vendredi 13 juillet 2012

dédain - l'impossible est notre vie - récit . 6 (à suivre)



                      DEDAIN



                  Ceux qui n'ont pas besoin de vous, ceux que vous sollicitez et que vous ennuyez, vous ne les gênez même pas, vous êtes de trop, vous êtes superflu, vous n'existez pas. Ceux qui vous attirent, que vous voudriez regarder de près, voir et entendre, à qui vous demanderiez conseil, ou le secret de leur art, ou la somme de leur expérience, cette expérience, cette épaisseur soufrante, rarement jubilante sauf à ces moments de vie qu'on ne peut guère dire et qui donnent sensation d'arriver au terme, et ne plus rien y pouvoir est le début d'un repos, d'un abandon, du regard peut-être. Des sommes et des soustractions d'expériences et d'épreuves, des gens, des hommes, des femmes, qui vous attirent parce qu'ils vivent ces gens-là, ces hommes, ces femmes, parce qu'ils ont vêcu, parce qu'ils existent. Mouvement intérieur tout autre que celui inspiré par l'attirance esthétique, par un soudain bris intime et sensuel, par une sensation étrange et irrépressible de communion et de réciprocité, parce que ce n'est pas le produit d'une rencontre, déjà d'un dévisagement, d'une vibration. Non, c'est tout simplement avant une rencontre, le désir qu'elle ait lieu. A égalité, dans l'analogie probable de la condition humaine, de la sensation d'être vivant et humain et que répètent les circonstances et les tierces rencontres. Ni amour, ni curiosité, ni plan, ni préjugé, pas même l'opportunité d'une exploitation quelconque. Voir un autre et comment il s'y prend pour être et continuer de devenir lui-même, en débattre avec lui, ce sera plus fructueux, peut-être aisé qu'en débattre avec soi, c'est cela que vous voudriez pouvoir placer en exergue du prochain moment, lors de l'entretien, de l'audience. L'écrivain-éditeur, le Président de la République, la femme-ancien ministre, l'employeur éventuel ce sont des humains, ils ont leur hygiène physique et morale, leurs ressorts, leurs défaillances, le tissu dont ils sont faits, leurs aventures et ces déboires qu'ils ne disent pas mais qui les contraignent et expliquent pour toujours. Cette manière de regarder les gens, de vous adresser à eux, d'écrire votre placet, surtout depuis que vous avez pris de l'âge et perdu cheveu donc de l'avenir à exacte proportion de ce que votre passé n'a pas produit, surtout si vous passiez autrefois pour un des hommes de demain, cette manière-là ne vous sert pas. Elle a plu antan, elle faisait "désintéressé" et hors-classe, elle est prise maintenant pour une indiscipline, une inconscience, la société a des hiérarchies, il y a des gens placés et qui le sont par leur propre mérite, par une carrière et des ténacités que vous n'avez pas eues, que vous avez négligé - follement - d'avoir, et cherchant en eux l'homlme, la femme, la contingence, le hasard, le lendemain qui sera peut-être plus solitaire et moins brillant que le moment où vous les sollicitez, les regardant déjà trop attentivement, oui, vous dérangez. Non seulement, vous n'apportez rien puisque vous n'avez ni réseau ni expertise, ni particulière ou ponctuelle information en exclusivité, puisque vous n'êtes que vous-même et votre sollicitation, mais vous êtes déplacé, vous ne coincidez avec rien de la vie quotidienne, de l'agenda de celui que vous visez. Votre acharnement à vous estimer, en quelque lieu d'âme ou de démocratie, son égal achève de vous discréditer sans même qu'on vous ait encore considéré. Vos lauriez d'antan, ils étaient encore ras et ne valaient que par la promesse de leur développement, aujourd'hui ils sont à charge, n'avoir pas joué sa carte, sa chance est pire que de n'en avoir eu aucune. Quand vous alourdissez votre demande par quelques précautions qui ne sont pas d'amour-propre mais de considération que l'alliance que vous proposerez n'a de valeur qu'en venant d'un homme libre et pas trop dans le besoin, vous devenez ridicule : débitez votre affaire, on l'examinera - peut-être - et déguerpissez. Celui qui fait la manche, qui aux arrêts de voitures vend la revue dont le titre bat, sous plastique, à l'endroit du coeur, celui qui tente le coup chez un boucher ou aborde carrément le chaland en fixant le montant minimal de l'aumône, vous en avez la dégaine, sauf que vous êtes encore fringué, que cela se passe via le bureau de poste ou une secrétaire au téléphone, et que cela se joue en intérieur. Le reste d'orgueil, l'espérance d'une relation équitable et pas trop oublieuse de la commune dignité humaine, ils les ont comme vous quand vous pesez les termes de votre cinquantième lettre à l'élu de Mai 1995. Les conseils, en politique, si vous n'êtes ni rival ni acteur vous-même, qui en a cure ?

 Partout où vous allez, partout où vous entrez, les jeux sont faits, les équipes constituées. Les rédactions du magazine à paraître, avant que l'idée en ait été mise sur le papier ou chiffrée en banque, elles étaient déjà composées. Il semble que le monde soit de deux races, de deux rives, les professionnels d'un côté, les amateurs, c'est-à-dire les demandeurs d'emploi de l'autre. Les placés et les non-placés, ceux auxquels on fait appel, auxquels on pense, et les casse-pieds, les pauvres, les mêmes qui s'essoufflent mais font la queue et le pied de grues à chaque changement, à chaque révolution, à chaque commencement de quelque chose car ils ont cru que la fin de ce qui avait régné et ne les avait pas nourris, accueillis, signifaient enfin leur chance, ou bien encore une chance, un peu moindre, mais tout de même. Combien de fois cette espérance, cette occurence peut-elle être vêcue dans une existence humaine ? trois, quatre, cinq ? La nouveauté, celle que vous n'avez pas vêcue, qui n'a pas encore été racontée, sans doute parce qu'elle n'a pas d'équivalent, donc se dérobe aux comparaisons, au vocabulaire, un vocabulaire, des mots qui n'existent pas, parce que la situation ne devrait pas exister. Le jeune demandeur d'emploi. Il n'a aucune expérience d'une règle du jeu, d'une ambiance ayant précédé celles où il arrive et demande ; ni mémoire ni référence, qu'un gigantesque, impavide et crésant moment, le sien. La façade de la société ainsi faite, muette, il commence par être dehors et par s'entendre dire qu'il est de trop, pas prévu, et attendre ne signifie rien, puisqu'il ne s'agit pas de se rétablir mais d'entrer. Il n'était jamais entré. Ils se suicidaient avant le brevet parce que rien ne les mettait en appétit d'amour ni d'illusion, vont-ils se suicider parce que les poils venus au menton et ailleurs, ils ne sont adultes que biologiquement et pour le reste ne seront que nourrisons du hasard, des allocations, des prolongements d'études, des stages. Une nourriture d'âme et de société qui ne serait que d'alimentation minimum, vous ne l'avez pas connu, mais ce dont vous souffrez, ce n'est pas que la portion soit congrue, votre affaire n'est plus question d'appétit, ce dont vous souffrez c'est de ne plus rien valoir. Non, que vous ayez valu, à vos yeux ou à ceux des autres, de la société, de vos employeurs, des jaloux, des aimées, jamais vous ne songiez à vous évaluer, ni que vous étiez évalué, et que de cette évaluation dépendrait tout. Ou rien, puisque si vous étiez fort, quoique nul, vous resteriez demandé. Vous avez changé de registre, vous n'êtes pas descendu d'un cra, vous êtes passé ailleurs, et vous n'avez pas vu la ligne de démarcation. Jeune, c'est un autre auquel vous ne pouvez ressembler, votre dénuement, votre impuissance sont en tout différentes. Si le monde ne convient pas, si rien n'en sort ni ne se présente, jeune, vous en bâtirez un autre. Comment ? vous ne vous posez pas la question, les jours et les nuits passent, le besoin est d'affection, le temps est à profusion, il y a des ombres qui ne viennent jamsis vous couvrir, vous êtes trop grand, vous êtes trop jeune. Découragé, vous seriez déjà vieux. Mais, vous, c'est parce que vous êtes vieux, parce que vous étiez encore jeune, encore assez jeune, encore un peu jeune, pas encore vieux, mais qu'en vous pousant dehors ou vous a fait vieillir, on vous dit et vous regarde : vieux, c'est pour cela que vous êtes découragé. Aviez-vous jamais eu du courage, c'était évident, inné, on ne se retournait pas les poches pour se chercher du courage, encore quelques réserves d'énergie à croquer ! Non, on vivait, vous marchiez, l'espérance, l'allant, l'enthousiasme, l'imagination, la foi allaient tout ensemble, sans détail, c'étaient autant de prête-noms pour l'amateur de catalogue et d'abstraction, on n'épluche pas les composantes du vivant, d'une psychologie en ordre de mouvement. Maintenant, il vous faut une recharge, il vous faut quelque endroit où accueilli, vous poseriez votre apparence physique, tâteriez votre âme et entendriez, du fin fond d'un jour que vous ne voyez plus qu'à peine, ces mots magiques : oui ! asseyez-vous là, vous serez utile, et puis vous serez en sécurité, reposez-vous, calmez-vous, ne doutez pas, vous êtes employé. Sauvé, vous ne le savez pas, vous êtes entré là, en si pitoiyable état. Est-ce que cela se voit ? Vous interrogeriez n'importe qui ? Les couloirs où à la consultation les patients attendent. Ai-je bonne mine, l'oreille va-t-elle encore ? Des brancards passent, des cannes tapent, l'antichambre de quoi ? Personne ne viendra à vous, spontanément, vous avez déjà servi, après usage, hors d'usage. Il vous faut prendre - solliciter plutôt - rendez-vous. Faire semblant d'être encore propre, plus jeune que vous n'êtes, surtout plus frais ; ne donner l'impressioin ni de l'urgence ni de la nécessité, il ne s'agit pourtant que de cela, quoique confusément vous savez déjà que votre passage de l'autre côté est iréversible, on ne revient pas de ce côté-là où vous êtes. Ce nb'est pas que la société ou la chance le refusent, c'est que vous n'en avez plus goût ni envie, et cela se voit. La société, la vie ne recrutent que des volontaires, on vous a ôté l'envie. Voilà tout, l'envie toute vive, toute joyeuse, on vous l'a enlevée. La lucidité, le démontage des mécanismes et des orgueils, le scalpel sur les psychologies, les petitesses, la bêtise et la vanité des palais nationaux à la section locale d'un parti ou en rivalité d'intérêts foinciers lors d'une enqupete publique, rien ne vous manque, ces facultés-là qui ne nourrissent personne, ne s'éteignent ni ne s'atrophient, cela occupe comme de regarder, assis à la terrrase de l'Espolon à Burgos, le défilé aller et retour des passants les longues fins d'après-midi d'été quand il y a les étudiants en langue qui sont là et qu'on parle le castillan moins que le petit nègre. Ce n'est pas la vie, ce n'est qu'un moment vague et disponible. Quand on n'a plus envie, plus rien ne ranime la disponibilité et aucune proposition n'entrera plus dans votre machine intérieure, vous êtes déglingué. Alors, pour faire plaisir aux circonstances, puisque vous êtes toujours là, en vie apparente, vous faites machinalement ce que vous auriez fait, ce que vous avez déjà fait autrefois, quand cela marchait. Vieil acteur récitant pour une ultime embauche des rôles de jeunesse, persone n'y croit, surtout pas lui, la voix n'y est plus, le costume est propre mais très usé. Des finesses sur la pièce, sur la société, sur l'éventuelle chalandise, vous et lui en êtes encore capable, mais vous n'en avez plus envie, voilà. C'est gagné, en face, c'est gagné, vous n'en voulez plus et si'ils ne vous veulent plus, s'ils ne vous ont plus voulu à lh'eure de votre gloire et de vos désirs, de votre vulnérabilité, ils en sont maintenant déculpabilisés. Vous faites mieux que consentir à votre mise au rancart, vous la souhaitez, vous ne voyez plus aucun raport entre ce à quoi ils vous ont réduit et ce que vous fûtes, alors vous coincidez avec ce qu'ils sont fait de vous, et vous vous reposez parce que être de l'autre côté ne fait plus aucune différence. D'ailleurs, si d'aventure, par quelque ressort inconnu, un éveil en pleine nuit, vous vous secouiiez, si une identité vous revenait, lequel de vos tâtons rencontrerait du réel, du solide, un accueil ?

                  Par quel miracle de génération spontanée ou quelle extraordinaire convergence de correspondances sans cesse maintenue, raffermie, resserré ? surgissent aussitôt les gouvernements, les cabinets ministériels, les équipes de rédaction, les entourages de direction d'entreprises. Ellection présidentielle, renouvellement anticipé au Parlement, privatisation, carrefour dans la stratégie de groupe, panne sur le principal des marchés, incertitude des cours, évidentes lacunes dans la communication et l’évaluation. Vous aviez pourtant écrit, vous vous étiez manifesté, on était déjà trop occupé à préparer ou à s'agiter dans le flot du combat ou de la brigue pour vous recevoir, d'autres, ce que vous n'eussiez pas conjecturé, étaient déjà pressentis, autant dire placés. Vous étiez ridicule et naïf de ne pas le savoir. Vous l'êtes en chaque occasion où se rebattent les cartes, dans un pays, une époque où seuls gagnent leur vie en toute indépendance le boulanger au commerce bien situé et qui fait aussi dans la patisserie et la restauration rapide le midi, ou bien le tourneur sur bois dans les Cévennes à condition que son paysage soit tout son loisir et le dessert aussi. Cela se rencontre. Les rois sont presque ainsi. Le nôtre pendant dix siècles ne se définissait pas par son pouvoir ou son or, ni même l'étendue de ses terres personnelles, = héréditaires ou inféodées ; non ! seulement par son indépendance vis-à-vis de quiconque, sauf de Dieu, mais Celui-ci est d'un autre ordre. Peut-être du vôtre, puisque c'est en Sa recherche ou en désespérance de Lui, en pratique parfois de Ses inattendues visites ou gratifications, qu'on éprouve, que vous avez souvent éprouvé qu'il n'y a, de nos vivants, ni spécialiste, ni saint, ni connaisseur au succès de rencontre divine garantie. Les réputations sont même, le plus fréquemment, à l'inverse de la véritable expérience. Oui, ce sont les rois que vous aimez rencontrer, et que vous soyez devenu mendiant, n'indispose que les usurpateurs. Malheureusement de ceux-ci vous dépendez, mais les authentiques vous dédommagent. Discrètement car vous n'êtes pas encore assez pauvre ni écrasé pour être passé du savoir à la vie, à la disponbilité bien nue, bien dépouillée, bien ouverte, jambes ouvertes, coeur ouvert, intelligence dévastée et dépoussiérée, déstructurée, discrètement car aucun n'a mandat, aucun n'a sceptre, aucun ne vit subtantiellement davantage que vous, que d'autres, oui, discrètement, ils vous font signe ceux-là : il y a encore un autre côté, une énième rive où aborder, et alors on vit. Mais de quoi ? et comment ? Faut-il être mort ? Ceux-là n'ont pas eu vos errances dans les paysages compliquées et factices où chaque année compte comme une ligne de plus au bilan, à la biographie. Nés sans âge, titulaires d'un seul talent, humbles et directs. Vous leur ressemblez par certaines façons, par votre dédain relatif de ce qui est coûteux, social, acquis et cela vous a empêché d'ahérer à aucun réseau, a rendu aussitôt sec le pot d'où pouvait pousser votre arbre généalogique. Mais vous n'êtes non plus leur frère, leur analogue. Sympathique étranger, vous passez, vous entendez et voyez, mais ce n'est pas non plus votre milieu. Ces rencontres que vous ne sollicitez pas, que vous n'auriez jamais supposées, viennent à vous, gratuites, d'aucune utilité, montures qui ne se sellent, d'ailleurs vous êtes piètre cavalier. Des rencontres aussi, bien rares, mais dont vous gardez le remords de ne pas les avoir acceptées. Vous vous êtes empêtré dans votre profession de sortie d'école, de "grande" école, et vos successions d'affections vous ont fait négliger l'amitié sans pour autant vous donner de contracter quelque durable, longiligne alliance d'amour et de conjugalité. N'ayant noué votre corde nulle part, la laissant s'écouler, parfois longue, à la suite de votre barque ou s'empoussiérer de votre course sur des chemins que vous aviez cru généreux, vous êtes insaisissable. Pour le système, pour les système, les groupes, les partis. Vos rencontres sont tête-à-tête, vos défaites cors-à-corps mais le partenaire, l'adversaire vous ne l'individualisez pas, toute l'espèce féminine est présente à votre peur, à votre don de vous-même, toute l'administration nationale ou la grande industrie, la finance encore sont dans le fauteuil en face du vôtre quand vous êtes entré dans le bureau du soir, en dernier visiteur. Vous commencez recruté, fiancé, vous prenez congé assuré, puis le silence vous fait, après longtemps, comprendre. Vous vous êtes trompé de rencontre et vous n'avez su ni évaluer le vis-à-vis ni échapper à sa jauge. Tout était visible, mais vous croyant dans la place, vous n'étiez qu'à l'essai, au premier enregistrement, vous étiez interchangeable, n'aviez qu'un numéro d'ordre, n'étiez rien ; pourtant, tandis que filaient les paroles, se donnaient les regards, se prenaient les vôtres, vos yeux et vos mots, vous vous étonniez du prix et de la densité dont vous pensiez qu'ils vous avaient été attribués dès le seuil de l'autre franchi par vous, et cet étonnement vous confortait : sûrement, vous étiez dans le vrai, l'entretien d'emblée était conclusif, vous eussiez protesté de l'estime qu'on vous manifestait que vous auriez menti. Récusant, vous auriez attendu la redondance, tant vous avez cru, cette fois-ci, renouer avec autrefois quand vous étiez reçu d'égal à égal, civilité et amitié, banalité et utilité : trente ans, de l'avenir ; quarante, de l'épaisseur et le plein emploi. Quelle saveur que le retour de ce goût d'être accepté, d'être du sérail, quelle subtile vibration dans le bureau où vous êtes reçu ! si vite vous avez oublié les années et les jours d'attente. Tout a recommencé, tout recommence, votre costume, vos souliers vont bien ; c'est si simple, et vous phrasez, les mots de l'autre, vous en jouez, vous faites valoir en le faisant valoir, avec un à-propos sûrement délicieux. Vous êtes de plain-pied. Vous entendiez tellement les mots que vous ne distinguiez pas s'ils étaient effectivement prononcés. Vous ne protestiez pas, de fait vous n'avez pas fait l'affaire ! Vous êtes revenu, après chaque tentative, chaque bonheur, chaque assurance qu'un moment vous décernait, vous êtes revenu à ce siège souvent raide que dispose pour chacun la vieillesse quand on n'a mas su la nantir à temps, au temps des prolongements de la jeunesse. Là où vous êtes, à votre âge, à celui de votre méditation, de votre regard sur vous-même - et qu'avez vous à faire, revenu à ce siège dont vous ne partez plus jamais longtemps, sinon à méditer, à regarder, sujets imposés, vos chaussures et l'existence qui a fui. Votre corps affalé, sans sculpture ni structure que vous voyez dans la grande glace, choisie pour d'autres reflets, posée par vous pour d'autres, pour l'autre. Voussures et ballonnements, blancheurs et obscurités que vous devez bien accepter de n'oser plus les imposer à personne. Oui, désir de femme et besoin d'emploi sont la même affection culbutant lentement, comme le piston du temps, dans votre tête. Vous en êtes là, oui ! de plus en plus vite, vous passez du feu au froid, de l'entretien obtenu, préparé, à peine appréhendé, vêcu encore selon la machinerie de naguère, à la longueur des entretemps, des suites dont vous comptez l'égrènement, mais vous êtes seul à les compter, avez-vous jamais figurer, là-bas d'où vous croyez arriver encore ? Pays d'amour et d'emploi, pays où sont étiquettés les prix. Pays de votre imagination et de la réalité des autres, de certains autres. Vous ne crayonnez, ne conservez aucun portrait, ce travers dont vous n'aviez pas les moyens de regarder les autres comme s'ils n'étaient pas plus que vous-mêmes, et parfois moins bien dotés, médiocres usufruitiers de leur position. Entre hommes au marché de l'emploi, demandeur, pourvoyeur, vous étiez dans la peau de l'autre et le marché nullement votre lieu, le dialogue emplissait le moment, déglutissait des mots, des images, vous restiez inerte, et la femme vous l'acceptiez pour moins esseulé, plus confortablement, peut-être assez intelligemment, en attendre une autre. Des décennies ainsi. Peut-être, ne commencez-vous de bouger et de réaliser qu'au chômage et trahi ?

Tel attaché de communication dessert manifestement le nouveau Premier Ministre sans le dispenser des mains moites, des épaules lourdes, du regard qui tâtonne tandis qu’il arrive sur le plateau de la télévision, et va devoir rendre compte de ses origines plus familiales qu’électorales, courir l’audimat et faire cesser les occupations d’agences pour l’emploi. C’est plus difficile que d’aller en bicylette aux réunions d’Amsterdam et faire ainsi oublier les licenciements à Vilvorde. L’attaché demeure et prospère, votre évaluation de la prestation, avant et après, est cependant honorée d’une réponse, l’homme au pouvoir y est encore nouveau. Tel ancien Premier Ministre revenu à un emploi de gouvernement qui ne le diminue pas, s’attache pour diriger son cabinet d’un directeur d’administration centrale qui, en fait et intimement, se récuse ; dans la semaine, à peine publiée la composition de l’entourage, il faut en changer de mouture. Ni l’un ni l’autre ne pense à votre utilité auprès d’eux.

Retrouvailles étranges d’un camarade de collège dont vous étiez presque amoureux, visage et cheveux en brosse aussi doux que possible, des yeux clairs et de la performance en gymnastique, le frère de la jeune fille, qui ensuite, vous donna votre premier émoi amoureux, vous fit vous regarder dans une glace en pied avant d’aller à l’autre bout des plages de La Baule lui faire repasser ses programmes de baccalauréat. Des décennies après, il vous raconte la suite de son histoire, des femmes, des échecs, des enfants, de la chance professionnelle, une disponibilité à présent, de quoi lacer sans doute et un domaine de prédilection pour lui en gestion et pour, si vous pouviez vous y introduire ainsi, celui de l’édition donc de l’écriture. Son père, journaliste d’opinion à l’époque où ’on sut vite qu’on avait le risque d’être fusillé chaque fois qu’on signait, diacre pour le grand Sud-Ouest au soir de son existence. Une famille, le mariage des sœur et frère, vous connaissez tout de ce garçon dont le visage s’est comme rétracté de l’intérieur, laissant la peau flétrie, vous auriez beaucoup à vivre et faire ensemble, il se confie à vous, intensément le temps des croissants et du café, laplace derrière vous deux est circulaire, Saint-Honoré d’Eylau est devenu un Carmel, des souvenirs de souvenirs affleurent et courent, mais Patrice MAUBOURGUET et plus tard le beau-frère de sa sœur, recasé par un condisciple de lycée au comité monétaire de la Banque de France, et que vous aviez aussi approché quand votre vitesse était ascensionnelle, vous écoutent, vous envient, se racontent, vous sourient, vous enrichissent d’un véritable roman à clé, des vies et des dépits, les leurs, et jugent qu’un partenaire, un obligé parfois ne doit être qu’impersonnel, antipathique et juteux, alors on peut l’avoir comme collaborateur ou associé, et c’est bien ce qu’entre eux pensent ceux qui recasent l’un des leurs, après s’être vraiment assurés qu’ils ont vécu assez de transes du dénuement pour n’avoir jamais plus le ressort de rebondir seul. Gérard MESTRALLET, tout un début de soirée, sous les plafonds trop hauts d’un bureau dont les fenêtres ne donnent en hiver que sur du sombre, vous descend le collaborateur et camarade dont il s’est défaussé en l’adjugeant au tunnel sous la Manche, vous explique comment on quittait, pour plus haut, le cabinet du Premier Ministre quand celui-ci était Pierre MAUROY, il y  jouxtait LE FLOCH-PRIGENT, et au total, vous fait pitié de n’avoir que vous pour s’épancher en alternatives plus personnelles que de gouvernement d’un groupe qui faiblit. Un autre de votre camarade est nommé, Philippe PONTET que vous solliciterez quand, à la tête du Crédit industriel et commercial, il courtise le racheteur auquel il croit,l’Allemand, alors que le gouvernement préférera un tout autre sans le lui avoir dit, mais ne s’opposera pas trop longtemps à ce qu’il gagne son dernier lucre, la présidence d’une association de banques, quoique La Hénin soit son créancier de beaucoup. L’homme au front et au nez plat, aux cheveux aussi noirs qu’un regard qui hésite et semble, vous semble, se donner, vous raconte la Générale de Belgique et les agences en Asie du Sud-Est. Vous convenez d’étudier les papiers qu’il vous fera remettre et d’entrer ainsi, tranquillement, dans le paysage au premier étage de l’immeuble à l’angle de la rue d’Astorg, non loin de celui du boulevard Haussmann où chez Lazard on vous avait reçu, évoqué l’ancien président GISCARD d’ESTAING et quelques années de galère à New-York pour y revenir à flot. Il se trouva que le père d’une fille aux souliers plats qui tomba enceinte à Vienne, dans les deux jours de congé légal qui coupaient la quinzaine de son inspection du service dont vous aviez la responsabilité, était de l’état-major d’Indosuez ; la fille entretemps avait fait l’expert fiscal d’Alain JUPPE et sans doute vous avait distingué dans l’esprit d’une collègue du Cabinet à qui vous aviez rendu visite dans l’espoir que, de là, vous serait rouvert le cyle des affectations tenues par votre corps d’origine. Vous n’avez revu qu’en couverture de magazine celui qui peu après embaucha le Polytechnicien, lui calculant le mariage avec le Crédit agricole, et y gagna, quant à lui, le trophée de meilleur dirigeant de l’année. De votre côté, vous comprîtes votre incapacité à déduire l’impression que vous faites désormais par l’entretien qu’on vous a, à bon niveau, accordé. Bureau flatteur et solitaire de qui descend, dans l’ordre ultime de la hiérarchie, le dernier de la dunette, ou terrasse du Scossa avec tables rondes, serveurs, foules et alentour les voitures partout, vous relevez les empreintes de la contingence mais n’êtes pas admis. L’instant où vous avez diverti ne se transforme ni en estime ni en service qu’on vous rendrait, car à voix basse et sans vous entendre vous-même quémandant, c’est bien la manche que vous avez tentée. Mal.

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