samedi 25 octobre 2014

journal d'il y a cinquante ans


   Lundi 26 Octobre 1964



Que de beauté aujourd’hui. Photos des « petites » à midi, dans les feuillages verts et rouges du parc Monceau [1]. Cet après-midi, retour de la gare de Lyon par les quais. Notre-Dame vue par le chevet, une dentelle de peupliers aux feuilles jaunes et dorées. Le quai couvert de lierre rouge et orange. Vision fugitive d’harmonie. Le Faubourg Saint-Honoré, vivant appel à la « vie » au plaisir. Les femmes désirables. Les devantures. Une note sympathique, visible de la rue : le portrait géant du Président Kennedy dans le hall de l’ambassade américaine.

Cet après-midi, j’étais si heureux que j’avais l’impression de vivre pour la première fois. Tous ces temps-ci, j’ai l’impression que la vie ne fait que commencer, que je ne sais rien de l’existence. Oui, tout est neuf. Puisque je vis de plus en plus sous le regard de Dieu, en tenant compte de plus en plus de la seule réalité : le Dieu d’amour et de vérité, le Dieu personne. Sur les quais, j’ai eu envie d’écrire à Christian, à André. Leur dire ma joie, mon bonheur, notre bonheur d’hommes sauvés. Dire à Christian à propos de son devoir sur le sens de l’histoire, que l’histoire n’a qu’un sens : la Parousie, que c’est fondamental, et que cette vision de l’histoire du monde, et de notre histoire personelle est la condition de notre bonheur. Cantonner Dieu au secteur religieux ou scout, sans le faire entrer dans notre intelligence, c’est le refuser, et le perdre de vue à brève échéance.

Halte à Notre-Dame. Messe et communion à Saint-Philippe. Comme hier – presque toute la journée – eu la certitude calme et globale de ma vocation. Inutile de couper les cheveux en quatre, de m’accabler de scrupules, de préalables et de questions. Je suis comme le chien qu’on tient en laisse. Il tire sur sa laisse voulant aller dans telle direction. Sitôt détaché, il file d’un trait vers le but qu’il s’est proposé. Ainsi, je filerai dès que le temps sera venu – et il est proche, je crois – et je filerai vers Dieu, et par la voie qu’Il a choisie pour moi : la vie religieuse, le sacerdoce. Pourquoi Dieu aurait-Il maintenu en moi ce désir ? si longtemps ? malgré les haltes de Manrèse, de l’analyse d’écriture, malgré le départ de la Troupe. Au contraire, tout renforce en moi cette idée : cette période de halte intellectuelle en attendant mes résultats de l’ENA, ces confidences de Michel, cette journée passée avec André.

Certes, il se posera – en son temps, mais j’ai confiance – le problème de mon orientation précise : le séculier, la Compagnie de Jésus, les Bénédictins.

Vivons au jour le jour. Ces jours sont si beaux. Merci mon Dieu de ce jour d’existence.


[1] - mes sœurs les plus jeunes,  respectivement nées en 1952 et 1954 – l’appartement où nous venons d’emménager en famille (encore huit plus nos deux parents) est à l’angle de l’avenue Hoche et de la rue de Courcelles, à Paris

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