samedi 14 juillet 2012

demande - l'impossible est notre vie . récit . 7 (à suivre)





                      DEMANDE




                  Elles se ressemblent toutes, ces audiences. L'étreinte amoureuse, presque toujours, toujours, est nouvelle, les circonstances la colorent tellement, le corps est plus changeant que l'intelligence et les mots, le thème échappe parce que le chemin parcouru en vous entraidant nus et sexués importe davantage par chacun de ses instants, par l'incertitude de son aboutissement et de l'endroit où il vous laissera, vous séparera ou vous unira tous deux, vous deux, importe bien plus que ce que vous vous demandez l'un à l'autre, faites et ne dites pas. Dans l'audience, il faut ne rien dire certes, mais cependant tout indiquer ; tout le chemin, c'est vous qui le parcourez, l'avez déjà parcouru pour parvenir à la page d'agenda, à la feuille du calendrier, à la porte qui est ouverte, à la poignée de main et au bénéfice de ce geste qui débute la séance, la disposition du siège qui sera le vôtre, base de départ inconnue de vous, habituelle pour l'hôte. Il en a toujours été ainsi, et vous vous êtes toujours imaginé qu'il fallait entrer dans les vues de l'autre plutôt que le faire entrer dans les vôtres, que vous seriez ainsi mieux compris, vous-même, mieux pardonné d'être vous-même, et qu'en somme ce que vous sollicitez serait enregistré, mais subrepticement pour ne pas gêner le donateur putatif, pour ne pas vous diminuer à ses yeux. Ce système a donné, en vingt ans, fort peu de résultat. Le couloir n'est pas votre fort. Votre profession - défense et illustration à l'étranger - est pourtant cela, de la pression, du couloir, de la séduction, de la démonstration. Peut-être... Ce qui marche en amour ne va pas en politique, en administration, en recherche ou défense d'emploi. Peut-être aussi parce qu'il n'y a pas de corps-à-corps, ou parce que le corps-à-corps de ce genre, vous n'en savez rien. Etre aussitôt valeureux, pénétrer aussitôt par le bon côté, par l'interstice, là où vous serez perçu, reçu comme utile, indispensable, celui qu'on cherchait ou attendait. Cette faille de la personne d'importance, ce qui, bien plus que l'accord d'une main avec une autre, lie parce qu'une complémentarité, des besoins se sont reconnus et admis, s'organisent. Cela ne vous est jamais arrivé, ne vous a jamais été donné, sauf trois fois, les trois fois d'une adolescence qui n'en finissait pas avec vous, et qui peut-être vous ont, pour la suite, fait croire que vous saviez danser. Depuis, vous n'avez plus jamais su vous introduire ainsi, comme si une langue que vous aviez parlé dans votre enfance, vous l'aviez perdu en quittant ce pays si spécial, si particulier, celui où tout vous était promis, acquis d'avance. D'autres disent que c'est le pays de l'enfance. Vous vous êtes introduit, certes, mais nulle part, vous n’avez dépassé le seuil, vite de retour dans le dehors et à attendre. L’instant d’être introduit, vous ne l'avez pas su : il est fugace, pour cela il est décisif. Vous n’avez décidé personne. Déjà dehors, donc des emplois de vestibule, dont beaucoup voudraient, se contenteraient, vous n'êtes entré dans l'esprit d'aucun grand employeur, ni dans sa cour non plus, alors que vos correspondances et assiduités furent souvent courtisanes, parfois envers plusieurs de la même époque, l'époque de vos besoins, d'ambitions anxieuses de parrainage, l'époque de votre intelligence mettant à pied égal les approximations de chacun. Ne jugeant personne comme unique ou providentiel dans son propre emploi, vous n'en avez donc pas reçu la promotion qui était de ce pouvoir-là, vous n'avez pas été adopté. Pas de réseau pas de patron. Mais que de rencontres à votre demande et, aujourd'hui, quelle lassitude !

                  La première s'organise par le frère du Président. A douze ans de distance, celui de la République islamique de Mauritanie, celui qui se fait déjà appeler ainsi sans doute en souvenir de la Convention des Institutions Républicaines. Les frères sont courtois. Le Mauritanien, émacié, voix basse et douce, vous a jugé apte - il est Ambassadeur à Paris - à vous glisser dans son pays, à y être vite aussi heureux que compréhensif, c'est le discours des réalités locales et de ce qui ne se transpose pas. Il vous recommande son pays et à son frère. De fait, le sable rouge, les mouches selon l'harmattan, un ciel sans relief que le vol, pas fréquent, des oies sauvages ; vous montez des marches déjà ébréchées, des volets ne remontent déjà plus aux ouvertures du palais présidentiel aux pierres brunes, le drapeau à trop claquer dans des brumes beiges et granuleuses si souvent s'effiloche, vous attendez peu dans un antichambre petit et confidentiel, le sable et le désert sont encore là mais qu'il est cordial le sourire, cette venue à vous depuis une grande et longue table de travail, l'homme est petit, très mat, son silence et son attention, ses joies à vous voir, puis revoir vous attachent autant que sa silhouette rigoureuse et son discours lent quand il fait ses tournées dites de prise de contact par centaines de kilomètres en voiture tous-terrains sur des pistes impossibles, sans eau courante ni électricité à l'étape, que les tentes de laine sombre ; c'est une seconde naissance que vous vivez là, votre jeunesse, vos diplômes, votre allure, votre naïveté autant qu'un entregent que procure seulement l'ignorance des conventions et de toute peur du ridicule ou de l'échec. Vous passez. Futur ministre, futur Académicien, mais déjà trompé par sa première femme, laquelle eût été votre initiatrice que c'eût été sans conséquence pour le ménage en vue et de beaucoup d'avancée pratique pour vous, l'Ambassadeur de la France vous considère. Vous considère, corrige vos notes - exécrables parce que la hiérarchie, son classicisme et sa jalousie sont déjà à l'oeuvre rien qu'à vous voir si peu soucieux - et en fait vous croit de son espèce puisque vous reçoit le Chef de l'Etat local. Celui-ci vous prend vite aussi pour l'un des siens, en convception de la politique, de la moralité publique, d'ailleurs il vous l'enseigne rien qu'en parlant devant vous qui écrivez presque sous la dictée, la geste de son règne, les épisodes et les contraintes, plus de mentalité et de l'esprit du temps et des lieux que de finances ou de politique à l'occidentale. Parce qu'elle se fait aux origines de cette République, aux débuts encore d'une carrière et d'un pouvoir ainsi qu'à vos propres origines et débuts, la rencontre est aussitôt définitive. Vous prenez fait et cause, vous cherchez votre utilité. Le rituel, apparemment, ne cache rien. Vous êtes reçu à vos dates ou presque, chaque fois que vous le demandez, vous jouissez - au premier degré - de la confiance et de la confidence, de ces minutes, parfois de ces heures où une délibération se fait, hésitante de ton, assurée de fond et de dialectique ; elle vous est commune, c'est un partage, sans doute la matière n'étaut pas la vôtre, ni le pays, mais vos questions, votre extra-tribalité servent votre ami et vous en recevez la gloire d'être un des rares à le savoir et à l'expérimenter si éminent. Il y a peu, une certaine figure contemporaine qui fut longtemps grande et indiscutée, et qui reste méiatique, celle d’un prêtre séculier devenu âgé mais gardant du culot et dont vous découvriez aussi la prétention, vous diagnostique : à voir tant de merveille chez ceux que vous rencontrez, vous trouvez le moyen de vous valoriser. Plus modeste, vous verriez les autres plus médiocres. Vous n'avez pas le sens du relatif, vous éludez les avanies ou les manques quand il y en a, et il y en a. La primeur de certaines décisions dont vous auriez pu être le porteur et le commentateur dans des colonnes parisiennes, vous ne l'avez pas, alors que vous l'aviez putativement sollicitée. N'étant pas journaliste de profession, vous n'avez pas inspiré la confiance espérée. L'exil de votre ami survenu, l'oeuvre du mémorialiste est possible. A deux, vous y mettre, vous avez donné des matériaux et sans doute du fil. Vous êtes refusé à ce seuil. Cela se comprend, vous le comprenez, mais vous n'êtes pas préféré, d'ailleurs il n'y aura pas d'oeuvre et vous-même n'avez pas écrit, passé progressivement d'un exercice scientifique à la mémoire de l'affection, des événements, des dunes, des visages et d'une vie qui avait augmenté la vôtre. Il vous reste ces fins de journée étouffantes de ce qui serait le printemps en Europe et de ce qui était l'épilogue de vifs incidents raciaux, le Président de la République et vous, en sueur, sans ventilation ni climatisation dans un bureau vaste, à claustra mais monacal, méditation sur les acteurs du jeu, sur les hantises et incompréhensions mutuelles. Plus tard, peut-être écrirez-vous d’affilée cette histoire vraie, quoique d’ailleurs et d’hier, fort de ce canevas, d'autres éléments de l'enquête, la tente, d'anciens ministres, des récits à la fois de politique et de bouvier, des grandeurs dans une immensité naturelle et spiruituelle, le Sahara occidental et l'Islam, là où ne se cicatrise toujours pas la plaie ouverte par la traite arabe des Noirs et pour autant une cohésion affective, psychique, sociale sans faille, le silence, les yeux de ceux qui écoutent sans comprendre car en Afrique francophone le français reste rare... longtemps la rumeur des chameaux et à la lumière solaire celle du cordage de cuir limant une poutre jaune au puits, pour faire venir du fond, à quelques cent mètres de trot d'âne, le seau mou et l'eau balançant dedans. Ce bain vous fut natif, les oublis n'évacueront rien, et la vieillesse rapproche, qui remet les âmes à leur origine, ou pas loin ; longtemps votre sommeil aussi avait ces images, ces dialogues et quand Moktar ould DADDAH fut détrôné un lundi 10 Juillet par son aide-de-camp et qu'il crut son armée appliquée seulement, moyennant sa mort politique, à continuer le combat d'une unité territoriale assez compliquée, vous vêcûtes jour par jour son emprisonnement entre les murs décorés de brun et de blanc à Oualata, qui ne protègent pas du vent de sable et les revues qui lui étaient apportées, on en avait déchiré les pages choisies par ses geôliers. Convalescent, flottant dans des costumes qui n'étaient plus de son désert, il vous eut comme compagnon deux semaines, vous parliez, il parlait, vous consigniiez. D'autres, fort célèbres, furent ainsi à Sainte-Hélène. Il vous a manqué cependant les derniers actes que ne préparait aucune des assurances et des interprêtations d'une situation diplomatique ambigue quand commença la guerre contre le Polisario. L'entretien avec BOUMEDIENNE à Colomb-Béchar, la surprise militaire à La Guerra, les coups de main jusqu'à l'abord de la capitale, l'ambiance qui dû y prévaloir, la fin du règne, quoi ! Etre le conseiller étranger détaché auprès de lui à sa demande, il vous le suggéra, vous le déclinâtes.  Il y a en vous, quand étiez si jeune, bien moins de risque que ceux aujourd'hui que vous prendriez. Vous avez eu tort, mais peut-être y avez-vous gagné de garder des images et un frisson, non seulement ceux du désert et des rires que le soir et l’abreuvement des bêtes permettent seuls, mais celles à peine plus mentales d’un certain exercice de la sainteté dans l’aire politique et les époques où la généralité commande la corruption.

                  Le Premier Secrétaire du Parti socialiste, vous le sondiez pour être sûr qu'à le soutenir, vous ne trahissiez pas de GAULLE. Place du Palais-Bourbon tandis qu'un entretien se préparait, projecteurs et balladeurs, pour la télévision. Sous les combles, rue de Bièvre, au sortir de l'ascenseur, nez-à-nez avec Marie-Claire PAPEGAY qui toujours mettra sous les yeux de François MITTERRAND vos lettres, la photo encadrée façon chevalet et dédicacée François MAURIAC, beaucoup de livres et le décompte rétrospectif des voix de 1974. Il est si posé, si proche, si confident dans ce qu'il vous expose de ses doutes de ne jamais gagner parce que la France et les électeurs sont ainsi et que les récentes législatives, avant lesquelles : vous, il vous avait, pour la première fois, reçu, que vous pensez être l'un des rares à le voir. Vous ne vous présentez pas en croyant ni en soutien, vous ne pouvez être un ami, êtes-vous même curieux d'une personalité qui, Elysée ou pas, a tout de même de l'Histoire à son actif. Non ! il vous paraît normal à vous, et sans doute à lui, pouvez-vous croire, de vous entretenir, et vous ne demandez rien. Une aide pour vous placer dans une élection législative partielle à la succession d'Edgar FAURE en Franche-Comté, vous n'y avez pas même songé. Il vous l'a fait remarquer quand vous êtes trop tard venu. Edgar FAURE, au contraire, vous l'avez toujours vu la main tendue, la sienne, disposé à vous recevoir mais jamais à vous écouter, déjà sur le point de quitter son bureau, celui de l'appartement du boulevard Flandrin encombré de courtisans ausi immobiles que les meubles dans des antichambres plus nombreux que les pièces de travail ou de réception, celui de l'hôtel particulier du ministre du Travail, réplique de celui de RODIN, une parallèle avant en arrivant de la Seine, celui de la rue bizontine où le Conseil régional est à lui, celui de l'hôtel de Lassay où Lucie à qui vous demandez conseil vous répond qu'il y a d'abord à caser Jacques SALLEBERT et qu'aux présidentielles de la mort de Georges POMPIDOU, la candidature de son mari se révéla aussitôt impossible : matériellement. Le Président costumé de marron arriva alors, appelant son épouse : mon petit chat, alors qu'assurément il était amusé déjà ailleurs. Ce sont des moments d'intelligence et vous n'y posez rien avec l'ancien Président du Conseil, tandis qu'avec le candidat de toute la gauche au printemps de 1981, vous croyez un instant que l'Histoire vous happera, un tout petit rôle vous suffira, celui d'avoir donné quelques idées, quelques thèmes, l'administration est un métier et l'organigramme est déjà acquis. Le personnage très en vue, mais dont vous ne croyez guère qu’il sera quelque jour Président de la République, ni qu’il ait beaucoup d’idées sur les questions à trancher ou à gérer, a les favoris d’un cocher au début du siècle, la taille pas empâtée, la parole aisée, chaude, familière, fraternelle, confidentielle, vivre. Il sait donner de son temps, il dévisage et envisage mais se tait sur ce qu’il ferait de vous. Edgar FAURE vous avait assuré qu’il ferait votre carrière, vous n’aviez pas deux ans d’ancienneté dans l’administration ; il vous démonta en réunion publique à Pontarlier, quand vous tentiez sans que cela puisse le gêner de prendre sa succession puisqu’il était passé au Sénat :ni lui ni vous ne saviez les chiffres du commerce franco-suisse en horlogerie, celui qui le savait ne s’en vanta qu’à vous et après coup. Il est des intelligences secondes qui jouissent d’avoir peu mais de n’avoir pas fait. Il est des mécaniques dont vous avez vu l’affectivité, en reflet sous quelques lumières qui ne se faisaient que pour vous. Edgar FAURE, virtuose de l’analyse et de l’exposé, narcissique autant que son jeune collaborateur (GISCARD d’ESTAING) des époques où il fut Président du Conseil de la Quatrième République, avait le don rare de montrer de l’assurance et de la peur à contre-temps, du mépris et de la chaleur à temps. Qui a mieux écrit sur la modernité du Général de GAULLE en 1969 et du dernier de ses Premiers Ministres ?

François MITTERRAND a soudain le pouvoir de vous employer. L’entrefilet signalant que Michel VAUZELLE s’occupera de la presse à l’Elysée, on est à la mi-Mai à peine de 1981 et rien que depuis l’automne, vous avez été reçu trois fois par le candidat à l’élection présidentielle, vous étonne et vous blesse, leposte vous eût convenu. Deux ans durant, vous écrivez en réponse à une lettre manuscrite d'entre-les-deux tours : de toute manière à bientôt. Rien ne se fait que de vive voix, à la descente de l'avion présidentiel, c'est à Hellenikon, vous êtes l'antepénultième de l'immense ligne que tracent en trois côtés d'un rectangle la foule des personnalités grecques et françaises. Il est impassible, le teint du musée Grévin, mais en sous-sol de l'hôtel Astir-Vouliagmeni, flanqué d'Andreas PAPANDREOU, sosie de votre professeur d'humanités chez les Jésuites parisiens, il vous rappelle de ne pas manquer de venir le voir... Aux mêmes années, peut-être semaines, de vos premières poignées de main, des ministres, un conseiller spécial, un tout prochain Secrétaire général, un bientôt Premier Ministre, rencontraient, avaient rencontré le même homme, le même personnage. C'est vous qui n'étiez pas le même qu'eux. Au haut des terrasses qui ne sont pas loin du Pao de Açucar, le Président de la République vous félicite de votre royaume et s'enquiert de votre bonheur : le Brésil, il y a de quoi, effectivement... mais qu'y êtes vous ? Un homme libre, et cela ne vous suffit pas ? On crie après l'Ambassadeur, des ministres sont bousculés, celui des Affaires Etrangères flanqué du chef de l'Etat-major particulier qu'on croirait interprêté par Jacques TATI, sait se tenir coi, assis tous deux en silence, dos au mur sur des bancs peut-être d'église, Jack LANG brille, et vous voudriez être de ceux-là. Pierre PFLIMLIN vient, qui ne dira jamais rien sur les entretiens du 23 Mai 1958 ; Gaston DEFFERRE accompagne Danielle MITTERRAND pour que la France s'associe aux hommages à Tancredo NEVES, glorieux de toutes éventualités puisque les militaires remettent le pouvoir aux civils sans que change la Constitution pour autant ni ne désemplissent les prisons ni les favellas : vous l'aviez entrevu quand commença abruptement la campagne présidentielle de 1974, puis au Pirée puisque Marseille aussi est un port méditerranéen ; Michel ROCARD puis Raymond BARRE se posent quelques heures à Brasilia, du premier beaucoup de confidences très assurées sur une légitimité présidentielle qui va se vérifier à l’issue piteuse du septennat de François MITTERRAND, et du second rien car l’universitaire qu’il demeure est très différent sur estrade et en a parte. Cinq ans ensuite, vous verrez les deux débattre à Salzbourg pour le forum de l’Expansion, la différence d’étoffe et de fond y fut criante, et accessoirement l’échec qu’on ne savait pas encore à tel point de GORBATCHEV dont l’un des soigneurs, excellent francophone, sondait les intentions de ses opposants parce qu’il ne pouvait les rencontrer et les deviner qu’à l’étranger, démonétisé qu’était son patron chez soi. Du Brésil, vous êtes débarqué nonobstant votre correspondance avec le Chef de l’Etat régnant. Cela vous vaut deux ans d'entretiens, un par trimestre, sur la cohabitation, avec Jean-Louis BIANCO, mais pas de remise en selle. Le texte vous suffit ; vous vous régaliez de celui d’un des auteurs puis penseurs du coup d’Etat militaire à Rio de Janeiro en 1964, GOLBERY retiré mais continuant d’introduire aux contrats et à la compréhension des cycles et cercles du pouvoir local, ceux que lui amenait un financier proche des intérêts français, entre autres. Avec le secrétaire général de l’Elysée, vous êtes parfois interrompu par le téléphone, lePrésident de la République lit Le Monde ligne àloigne et ne veut pas qu’on croit qu’il vient d’acquérir à Venise un palais, il ne veut pas qu’on croit non plus à bien autre chose, et il y parvient. De lui, BIANCO élancé, jeune, disert et travailleur, capable d’humour et d’une gentillesse faisant croire, en tête-à-tête, à de l’amitié, dit qu’il le prit d’abord pour un vieux monsieur, datant beaucoup et que la direction de l’Etat ennuyait autant qu’elle lui était peu familière.Vous commencez de comprendre que vous n'obtiendrez rien, mais on vous raconte comment CHIRAC et MITTERRAND s’arrachent l’un l’autre la marque de PLATINI. Le foot-ball n’est pas encore ce qu’il est devenu dans nos structures et nos éphémérides nationaux, mais il est en train, d’encore, de le devenir. Il y a le niveau de vos combats, de vos avancements et rétrogradations, celui de vos pleurs parfois, d'homme seul, et puis il y a celui de cet Etat que vous visitez de temps en temps, comme si c'était dimanche et le jour du costume, et dont vous apprenez les menus traits. C'est le bureau qu'occupait, en angle, Valéry GISCARD d'ESTAING. De celui-ci, vous aviez eu la relation avec un de ses conseillers, pas des moindres, Jean SERISE : du texte aussi, moins de vénération ou de traits édifiants, mais des démonstrations d'un petit personnage aux lunettes sévères qui semblait vous apprécier et tournait derrière votre siège, marchant, déclamant presque ses raisons de l'excellence présidentielle qu'il servait et inspirait, dans une pièce minuscule, peu flatteuse pour son rang et pour son visiteur. C'était passionnant, de décennie en décennie mais vous ne pouviez ainsi changer ni de réplique ni de grade, vous étiez reçu, pris à témoin, félicité d'exister et de revenir... Reconnaissez que cela vous suffisait, soit que ce fut le début - prometteur, estimiez-vous - d'un cycle nouveau, soit que ce fut de l'entretien, du placement à long terme et de l'agrément pour l'immédiat, de l'information parfois dans un milieu - le votre en administration - où l'on écrit tellement qu'on ne retient que ce que l'on entend. On y lit d'ailleurs peu. De cet Etat qui a, d’un mandat présidentiel et un autre, laphysionomie d’un partenaire,mais dont ensuite aucun titulaire à titre partiel ou en exercice plein ne se souvient plus de vous, que faire sinon le ranger dans la série des anecdotes : le même Jean-Louis BIANCO, après des lettres qui ne vous ne revenaient pas mais n’avaient pas leur réponse, vous le croisez improviste dans un couloir du Palais-Bourbon, il est acculé, vous donne un téléphone, juge amusant le travail à une biographie dont vous lui faites part. Ne parvenant pas à revenir au Gouvernement, s’étant cru, comme la plupart des secrétaires généraux de la Présidence de la Répubolique, en passe un temps, en capacité certainement de devenir Premier Ministre, il traite avec perspicacité de l’Europe et de l’ancienne Union Soviétique. Le forcer ainsi à vous revoir sans qu’il en ait l’envie, son silence silongtemps, vous dissuadent de ce qui serait mendier. Et en vain. On ne sauve que soi-même, quoique si léger maintenant de prétentions et requêtes, vous seriez en trop dans ses perspectives, et vous vous refusez à vous-même cette audience.


Le fleuron de ces séries d'audiences fut celles du Président de la République, es qualité (la sienne) avec circulation de l'agenda du Chef de l'Etat dans tout Paris interministériel : votre hiérarchie poireautait depuis dix-huit mois... Vous : trois fois en tête-à-tête, chaque trimestre déjà quand vous étiez en Grèce, étoile supposée montante, faisant attendre en Janvier Gaston THORN, en Avril le Premier Ministre du moment et celui de l'Education Nationale, et à l'automne Shimon PERES, arrivé au Palais en avance et donc en même temps que vous. Des textes sont essayés sur vous, mais vous en avez peut-être la primeur, LAVAL plutôt que PETAIN, LENINE s'il avait dû se retirer après des municipales ou des législatives il eût laissé les usines en feu et la terre brûlée, je pourrai le faire et le système monétaire européen n'est pas un dogme ; qui nommeriez-vous Premier Ministre ? Le canapé n'est pas partagé, doré et somptueux comme toute la vaste pièce, votre fauteuil est Empire, vous avez une photographie, celle que vous avez prise de lui à Athènes, à faire signer, dédicacer. C'est incongru, il s'exécute et pas seulement de son nom souligné : rarissime. C'est cinquante ans tout juste après la prise de pouvoir de HITLER et l'investiture du premier gouvernement de DALADIER, mais c'est sans lendemain, une Ambassade toujours pas, le Secrétaire général du Quai d'Orsay lève les bras au ciel, vous êtes un poète, un rêveur et prétend que vous êtes venu en retard à un rendez-vous qu'il vous avait donné. Francis GUTMAN, vous le connaissiez pourtant de réunions politiques où il ne brillait que dans la coulisse parce qu'il avait tenu longtemps la main à Michel JOBERT. A quel moment n'avez-vous pas assez plu pour être associé ? et cependant par quel paradoxe a-t-on continué de vous priser, un peu ? Car un Président du Conseil Constitutionnel et un Président de l'Assemblée Nationale vous ont assuré que François MITTERRAND vous estimait, vous appréciait. Mais vous le savez, c'est un séducteur, vous étiez séduit, il était sûr de vous, et il passait, continuait. Des présidents parlent du Président. Vous avez demandé à l'accompagner - c'était vingt ans après... - au Canada, puis l'année suivante en Irlande, logique suite de ces pélerinages aux voeux du Général de GAULLE à ces indépendances et réunification qui ne se font pas. Le roman de vos carnets sur le terrain s'épaissit. Jacques CHIRAC, à l'époque initiatique de votre tentative aux chausses d'Egar FAURE, il neiga tôt cet automne de 1980 dans le Haut-Doubs, vous reçut, vous subventionna, déclina sa haine du Président sortant, vous proposa sur indication de Jacques TOUBON la circonscription de Thionville, vos convictions étant d'hostilité au "giscardisme" mais de respect de toute gauche, vous ne pouviez donner suite puis quand le rideau s'ouvrit sur la campagne de 1981 et que le maire de Paris vous laisa pour les journalistes, c'était le lancement de sa campagne, vous fûtes acheminé vers un jeune homme en qui il avait grande confiance et qui dirigerait tout : vous échangeâtes avec celui-ci des politesses, il ne vous fit aucune impression et vous ne vous êtes pas demandé laquelle vous lui aviez faite, n'était-il pas au second rang ? n'étiez-vous pas un fonctionnaire de place encore moindre certes, mais un chroniqueur lu et annoncé dans de très prestigieuses, immensément prestigieuses colonnes ? Qu’était alors Alain JUPPE ? La vie continuait et continuerait de semer, mais vous êtes, dans la parabole, le terrain où rien ne prend, c’est-à-dire que l’organisation de vos intérêts, leur sauvegarde, vous ont toujours échappé d’esprit et de soins.

                  Vous êtes devenu Ambassadeur de France là-bas, ce n'est pas mal. Vous êtes le premier, dans votre emploi, qu'il reçoive, lui, le nouveau Ministre des Affaires Etrangères. Il a eu la tentation de Venise, c'est-à-dire qu'il a commis par écrit des imprudences étonnantes s'il avait été lu : l'élocution du Président de la République au soir du dernier "coup" communiste à Moscou, des histoires de salle-à-manger « du Ministre » avec Edouard BALLADUR rue de Bercy. Dans l'enfilade des salons de DROUYN de LHUYS, que vous connaissez, un petit groupe s'éloigne après que vous ayez déjà beaucoup attendu : des silhouettes dont vous présumez que certaines ne vous sont pas amicales, car vous ne faites pas partie de la corporation. On vous fait entrer, vous n'entrez que pour le vis-à-vis, vous êtes concentré. Le lundi suivant la mort de Georges POMPIDOU, Michel JOBERT vous avait reçu là. L'un des deux seuls cas où une relation s'est nouée par une simple lettre. L'autre, tandis que le Cardinal-Archevêque de Paris avait mis un million de personnes dans la rue pour l'école dite libre et pour la droite qui n'avait plus ni troupes ni programme, fut avec Pierre BEREGOVOY. D'un gaulliste, catholique pratiquant, vos quelques lignes partageant, mais d'une tout autre manière que la socialiste et la partisane, le souci gouvernemental d'un certain service public et tout bonnement d'une équité à l'endroit d'Alain SAVARY, avaient touché cet homme que vous ne pensiez ni politique ni habile, mais tout simplement : sûr. Vous n'avez été deviné, et adopté, que deux fois dans ce qui n'est chez vous ni une carrière ni une vie, mais le parcours sincère de quelqu'un qui ne se reconnaîtrait vraiment nulle part chez soi ou au chaud. Toujours de passage, toujours à guetter l'accrochage, ce qui fait que vous êtes ressenti comme volatile. Au nouveau ministre des Affaires Etrangères de Georges POMPIDOU, vous avez écrit, prédit dès ses premières heures d’exposition aux commentaires de la presse, qu'il se distinguera forcément du maître de ce moment-là et qu'il reviendra donc à de GAULLE, événement pour l'époque mais que les circonstances favorisent, suggèrent très fortement. Là : vous avez su écrire bref, juste, sans opinion, qu'intuitif. A Alain JUPPE, vous déplaisez, sans doute l'ordre du jour que vous lui proposez pour vingt minutes ensemble, est triple, sans doute est-ce précis, la succession soviétique, les moyens de notre Ambassade et la circonscription du Morbihan où vous venez d'acheter et dont est sa femme : sarzotine. La fiche du Ministre ne vous pas été faite, sa froideur n'est pas encore proverbiale et comme il a l'accent des Landes ou du confit, elle n'est pas perçue. Il ne vous paraît informé de rien d'essentiel mais fermé sur vos appétits budgétaires et puis il a divorcé et va se remarier, pour ce qui est du Morbihan et de l’Ouest, son parti qu'il dirige nonosbtant ses nouvelles responsabilités, est aux mains d'un quatorzième duc du nom, maire d'un village dont il a le prénom. La France et les Etats-Unis ont ceci de commun, quoique décalé dans le temps que certaines familles n'individualisent leurs générations que par des chiffres. Ainsi, avant de naître, a-t-on déjà des rues ou des villes à porter votre nom. Le directeur du cabinet vous a ménagé l'entretien autant qu'une relation très indirecte avec l'une des secrétaires du nouveau maître des lieux (et de votre carrière). Dominique de VILLEPIN ne vous a pas fait davantage impression. Son bureau est le même, Bernard KESSEDJIAN et Jacques ANDREANI vous y ont accueilli avec toutes les apparences de l'égalité, cordialité dûe à de l’avenir présumé et à des proteections, des entrées que vous savez furtives, mais peut-être celles des autres le sont autant ? La flatterie est plus nette, toujours attachée à vos anciennes performances de presse, le père de l'impétrant, vous le connaissez de vos précédents emplois. Vous n'avez en rien discerné l’élément le plus conséquent et volontaire d’un groupe parvenant au pouvoir et la manière dont vous vous y êtes vous-même pris, le jeu des familles, ne vous a pas fait pressentir les nouvelles d'un jeu que vous ne connaissiez pas non plus dans son ancienne version. Ce métier ne vous plaît qu'exercé, vêcu là-bas. Dans ces couloirs et ces enfilades, les seuls vraiment sympathiques portent chaîne et queue de pies, les huissiers qui vous connaissent, pointent votre nom sur un véritable évangéliaire où manque seulement l'aigle de saint Jean. Les précédents ministres des Affaires Etrangères, que c'était facile ! rien à demander qui ne fut ou bien acquis, ou bien hors de question. Vous veniez à l'information, ayant des convictions arrêtées, celles toutes simples qui dans le soufflet d'un wagon des chemins de fer allemands entre Hambourg et peut-être Hanovre ou Cassel, s'agrégèrent soudain, il y a plus de trente ans à présent : vous étiez en voyage d'études, votre promotion en école de classement, on y supputait, en Avril 1967, la composition des cabinets ministériels lors d'un énième Gouvernement POMPIDOU avec autant de civisme et de gaullisme, à l'époque un peu plus discuté qu'à ses commencements algériens qu'on décrèterait, en assemblée d'élèves : Mai 1968 ! la suppression des " grands Corps " puis qu'on guetterait quelque ministre survivant que ce soit pour que tout de même les arrêtés y affectant soient enfin signés. Ces convictions étaient et demeurent aussi peu technocratiques, informées et actualisées que possible, vous croyez en votre pays, vous supposez et éprouvez qu'il est de nature plus historique qu'ethnique et qu'il vaut mieux pour lui être généreux et contestataire qu'égoiste, vantard et lèche-botte. Le premier ministre que vous vîtes dans ce bureau, avait été Michel JOBERT - le premier à vous accueillir, en place - car l'inimitable Maurice COUVE de MURVILLE, vous a accueilli certes périodiquement, mais après que le pouvoir l’ait quitté. Commentaire privé d'actualités sobrement caractérisées, sans s'être vraiment fait prier, comme d'ailleurs tous les autres anciens ministres du Général auprès de qui vous faisiez votre enquête en recherche de testament, de legs et aussi de traîtres survivant avec peu de vergogne mais un appétit que les successions gouvernementales, puis l'âge n'affaiblirent pas. Le successeur de l'homme du 18 Juin était mort tôt mais à son tour. Son très proche collaborateur était silencieux, vous le fûtes, le chagrin par procuration, lecture alors de ce qui serait dit à la tribune des Nations-Unies où il y avait juste quelque chose, l'année suivante, le Ministre vous ferait passer par les colonnes qu'on vous prêtait le soirn, des notes prises par Robert GALLEY lors du dernier Conseil des Ministres de cette époque, devenue de transition ès qu'il y eût quelques mois de recul. Vous aviez ainsi contracté une curieuse façon d'être en politique et en administration, cela vous réussissait parce que cela ne vous donnait aucune place, aucun grade qui ne fussent strictement le vôtre au sens très réglementé des avancements de carrière. Peut-être même des jalousies presque littéraires vous pénalisaient en commissions paritaires mais être connu, reçu et pouvoir opiner publiquement vous payait de tout. Alain JUPPE étudiait encore rue des Saints-Pères. Peut-être, le prîtes-vous de haut ? Roland DUMAS avait, sur un chevalet, un portrait du Général, grand dessin à la plume, quelques couleurs, encadrement de goût. Si vous n'alliez pas là-bas, car il y aurait des résistances, le fin Ministre d'Etat s'y connaissait, peut-être iriez-vous à Bagdad. La conversation avait du charme, l’homme vous traitait d’égal à égal, vous faisait savoir votre « aura », la cour, si c’est le fonctionnement du pouvoir, impose cette sensation de sécurité et de mérite personnels, tant que vous en êtes. On sait à quelques signes que vous en faites partie, d’autres vous le disent, personne, en revanche, ne vous signale que dans l’opinion générale vous avez déjà été poussé à la sortie. Ces appartenances se font et se défont sans règle ; que vous n’ayez jamais compris ce système vous désarme pour toute pénétration, par quelque biais, parrainage ou hasard que ce soit, dans l’édifice des cooptations et des solidarités que ni la cour, ni le pouvoir trop éphémères par rapport à celles-ci n’entament. D’autant que c’est là le refuge de certains qui quittent à temps, et sans trop de vergogne, les palaias nationaux quand va se terminer un règne. Vous demeurez incapable de saisir ce qui est évident pour d’autres et général dans certains corps de l’Etat et dans quelques « clubs » de dirigeants d’entreprises et de groupes à la façon d’aujourd’hui. Dans le bureau du Ministre, vous êtes étranger à toute précaution d’avenir, vous ignorez le futur puisque c’est du lendemain que vous êtes entretenu et vous ne posez aucune condition à votre nomination, celle de votre intégration dans le corps auquelvous ne serez que prêté, donc affiché comme n’y étant qu’à l’essai ou de passage. Vous ne saurez que plus tard combien il fut détesté par ses services simplement parce qu’il était loin de leur fonctionnement, n’imposait pas, suggérait et manoeuvrait, protégeait plus qu’il ne dirigeait. Cauteleux avec les dominants dans le monde qui est sphérique, sauf pour l’immense hexagone où se défont les carrières, les diplomates français adulent le caporalisme qui leur permet une servilité de façade dispensant de tout le reste quitte à critiquer par allusion ou rétrospectivement et à méprisent ceux qui avouent avoir besoin d’eux. Les portes du Ministre s'ouvrant, comme si souvent dans votre passé, quelles précautions auriez-vous donc prises ?

Autrefois, alors que vous n’étiez encore sorti que de votre école qui est celle de beaucoup d’autres, Louis de GUIRINGAUD vous avait assuré que vous valiez mieux que le poste de votre administration à la Représentation permanente de Manhattan, ne vous voulant pas plus que Jean-Pierre CHEVENEMENT qui n'avait jamais rallié son affectation new-yorkaise ; habile, négatif, mais bien dit, de la part d’un homme dont aviez incidemment su qu’il était déprimé, dont il était certain qu’il détestait ceux dont vous aviez fait votre référence, ,qui un jour n’y tiendrait plus, se suiciderait,mais qui démontrait avec constance une belle indépendance de pensée ; le verdict, c’est-à-dire le refus de vous recevoir comme collaborateur, ainsi rendu vous flattait, et surtout vous arrangeait car, à l’époque, vous teniez à demeurer en France, pour précisément enquêter, publier, piocher de l'Histoire éventuelle ou rétrospective, à défaut de l'Histoire du moment qui vous paraissait vaine et narcissique. Jean FRANCOIS-PONCET avait des talons hauts et consultait, à presque chacune de ses phrases ou des vôtres, ainsi vous aviez mentionné le Portugal et le " Cinquième Empire ", un atlas sur antiphonaire. Jean-Bernard RAIMOND, dont un doigt vous restait dans la paume longtemps : il l'a gardé depuis, ainsi que sa tête de médecin de quartier ayant fini par réussir, ne pouvait vous confier cette mission d'enquête sur l'avenir des institutions européennes tel que le projetait chacun de nos partenaires, déjà membre. Le voyage ne vous eût pas déplu, les relations d'Ambassades, quand elles sont multiples et solides, parce que vous ne coûtez rien à qui vous reçoit et ne l'inquiétez pas, si débutant que vous êtes, auraient pu vous avancer. C'était donné à un disgrâcié d'avant la cohabitation qui, peu averti, pour faire sa cour à Michel JOBERT, venu au Commerce extérieur avec la gauche, mais plus du tout au pouvoir, vous avait battu très froid quand aviez fait venir celui-ci à Munich : Hubert FROMENT-MEURICE et tous ces autres valaient chacun mieux que leur prestigieux emploi, et ainsi qu’avec ceux qui avaient été ministres du Général de GAULLE, vous esquissiez puis alliez toujours vérifier cette règle qu’au désert ou dans la récapitulation de leurs souvenirs les personnes grandissent parce qu’elles sont libres et n’ont plus d’avenir. Vous les aviez donc tous vus nos nombreux «  chefs de la diplomatie française ».

Celui dont vous allez dépendre, maintenant que vous appartenez sinon à « la carrière », du moins que vous figurez dans l’organigramme prestigieux, se caractérise bien vite : une réunion annuelle, voyage au frais des convoqués, et un applaudissement continu, frénétique et exquis pour qu’ovationnent leur employeur ceux qui dépendent totalement de lui. Vous n'aviez pas la moindre idée de ce qu'est, sauf dans les traités de vos maîtres BURDEAU, de LAUBADERE et DRAGO, un emploi à la discrétion du Gouvernement. Vous avez recommencé, là-bas, mais pour le Président de la République, ce que vous aviez monté, chaque fois que possible pour votre ami Michel JOBERT. Alain JUPPE débarqua au Kazakhstan, maussade, on venait de Séoul, on tardait donc à revenir en France, Gérard LONGUET était avec épouse, François FILLON était souriant, presqu'étudiant, lui était seul, embusqué comme un meunier qui chercherait le trou dans les sacs ou dans les comptes. Les conseillers du Président n'avaient prudemment fait que le voyage de reconnaissance protocolaire, courageux vis-à-vis de Paris, ils l'avaient été moins en face de vos interlocuteurs locaux habituels que vous pensiez, par cette occasion où ceux-là étaient demandeurs des medias mondiaux encore rares pour les montrer dix-huit mois seulement après la fin de l'Union Soviétique ; pour vous et pour votre attaché militaire, l’occasion se donnait d’acculer à ouvrir quelques sites stratégiques. On ne demanda rien, et cependant on ne savait s’accorder. Le protocole n'imaginait ni prolongement des conversations d'Etat, ni aperçu de capacités significatives, routine et débarras. Le voyage se faisant mais le Président un peu attendu, vous fîtes visiter vos lieux au Ministre ; ils étaient déserts malheureusement car vos troupes s'étaient pressés au-devant du cortège présidentiel, tout parut spacieux à votre supérieur, rien de ce que vous aviez aménagé pour que ce fut beau ou digne ne retint son attention, il marchait en silence et irradiait le peu de cas qu'il faisait de vous, il déjeuna au petit couvert avec ses collaborateurs et les vôtres, vous avait mis en demeure, au milieu de la nuit précédente, à props d'oeufs au plat dont la venue à point cuits et à heure précise lui paraissait douteuse si l'on ne s'en tenait qu'au personnel de nos hôtes. L'histoire de votre disgrâce s'est écrite ainsi dans votre dos et vous fûtes - intensément soulagé - quand décolla l'énorme appareil ; l'opportunité de le faire visiter au sol, tant l'Airbus haut de gamme peut remporter tous les suffrages s'il est bien présenté, ne fut pas plus saisie que celle d’aller sur le site nucléaire soviétique, à Kurtchatov, près de Sémipalatinsk et de la maison en bois de DOSTOIEWSKI. Le Président de cette République près duquel vous étiez accrédité ne vit que de loin Sophie MARCEAU, bottines montantes et à lacets, donner l'échelle au vrai de l’énorme avion de transport quand elle y monta, il la suivait des yeux et le président, cheveux plus gris encore que les vôtres, du Crédit industriel et commercial, pas encore succédé par votre camarade de promotion, l'avait chapeautée, heure par heure, du moins à votre connaissance. La jeune héroïne de La Boum - pas encore trop femme, et cou déjà tendu pour la valse à laquelle sera conviée Anna Karénine - craignait, cet automne-là, de tomber en panne de scenario, vous prîtes son adresse à des fins toutes littéraires d'autant qu'elle habite dans le quartier des éditeurs, vous lui proposeriez quelque chose. Vous vîtes la vanité de votre fonction quand ceux qui vous nomment sont sur place, par exception, et vous ne comprîtes pas que le souvenir qu'ils en ont, perdure jusqu'à votre assassinat qu'on perpètre à distance. De vos aînés, mais eux sont de " la carrière ", vidés tout autant, vous vîtes la course, l'amertume et surtout l'exhalaison de sentiments, de mépris, de rage, d'étonnement et dépit dont l'ensemble compréhensible et cohérent n'a pas encore trouvé son vocable dans la langue française, pourtant réputée si longtemps comme celle - obligée - des diplomates. Deux d’entre eux, dans le court temps où vous étiez en selle, vidèrent ainsi Londres et Rome sur communiqué lu du perron de l'Elysée ; il paraît que cela ne se fait pas. Mais le service extraordinaire au Conseil d'Etat, la dignité d'Ambassadeur de France pour celui qui ne l'avait pas encore furent royalement accordés. L'épouse de Jean-Bernard RAIMOND, parce qu'il cessait d'être ministre, décrocha pour lui - elle avait obtenu une demi-minute de l’audience présidentielle - l'Ambassade près le Vatican, qui vaut bien la députation des Bouches-du-Rhône ou à peu près. La compensation, à quelles règles obéit-elle ? Qui y est éligible ? Au jeu des « chaises musiciennes », qui court en rond et qui se fait avoir ? Il vous manqua dès votre expulsion jusqu’à l’instrument de prévision des places à briguer, l’ « annuaire diplomatique ». Trente mois après, téléphonant aux nouvelles, à l'un des plus hauts fonctionnaires de votre petite administration, mine d'explorer ce qu'il se passerait au cas où vous redemanderiez du service, nonobstant tous les subterfuges que les débâcles inspirent parfois s'il n'y a plus que les meubles à sauver, vous entendîtes l'essentiel. Non pas l'essentiel de ce qui allait vous concerner éventuellement et au cas où... mais l'essentiel d'un bien sapé, bien polissé, assez doué pour le croquis de sociologie et bon mime du désintéressement cynique à force de mérite et de brio : le directeur adjoint avait été de vos thuriféaires tout le temps que vous montiez, puis quand vous arrivâtes et que vous avez un peu duré. Il fit partie des délégations qui là-bas venaient voir le Président de la République française sur fond de Palais du Peuple et chaînes alpestres faisant frontière avec la Chine : présence, participation indispensables ! mais compliments entre désoeuvrés, le directeur-adjoint l'était donc et un Ambassadeur l'est toujours, hors jeu tout le temps de la visite officielle pour laquelle il a tout fait, du principe qu'elle ait lieu, jusqu'à la disposition des cuillers à café et des jus d'orange sur le guéridon des principaux, oui : ces compliments vous avaient fait plaisir et même renseigné. Eloigné si longtemps de votre métier originel, un métier qui... et que... se mouvementant et changeant (en bien) beaucoup plus vite que vous, vous ne pourriez plus servir, à votre reprise des rames, qu'en second. D'un Ambassadeur, chef de mission diplomatique ? Non, non... d'un des collaborateurs de celui-ci, mais ne vous inquiétez pas, ce n'est pas le premier poste qui compte, nous nous évertuons à le faire comprendre aux jeunes qui choisissent le Corps. La population française imagine que les lauréats et autres suivants de cette école en trois lettres se tiennent les coudes, forment corporation. Le Who's who ? rétorque et affiche, ladite école est mentionnée en rubrique de carrière. Elle enregistre le départ de la course, et il n'y a que deux arrivées, la haute politique ou l'argent à la tête des grands montages industriels et institutions financières. L'équipe à l'Elysée, sous François MITTERRAND quand il vous parlait chez lui, ce qui est bien différent de vous adresser la parole en propos de table ou en descente d'hélicoptères devant des ruines irlmandaises qu'on eût cru un décor pour Tintin débarquant sur L'île noire - ce que vous dîtes, car quoi dire d'autre, à l'improviste, mais avait-il lu HERGE ? - l'équipe était restreinte, vous vous y seriez ennuyé, on n’y fait pas grand-chose, le Quai d'Orsay vous ira mieux, c'est ainsi qu'en 1983, se décida l'hyperbole d'un quadra. de sexe masculin, non encarté, non intégré et qui avait perdu les colonnes d'un grand quotidien du soir. L'hyperbole commence et finit bas. Vous étiez chef d'un poste à compétence économique et commerciale, Athènes, les Cyclades et l'Epire, deux ans n'y avaient pas suffi mais c'étaient les commencements ; pour les fins, vous iriez - proche avenir - apprendre, pour émargement budgétaire, l'emploi d'attaché de préfecture. Rien de négligeable cet emploi, puisque vous sollicitez ces jours-ci l'accès au dossier d'une vieille enquête d'utilité publique, pour arranger l'argumentaire d'un de vos amis intéressé à ce qu'on ne pollue pas le ria (ou aber précisait votre manuel de géographie en 5ème puis en 2ème) où baignent vos prairies et ses chantiers ostreïcoles. Vous êtes donc fait pour tout, mais se l'entendre dire par vos amis de la mer ou de ces cultures vaut le plus grand éloge, tandis que d'un directeur-adjoint, à équivalence budgétaire de Chef de service, pantalon plissé au fer et quittant tard les bureaux parce qu'ainsi va l'administration française aux digestions lourdes à midi et aux épouses résignées ou absentes la nuit... c'est assez différent. Topique ! Franc parce que vous êtes demandeur, il s’est depuis recasé, indéboulonnable parce qu’entrée dans la sphère de l’international, mieux : du multilatéral, Paul-Henry RAVIER est désormais le Français qui fait nombre en haut de l’Organisation mondiale du Commerce, puisque les Européens n’en ont pas l’inspiration ni la conduite exécutive. Un ancien ministre, romancier quand il est en prison, acteur quand il en sort ou avant d'y retourner, avait annoté, à l'époque où il était au pouvoir, et où vous n’aviez pu l’approcher quoique vous soyez son ressortissant quotidien qu’en accompagnant le Président de la République au Canada, comme l’un des « invités personnels » de celui-ci (parmi d'autres Henri NAVARRE, Régis DEBRAY et Thierry de BEAUCE) la demande de rétablissement professionnel que vous lui aviez présentée : qu'il... et je l'emploierai tous azimuts. Votre administration était encore Quai Branly, là où Léo LAGRANGE, au Front Populaire, posa du provisoire, où Pierre MENDES FRANCE eût ses services pour l'Economie Nationale, à la Libération, quoique son antichambre et sa table de travail fussent au Rond-Point des Champs Elysées avant que ne lui succèdent Marcel DASSAULT et son Jours de France. On y fit circuler un bristol que le Directeur d'un moment avait surchargé, une invitation à laquelle il ne pouvait se rendre : me représenter à bas niveau. Ce qui fut attribué à une jeune arrivée, mais de la grande école, et qu'il ne dédaigna pas ensuite de courtiser (sans succès).

                  C'était un soir, précisément quand on quitte le Rond-Point et qu'on prend l'avenue Montaigne, qu'on pourra aller jusqu'à l'Alma et ensuite il y aura ce Quai Branly, maintenant bien différent, campement pour salons, enjeu financier entre la Ville et l'Etat, à l'appui du Conseil supérieur de la Magistrature et des anciennes écuries et palefrenies de la Présidence de la République, quelques appartements y sont réservés et Michel JOBERT, quand il occupa le bureau faisant façade des bâtiments à présent rasés, sut - car c'est son talent d'attirer la confidence de ce genre de détail - ce qu'on en faisait, c’est-à-dire ce qu’on y faisait. Un soir, à la lumière des nuits parisiennes, donc bien loin de l'été, un homme sans âge exposait sous plastique des coupures de journaux : le récit de sa gloire passée, il fallait se pencher pour en lire quelques anecdotes mais les photographies, on l'y reconnaissait, montraient vraiment qu'il avait été. Il ne demandait strictement rien, il ne parlait pas, répondait à peine ; vous comprîtes qu'il était sans-logis, il n'avait pas même de chien ni de cravate, pas même une vieille sacoche, plate d'écolier, pour tenir ses coupures, peut-être avait-il commencé d'en perdre déjà. Le trésor filerait et sa mémoire n'aurait plus de preuves. Il était dehors : à cet endroit, l'un des plus centraux et des mieux éclairés - pour qu'on vit bien les preuves, pas celle de sa déchéance, celles attestant qu'il avait été. Quelqu'un. C'était il y a quelques années, déjà.

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