Vendredi 9
Octobre 1964
Seigneur, il est des moments
où j’ai froid – Aujourd’hui, il fait froid. Il est des moments où même le gris
et le nopir s’estompent, disparaissent, où la messe est moins facile à suivre,
où la joie de Te recevoir Jésus-Hostie est moins envahissante, où les dialogues
paraissent possessifs. Il est des moments où j’ai froid. Il est des moments où
je doute.
Oui, je doute que tu
m’appelles au bonheur. Tout me pousse au sacerdoce, à une vie qui te serait
consacrée, où je te porterai chaque instant en moi – où chaque matin, tu
viendrai sur l’autel entre mes doigts d’homme – où chaque jour je raconterai
aux autres ta vie d’homme – où je te porterai aux autres, où je témoignerai de
la joie que tu me donnes, où je dirai la certitude que tu m’accordes, où je
crierai l’espérance dont tu me combles.
Peut-être, Seigneur, m’as-tu
rendu éloquent en me rendant présent à ce que je dis – en me faisant convaincu
de ce que j’avance. Mais je ne peux être éloquent maintenant qu’en parlant de
Toi, car je ne suis présent qu’à Toi, car je ne suis convaincu que de Toi.
Peut-être, Seigneur, m’as-tu
rendu séduisant parce que je sens que les seules choses qui comptent, sont la
vie et le bonheur, et que les autres, et tous les hommes cherchent le bonheur.
Mais, Seigneur, la vie et le bonheur, c’est toi. Tu me l’as trop dit. Tu me
l’as trop prouvé. Tu me l’as trop fait comprendre, pour que je l’oublie.
Seigneur, je suis hésitant,
timide, gauche, vulérable au charme de n’importe quelle jeune fille, ouvert à
toute chevelure un peu ample, à tout regard profond et charmant, à tout être
féminin. Seigneur, je suis incertain de l’avenir. Je me défie de moi-même, de
ce moi prêt à tout envahier, à écraser les autres, à s’écraser lui-même. De ce
moi, qui me fait T’oublier.
Le désir du sacerdoce est
mon plus profond désir. Tout me porte à croire que j’ai la vocation :
goûts, sentiments, dons et aptitudes. Tout m’y pousse, je m’y sens porté par
tout. Je sens que ma vie n’a que ce sens. Je ne peux plus envisager rien d’autre.
En parlant, cet après-midi de la diplomatie, et de mes projets d’avenir
officiels, je n’arrivais même plus à les défendre.
Et pourtant, m’appelles-tu à
Te suivre ? M’appelels-tu au sacerdoce, à la vie parfaite, à la vie perdue
en Toi, et donnée aux autres ? je le désire de tout mon être. Mais est-ce
ta volonté ?
N’est-ce pas pour moi une
voie de facilité ? N’est-ce pas le contraire du renoncement . Le sacerdoce
est-il pour moi une croix ? Ne
dois-je pas me sacrifier et renoncer au sacerdoce ?
Mais, Seigneur, en posant la
question de cette façon, je vois que c’est absurde. Il est forcé que ce que Tu
me demandes, me paraisse agréable, que le désir de Te voir, m’envahisse. Dire
qu’il faut renoncer au sacerdoce, parce que c’est mon plus grand désir, conduirait
aussi à me demander de Te renier, de renoncer à jamais Te voir, à jamais Te
comprendre, au prétexte que c’est là mon but, ma fin, et qu’il moticve mon
désir.
Que le sacerdoce me réserve
des croix, qu’il soit la croix, qu’il implique des abandons (d’affection, de la
chair, des richesses matérielles), c’est certain. Je ne peux que le savoir
intellectuellement, ne le vivant pas. Il evst normal, qu’il m’apparaisse
d’abord comme une joie, puisqu’il me semble la voie la plus propre à me faore
devenir ce que je suis dans le plan de Dieu, la voie dans laquelle je serai
moi-même corps et âme. Mais cette véritable personnalité, ce véritable moi-même
est-il voulu par Dieu ou par moi.
Il serait impensable que
Dieu ait placé en moi un désir ardent du sacerdoce, la certitude que le
sacerdoce est la plus belle cause qui soit, et que c’est pour moi, la
réalisation de ma vie, si tout cela ne devait pas déboucher sur le sacerdoce.
Dieu ne peut me tromper. Je pense depuis trop longtemps au sacerdoce pour que
ce soit une illusion.
J’ai l’impression de plus en
plus nette, qu’il va falloir bientôt que je prenne une décision. Je ne peux
plus rester dans l’incertitude. Comme je l’ai toujours été. Il me faut
1° savoir si Dieu m’appelle au sacerdoce,
oui ou non
2° savoir si je peux répondre ou non à cet
appel (la seconde question ne fait pas de doite. Si je suis sûr de ma vocation,
je bondis à cet appel, je cours à la rencontre de Dieu).
3° dans l’hypothèse que sincèrement je
crois la bonne) où j’ai la vocation, il me faudra savoir où exactement , je
dois la remplir : Bénédictins, Jésuites, séculier et tout autre chose,
tout autre ordre où Dieu me ferait signe d’aller.
Seigneur, je crois vouloir
être disponible. Seigneur, si le sacerdoce signifiait facilité et renoncement à
ton Amour, sois sûr que je ne choisirai pas le sacerdoce.
Seigneur, sincèrement, je
désire être à ton service. Je crois discerner ton appel
– dans mon histoire (surtout
des 3 dernières années)
– dans mes goûts et mes
aptitudes
– dans tout ce que tu fais
pour moi
– dans ma joie
– dans mon doute.
Car ce soir, je doutai. Et
je n’ai pas pu justifier mon doute. Devant Toi, il n’est que bonheur et vérité.
Devant Toi, je ne peux douter.
Ce qui me fait douter que j’ai la vocation
– ce serait la voie de la facilité
c’est un argument que je n’arrive pas à
bien développer. Je pressens que le sacerdoce pourrait développer à l’excès
mon caractère dominateur, possessif, mon caractère hautain, le fait que je suis
sûr de moi.
– l’histoire de ma vie
les nombreuses filles que j’ai pu
rencontrer et combien à chaque fois
(mais de moins en moins), je suis porté à envisager l’avenir avec celle :
Laetitia, Catherine M., Christine P., Brigitte P., VIVIANE
le fait que je n’ai jamais eu de certitude
absolue de ma vocation, ou qu’elle a été détruite (analyse d’écriture) ou que
je l’ai oubliée (1ère année de Sciences Po., Viviane)
le fait que l’idée du sacerdoce a été
ranimée à chaque fois en moi par les confidences d’un ami : Jean-Claude 6ème,
André 4ème 3ème, Michel Th. 1962 1964 (20 Septembre)
– la force de mon désir
Ce qui me fait croire que j’ai la vocation
– désir du sacerdoce, désir de la vocation, sentiment que c’est la
seule chose qui me rendra heureux, sentiment que je suis fait pour cela, que
tout m’y mène
– la Troupe
.
– le fait que je suis en pleine paix et joie, quand je suis
certain de ma vocation, que je sois en plein doute, grisaille, désespoir quand
je doute de ma vocation
– la permanence de l’appel et du désir. 7ème (après un
cours du Père Lamande, je lui confie mon secret sur le perron du Petit Collège)
autant que je puisse m’en rappeler, l’idée ne m’abandonne jamais tout à fait.
Le problème reste posé depuis 12 ans.
– l’histoire de ma vie, événement de Mars 62 qui me coupe de
Sciences Po., le fait que je ne peux être aimé de Viviane, l’illumination de
Pâques 63
– Solesmes
Impression que ma vie a été
jusqu’à présent une longue préface à la vraie, que l’heure de la décision
approche, mais que Dieu l’a mûrement préparée
– m’empêchant de prendre des décisions
trop hâtives : Manrèse Juin 63, analyse d’écriture Mai 64, Boyau
– me faisant voir d’autres vies
possibles : Sciences Po (et le succès de l’AP et des débuts de 2ème
année), Viviane
–
me montrant les renoncements nécessaires : la chair, l’argent, la
nécessité de renoncer aux choses spirituelles
– me donnant des structures spirituelles
et une vision du monde : la
Troupe
– m’amenant à contempler Son visage :
Thomas Merton, Solesmes.
– me donnant des modèles, des exemples de
vocation que je vois se développer de l’intérieur : André, Michel
–
créant un certain climat à la maison, allusion que je peux faire à Maman
(avant Manrèse 63, été 1963, été 1964), compréhension de Marie-Charlotte.
Seigneur, merci de m’avoir aidé à faire le
point ce soir.
Merci même quand je ne te sens pas près de moi.
Merci même quand je ne te sens pas près de moi.
Merci du désert, après la consolation.
Merci de la joie plus tranquille, qui est
la mienne en ce moment.
Merci de la confession de lundi.
Merci de ces découvertes, d’Eric
Durand-Roger, des jeunes filles de ces jours-ci, les Cyr par exemple [1],
surtout Brigitte.
Merci de la tendresse que j’essaie de
témoigner à Tipère [2].
Pardon de n’avoir pas témoigné plus
d’affection à Maman, au téléphone jeudi matin.
Pardon de ne penser qu’à moi, et de
souhaiter rester à Carcassonne.
Pardon de ne pas Te faire fête quand je Te
reçois.
Pardon de mépriser un peu les autres, de me sentir supérieur à eux.
Pardon de mépriser un peu les autres, de me sentir supérieur à eux.
Pardon, Seigneur, de ne pas T’aimer assez.
Pardon de ne pas aimer Ta mère comme Tu
l’as aimée.
Pardon de ne pas prier assez pour les autres.
Pardon de douter de Toi, de te harceler de
questions sur ma vocation., au lieu de répondre à Ton amour, de recevoir Ton
présent, et de vivre au Présent.
Pardon, Seigneur, de ne pas pleurer au
pied de Ta croix.
Pardon de te dire Merci, comme le pharisien.
Merci de te dire pardon comme le
publicain.
Comme l’autre soir, en silence, je ne peux
que Te dire, tout éperdu,
JE T’AIME.
[1] - Sire, Brigitte et
Bernadette, si différentes l’une de l’autre, la cadette et l’aînée
[2] - mon grand-père
maternel : 1880.1979, retiré à Carcassonne depuis 1962, auprès de l’aîné
de ses filles, mariée là-bas, et chez qui je viens – à cette époque – souvent
me ressourcer par un mélange d’éloignement et de chaleur non dite, mais vécue
en silence
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