vous trompez pas d’objet.Bien au-delà des commandements des vieux textes, de toute société, de quelque divinité que ce soit recommandant erga omnes de ne pas convoiter la femme d’autrui, de ne pas faire œuvre de chair avec son fils ou sa fille ou sa belle-mère ou son gendre, l’erreur qui rend le désir si pesant à l’instant qu’il est assouvi, si pulvérulent de cendres et de regrets, de nostalgie d’une lumière et d’une pureté dont vous aviez cru que vous ne seriez jamais dépouillé, et assurément pas en conséquence de cet achat, de cette étreinte, de cette option de carrière, de cette décision. Quoique chaque jour lui impose un degré de plus dans le déclin de ses facultés, votre initiateur spirituel d’autrefois, qui enseignait bien davantage que la relation à Dieu ou l’histoire sainte, et vous apprenait tout selon le tropisme de tout être vivant, de quelque ordre qu’il soit dans la hiérarchie instinctive de la création, ne répond pas à côté quand vous reprenez, dans l’attente de son conseil et pour mieux vous dire à vous-même la chose que vous méditez et décortiquez. La beauté avec ses ramification dans l’esthétique et dans l’éthique, a pour critère son rayonnement,l’évidence de soi pa laquelle elle arrête, fixe, fascine et attire. Quelle soit la beauté à l’état pur, natif, abouti, quelle tienne et délivre par elle-même tout ce qu’il a de désirable et d’accomplissant dans l’ensemble de ce qui est créé et de ce qui est le créateur Lui-même, alors elle ne brûle ni n’annéantit son adorateur, bien au contraire elle se donne à lui, commel’épouse, comme la sagesse rencontrée inopinément en chemin, mais une vie entière, la totalité du cosmos et de l’Histoire convergeaient et se destinaient des origines à l’éternité vers cette rencontre. Le seul fait, la seule disposition intimes de ne conditionner qu’au dessein divin, qu’à l’amour et au plan de Dieu, sur vous et sur le monde entier, ce que vous envisagez et souhaitez, ce que vous avez discerné comme votre souhait, sont l’énoncé d’une vocation, de votre vocation. A vous de trouver et de savoir ce que vous voulez, ce que vous désirez. A Lui de l’exaucer.Une telle relation offrant votre intégralité d’expression et de tension à qui peut vous faire atteindre et vivre ce que vous souhaitez est la plus religieuse, la plus naturelle qui soit. Elle dispose vraiment votre destinée, votre course.

L’expérience n’est pas une analogie, mais bien un des aspects de cette dévotion que forme le désir en vous, l’expérience du désir sexuel que signifie le corps soudain assemblé en sa pointe, celle de l’homme tendu vers l’épouse, la partenaire, l’autre qui est l’altérité en soi, la figure et l’ouverture du monde et de la vie, de l’histoire et du cosmos dans leur entier. Le désir qui ne se décrète pas, qui ne se souhaite pas, vient comme une grâce. Manipulations tendres et efficaces, maladroites et castrantes, ignorantes, masturbations folles, solitaires ou qu’aide l’exhibitionnisme, rien n’érige le sexe masculin, si remplie que soit une tête, si débordant et bégayant que soit un cœur, si n’existe pas une alchimie innommée pour accomplir ce qu’il y a de plus simple, de plus violent, de plus doux, de plus prenant et pourtant de plus réfractaire au vouloir humain. Au vouloir divin aussi, puisque l’attraction des deux chairs formant pour chacune l’autre moitié, une aide qui soit semblable, a subsisté malgré la rupture entre la créature et son créateur. Le mythe tient bon, il dit tout. Alors que, comme chaque jour, vous allez à votre paysage familier, au bord d’un lac que n’épargnent pas les rumeurs de la ville et des industries humaines, mais dont l’image, quelques vols et amerrissages de canards puis de poules d’eau, maintiennent le calme et le silence de votre intimité, vous dispose à nouveau à la méditation, au recueillement de ce que les heures, au regard de la décision à prendre, de la posture à adopter devant la suite de votre existence, auront décanté, vous avez les yeux à toucher, contourner, redessiner et vérifier la douceur et le modelé d’une chute de reins féminins. Un pantalon de toile blanche, est-ce une enfant, est-ce une adulte, la silhouette s’affaire avec une autre à laver une voiture ; elle est penchée sur un seau, puis vers le bas de la portière. Ni pudique, ni impudique, offerte et évidente comme une œuvre d’art, bien posée sur son socle et qu’un plan neutre présente isolément, cette paire de fesses. Puis leur entre deux médian. Seriez-vous capable, dans quelque pénombre et la nudité soudain faites, tout le temps et toute la poésie devant vous, votre main ayant passé de sa tranche du bas de la colonne vertébrale au profond de l’anus, à l’âcreté de ces lieux privés jusqu’à la discrétion qui s’émeut des lèvres féminines à l’orée du sexe et le formant déjà, votre sexe serait-il capable de prendre la suite, c’est-à-dire de prendre votre couple, de l’assembler, de vous emmener tous deux en une seule vibration ? L’imagination testant le désir, mais l’échec, la retombée laide et molle, la protestation d’autrui, votre balbutiement que dans d’autres circonstances, une prochaine fois ou jamais ou toujours, et la rencontre s’est manquée, le texte n’a pas suffi, les images non plus. Que désirez-vous, que désiriez-vous, comment désiriez-vous. L’âme peut-elle se susbituer au corps à l’arc du désir ? est-ce de jouir ou de vous accomplir qu’il est question, dont vous avez envie ? Est-ce affaire que la flèche soit décochée ? ou celle-ci n’est-elle qu’un geste, qu’une parole cetes ultimes mais dont l’œuvre n’est pas votre fin. Le désir, un vecteur ? un chemin ? un état de vie ? Le couple, le saint, l’extase.

Vous sortez juste du mouroir, vous y avez exposé au vieillard votre croix de chemins, êtes-vous à ce carrefour ? et quelle direction choisir ? le prolongement de quoi ? de votre enfance ? de ce que vous avez raté à l’âge adulte ? Que désirez-vous ? Que demandez-vous ? En ouverture de toute supplique, il y les deux conditions, de ne pas se tromper sur l’interlocuteur et ce qu’il est en puissance ou situation de répondre, de donner, et de définir clairement, précisément ce qu’est votre vœu, et l’énoncé pour être crédible doit vous décrire assez fidèlement pour que vous soyez jugé capable d’accueillir le destin s’il vous est, finalement, au vrai,proposé. La jeune femme qui vient à votre rencontre ou que vous apercevez, regardez presque à l’instant où vous vous croisez, la désirez-vous ? oui, mais vous n’évoquez rien de son corps, de ses formes anatomiques, sa voix vous n’avez pas l’occasion de l’appréciez. Le front est large, les cheveux sont coiffés ou vous apparaissent sans qu’il y ait à détaille, ils ne déparent pas l’apparence d’ensemble, vous vous arrêtez aux yeux, ils sont séparés avec franchise, le nez ne vous retient pas, la couleur des yeux est-elle le gris, le vert, le bleu ciel, les yeux sont ceux que vous aimez, depuis toujours, il y entre de la douceur, de la sévérité, de l’intimité, de l’altruisme, de lasimplicité, de la force, de la personnalité. La jeune fille ou la jeune femme, la jeunesse passe de corps à votre droite, sans que ni vous ni elle ne vous arrêtiez, c’est une fin d’après-midi, boulevard Raspail, c’est l’été, elle a les épaules et les bras nus, un chemisier qui ne tient que par de fines brides, qui est orangé ni sombre ni clair, qui ne flotte ni ne moule. Les hanches, les fesses, le ventre sont abondants, tenus dans un pantalon beige, est-elle nue pieds, en sandales, elle marche, continue, tourne dans la rue d’où vous venez, avec aisance, de dos on voit surtout la danse des reins, des fesses, un mouvement évoquant l’éternité, ce 8 renversé qui figure l’infini en cosmographie, en mathématique, le ruban de Moebius, elle ressemble, à âge égal, à regard identique, le vôtre attaché à qui dont le derrière vous émeut, à celle de vos compagnes successives qui fut enceinte de vous, un corps, une vie, des yeux créés pour vous captiver, vous retenir, accueillir de vous de quoi donner un enfant à l’univers et à vous. Vous vous arrêtez, elle ne se retourne pas, est-elle votre unique chance, présentée très à propos, alors que vous vous interrogez : une vie, à date fixée et consentie, où vous ne serez plus capable de saillir, de posséder du corps, de la chair, du réceptable, du consentement et d’y déposer en plein, au miilieu, en évidence et souverainement, de la semence, ou bien attendre encore, attendre aussi longtemps que possible jusqu’à ce que se présente ce vase précieux, parfait,ajusté, définitif. Si c’est elle, il vous faut la rattraper, son visage étaiut franc ni rieur ni triste, elle marchait à votre re,ncontre, ellea continué, elle a tourné dans la rue d’où vous veniez, elle disparaît,elle a disparu, vous n’avez pas couru, vous lui auriez dit d’un souffle, d’abord qu’elle est belle, d’abord que vous l’avez vue, que vous l’avez regardée, que ce n’est pas du désir, en tout pas ce qu’elle croit, et ce qu’on croit quand on agrippe et arrête quelqu’un dans la rue, vous lui dites que vous allez perdre la vie, une partie de votre vie, que vous avez d’ailleurs perdu trente ans, alors que vous étiez capable d’avoir des enfants, de provoquer des enfants, d’en convoquer depuis le ventre d’une femme, depuis les yeux et les mains d’une femme à votre front, à votre sexe, dans votre vie, et que maintenant il faut que tout de suite, très vite, vous aboutissiez, vous êtes prêt, l’est-elle ? Des enfants, de la vie, la suite de la vie, de l’amour.Pas des enfants pour des enfants, mais tel enfant parce que ce sera celui de telle femme, de vous, vous la femme à qui vous vous adressez, à qui vous dites vous, mais que vous caressez et tutoyez au fond de vous-même. Vous ne vous êtes pas précipité, ce n’était pas l’heure, si cette femme jeune et de votre goût, du type qui vous fait plaisir, qu’il vous plaît d’avoir vis-à-vis de vous à table, avec qui il ne vous rebute pas, il n’est pas péjorayif, dimiunuant que vous soyez vu, aperçu, catalogué par l’univers et par les vôtres, si elle se représente un jour suivant, vous l’aborderez peut-être, vous lui direz que cette fois vous ne pouvez pas ne pas l’aborder, à moins qu’un nouveau détail, un détail vous rebute, vous signifie avec précision quoique ce soit imperceptible que ce n’est pas elle, ce ne peut, ce ne doit pas être elle.

En cadence, chaque été, ou bien dans ces deux saisons qui jouxtent l’été, le préparent, l’encadrent, s’en font se souvenir, vos nièces, vos neveux se marient, sont mariés. Des histoires personnelles qui se disent peu ou mal, l’apparition d’un futur conjoint, des sympathies et des évaluations, vous faites partie des tiers, ce ne sont pas vos enfants, d’ailleurs vous ne savez pas ce que sont des enfants pour leurs parents, quand ils ont grandi, qu’ils ne disent plus que peu ou rien de ce qu’ils pensent, projettent et créent. On dit faire. C’est le même spectacle, le même rite avec peu de variantes. Il y a la robe blanche, il y a l’entrée, il y a le père, il y a le gendre, il a le prêtre, dans l’église on raconte beaucoup sur le sens, le risque, la bénédiction que sont en soi le mariage, la décision de former un couple stable, lors des agapes il est question presque uniquement du passé, comme si la prédestination devait rétrospectivement en sortir. Plus tard, les deux jeunes époux s’entretiennent avec vous, en habits de ville et d’habitude, eux-mêmes, vous sentez leur accord bien davantage qu’aux années de leur concubinat ou qu’aux jours où le mariage, les fêtes, le commentaire des familles et des badauds se précisent, se combinent. Certains sont metteurs en scène de l’ensemble, vous l’aviez imaginé pour vous-même gratifié d’une telle aventure, la jeunesse, l’étranger, la brillance d’un type physique inusité, l’étonnant d’un verbe et d’une mentalité d’ailleurs, vous auriez proclamé votre couple, sans doute aussi, si cela avait été, la dialectique fortifiante et enchanteresse d’une virginité de corps pour la jeune mariée, de cœur et d’exérience pour le célibataire endurci jusqu’alors, il y aurait eu du monde, vous ne souhaitiez pas de faire des envieux, voud auriez au contraire convié tous et chacun à consommer un peu de votre bonheur, de votre équilibre, de votre sagesse, ceux de votre personnage parvenu au mariage, à la fondation.

Ces jeunes et le vieux que vous êtes, les corps qui se surplombent, se regardent une dernière fois avant de se lancer, c’est-à-dire de s’étreindre et de se laisser aller, ont-ils, avez-vous comme eux cette décision aux lèvres, entre les yeux, au cœur ? Ces femmes que vous avez baisés au grand sens du mot,les génuflexions, votre bouche au renflement du pubis, vos lèvres à ces autres lèvres, puis l’action, la pénétration, et cette sorte de verrouillage du sourire qui s’échange, du remerciement que signifie le vôtre à la belle qui s’est ouverte, et le sourire de celle-ci qui acquiesce et signale qu’elle est heureuse. Que vienne un enfant, qu’il en sorte un de cet instant, dans quelques mois il naîtra, dans quelques jours, à vos côtés, dans l’activation de chaque jour à tant de choses de la vie, la femme, sa douceur de peau, les contours de son corps, ceux que vous aimez ou ceux dont elle aime que vous les touchiez, deviendront ceux d’une mère, un lien se fera du fait qu’en elle il y a du commencement, ce lien se fera avec vous, ce lien se fera de vous à elle, vous commencerez à veiller, la veille prendra un tout autre sens, celui d’une responsabilité, viendra plus tard et peut-être le bonheur. Ce qui durera, le fait de veiller, de demeurer à tout prix vigilant, de veiller avec constance, en homme, en père averti, aura pris en vous le relais, la place de vos ambitions, de vos nostalgies, de tout. Ce qui commence c’est la vie, vous êtes fait, nous sommes tous faits pour la vie.

Persuadé, vous l’êtes depuis toujours, presque depuis votre initiation sexuelle. Toute différente l’étreinte, sans comparaison la pénétration, l’agitation et la fébrilité, puis la ferveur du sexe se répandant dans le vagin quand vous aurez décidé, d’accord parties, explicitement d’accord et en coincidence avec une femme, donc votre femme, par conséquent votre femme, pas tant de faire ou de mettre en route un enfant, mais bien plus pleinement d’accueillir ensemble ce qu’il adviendra, et qui possiblement serait un enfant. Vous escomptez, prévoyez une tout autre vibration, une tout autre lumière dans les yeux de l’épouse, dans vos yeux, dans vos chairs à tous deux, une intense liberté, une consomption irréalisables, physiologiquement impossible tant que de tête et de corps, de réflexion, de compte-à-rebours vous vous retenez l’un l’autre, chacun de votre côté, séparément de produire un enfant, de donner lieu par inadvertance, par un geste, par quelque retard ou par quelque précipitation à un enfant. Ces jeunes gens, de votre sang, du sang de vos sœurs et frères, mélangés à un autre, et qui vont se mélanger à leur tour, le mariage vaut cette décision et ce bannissement. Les enfants adviendront, recherchés ou pas, mais envisagés, faisant partie de la nature et du programme. Vous les avez avec assiduité et constance refusés, et par tout moyen. Vous avez provoqué, induit dans chacune de vos maîtresses le réflexe, l’attitude de précaution, vous avez mis en garde vous-même et autrui, à longueur d’existence si partagée, si harmonieuse qu’elle soit : pas d’enfant, surtout pas d’enfant. Nul dialogue à ce sujet, mais des évidences, vous n’en voulez pas, vous n’en voulez pas de cette manière, dans ces circonstances, vous n’en voulez pas de cette femme, elle n’en veut pas de vous, parce qu’elle n’en veut pas du tout, ou parce qu’elle n’en voudrait, de vous ou d’un autre, si ce n’est de vous, que selon des modalités et dans une ambiance qui sont pas celles où vous vous ouvrez dans les apparences du désir et du consentement mutuels à l’emboîtement des sexes et des bouches, des doigts, des mains, du souffle. Qu’ils ont été nombreux ces instants de votre refus, ces instants très précis juste avant l’assouvissement ou l’aboutissement physiologique, ou en prévision de ces instants. L’impérarif que vous vous êtes donné, pour qu’il n’y a ait pas de trace, pas d’enfant, pas de résidu, pas de surgeon, aucun germe, rien. On se relève, on passe à la toilette, on passe à autre chose, on s’est limité, on s’est refusé, on continue, on manque.

Lui raconter que condamné, à heure fixée, à perdre vos moyens de l’engendrer, vous avez tout transgressé, vous êtes parvenu à convertir sa mère, désespérée ou désabusée de naissance au point de considérer le monde comme radicalement inhospitalier, et juste, à la dernière minute, pourrait-on dire, vous dirait-il, vous dirait-elle, votre copulation a enfin eu sa destination décidée, souhaitée, voulue. Avec quelle force vous avez joui dans la pensée qu’un enfant, d’un coup, d’un jet, d’un trait commençait de jaillir, cet instant. Sur plus de deux cent ablations de la prostate qu’il a perpétrées depuis sa prise de fonctions à la tête de ce service, vous êtes le cas aberrant. En fait, vous constituez l’indice que peut-être une série est en voie d’apparition, une série statistique. Un autre l’a ouverte. D’ailleurs, le chirurgien vous donnant soudain soixante-quatre ans que vous êtes loin de posséder encore, et vous n’en êtes évidemment pas pressé, vous a confondu avec un autre patient, un de vos prédécesseurs. Etonnant : cet homme se soucie de paternité, de sa paternité. Les circonstances, la biographie, les choses ne vous sont pas présentées, mais vous êtes le second, rare. L’autre a consenti, il y est passé, on lui a enlevé ladite glande. Fini. Est-il allé, par précaution, par désespoir, par illusion à la banque organisée à cet effet ? L’histoire ne le dit pas. Il a consenti, abattu les bras, mort le sexe, morts les enfants du rêve trop tardif. Un pour cent en dix ans, d’hommes qui ont envie d’être père et ne l’ont pas encore été. On ne parle pas de virilité, de trivialité car on n’aime ni ne fait jouir seulement avec du sexe, mais,en revanche et certainement, ne recevoir du plaisir que par des voies détournées tandis qu’on a la certitude que du sexe ce n’est plus possible, ou que du plaisir et des pleurs, il ne sourdra pas, il ne sourdra plus jamais de la semence, du germe, du possible, de l’éventuel, du changement, cela doit habiter, confiner, réduire toute la pensée de la femme qu’on travaille, que vous traveilleriez, pétririez jusqu’à la lassitude mutuelle. Affreuse. Corps inactif qui s’est épuisé de son inaction et de sa stérilité. En ce premier mois d’été, tout juste, vous n’êtes que le cent soixantième à emmagasiner de la provision à toute éventualité, de la provision pour ce qui fait les enfants, pour l’indispensable : des enfants. Bâti autour du cloître, de la chapelle baroque, de la salle capitulaire des filles disciples de Monsieur de SAINT-CYRAN, l’hôpital Cochin est le principal de ces dépôts en France. Les donneurs, donneuses aussi, moins de deux mille, des ovocytes, des spematozoïdes, la mare intérieure des têtards et d’une énorme façon de planète Jupiter, mystérieuse et agressive, la course l’assaut, la bousculade des voltigeurs, l’autre cosmogonie. Contre nature, semble en attester la statistique, ce vœu, ce souci d’avoir des enfants malgré qu’on soit devenu impuissant, stérile, davantage en fin de vie et de course que le plus ténu et diminué des vieillards, de quelque sexe qu’il ait été nominalement de son vivant. Incapable du plus banal geste, faire jouir une femme, se faire jouir soi par une femme et l’accueil de celle-ci, incapable d’offrir quelque terrain aux fleurs, et aux épanouissements de la fertilité, vous prétendriez seul contre tous, seul contre des décennies de votre existence d’homme assez donjuanesque pour faire florès, seul contre la statistique si mince de quelques égarés comme vous dans le rêve et le souhait, à vouloir explicitement des enfants ?

Une destinée qui aboutirait autrement, qui parviendrait en fait à ce que vos comportements, vos indécisions valant expression volonté, ont pertinemment préparé, organisé. Une fécondité tout autre, une œuvre de l’esprit, des influences et des accueils selon des modes que vous avez cherchés et voulus, des livres, des écrits et articles, un ancrage dans du paysage et un certain magistère, de quoi asurément vous occuper, vous remplir et tenir surabondamment lieu de coît et de progéniture, les journées commencées tôt, le projet s’ébauchant, se diversifiant à mesure des pages, des ressauts d’une inspiration vous venant avec autant d’imprévisibilité et de chaleur que naguère le désir rencontrait un acquiescement et vous vous donniez une compagne de plus, ou vous consentiez à cet invasion qu’est tout partage et une autre, une encore, une de plus vous l’aurait proposé,l’aurait représenté, vous y auriez consenti. A se répéter, ainsi, la scène principale de votre vie aurait acquis du vocabulaire et du texte, vous vous rangeriez à la dernière ou l’avant-dernière puisque toujours l’avenir tant qu’il dure, a sa réserve, aurait masquée et latente quelque surprise à vous délivrer. Vos projets sont tels qu’ils maintiennent votre appétit et votre puissance d’être heureux, établi là où vous êtes et demeureriez, des biographies, des essais d’expérience et de philosophie, des voyages, des douceurs, des curiosités, des conclusions et leur mise au net ne remplaceraient rien,mais vous ne regretteriez plus rien ni personne.La grâce vous resterait de relations belles, denses, stupéfiantes, que vous vivriez d’âme, apaisé par un consentement que vous ne retireriez plus. Ce sont les jeunes qui en religion conseillent ou témoignent que l’abandon à la providence produit plus de fruits que toute crispation, et qu’un chemin se trouve mieux après qu’on ait cessé d’en désespérer ; encore faibles de toute expérience, de beaucoup d’événements qu’ils ne vivent pas quoiqu’ils arrivent à tous, mais ailleurs et hors des vœux, que quant à eux ils ont faits devant témoins et devant Dieu, en eux-mêms et autour d’eux, ils enseignent avec assurance une économie de résultat qui n’a qu’un seul objet, ils l’admettent et en cela ont cause et langue communes avec vous, le bonheur, mais dont l’acteur dipose de votre vouloir et de vos sagesses propres. Vous progressez selon que vous vous abandonnez, et nul mouvement n’est désirable en soi, l’important est votre situatuon, votre dépendance, votre attention amoureuse à qui pourvoit à vos hésitations quant à vos fins et manières. Au contraire, ce sont des prêtres au bout de leur rouleau qui conviennent de l’impportance et de la difficulté de ce que vous avez décidé, comme si tout le matériaux prodigieux, exceptionnel, irremplaçable que constitue une vie humaine valait qu’on s’interrogeât, qu’on voulut, et qu’on décidât, au besoin en travers de tout, y compris du bon sens et de l’unanimité des autres, ou de presque tous les autres. Ces années-ci où la mort vous a tellement attiré et de tant de façons, qu’il se soit agi de son rire provocant qui vous aurait libéré de tout et de votre échec surtout ou de son murmure vous appelant à la véritable épreuve qu’est l’attitude d’âme à avoir devant la fin apparente de toutes les apparences, et en somme de votre apparence au regard et dans l’estime des tiers, vous avez au moins reçu une précision essentielle. Décisive. Au moment voulu, c’est-à-dire dans les circonstances de l’extrême et de la plus immédiate nécessité, vous avez immanquablement bénéficié, selon le besoin que vous en aviez, d’un secours, d’un appoint, en soi minuscule mais faisant toute la différence entre une chute et le cramponnement puis le retour à la joie, celle d’être sauvé, ce bénéfice qui n’est pas du doute, qui est celui de retourner aux endroits où l’espérance a le plus de pâture, statistiquement et ontologiquement, les endroits de la vie. Epaisseur et suavité, densité et accueillante souplesse de la vie quand on y revient, quand elle se retourne et cessant de paraître une mort, vous sourit d’enfance et de tous les possibles, de vos possibles et de ce que vos certitudes d’enfant engrangèrent de foi et d’organisation spirituelle,puis mentale.

Que désirez-vous ? Il vous est rétorqué qu’à présent comme à certains moments qui furent suivis de beaucoup de conséquences, votre décision n’a pas été de choisir ni de trancher, mais de vous donner du recul, de l’espace, de l’étoffe. Vous ne décidez pas, vous vous réservez. Et dans cette façon de poursuivre, en ayant éludé, vous avez progressivement, nettement produit de l’égoïsme, de l’hésitation, du flou, ce qui vous regarde mais vous amenuise, et vous avez manqué la révolution, celle au prix de quoi chacun vit vraiment, ou s’est laissé aller à son plus petit commun multiple.Pas tant la banalité que l’inadéquation, le défaut presque total de correspondance entre des talents, des dons, des possibilités et de l’héritage d’une part, et, en bout de course, aux instants où tout vous est retiré, quel résultat ? quel produit ? qu’avez-vous fait du trésor putatif qui vous avait été confié ? Que désirez-vous ? La grâce du désir ! Etait-ce l’année, l’été où la sœur d’un autre de vos camarades, celui que vous avez rencontré il n’y a guère, trente cinq après le collège, vous inspirait quelque émoi et secondairement quelque pensée ? ou quelques étapes plus tard, quoique toujours à La Baule. L’église paroissiale, immense à l’instar d’une cathédrale, juchée sur une esplanade goudronnée, aberrante et recueillie au cœur d’un curieux territoire de villas, d’avenues, de beaucoup d’arbres, des pins jusqu’à un bord de mer fait d’une barre d’immeubles continue, d’un boulevard de mer de justesse franchissable et au-delà dux fois par jour une intensité de sable presque jusqu’aux îlots fermant la baie, ou le remuement de mer à mouiller le remblai et éclater parfois sur la chaussée. Vous y allez souvent, un été, vous suppliez : un signe. La Bible est pleine soit de signes donnés spontanément par Dieu, soit de signes proposés mais refusés par les hommes,quoique Achaz a tout de même un fils en sorte que la prophétie hésite entre l’héritier d’un médiocre souverain ou le fils de Dieu conçu du Saint Esprit et né de la vierge Marie. Vous ne savez que faire, vous ne discernez pas que vous ne savez qu’être et vous suppliez que les évidences vous arrivent, que la décision vous soit donnée, et rien ne se produit, rien ne se passe que l’été puis toute votre vie. Gilbert LAMANDE a-t-il ces années-là quelque secret, par lequel vous verriez tout ? de la vie, de vous-même ? Une retraite de fin d’études, docile, vous y renoncez à cette jeune fille qui occupe votre âme mais pas votre cœur, dont l’amitié et la présence vous sont douces, au quart d’heure américain, elle ne vous laisserait pas tomber, elle vous choisirait, quoiqu’au vrai elleait négligé de le faire une fois,mais c’était pour ne pas s’imposer, n’est-ce pas ? Vous renoncezà elle pour mieux entendre en vous l’appel au plus haut service, vous perdez le fil de la première de vos relations amoureuses à être réciproques, vous n’en obtenez pas pour autant le sésame attendu. C’est seulement maintenant que, le prêtre devenu un quasi-moribond qui, ainsi que votre mère au début de sa fin, ne dit que la répétition des derniers mpots de chacune des phrases qu’il entend, et vous-même êtes à un mois d’une ablation à laquelle consentir pour n’embarrasser ni le chrirugien qui vous la propose ni votre compagne vous aimant assez pour ne craindre que d’être séparée de vous, la vérité est dite, celle de votre liberté. Vousêtes souverain. Que voulez-vous ? que demandez-vous ? que désirez-vous ? dites-le, laprovidence et la vie vous en donneront les moyens. Dans votre adolescence, on ne vous en avait rien dit, et vous vous étiez obstinément fixé dans la recherche de votre fin, n’implorant que les moyens. Tout le contraire vous eût orienté.

Vers quoi ? vers qui ? Les spécialistes en direction de conscience et recrutement pour les congrégations et les monastères vous ont assuré que vous étiez à vous-même votre propre recherche, pis que Narcisse et sans beauté, le désir nu d’être en vue, et puis rien. Ils ne s’interrogèrent pas sur le fiasco qu’ils constataient d’eux-mêmes quant aux effets de l’éducation que les leurs vous avait prodiguée. Tentant un nouveau publipostage de l’offre de votre service, vous lisez ligne à ligne l’annuaire des anciens de votre collège, les trois pages listant votre promotion, en tête ceux de vos camarades déjà décédés, il vous semble que leur mort prématurée a été tôt prévisible, puis les avis de recherche dont vous êtes, perdu de vue. Pour quelqu’un que vos maîtres voyaient assoiffé de notorité, vous avez réussi. Enfin, les autres, pour la plupart, pour tous, d’ailleurs il n’y a dans votre promotion ni écrivain ni artiste et ceux qui sont en religion ou au service mentionné et visé plus haut, ont eu des étapes de grande fortune : un diacre permanent repreneur naguère de France-soir ou un épiscopable, qui a suivi le stage d’un an de l’Institut des hautes études de Défense nationale. Ambassadeur, habilité au secret-défense au niveau national et au titre de l’O.T.A.N. vous n’avez pu, pour une ligne de plus à votre biographie et pour retrouver quelque contact à l’intérieur des bonnes sphères, vous y faire nommé sous quelque gouvernement que c’ait été. Ceux dont les parents avaient quelque argent, ont hérité soit de leur entregent, soit d’un pré-repérage des portes auxquelles frapper, soit de cet atavisme qui fait ne fréquenter que ses pairs à X degrés d’acsendance et inculquer aux enfants à X degrés de descendance, de faire de même. Aucun ne vous étonne, pas le gardien d’ermitage, pas le cancérologue, pas le courtier en assurances, la généralité est de trois enfants. Comment vont-ils vous lire, vous n’avez de métier que celui intransposable de l’intendant dont le Christ raconte le vidage puis l’astuce, tous deux exemplaires ? Avec les têtes d’organigrammes dans les entreprises et autres groupes qui vous avaient cotoyé pendant vos décennies d’activation professionnelle, solliciter était simple quoique cela ne vous ait rien rapporté, à peine le croquis d’une personnalité faisant peu après la couverture d’une revue spécialisée en réussite, et d’un avocat, ancien bâtonnier sinon il n’eût pas été grand chose, qui commençait d’avoir charge d’un patron dans le pétrole débarqué depuis lors quoiqu’avec beaucoup d’égards et de gratifications, avec aussi la chance insigne de n’avoir pas eu à répondre,à quelques mois près d’une marée noire aujourd’hui renommée et toujours pas vraiment étanchée. L’un cynique, l’autre pleurard, éconduire quelqu’un combine tous les arts. Ecrire à vos camarades d’enfance, que leur proposer ? Rien, c’est là votre chance. Demander de l’aide, voilà tout et cela se dit en une ligne. Il est probable qu’ils ne s’en étonneront pas, de quelqu’un connu quand on n’était ni l’autre ni l’un quelqu’un, peut-on quelquefois s’étonner, on s’attendrit ou on ne l’a jamais regardé.

Comment vous voyaient-ils, qu’ont-ils supposé que vous ayez occupé à faire, à créer, en termes indubitablement de carrière ? Du charme, de la facilité, certes, de l’avenir immensément, sans doute. Les prix, la tête souvent de la classe, le récitant de la bienvenue à l’évêque confirmant, aussitôt ensuite les concours, puis la une d’un certain journal, logique l’Ambassade,logiques les voyages à l’invitation du Président de la République comme est attendue la mitre coiffant certains prélats, un prix littéraire eût-il étonné ? pas davantage qu’une entrée au couvent ou que surprit la publication de vos premiers bans, donc de votre entrée presque directe dans la famille industrielle la plus connue de France. Votre débine n’est logique et n’était prévisible, attendue que dans l’estime des vôtres. Deux de vos camarades furent intimes, quotidiens, d’affinités et de confidences complètes au tournant de vos huit-dix ans : ce jésuite qui en pas une semaine, la durée exacte du retard de règles de son unique maîtresse en toute une existence d’homme, quitte la Compagnie, change d’identité et ne garde plus que son sens du devoir et une incommunicable relation à Dieu et à sa vocation sacerdotale première, et ce chercheur à Villejuif. A l’un, dire votre débat, lui qui a su trancher d’un désir à l’autre, succombant en un instant de sorte qu’il perdit ce qu’il avait désiré, cultivé et obtenu en toute une vie d’enfant et d’adolescent, d’adulte jeune et doué, quel débat ? celui de quelle fécondité, de quelle stérilité ? Et à l’autre, demander si le dilemme est bien là, entre une vie atrophiée et une vie abrégée. Est-il en vous théorique, abstrait ce tiers désir que votre mort à termes de quelques semaines ou mois vous ait été annoncé, en sorte que vous n’auriez plus rien eu à choisir et tout à mettre en ordre, conclure, préparer. Toilette mortuaire, choix de vie. Identité pour finir. Deux experts du cas de vie qui est le vôtre.

Tandis que vous écriviez les enveloppes à l’adresse d’une trentaine de vos camarades de classe, la moitié presque de votre promotion, celle du baby boom d’une reprise d’espoir de la moyenne statistique des mères françaises à cause du débarquement anglo-américain en Afrique du nord et d’une victoire de STALINE sur la Volga, celle aussi de la progéniture disparate de beaucoup des illustrations de Vichy et de la finance, de la politique, du grand commerce des années 1940 à 1950, retentit la sonnerie de votre téléphone mobile, sans doute votre compagne. Mais l’appareil, vous ne le trouvez pas. D’une pièce à l’autre de l’appartement qui a des recoins mais n’est pas grand, vous allez et venez sans le trouver. Vous vous téléphonez d’un appareil fixe à votre numéro de portable. La sonnerie est distincte, faible mais aucune localisation n’est plausible. C’est par inspiration, sans la moindre déduction, que vous ouvrez la porte palière, vous aviez dû libérer votre main tenant le petit appareil pour faire jouer la clé, il est là sur la banquette effondrée. On avait sonné, peu auparavant à la porte, et n’étant pas censément chez vous, vous aviez, selon la convention de votre hôtesse, eu garde d’ouvrir, même de calmer les chiens. Panurge ou Candide conclurait qu’il n’y a pas de recette, mais des circonstances. Napoléon et de GAULLE en ont fait application à la guerre et à la politique. Vous ne cherchez qu’à sauver des biens immeubles et meubles, non fongibles, et qu’à préserver des chances statistiquement de plus en plus réduites d’élucider ce que vous vivez et d’accueillir celle qui existe en si grand nombre, dans votre vie propre comme dans celle de tout humain, quoique vous y ayez déjà consacré infiniment plus d’attention qu’à tout ce qui vous fait défaut ou presque aujourd’hui et que vos contemporains, eux, ont su s’attacher et ménager, santé, carrière, finances, conjointe, enfants, notice. La ténacité se fait respecter et elle conserve ce qu’elle a obtenu, le dilettante ne trouve d’identité et d’énergie que dans les revers. A terme, on ne peut mélanger que si discrètement . . . le spirituel et l’humain totalement revêtus par un même homme ?





Ainsi, on voit bien que la puissance extraordinaire que nous avons, ne vient pas de nous, mais de Dieu. A tout moment, nous subissons l’épreuve,mais nous ne sommespas écrasés ; nous sommes désorientés, mais non pas désemparés ;nous sommespourchassés,mais non pas abandonnés, terrassés mais non pas anéantis. Il s’en va, il s’en va en pleurant, il jette la semence ; il s’en vient, il s’en vient, il rapporte les gerbes [1].
Leur bonheur durera autant que leur postérité, leurs descendants forment un bel héritage. Voilà mon repos à tout jamais, c’est le séjour que j’avais désiré [2].


[1] -  Paul aux Corinthiens IV 7 à 15 ; psaume CXXV & Matthieu XX 20 à 28
[2] - Ben Sirac XLIV 10 à 15 ; psaume CXXXI ; Matthieu XIII 16 & 17

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