mardi 21 octobre 2014

journal intime d'il y a cinquante ans


                     Mercredi 21 Octobre 1964


En huit jours, bien des choses se sont passées.. J’aurais dû écrire plus tôt tout ce qui se presse dans ma tête et dans mon cœur. Mais à vrai dire, mes hésitations, mes doutes, mes joies, mes enthousiasmes se ressemblent, dans un si court laps de temps.

Réacclimatation difficile à Paris, les premiers jours. Impression favorable de la maison : organisation matérielle et situation affective. Impression d’oisiveté. Pour peu que je me laisse un peu aller, le « spleen », le dégoût, la grisaille m’envahissaient. Mais Dieu m’en protège. A quoi bon se laisser aller. Une vie se vit : mieux vaut pagayer dans le sens du courant, que de se laisser entraîner par lui. Car en pagayant, on domine le courant d’une certaine manière, puisqu’on le devance un peu.

Vu François de L. cet après-midi. C’est un peu une pénitence que la Providence m’impose. Comme cette Troupe me paraît déjà lointaine et étrangère. Dieu m’aidera-t-il à me détacher davantage pour que je l’aime – surtout dans ses membres – encore plus.

Chambre vaste et spacieuse. J’ai un peu peur du confort, et pourtant ne pas aimer richesse plus que pauvreté dit Saint Ignace. Quelle joie si cela peut m’aider à merecueillir, à accueillir d’autres, et d’abord frères et sœurs.

Sorti avec Philippe de P. hier soir. Vu les amitiés particulières. Le jeune héros est bien émouvant (m’a fait penser à certains moments à Xavier D.).  J’ai un peu vécu cela (en imagination, car j’étais dans dans un externat) avec Xavier C. et peut-être d’autres. Au fond, une forme de l’amour, que les adultes ne comprennent pas, et qu’ils avilissent en révélant aux enfants les dangers qu’ils courent. Azu fond, ils projettent leur monde d’adultes dans le monde de l’adolescent. C’est grave. Et c’est surtout injuste. Pourquoi le monde est-il dominé par les « adultes ».

Longue conversation en revenant sur les quais. J’ai fait un peu avec lui le point de toute ma vie présente, et de mes découvertes de cet été et de Carcassonne.

Il m’a appris qu’il pense à une jeune fille. Rencontre dans plusieurs soirées depuis un an. Revu, et vu sous un  tout autre angle, samedi dernier. Est-ce le bonheur qui se prépare pour lui ?

Reçu au courrier de ce soir, une lettre de Michel. Il ne m’a pas paru très naturel. Un peu trop d’angélisme. Mais c’est bien normal, alors qu’on est dans une si grande joie. Faire cependant qu’il ne perde jamais « le lait de la tendresse humaine » [1]. De toutes façons, je dois faire confiance à la Providence, qui le mènera où Dieu veut. Qu’il deviuenne chaque jour une image toujours plus nette de la vie donnée qui l’anime et qu’il a découverte en lui et dans les autres.

Dimanche dernier, premier contact avec Saint-Philippe du Roule. Bon sermon sur «  la vérité ». Mlundi, j’ai été me casser le nez aux Complies des Pères Dominicains. Avaient déjà eu lieu. Récitation que je n’ai pu m’empêcher de trouver monotone, du chapelet. Où sont les offices de Solesmes. Mais, tout n’est-il pas louange de Dieu.

Lu le grand Meaulnes d’Alain-Fournier. Frappé par : « Je leur enseignerais à trouver le bonheur qui est tout près d’eux et qui n’en a pas l’air … »  (on pourrait croire cela extrait de la Sagesse). «  Ah ! Frère, compagnon, voyageur, comme nous étions persuadés, tous deux, que le bonheur était proche et qu’il allait suffire de se mettre en chemin pour l’atteindre… »

* * *

Une des transformations les plus profondes qui s’est opérée en moi depuis trois ans, et dont je n’ai pris conscience qu’à Carcassonne, est que je crois au bonheur. Que je suis sûr que le bonheur est possible, que je suis voué au bonheur, et que dès aujourd’hui je suis heureux puisque je suis aimé de Dieu, et que je cherche Dieu, et que Dieu veut mon bonheur, mon plein épanouissement, et aussi le bonheur de tous ceux que j’aime, et aussi de tous ceux que je n’aime pas, parce que je rbefuse de les connaître. J’ai la certitude que nous sommes faits pour le bonheur, que le bonheur est possible. (Philippe me disait hier soir, que cette certitude était assez rare à notre époque. Peut-être…)

J’ai pris conscience à Carcassonne que les différentes jeunes filles que j’ai cru aimer parce qu’elles avaient envahi ma pensée, et faisaient tressaillir mon coeur et mon corps, n’ont été en fait que des  passions successives, des désirs inavoués pour de nombreuses raisons (voulues par la Providence). Que je n’ai pas connu l’amour, car je n’ai pas encore aimé une jeune fille, sans chercher la réciproque, sans vouloir la capter, sans vouloir la capturer, exiger qu’elle se donne à moi, alors qu’au fond de moi-même je n’étais prêt vraiment à me donner, à me déposséder.

Que l’absence survienne, et le désir se calme. Ainsi en rest-il de Catherine C. Au fond, j’ai identifié l’ennemi. Cela ne veut pas pour cela que j’ai vaincu. Au contraire. Mais je suis victime : « je suis l’esclave de mes passions » (vg. désir effréné de mon séjour à Saint-Tropez, aujourd’hui éteint). L’amlur se construit patiemment. Certes au départ, il erst passionné. Mais au cours des années, il doit devenir gracieux et gratuit.

J’ai aussi découvert, que si Dieu veut que je me marie, et que je Le cherche, avec l’appui d’une femme, et de mes enfants, je n’aurai pas trop de mal à trouver. Car au fond, beaucoup de jeunes filles me plaisent infiniment, 10 ou plus, c’est beaucoup… (Evidemment, je mets Viviane à part). Je suis très sensible au charme féminin. Mais je cherche trop à posséder, et je m’enferme dans un cercle vicieux.

* * *

Pendant ces journées de Carcassonne, j’ai vécu comme si ma vocation ne faisait aucun doute. Du moins, c’est l’impression que j’ai eu avec un peu de recul. Et c’est peut-être ce qui a sous-tendu ma joie, et la facilité avec laquelle j’ai pu contempler Dieu, et Le trouver à presque tous les instants.

J’ai eu un long entretien avec Maman samedi dfernier au sujet d’une vocation possible. Je ne sais – je ne me rappelle plus comment a été amené cet entretien. En tout cas, ce qui est nouveau depuis quelques mois, c’est que je parle de tout cela à Maman. Peut-être Dieu prépare-t-il aussi le terrain autour de moi.

Et pourtant comme je suis infidèle. Comme ma prière est irrégulière et bâcvlée depuis mon retour à Paris. Du coup, la liturgie reprend un sens nouveau. Elle est un souitien indispensable de la prière. Sans elle, et toutes les structures spirituelles, que nous impose maternellement l’Eglise, combien nous sombrerions vite.

Je suis toujours incertain de ma vocation. Tantôit, il me paraît tout à fait invraisemblable que Dieu m’appelle, étant donné ma vie passée (qui peut être probante aussi bien pour que contre), mes défaits, mon attirance vers les jeunes filles, la réaction de Maman, mon incertitude elle-même, l’avis de Boyau [2], tantôt au contraire, le seul de réaliser l’inanité de ces raisons, de pressentir tout ce que ma vie aurait d’incomplet et de raté sans cet appel de Dieu et ma répoonse définitive et positive, me fait croire que Dieu m’appelle.

Je suis en pleine incertitude. Mais je sens de plus en plus qu’il va falloir que j’en sorte. Pas encore tout de suite. (C’est ainsi que je n’envisage un séjour à Solesmes qu’avant Noël, et non pas maintenant où j’en aurai pourtant le temps). Il n’est pas l’heure de répondre. Mais je suis sur que lorsque cette heure sonnera, alors ma réponse impliquera un appel, et que cet appel me fera entendre, irrésistiblement, comme il s’est déjà fait entendre plusieurs fois dans ma vie, sans que je puisse faire autre chose que d’écouter, puis de coruir éperdu, à la trace de ce musicien tôt disparu.

J’attends, et pourtant le désir de la vocation grandit en moi. Ce désir est-il bon ou mauvais. Peut-être est-il bon, dans la mesure où c’est au fond le prélude à tout amour, même divin.

N’importe, je vis parfois la phrase de Merton «  car ce désir me torturait, par opposition au désespoir soudain qui faisait rage au plus profond de mon cœur : je me trouvais tout à coup en face d’un doute horrible, d’une question à laquelle je ne trouvais pas de réponse : Ai-je réellement la vocation ? »


* * *

A vrai dire en ce moment, seul compte la joie de connaître le Christ (et aussi le sommeil qui m’envahit).

Dans la longue lettre que m’a écrite André [3], j’ai été frappé par le fait qu’il remette en cause (au moins intellectuellement) sa vocation, ou plutôt qu’il choisissait à nouveau, qu’il répondait à nouveau oui. Cela ne devrait pas m’étonner. Mais lorsqu’on regarde quelqu’un vivre, si intensément cela, on est un peu bouleversé et stupéfait.

Dans les quelques lignes que m’a adressées Michel, j’ai relevé ces mots, qui montrent combien il progresse vite, et combien sa vie spirituelle s’approfondit et s’eenrichit, grâce à Dieu. (C’est exactement ce que dit Merton de l’humilité dans les chemins de la joie) : « … car nous sommes humbles de notre orgueil-même ».


* * *

Demain, je passe la journée à Chasillé, avec André. Bien près de Solesmes. Une journée de grand air, d’affection humaine. Que de richesses à découvrir. Faites, Seigneur, que je vous cherche avant tout autre chose, avant tout autre être. Car Toi seul est Dieu.

A l’avenir, prendre plus souvent des notes, plus régulièrement, quand j’en ressens la nécessité. Ne pas écrire, quand je n’en ai pas envie. Mais me forcer à écrire quand je sens qu’il le faut. Sinon ce cahier qui doit m’aider à parcourir cette étape de transition et de mutation, ne sert de rien. [4]

+ [5]

Seigneur, je t’offre mon besoin de prier. Je t’offre mon manque de prière. Je t’offre, mon sommeil, mes joies humaines, ces joies que tu as vécues, il y a 2000 ans, et que tu revis en moi.
Seigneur, protège la rencontre que je vais faire avec André demain.

Seigneur, que Ta volonté soit faite. S’il te plaît de me rappeler dès demain ou dès ce ssoir à Gtoi, peu importe. Que je T’aime. Que Tu me donnes la force de T’aimer, de ne jamais détourner mon visage de Ta lumière. Donne-moi de respecter les autres, pour respecter le plan que Tu as sur eux. Seigneur, j’ai confiance en Toi. Fais de mon Ton fils.



[1] - Michel T. de P. va prochainement entrer dans la Compagnie de Jésus, noviciat à Saint Martin d’Ablois, en Novembre 1965 – l ’expression est d’Alfred Fabre-Luce
[2] - François Boyer-Chammard, Jésuis, aumônier des « terminales » à Saint-Louis de Gonzague, demeuré mon « père spirituel » tout le début des années 1960 de ma sortie du collège en Juillet 1960 à mon départ en Mauritanie en Février 1965, pour y accomplir le service national
[3] - André L. de deux ans mon aîné, ami de Franklin et de la troupe scoute 119-121ème Paris, se fera franciscain et sera ordonné prêtre par Mgr. Renard, évêque de Versailles. Je ne le revis plus ensuite et il est mort à je ne sais quelle date depuis plusieurs décennies, ayant – ai-je cru comprendre – quitté sa congrégation sinon même l’état de vie religieuse et sacerdotale. Comme celles de Jean-Claude C. et de Michel T. de P. j’ai suvi par leurs confidenecs fréquentes et selon notre intiumité mutuelle, le cheminement de leurs vocations respectives, mais pas ce qu’il en advint ensuite

[4] - premier journal tenu régulièrement et sur un cahier d’écolier, depuis le 30 Août précédent – manuscrit, alors que je me présente au concours d’entrée à l’Ecole nationale d’administration, sans la « prep. ENA » alors couramment suivie par les candidats, dont beaucoup de mes aînés d’un an ou deux depuis Saint-Louis de Gonzague et les Jésuites

[5] - croix scoute

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