lundi 6 avril 2015

journal d'il y a cinquante ans

09 heures                                                 Dimanche de la Passion . 4 Avril


Que ma prière monte jusqu’à toi,
comme s’élève l’encens
et mes mains comme l’offrande du soir.

Vers toi, l’élan de mon âme.

De mon cœur a jailli un beau poème,
c’est toute ma vie que j’offre au Roi.


18 heures 30

Ce matin, plage avec les Ballèvre. Assis devant la mer, dans son bruit continuel, jai pensé que passer quinze jours d’affilée serait la vraie liberté. Qu’au fond, la liberté, je l’avais goûtée de façon merveilleuse à la Troupe. « Magnificat anima mea Dominum » …

Je viens de le lire après ma sieste, et maintenant le disque le répète. Que ma vie ne soit que ce chant d’amour, de reconnaissance, d’espérance. Cette effusion de moi-même dans l’Etre aimé par-dessus tout, et à travers tout être. Et devant la mer très bleue, sous le ciel clair, rongeant de son écume la dune trop blanche, j’ai pensé à ces camps passés, à ma petite tente orange éclairée par une bougie le soir, au camp silencieux, à ces garçons que je connaissais chacun individuellement et qui me reconnaissent comme chef et gardien, qui m’aimaient comme chef. Et c’était toute ma liberté que de leur faire goûter la vraie liberté. Dieu dira si à travers moi, Il a pu faire ce qu’Il voulait.

Et ce matin, un passage de Saint-Ex. m’a parlé au cœur. « Ainsi, vais-je le soir à pas lents parmi mon peuple et l’enfermant dans le silence de mon amour. Inquiet de ceux-là seuls qui brûlent d’une vraie lumière, poète plein de l’amour des poèmes, mais qui n’écrit point le soir, femme amoureuse de l’amour mais qui, ne sachant choisir, ne peut devenir, tous pleins d’angoisse, sachant que je les guérirais de cette angoisse si je leur permettais ce don qui exige sacrifice et choix et oubli de l’univers. »        Citadelle p. 55       Dieu se promenant au milieu de sa création. Le silence. Son silence : la plus belle phrase de son amour. Silence du Christ sur la Croix. Silence : de la Croix à Emmaüs.

A déjeuner, Jean-Marie insistait sur la simplicité, l’acceptation. Accepter l’autre tel qu’il est, et l’autre qui n’attend de nous que d’être simplement nous-mêmes. Ne pas chercher à être influent, à avoir de l’influence. Le bonheur souvent, sans qu’on le construise. Je lui avais parlé, ainsi qu’à madame Ballèvre, des fiançailles de Marie-Charlotte.

Et cependant, le comportement de Jean-Marie me faisait penser à telle phrase de Gide. Car, sa femme arrive-t-elle à le trouver ? Le trouve-t-elle dépendant d’elle, ouvert et vulnérable. Tout ce qui avait dû le séduire. Car je suis sûr que tout amour commence par la vision d’une blessure, par le besoin de guérir, par le discernement de la faiblesse sous les apparences de la force. Ainsi la femme devant l’homme. Ainsi Dieu, respectueux à l’infini de notre liberté, et nous séduisant patiemment. Et comme j’avais l’impression que le dialogue vrai d’âme à âme, de devenir à devenir, entre Jean-Marie et sa femme, était arrêté pour l’instant.

Qu’ils soient uns ! Ils ne formeront qu’une seule chair et par conséquent qu’une pensée, qu’une volonté amoureuse, qu’une seule simplicité, découverte chez l’un par l’autre.

« J’éprouvais aussi, devant que de parler,  à quel point deux êtres, vivant somme toute de la mémoire, et qui s’aiment, peuvent rester (ou devenir) l’un pour l’autre énigmatiques et emmurés ; les paroles, dans ce cas, soit celles que nous adressons à l’autre, soit celles que l’autre nous adresse, sonnent plaintivement comme des coups de sonde pour nous avertir de la résistance de cette cloison séparatrice, et qui, si l’on n‘y veille, risque d’aller s’épaississant … ». 

André Gide, La symphonie pastorale éd. Pléiade pp. 905-906

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