Mercredi 28
Octobre 1964 22 h 30
Ce soir, scène de Vincent à
table. Pour ne pas changer. D’où scène de Hugues. Le climat devient alors
insupportable. Maman est de plus en plus vulnérable aux scènes ou à ce que
demande Marie-Charlotte et s’effondre, trop souvent. Que c’est triste et
inquiétant. Et pourtant que d’admiration j’ai pour elle. A sa place, je
n’aurais plus d’espoir ou d’espérance. Elle ne croit pas encore beaucoup. Ses
enfants la blessent, et la quitteront. Elle se tue de fatigue. Et les
retrouvailles avec Papa sont encore éloignées, malgré un « modus
vivendi » croissant [1].
Et pourtant, elle tient le coup. Grâce à vous, mon Dieu.
Je crois que mon entrée dans
un ordre religieux lui causerait un coup terrible. Elle y est résolument opposée.
Est-ce signe de Ta volonté, Seigneur ?
Le positif de ces derniers
mois, est que j’ai pu lui en parler de façon détendue, et lui faire envisager –
malgré elle – cette possibilité.
*
*
*
Mon projet de week-end à la Toussaint est battu en
brèche. Christian est au lit : 40° de fièvre. Philippe a un rallye
(Genlis). Au fond, Seigneur, tu veux me montrer par là, que je ne puis bâtir ma
vie – même à court terme – sans Toi, que je suis plus attentif à mes projets
plutôt qu’à Ton projet.
Ma vocation est-elle un
projet que tu réduiras en miettes, quand tu le jugeras bon, ou plutôt qui
s’écroulera de lui-même. Ou bien est-ce Ton plan sur moi ?
J’ai découvert cet
après-midi (en écoutant cette si merveilleuse et apaisante VIII° symphonie de
Beethoven), le Ps II de Robert Brasillach, écrit à Fresnes, le 30 Octobre 1944.
Dans deux jours, il y aura vingt ans… Je voudrais apprendre ce texte par cœur,
le faire découvrir à d’autres.
*
*
*
J’ai l’impression que la
forêt de Compiègne, revêt ses plus belles robes pour me plaire, et que je ne
peux manquer le rendez-vous qu’elle m’assigne. Désir !
Robert Brasillach [2]. Poèmes de Fresnes
« Vous avez fait le ciel pour vous-même, Seigneur.
Et la terre d’ici pour les enfants des
hommes,
Et nous ne savons pas de plus réels
bonheurs
Que les bonheurs cernés par le monde où
nous sommes.
Nous voulons bien un jour célébrer vos
louanges,
Et nous unir aux chants de vos
désincarnés,
Mais vos enfants, Seigneur, ils ne sont
pas des anges,
Et c’est aux cœurs d’en bas que leur cœur
est lié.
Pardonnez-nous, Seigneur, de ne pas oser
croire
Que le bonheur pour nous ait une autre
couleur
Que la joie de la source où nos bouches
vont boire
Et du feu où nos mains recueillent la
chaleur.
Pardonnez-nous, Seigneur, dans nos
prisons capitves
De songer avant tout aux vieux trésorss
humains,
Et de nous retourner toujours vers
l’autre rive,
Et d’appeler hier plus encor que demain.
Pardonnez-nous, Seigneur, si nos âmes
charnelles
Ne veulent pas quitter leur compagnon le
corps,
Et si je ne puis, ô tertre fraternelle,
Goûter de l’avenir une autre forme encor.
Car les enfants pressés contre notre joue
d’homme,
Les êtres qu’ont aimés nos cœurs
d’adolescents
Demeurent à jamais, devant ceux que nous
sommes,
L’espoir et le regret les plus éblouissants.
Et nous ne pourrions pas, pétris de cette
terre,
Rêver à quelque joie où ne nous
suivraient pas,
La peine et le plaisir, la nuit et la
lumière
Qui brillaient sur le sol où marquèrent
nos pas. »
30 Octobre 1964
[1] -
c’est sans doute le drame familial pour les deux générations : mes parents
et nous, leurs enfants. Pour des raisons que nous n’avons jalais cherché à
élucider et depuis des dates que nous ne savons pas non plus, que ne savait pas
ma mère et sans que l’un quelconque d’entre nous ait jamais interrogé notre
père, celui-ci s’est avéré au début de 1962 un joueur avéré, ayant perdu sa
situation – qui était importante dans les réassurances sur la vie – puis en
ayant retrouvé une autre, à émoluments égaux, permettant de rembourser ce que
diverses liquidations immobilières de nos grands parents des deux côtés
maternel et paternel n’avaient pas épongé. Les choses redevenues viables, mon
père « rechuta » et la séparation de corps se confirma, ma mère
tâchant de sauveharder ses meubles et de quoi subvenir à nos besoins et à des
apparences qui restèrent convenables. Mais un manque profond s’instalal, une
division aussi entre entre nous, les enfants, sur l’attitude à avoir vis-à-vis
de chacun de nos parents. Suivant nos âges, alors, nous fûmes plus ou moins
profondément perturbés, au moins trois de nos projets de mariage en furent
affectés.
[2] -
Robert Brasillach, défendu par M° Jacques Isorni (qui y gagna d’être l’un des
avocats du Maréchal Pétain si mois plus tard), et fusillé en Février 1945 –
pour ses écrits, et notamment des articles anti-sémites publiés sous
l’Occupation par Je suis partout …
demeure un « auteur maudit », alors Céline et Pierre Drieu La Rochelle ont les honneurs
de la Pleiade. J’ai tenté à plusieurs reprises
d’acquérir une collection de l’hebdomadaire dit d’extrême droite, sans succès.
Je veux me rendre compte par moi-même de ces articles. C’est ma mère qui me le
donna à lire : d’abord Comme le temps passe… puis
ces Poèmes
de Fresnes, en attente de la condamnation à mort et de son exécution,
en compagnie de Chénier… François Mauriac intervint en sa faveur auprès du
général de Gaulle. Il semble que le président du Gouvernement provisoire ne
revint sur sa promesse faite au grand écrivain qu’en voyant dans le dossier une
photo de Brasillach, en uniforme allemand. Gaston Paleswski, directeur de son
cabinet, y avait glissé une photo de Jacques Doriot, la ressembance pouvait
tromper… et trompa. Edgard Pisani,
ajoint du préfet de police Luizet, accueillit à la Libération sa reddition
afin que ne soit pas inquiétée sa mère et tenta de le faire fuir. En vain.
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