Lundi 26 Octobre 1964
Que de beauté aujourd’hui.
Photos des « petites » à midi, dans les feuillages verts et rouges du
parc Monceau [1]. Cet
après-midi, retour de la gare de Lyon par les quais. Notre-Dame vue par le
chevet, une dentelle de peupliers aux feuilles jaunes et dorées. Le quai
couvert de lierre rouge et orange. Vision fugitive d’harmonie. Le Faubourg
Saint-Honoré, vivant appel à la « vie » au plaisir. Les femmes
désirables. Les devantures. Une note sympathique, visible de la rue : le
portrait géant du Président Kennedy dans le hall de l’ambassade américaine.
Cet après-midi, j’étais si
heureux que j’avais l’impression de vivre pour la première fois. Tous ces
temps-ci, j’ai l’impression que la vie ne fait que commencer, que je ne sais
rien de l’existence. Oui, tout est neuf. Puisque je vis de plus en plus sous le
regard de Dieu, en tenant compte de plus en plus de la seule réalité : le
Dieu d’amour et de vérité, le Dieu personne. Sur les quais, j’ai eu envie
d’écrire à Christian, à André. Leur dire ma joie, mon bonheur, notre bonheur
d’hommes sauvés. Dire à Christian à propos de son devoir sur le sens de
l’histoire, que l’histoire n’a qu’un sens : la Parousie, que c’est
fondamental, et que cette vision de l’histoire du monde, et de notre histoire
personelle est la condition de notre bonheur. Cantonner Dieu au secteur
religieux ou scout, sans le faire entrer dans notre intelligence, c’est le
refuser, et le perdre de vue à brève échéance.
Halte à Notre-Dame. Messe et
communion à Saint-Philippe. Comme hier – presque toute la journée – eu la
certitude calme et globale de ma vocation. Inutile de couper les cheveux en
quatre, de m’accabler de scrupules, de préalables et de questions. Je suis
comme le chien qu’on tient en laisse. Il tire sur sa laisse voulant aller dans
telle direction. Sitôt détaché, il file d’un trait vers le but qu’il s’est
proposé. Ainsi, je filerai dès que le temps sera venu – et il est proche, je
crois – et je filerai vers Dieu, et par la voie qu’Il a choisie pour moi :
la vie religieuse, le sacerdoce. Pourquoi Dieu aurait-Il maintenu en moi ce
désir ? si longtemps ? malgré les haltes de Manrèse, de l’analyse
d’écriture, malgré le départ de la Troupe.
Au contraire, tout renforce en moi cette idée : cette
période de halte intellectuelle en attendant mes résultats de l’ENA, ces
confidences de Michel, cette journée passée avec André.
Certes, il se posera – en
son temps, mais j’ai confiance – le problème de mon orientation précise :
le séculier, la Compagnie
de Jésus, les Bénédictins.
Vivons au jour le jour. Ces jours sont si
beaux. Merci mon Dieu de ce jour d’existence.
[1] - mes
sœurs les plus jeunes, respectivement
nées en 1952 et 1954 – l’appartement où nous venons d’emménager en famille
(encore huit plus nos deux parents) est à l’angle de l’avenue Hoche et de la
rue de Courcelles, à Paris
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