mardi 14 octobre 2014

journal d'il y a cinquante ans



Mercredi 14 Octobre 1964


Demain soir, je quitte Carcassonne pour Paris. Quand y reviendrai-je ?
 Plus que jamais, demain est imprévisible. Concours, scoutisme, jeunes filles, vocation, vie familiale, tout cela évolue, se modifie, pour former quel ensemble, pour donner quel visage, quelle orientation ? Et pourtant, je suis le sculpteur de cette statue. Mais qui dirige mon cœur, qui dévier les coups dans tel ou tel sens, qui rend la pierre plus malléable à certains endroits et moins à d’autres, qui m’encourage et m’exalte, pour me retenir ensuite, avant de me relier ? Je le sais, et ‘cest mon espérance que cette connaissance, que cette certitude que Dieu trace le sentier devant moi.

Je laisse Catherine à Carcassonne. Combien de jeunes filles m’ont ému depuis quatre ou cinq ans. A chaque fois, j’ai eu l’impression de quelque chose de définitif. Mais à chaque fois, aussi j’ai de plus en plus senti que c’était un peu faux, que l’avenir n’était pas là.
Trop longtemps, j’ai confondu la passion avec l’amour. La passion est immédiate, et facile. L’amour se construit lentement et patiemment. Il est donné d’un coup, mais ce coup résonne dans toute la vie, et il faut toute une vie pour l’entendre.
Jusqu’à présent, et c’est normal vu mon âge et mon tempérament, j’ai surtout été passionné. Passions successives, sans aucun résultat concret évidemment, car la pudeur, et le sens de la réalité et des réalités, m’ont retenu. Passion éteintes par l’absence, par une conscience plus nette. Avivées par la jalousie, l’imagination. Rien de bien beau dans tout cela, contrairement à ce que j’ai cru, et à ce que je crois bien souvent.

A regarder du point de vue de ces jeunes filles, j’ai dû être un affreux gourmand, un type qui déçoit, et surtout un type qu’on ignore ou presque. Au fond, j’attendais que la jeune fille du moment se donne toute à moi, mais étais-je prêt à en faire autant. Je crois que je ne l’ai jamais vraiment été. D’abord par manque de maturité, et équilibre, par jeunesse excessive, mais aussi par égoisme.

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Désirs contradictoires du mariage, de présence féminine, d’enfants, et d’autre part de la vocation, du service de Dieu. Contradictoires peut-être parce que ce sont des désirs, que ce sont des passions.
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Sentiment que l’idée de vocation ne m’abandonnera jamais, que le désir d’une vie plus parfaite dès ici-bas ne s’éteindra pas en moi, que je ne serai pas unifié dans le mariage, car ce désir restera en moi. Mais ai-je le courage de choisir nettement. A vrai dire, non. Cesser d’être double. N’être qu’un. Quand y arriverai-je. Quand sonnera l’heure de Dieu. L’entendrai-je ? oui, si je reste vigilant et docile.
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Merci Seigneur de ce séjour à Carcassonne
Merci des joies pures et des joies moins pures.
Merci du sourire et des yeux de Catherine
Merci du coin de paysage se déroulant comme une grise bande dans les vignes, il y a huit jours.
Merci des lectures que tu m’as inspirées.
Merci de l’accueil reçu, des personnes que tu m’as fait deviner.
Merci de ta paix, merci de ton cxalme
Merci de m’avoir fait « jubiler à l’ombre de tes ailes »

Pardon de n’avoir pensé qu’à mon confort.
Pardon de mon désir de possession des choses.
Pardon de certaines de mes attitudes envers Catherine, envers Marie-François.
Pardon des critiques.

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Marie-Françoise m’a appris qu’un garçon de 22-23 ans, ayant fini son service militaire, s’intéresse beaucoup à Catherine. Me l’a montré sur des photos de sa soirée, ce qui m’a rappelé certaines pages de Maurois sur la déception causée par le rival, déception qui est la pire de toutes. Nous avons bavardé quelques instants sur le charme de Catherine, et aussi sur le fait que de toutes façons, elle manque encore de maturité, encore deux ou trois ans. Que serait-je, où serai-je dans deux ou trois ans. Peut-être mort ? Peut-être au séminaire, ou bien finacé ou marié, ou bien –

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Seigneur, augmente ma Foi,
augmente mon Amour.

Fais que mon cœur déborde de Toi, que je Te vois dans tous les autres, que je Te désire dans les êtres que j’aime, que je comprenne ton action dans ma vie quotidienne.

Seigneur, fais de moi un instrument de Ta volonté. Seigneur, je suis sans forces, pauvre, ne pouvant rien par moi-même. Inquiet. Hésitant. Anxieux. ? Je parade, j’ai l’air sûr de moi, je désire les êtres et les choses, j’admire éperdûment ta création, et je T’oublie trop souvent.
Seigneur, Tu me connais.
Tu m’aimes. Tu m’as choisi de toute éternité. Prends-moi en mains, car sans Toi, je ne sais où aller. J’ai tout misé sur Toi. Seigneur, j’ai confiance, je veux T’aimer.

. . . En me couchant et en feuilletant pour la dernière fois Les chemins de la joie et les  semences de contemplation, je repense que le fait que Marie-Françoise m’ait dit que je n’étais pas le seul à avoir un œil sur Catherine, est bénéfique. Les choses sont placées sur un terrain concret, et non pas imaginaire. Je ne suis pas seul sur terre. Catherine n’est pas « pour moi ». Cela va aider à mon détachement, à l’abandon de ma passion, à la mort de cette passion (ou à sa métamorphose en un amour si Dieu veut… ce qui me paraît peu probable, bien que désirable pour l’instant où je suis encore aveuglé par la pssion, affolé par le désir, l’imagination, la vision d’yeux magnifiques, par un charme apaisant, indéfinissable, équilibrant, et pourtant corrompu par mon égoisme).

Seigneur, protège-moi cette nuit, et tous les jours de ma vie. Accorde le bonheur à Catherine, et à toutes les jeunes filles auxquelles j’ai pensé un soir, ou plusieurs jours, ou plusieurs années. Protège tous les miens. Protège chacun des garçons dont tu m’avais confié la garde pendant les trois ans de Troupe.

Un passage de Semences de contemplation p. 160 m’a frappé, qui semblait écrit à mon intention.
« Gardez-vous donc de considérer que, sous prétexte que vous avez de la sympathie pour certains et que vous êtes naturellement enclin à les choisir comme amis et à partager avec eux vos intérêts naturels, ils sont, eux aussi, appelés à être des contemplatifs, et que vous devez leur apprendre à tous comment y arriver. Ils peuvent y être aptes ou ne pas l’être. Peut-être y a-t-il une forte probabilité qu’ils le soient, mais, s’ils le sont, contentez-vous de laisser Dieu pourvoir à ce que cette aptitude se développe en eux. Soyez heureux, s’Il se sert de vous comme d’une occasion ou d’un instrument, mais prenez garde de vous mettre sur Son chemin, avec votre inné de rotarien pour la camaraderie. »  . . .

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