Mercredi 21 Octobre 1964
En huit jours, bien des
choses se sont passées.. J’aurais dû écrire plus tôt tout ce qui se presse dans
ma tête et dans mon cœur. Mais à vrai dire, mes hésitations, mes doutes,
mes joies, mes enthousiasmes se ressemblent, dans un si court laps de temps.
Réacclimatation difficile à
Paris, les premiers jours. Impression favorable de la maison :
organisation matérielle et situation affective. Impression d’oisiveté. Pour peu
que je me laisse un peu aller, le « spleen », le dégoût, la grisaille
m’envahissaient. Mais Dieu m’en protège. A quoi bon se laisser aller. Une vie
se vit : mieux vaut pagayer dans le sens du courant, que de se laisser
entraîner par lui. Car en pagayant, on domine le courant d’une certaine manière,
puisqu’on le devance un peu.
Vu François de L. cet
après-midi. C’est un peu une pénitence que la Providence m’impose.
Comme cette Troupe me paraît déjà lointaine et étrangère. Dieu m’aidera-t-il à
me détacher davantage pour que je l’aime – surtout dans ses membres – encore
plus.
Chambre vaste et spacieuse.
J’ai un peu peur du confort, et pourtant ne pas aimer richesse plus que
pauvreté dit Saint Ignace. Quelle joie si cela peut m’aider à merecueillir, à
accueillir d’autres, et d’abord frères et sœurs.
Sorti avec Philippe de P.
hier soir. Vu les amitiés particulières. Le jeune héros est bien
émouvant (m’a fait penser à certains moments à Xavier D.). J’ai un peu vécu cela (en imagination, car
j’étais dans dans un externat) avec Xavier C. et peut-être d’autres. Au fond,
une forme de l’amour, que les adultes ne comprennent pas, et qu’ils avilissent
en révélant aux enfants les dangers qu’ils courent. Azu fond, ils projettent
leur monde d’adultes dans le monde de l’adolescent. C’est grave. Et c’est surtout
injuste. Pourquoi le monde est-il dominé par les « adultes ».
Longue conversation en
revenant sur les quais. J’ai fait un peu avec lui le point de toute ma vie
présente, et de mes découvertes de cet été et de Carcassonne.
Il m’a appris qu’il pense à
une jeune fille. Rencontre dans plusieurs soirées depuis un an. Revu, et vu
sous un tout autre angle, samedi
dernier. Est-ce le bonheur qui se prépare pour lui ?
Reçu au courrier de ce soir,
une lettre de Michel. Il ne m’a pas paru très naturel. Un peu trop d’angélisme.
Mais c’est bien normal, alors qu’on est dans une si grande joie. Faire
cependant qu’il ne perde jamais « le lait de la tendresse humaine » [1].
De toutes façons, je dois faire confiance à la Providence, qui le
mènera où Dieu veut. Qu’il deviuenne chaque jour une image toujours plus nette
de la vie donnée qui l’anime et qu’il a découverte en lui et dans les autres.
Dimanche dernier, premier
contact avec Saint-Philippe du Roule. Bon sermon sur « la vérité ».
Mlundi, j’ai été me casser le nez aux Complies des Pères Dominicains. Avaient
déjà eu lieu. Récitation que je n’ai pu m’empêcher de trouver monotone, du
chapelet. Où sont les offices de Solesmes. Mais, tout n’est-il pas louange de
Dieu.
Lu le grand Meaulnes d’Alain-Fournier. Frappé par :
« Je leur enseignerais
à trouver le bonheur qui est tout près d’eux et qui n’en a pas l’air … » (on pourrait croire cela
extrait de la Sagesse).
« Ah ! Frère,
compagnon, voyageur, comme nous étions persuadés, tous deux, que le bonheur
était proche et qu’il allait suffire de se mettre en chemin pour
l’atteindre… »
* * *
Une des transformations les
plus profondes qui s’est opérée en moi depuis trois ans, et dont je n’ai pris
conscience qu’à Carcassonne, est que je crois au bonheur. Que je suis sûr que
le bonheur est possible, que je suis voué au bonheur, et que dès aujourd’hui je
suis heureux puisque je suis aimé de Dieu, et que je cherche Dieu, et que Dieu
veut mon bonheur, mon plein épanouissement, et aussi le bonheur de tous ceux
que j’aime, et aussi de tous ceux que je n’aime pas, parce que je rbefuse de
les connaître. J’ai la certitude que nous sommes faits pour le bonheur, que le
bonheur est possible. (Philippe me disait hier soir, que cette certitude était
assez rare à notre époque. Peut-être…)
J’ai pris conscience à
Carcassonne que les différentes jeunes filles que j’ai cru aimer parce qu’elles
avaient envahi ma pensée, et faisaient tressaillir mon coeur et mon corps,
n’ont été en fait que des passions
successives, des désirs inavoués pour de nombreuses raisons (voulues par la Providence). Que je
n’ai pas connu l’amour, car je n’ai pas encore aimé une jeune fille, sans
chercher la réciproque, sans vouloir la capter, sans vouloir la capturer,
exiger qu’elle se donne à moi, alors qu’au fond de moi-même je n’étais prêt
vraiment à me donner, à me déposséder.
Que l’absence survienne, et
le désir se calme. Ainsi en rest-il de Catherine C. Au fond, j’ai identifié
l’ennemi. Cela ne veut pas pour cela que j’ai vaincu. Au contraire. Mais je
suis victime : « je suis l’esclave de mes passions » (vg. désir
effréné de mon séjour à Saint-Tropez, aujourd’hui éteint). L’amlur se construit
patiemment. Certes au départ, il erst passionné. Mais au cours des années, il
doit devenir gracieux et gratuit.
J’ai aussi découvert, que si
Dieu veut que je me marie, et que je Le cherche, avec l’appui d’une femme, et
de mes enfants, je n’aurai pas trop de mal à trouver. Car au fond, beaucoup de
jeunes filles me plaisent infiniment, 10 ou plus, c’est beaucoup… (Evidemment,
je mets Viviane à part). Je suis très sensible au charme féminin. Mais je
cherche trop à posséder, et je m’enferme dans un cercle vicieux.
* * *
Pendant ces journées de
Carcassonne, j’ai vécu comme si ma vocation ne faisait aucun doute. Du moins,
c’est l’impression que j’ai eu avec un peu de recul. Et c’est peut-être ce qui
a sous-tendu ma joie, et la facilité avec laquelle j’ai pu contempler Dieu, et
Le trouver à presque tous les instants.
J’ai eu un long entretien
avec Maman samedi dfernier au sujet d’une vocation possible. Je ne sais – je ne
me rappelle plus comment a été amené cet entretien. En tout cas, ce qui est
nouveau depuis quelques mois, c’est que je parle de tout cela à Maman.
Peut-être Dieu prépare-t-il aussi le terrain autour de moi.
Et pourtant comme je suis
infidèle. Comme ma prière est irrégulière et bâcvlée depuis mon retour à Paris.
Du coup, la liturgie reprend un sens nouveau. Elle est un souitien
indispensable de la prière. Sans elle, et toutes les structures spirituelles,
que nous impose maternellement l’Eglise, combien nous sombrerions vite.
Je suis toujours incertain
de ma vocation. Tantôit, il me paraît tout à fait invraisemblable que Dieu
m’appelle, étant donné ma vie passée (qui peut être probante aussi bien pour
que contre), mes défaits, mon attirance vers les jeunes filles, la réaction de
Maman, mon incertitude elle-même, l’avis de Boyau [2],
tantôt au contraire, le seul de réaliser l’inanité de ces raisons, de
pressentir tout ce que ma vie aurait d’incomplet et de raté sans cet appel de
Dieu et ma répoonse définitive et positive, me fait croire que Dieu m’appelle.
Je suis en pleine
incertitude. Mais je sens de plus en plus qu’il va falloir que j’en sorte. Pas
encore tout de suite. (C’est ainsi que je n’envisage un séjour à Solesmes qu’avant
Noël, et non pas maintenant où j’en aurai pourtant le temps). Il n’est pas
l’heure de répondre. Mais je suis sur que lorsque cette heure sonnera, alors ma
réponse impliquera un appel, et que cet appel me fera entendre,
irrésistiblement, comme il s’est déjà fait entendre plusieurs fois dans ma vie,
sans que je puisse faire autre chose que d’écouter, puis de coruir éperdu, à la
trace de ce musicien tôt disparu.
J’attends, et pourtant le
désir de la vocation grandit en moi. Ce désir est-il bon ou mauvais. Peut-être
est-il bon, dans la mesure où c’est au fond le prélude à tout amour, même
divin.
N’importe, je vis parfois la
phrase de Merton «
car ce désir me torturait, par opposition au désespoir soudain qui faisait rage
au plus profond de mon cœur : je me trouvais tout à coup en face d’un
doute horrible, d’une question à laquelle je ne trouvais pas de réponse :
Ai-je réellement la vocation ? »
* * *
A vrai dire en ce moment,
seul compte la joie de connaître le Christ (et aussi le sommeil qui m’envahit).
Dans la longue lettre que
m’a écrite André [3], j’ai
été frappé par le fait qu’il remette en cause (au moins intellectuellement) sa
vocation, ou plutôt qu’il choisissait à nouveau, qu’il répondait à nouveau
oui. Cela ne devrait pas m’étonner. Mais lorsqu’on regarde quelqu’un vivre, si
intensément cela, on est un peu bouleversé et stupéfait.
Dans les quelques lignes que
m’a adressées Michel, j’ai relevé ces mots, qui montrent combien il progresse
vite, et combien sa vie spirituelle s’approfondit et s’eenrichit, grâce à Dieu.
(C’est exactement ce que dit Merton de l’humilité dans les chemins de la joie) :
« … car nous sommes
humbles de notre orgueil-même ».
* * *
Demain, je passe la journée
à Chasillé, avec André. Bien près de Solesmes. Une journée de grand air,
d’affection humaine. Que de richesses à découvrir. Faites, Seigneur, que je
vous cherche avant tout autre chose, avant tout autre être. Car Toi seul est
Dieu.
A l’avenir, prendre plus
souvent des notes, plus régulièrement, quand j’en ressens la nécessité. Ne pas
écrire, quand je n’en ai pas envie. Mais me forcer à écrire quand je sens qu’il
le faut. Sinon ce cahier qui doit m’aider à parcourir cette étape de transition
et de mutation, ne sert de rien. [4]
+ [5]
Seigneur, je t’offre mon
besoin de prier. Je t’offre mon manque de prière. Je t’offre, mon sommeil, mes
joies humaines, ces joies que tu as vécues, il y a 2000 ans, et que tu revis en
moi.
Seigneur, protège la
rencontre que je vais faire avec André demain.
Seigneur, que Ta volonté
soit faite. S’il te plaît de me rappeler dès demain ou dès ce ssoir à Gtoi, peu
importe. Que je T’aime. Que Tu me donnes la force de T’aimer, de ne jamais
détourner mon visage de Ta lumière. Donne-moi de respecter les autres, pour
respecter le plan que Tu as sur eux. Seigneur, j’ai confiance en Toi. Fais de
mon Ton fils.
[1] - Michel T. de P. va
prochainement entrer dans la
Compagnie de Jésus, noviciat à Saint Martin d’Ablois, en
Novembre 1965 – l ’expression est d’Alfred Fabre-Luce
[2] -
François Boyer-Chammard, Jésuis, aumônier des « terminales » à
Saint-Louis de Gonzague, demeuré mon « père spirituel » tout le début
des années 1960 de ma sortie du collège en Juillet 1960 à mon départ en
Mauritanie en Février 1965, pour y accomplir le service national
[3] -
André L. de deux ans mon aîné, ami de Franklin et de la troupe scoute 119-121ème
Paris, se fera franciscain et sera ordonné prêtre par Mgr. Renard, évêque de
Versailles. Je ne le revis plus ensuite et il est mort à je ne sais quelle date
depuis plusieurs décennies, ayant – ai-je cru comprendre – quitté sa
congrégation sinon même l’état de vie religieuse et sacerdotale. Comme celles
de Jean-Claude C. et de Michel T. de P. j’ai suvi par leurs confidenecs
fréquentes et selon notre intiumité mutuelle, le cheminement de leurs vocations
respectives, mais pas ce qu’il en advint ensuite
[4] -
premier journal tenu régulièrement et sur un cahier d’écolier, depuis le 30
Août précédent – manuscrit, alors que je me présente au concours d’entrée à
l’Ecole nationale d’administration, sans la « prep. ENA » alors
couramment suivie par les candidats, dont beaucoup de mes aînés d’un an ou deux
depuis Saint-Louis de Gonzague et les Jésuites
[5] - croix scoute
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