Chapitre VIII
L’enfant fondateur
La route monte longuement, dans une
forêt d’eucalyptus et la ville universitaire, pluriséculaire, la bourgade
d’origine aussi du dictateur en ce siècle, régime de peu d’uniformes, de
beaucoup d’émigration et d’économie agricole, restent en contrebas. Ils
s’aiment et s’entrelacent depuis trente mois. En autobus, dans la capitale de
leur propre pays, il lui a juré, sans qu’elle le lui ait demandé, qu’il ne la
laissera pas tomber… elle est blonde, le visage large de joues, de front, de
nez, les yeux sont magnifiquement fendus, de couleur ciel ou mer, nuages ou
profondeur d’été… elle marche tantôt avec grâce, tantôt lourdement. Il n’a
découvert sa beauté qu’en la photographiant, nue, enveloppée un peu du voilage
des rideaux de l’appartement familial. Elle y travaille à façon, les épingles
entre les lèvres pour le bâti des robes sur commande, parfois sur le tapis
moquette quand elle s’ouvre à lui, tous deux, nus facilement heureux,
joyeusement reconnaisants l’un pour l’autre avant qu’elle ne s’assoupisse
assommée d’un plaisir qu’elle ne dit pas, ne manifste pas non plus mais qui
semble total tant elle est apaisée… il y a ces épingles, à têtes de couleur
plus insistantes pour la chair quand l’os est là, l’épaule, l’omoplate… qu lur
pointe. Sa beauté et une souveraineté apparue en des poses suivantes, à
l’étranger, quand il est pour quelques années chez lui, qu’elle est donc sans
crainte que l’on vienne et qu’ils dorment ensemble, non plus à l’hôtel. Pose
pour magazine de charme mais pas de sexe. Et puis la suite sur fond de jardin
en pays chaud, ou de piscine, le vert, le bleu. Ils arrivent, il est tard, le
dîner dans une salle-à-manger bruissante où il faut être habillé, peintures et
fresques de la Belle-Epoque, architecture néo-manueline, un haut-lieu
d‘histoire, d’ailleurs en altitude, anecdotes du maître d’hôtel qui a connu un
homme d’âge mais pas encore chef d’Etat qu’accompagnait une très jeune fille
supposée la sienne. Le
soldat à sept étoiles dont il connaît l’histoire d’une grande bataille à un
calvaire national. Il rit de cette réputation familiale, ils boivent, il est
hureux, ils sont brillants, il s’était d’abord cru le seul beau et elle est
uniquement tendre, charnelle, dépendante et mal entendante. Il la voit superbe,
fraternelle, avisée et sachant répliquer autant qu’entre eux seuls, elle sait
avec une régularité jamais monotone les amener aux acmées où ils apprennent à
tenir le plus subtil et gratifiant équilibre pour l’écroulement le plus
cosmique, celui de leur paradis de couple. Ils sont dans la chambre, grande. Le
lit l’est aussi, la lumière ne s’impose pas, il la sodomise, croit-il. Ils ont
appris à se le donner en ayant lu une description et pour se rendre compte,
déjà une fois, un plage célèbre, un hôtel le meilleur marché, quelques heures
de plein jour, pas de gémissement, rien d’inoubliable mais rien de manqué. Il
recommence, la pénétration est aisée mais il est fougueux, elle est penchée,
appuyée au bord du lit, lui debout derrière elle, ni boutoir ni échange de
regards. Le lendemain, elle est radieuse, une photographie la fixe ainsi.
Au-dessus de l’hôtel à l’architecture compliquée, ayant multiplié les volumes
jusqu’à former une façon de village, on put gagner un point de vue, une croix
au sommet de la colline, en fait du surplomb sur toute la côte, la mer comme du
trait large entre le paysage des gens et de cette culture, et l’horizon
poussiéreux. Il fait chaud, elle lui demande s’il l’aime. Il répond
naturellement, elle insiste, et c’est par lettre qu’elle lui annonce uns mois
plus tard qu’elle est enceinte. Sodome n’était pas là où il l’avait crue. La
carte est fausse, la vérité est là qui attend.
Il lui faut aller à elle alors qu’il a
famille puis maîtresse concurrente et rivale se succédant à demeure. Aucun
point de repères, l’affolement le prive de toute parole, celle donnée, celle
aussi d’une délibération ou d’une prière, il va à elle pour la fuir, il élude
et reporte la conversation, d’abord l’avoir à lui, à peine la porte palière
ouverte, selon leur intense habitude, ils s’entreprennent, se prennent, dorment
et il avoue le lendemain qu’il ne souhaite rien. En quelques heures,
l’avortement cherche les consultations, les praticiens. Il ruse plus encore
avec lui-même qu’avec elle. Il ne se dégoûte pas même, il ne sait que fuir par
incapacité et elle, elle reste machinale, ne réalise rien, ne comprend pas vers
quoi elle est conduite à aller. Il veut la persuader de contraires. Elle s’est
habillée de noir, ils marchent dans des rues peu passantes en ce plein été,
chacun sur un trottoir, ils ne se regardent plus. Elle parlera d’opéraation,
elle écrira aussi qu’elle a espéré jusqu’au dernier instant – celui d’une mort
ni de leur amour ni de l’un d’eux, mais du troisième et du plus vrai peut-être
– le contrordre. Elle le ré-accepte, son corps a gardé goût et habitude, elle
semble à peine blessée de cœur, pas du tout de chair, c’est trop facile, cela
ne se paye et ne vient s’établir dans l’âme que beaucoup plus tard. Cela
s’appelle le remords au début de la réminiscence, remords d’une injuste
souffrance infligée infidélité à autrui. Il l’aimait ou rien ne veut rien dire,
à qui a-t-il été en ces instants fidèle ? qu’à de l’instinct aussi
primaire que … les comparaisons ne viennent pas car le déésir n’est pas vulgaire
ni simplist… sa fuite l’a été. Elle ne l’a quittée que des années ensuite et
sans que cela ait fait sujet. Le regret est au présent. La femme, l’amante, la
maîtresse, la mère et l’épouse également putatives ont disparu, inacessibles
mais l’enfant, le fils dont l’âge se calcule, est maintenant là, qui ne réclame
rien mais qui impose une mystérieuse présence, celle du regret qu’il ne soit
pas là, celle de l’amour alors que l’assassin, c’est lui.
Plus intimement et mystérieusement
encore, cette venue silencieuse à laquelle parfois, comme à la minute où il
l‘écrit, des réminiscences pas identifiables, donnent des circonstances, un
visage est si insistante qu’il lui semble changer de vie. Or, il a changé
effectivement de vie, une femme épousée, une fille de plus en plus
personnalisée, chaque jour, le chargent, rien que par leur existence et par le
lien de famille, d’une responsabilité dont il n’avait jamais eu la prévision. Il avait
souhaité et cherché à former le couple androgyne, la fusion sous le signe de
l’éternité et de la providence, il avait lu de l’évocateur, du poétique, il
avait compris la complémentarité, l’émerveillement probable de la rencontre et
de la destinée plus personnelle parce qu’elles sont de personne à personne, que
par une essence ou des mécaniques particulières. Il n’avait rien cherché, il
avait peu à peu remarqué ce qui paraissait des propositions, la proposition de
la vie, il se laissait conduire par cette sensation qu’il y a davantage à
accueillir qu’à choisir s’il s’agit du mouvement intime d’acquiescer. Les
rencontres étaient toujours analogues alors que les visages, les paroles, les
ciconstances ne l’étaient pas. Avec le recul et même la récapitulation, il lui
était manifeste qu’il avait préféré les premières à tout le reste, les émotions
et même les pleurs, le chagrin d’être refusé, l’impuissance emprisonnante de ne
pouvoir provoquer la
réciprocité. Il avait appelé l’absolu et éprouvait le
précaire, coup après coup. Le remède n’avait pas été la dispersion et les
successions de ses liaisons et de ses émois, il avait été une sorte de
distraction intense que sa carrière professionnelle favorisait d’exotisme en
exotisme, autant d’étapes et de pays que progressivement un tri naturel entre
le durable et le circonstanciel, se faisant d’ailleurs en dehors lui par
évacuation et acquisitions, rendait apparemment cohérente. Les années passaient
à un âge où rien ne vieillit ni du corps, ni des appétits, ni la naîveté d’une
orgeueilleuse inexpérience. Il accumulait sans mémoire, il ne vivait qu’au présent.
Il existait pour comprendre et analyser là où il vivait, sur ordre et pour une
administration généreuse, rigide, son seul cadre, et il regardait chacune de
celles venant à lui, le visitant ou l’accompagnant comme si elle pouvait aussi
bien disparaître que s’incrustait. Il aimait toujours de la même manière, il
était stable dans son accueil, la prodigalité de son hospitalité et de son lit,
il s’enrichissait de l’histoire d’autres, des peuples qu’il apprenait du dedans
par les récits vécus, par leur jeunesse féminine respective, et par ce que, de
parenthèses en parenthèses vécues sans lui, les plus régulières de ses
compagnes lui apprenaient de leur fidélité respective. Il avait éludé l’enfant,
le mariage le questionnait, il ne voulait pas perdre qui le lui demandait mais
il lui semblait se perdre s’il s’y rangeait. Crises et labours intimes. La
concurrence qui n’était pas dans son cœur mais crispait son agenda, provoquait
d’autres explications, d’autres crises. Il ne mentait plus, même par omission,
puisque toutes savaient les autres. Sa vie était d’une forte continuité parce
que sa façon de travailler selon ce qu’il avait à représenter ou dont il avait
à rendre compte, ne changeait pas. Il savait écrire, quoique ce soit toujours
une présentation personnelle et très souvent un plaidoyer très politique, donc
hors de sa compétence suivant l’organigramme. Il écrivait en amant, parfois en
suppliant quand la rencontre était une lumière et très vite une obsession, puis
un obstacle, un mécanisme le rendant seul, il écrivait aussi de plus en plus en personne
d’opinion sur les affaires et les dirigeants de son pays, du pays. Tout cela
lui donnait une consistance certaine mais pas d’amis, puisqu’il changeait de
terreau sans déterminer la durée de son séjour. Il était seul. Dans chacun des
pays où il avait à servir et représenter le sien, il avait, sans l’avoir décidé
à sa première affectation, mais l’expérience l’avait convaincu de cultiver ce
sytème, deux genre d’initiateurs, les jeunes femmes qui l’acceptaient et d’anciennes
notorités. Cela valait toutes lectures et lui donnaient toutes clés pour
approfondir en publications de librairies. Le regard que chaque pays porte sur
lui-même, la façon dont se nouait une liaison de corps et d’xplication en
langue étrangère qu’il ne parlait jamais vraiment mais comprenait assez vite
assez bien. Sa fratrie, sa mère venaient en alternance avec ses visiteuses. Il
tenait journal. Une foi religieuse de naissance qui n’avait jamais fléchi
l’informait peu sur ce qu’il avait à décider de sa vie, et les décisions ne lui
apparaissaient qu’en un seul registre, l’amoureux. Transformer sentiments et
désir en structure de couple et de famille, il n’en sentait certes pas
l’urgence mais même pas le besoin. Il était inemployé mais très habité. Pas
subalterne mais pas au faîte de quoi que ce soit. Parlant et exposant avec
aisance, portant beau avec pas trop de narcissisme, aimant à évoluer nu dans
l’intimité de sa visiteuse du mois, mais moins de la soirée pour inaugurer une
exceptionnalité, développant sa carrière hors les lignes et les normes de son
administration en se relationnant selon des convictions presqu’aussi
anciennement ancrées et motivées en lui que ses certitudes spirituelles, il
faisait du sillage mais n’était attaché par personne.
Lui annoncer un cancer de la prostate
les avait unis, se battre ensemble jusqu’à l’impossible et l’intenable pour la
survie d’une société qu’elle avait créée et qui était admirablement adéquate à
l’époque, à sa technicité personnelle et dont elle lui avait confié la
présidence les avait rendus inséparables, ou plutôt lui avait fait prendre
conscience de leur union de fait. C’est elle qui avait tout préparé de son
retour forcé d’un étranger extrêmement différent de tout son passé
professionnel puis de son interruption brutale de carrière, en fait de sa
chute. Elle le réceptionnait alors il s’engageait envers une autre, elle lisait
sa duplicité dès qu’il lui tournait le dos, s’éloignait de quelques mètres sur
les plages dont ils prenaient l’habitude, elle le logeait dans la capitale, le
subventionnait, elle lui consacrait une jeunesse demeurée aolescente, amoureuse
des ambiances, des camaraderies, elle découvrait par hasard des photos. d’une
autre, de l’autre, eût accepté la trahison, la préférence, la mutilation de
leur séparation si la silhouette avait été belle, elle l’estimait et l’admiraut
trop, mais d’amour, pour admettre qu’il se trompât ainsi, elle se battit donc.
Elle était la première femme qui entreprit pour lui une guerre sans ennemi
qu’une part de lui-même. Pas de précédent que peut-être sa mère ne pardonnant
pas qu’une femme se laissa photographier nue et l’appréciât, qu’une femme
enceinte fasse supprimer un enfant, l’enfant de son fils. Sa mère, en
permanence inquiète de lui alors qu’elle avait huit autres enfants et un mari
d’addiction dangereuse, ruineuse, avait toujours constitué pour lui une
structure dont l’inventaire est impossible mais à laquelle on reconnaît les
dettes d’une personnalité à davantage qu’elle-même ou à la chance.
Une jeune femme brune, élancée, aux
yeux et à la bouche qui faisait penser à sa propre mère, dont il n’était pas
orphelin mais veuf. La compagne de sa vie avait été celle-ci, et celle-là était
arrivée en coincidence chronologique d’une mort, ni lente ni préévisible. La
présentation s’était faite en termes professionnels, par acquiescement.
L’initiation mutuelle des corps avec naturel sans hâte ni convention datée.
Elle ne lui dirait rien, vraiment, de son passé, elle irait dans sa vie sans y
apporter sa mémoire alors qu’il l’envahirait de la sienne. Leurs
familles respectives, père et mère en province pour elle, fratrie pour lui,
seraient gardées à distance. Il avait proclamé le projet de son mariage avec la
jeunesse extrême et la beauté charpentée d’un exotisme autant de naissance
étrangère que d’une génération différente. Il avait voituré la promise à
travers le pays, jouissant de la surprise et d’être désormais projeté par tous
ans une perspective encore plus insolite que les ressauts antérieurs de sa
carrière, de ses notoriétés de presse ou de relations. Il avait donc d’abord
continué la montre. Elle
était en situation étrange ni au spectacle, ni à la critique, ni au désespoir.
A trois, ils formaient deux couples, antagonistes parce que la bigamie, la
bilocalisation sont humainement et surtout psychologiquement invivables. Le
dénouement avait été impérieux, il était obligé par un faisceau de contraintes
mais allait surgir du magmas de ses attirances, de ses doutes, de ses
certitudes et envies successives, en homme neuf, ce qu’elle ne réaliserait
jamais tout à fait, tant s’était imprimée en elle une image de vulnérabilité
effrayante aux circonstances et au jeu des tiers.
Il ne pouvait oublier ses confidences,
ce qu’il lui avait fait ressentir quand manifestement il lui échappait,
s’échappait, ainsi à des départs d’aéroports quand il la quittait trop vite et
surtout ne se retournait pas, quand il lui assénait, nu contre elle puis tous
eux en larmes sans qu’elle le fît pour autant découcher, qu’il allait en
épouser une autre. Et jamais il ne parviendrait ensuite à la persuader que dès
ces moments-là, pendant ces moments-là où il lui confirmait être habité par une
autre et s’ériger même à ses côtés par la pensée d’une autre, il l’aimait déjà
jusqu’à la choisir et préférer. Tension quotidienne, mensonges d’emploi du
temps et d’argent, chagrin d’amour pour une autre qui avait toujours été
impavide, il développait tout devant elle. En retour, elle avait appris à se
saoûler assez pour lui téléphoner en nuit d’orage une haine torrentielle le
fracassant d’amour. Il avait déjà vécu des entre-deux et même des face-à-face
entre concurrentes de son cœur et de son sexe, mais dans le calme et n’avait
pas choisi, n’avait pas été quitté non plus de part ni d’autre. Il vivait
désormais autre chose. La dubitation pour le parti qu’il avait décidé, qui le
flattait physiquement et même selon son histoire personnelle avide de record,
longtemps la beauté, une fois même – sans qu’il l’eût cherché ni aussitôt
compris – la grande aisance financière, et cette fois une nationalité
d’ailleurs et pas encore fréquente, un âge surtout. La tentation insulaire de
l’amour se doublait de l’évidence que cette fondation-là aurait à creuser
toutes ses fortifications et à organiser par elle-même ses ravitaillements et
ses refuges. Il aurait à mener l’initiation à la vie adulte, à la vie à
l’étranger, à une culture pratiquée scolairement mais pas en vie quotidienne
d’une jeune fille. Il accumulait les défis alors que ses moyens s’étaient
subitement réduits à tous points de vue. Douter de sa propre taille ? il
n’avait jamais volé ou naviguer aux étoiles, ni superstitieux ni comptable, il
espérait encore la chance mais commençait à se savoir cerné. Des partis étaient
possibles comme autant de paris. Il n’allait pas les prendre mais cet amour le
faisant revenir à ses débuts sentimentaux, à ses dogmes des promesses échangées
et des perspectives envisagée, lui apportait du très neuf. Il lui fallait
choisir, très loin de ses habitudes et repères. Il comprit qu’il était nu, que
le cœur ne dicte rien ni à lui-même ni à l’autre. Il était dépendant non de ses
contradictions, mais de deux personnes, de deux tempéraments, de deux
possibilités. Il rendit la main épuisé. Il était naufragé. Aucune profession ne
l’acceptait tel qu’il était devenu, il apprenait la société du refus, les
mécanismes avérés mais non écrits de l’indifférence et de l’exclusion. Il n’y
avait plus de ciel et l’amour de chair, le pointu doux du sexe, l’accueil
féminin, la voix d’appel à se fondre et fondre en un corps faisant port, hâvre,
hôpital y gagnait en substance, il était terrestre, il était démuni. Elle
l’épouserait pauvre à tous égards. A elles deux, elles le faisaient enfin
s’exprimer sur ce qu’est un couple humain. Sur ce que doit être un homme pour une
femme. L’autre rôle était joué, deux versions différentes.
Ni elle ni lui ne savent encore ce qui
les détermina. Elle le hissa, après la chirurgie ablative, au sec d’une vie
sexuelle à peine changée, le signe sensible, perceptible, éventuellement
visible de la volupté leur était soustrait, les spasmes libéraient une
physiologie mais désormais à sec. Il n’en était pas privé, mais elle ? si
conception il devait y avoir, elle serait absolument volontaire. Comment
décidèrent-ils ? par quel miracle tout fut si aisé ? alors qu’en tous
autres domaines depuis des années et pour la suite aussi, la chance se
dérobait, la malchance s’improvisait. Pas davantage de réponse. Aucun des
schémas qu’il avait affectionnés quand s’instaurait une liaison, ne se retrouvait
dans ce qu’il vivait. Leurs fêtes étaient différentes, elles étaient d’ailleurs
rares quand il les fallait conventionnelles. Ils n’étaient pas soutenus par ces
ambiances amicales meublant tout et faisant occasion. Elle l’initiait à
certaines lectures de l’actualité par sa propre expérience professionnelle,
très précises sur les sujets du moment et qui faisaient l’entrée de l’époque
dans la crise qui dure encore. Elle ne s’intéressait guère à sa propre culture
juridique ou diplomatique, mais en était fière pour la vanter en des tiers,
hors de sa présence. Lui-même n’avait d’ailleurs jamais rien revendiqué en
titre ou en compétence. Il savait ce qu’il savait et jouissait d’apprendre
quand il lui manquait des éléments. Ils n’avaient à s’apprendre la danse des
sexes quand ils cherchent leur prise mais elle avouait, ce qui était son signal
personnel, qu’il savait le moment et comment la faire vouloir. Ils s’en
réjouissaient ensemble, le souvenir des anciennes voluptés qui n’avaient pu se
noter ne les encombraient pas, il ne savait pas les siennes et elle n’exprimait
aucune critique sur ce qu’il lui donnait ou sur leurs manques ensemble. Lui
n’en discernait pas. Il comprenait, décisivement, que l’étreinte est vraiment
le partage des responsabilités et de toutes forces y compris celles qui sont de
l’ordre du fantasme, pour que se déroule bien le voyage et que l’arrivée se
vive à l’heure. Ils étaient parfaitement ensemble dans cette conscience et
cette pratique. La recherche du plaisir était moindre que le goût d’être ensemble,
de se ressentir ensemble, de sentir ensemble ce qui naissait en chacun à cause
de l’autre, par le fait de l’autre, par le sexe de l’autre. Ce devenait parfois
adorable. Elle avait inventé du si juste et du si aigu quand elle l’affûtait
sans se poser en
rien sur lui, toute en suspension et en précision. Il apprivoisait des points
et parties de son corps de femme qu’elle avait jusques là gardé de tout toucher
digital ou labial. Elle aimait être prise de dos, couchée ou un peu exhaussée.
Il jouissait alors de sa cambrure, du clair de son derrière, de l’œillet anal
même. Ils apprirent ensemble que l’orgasme contracte et libère plus encore cet
orifice, quand le doigt s’y veut témoin. Les expertises dont sa verge avait
bénéficié antan s’oubliaient puisqu’ils allaient à tout quand ils
s’entre-pénétraient. Ils étaient amants, ils faisaient équipe pour ce qu’elle
avait fondé par lassitude des hiérarchies indélicates ou incompétentes, pas une
généralité mais une expérience.
Elle lui téléphone qu’elle est donc et assurément
enceinte. Pas de dialogue, le fait. La date aussitôt visée pour leur mariage,
la simplicité absolue. De témoins qu’une de ses sœurs pour elle, et son frère
pour lui. Le jour voulu par hommage et souvenir d’une date nationale, du héros
qu’elle consacra, peut être obtenu. Ils ne vivent pas la marche au sacrement
comme naguère il l’avait appréhendée puis abandonnée, ou en avait tant discuté
qu’elle lui avait échappé. Ils n’imaginent rien et ne savent toujours pas –
aujourd’hui – comment se faisait la gestation, comment eux-mêmes existaient
désormais plus nombreux, désormais promis. L’un à l’autre, ce n’était pas leur
sensation. L’échange des consentements, un des plus beaux et simples édifices
religieux de la si grande ville qui en est spécialement riche, tomba sur lui
comme la nuée de l’Exode. La grâce dite sanctifiante lui était donnée d’un
coup, sans discussion possible, sensible à être libéré de toute appréhension
quant à la solidité pour l’avenir de ce qu’ils bâtissaient maintenant. Ce n’est
pas l’un à l’autre qu’ils se donnent et promettent, mais à ce qui les dépasse
et qu’ensemble ils produisent. Elle va lui dire que toute cette journée a été
surréaliste, onirique, qu’elle a été constamment en lévitation presque
physique. L’enfant qu’elle porte, fait sien leur silence. Ils ne savent pas qui
elle est ni qu’elle sera unique. Ils sont simplifiés à l’extrême. Il date du
sacrement le début de sa vie. La préhistoire a été longue, il se la récite
parfois et un Noël de solitude, il va le passer chez une de ses… qui a fait
exception puisqu’avant d’être sa maîtresse, elle avait été sa collaboratrice et
sa co-équipière… et qui, faute de lui, a maintenant un compagnon. Route,
plusieurs fois de près de deux kilomètres, car il n’est pas reçu à temps plein
par celle que finalement il n’a pas voulu épouser, il a décidé de repartir à
ses bases, puis s’en est repenti, refaisant presqu’aussitôt le trajet dans le
sens inverse. Pour tromper l’assaillant le plus dangereux :
l’assoupissement, il compte ses fortunes sexuelles, s’excite de l’une puis de
l’autre et reste éveilllé par masturbation.
L’enfance se termine quand l’enfant
existe, autre que soi, du moins l’enfance masculine. La sienne si longue
l’avait maintenu dans l’attente, la désinvolture et la culture du besoin. La
beauté est annonciatrice, elle n’est jamais définitive. Le sexe, si durable
qu’en soit le vecteur et si naturellement qu’il permette d’entrer dans l’autre
à titre personnel, révèle, apprend soi et l’autre en histoire, en comportement,
en façons de peur, en goûts, mais ne construit pas. Une conception convoque
bien plus que le couple. Il avait peur de se tromper d’histoire, de ne pas
choisir la bonne. Il
expérimente ainsi la grâce et ce qui le dépasse avec bienveillance. dimanche 20
avril 2014 20 heures 15 à 23 heures 55
La chambre, ils viennent de vérifier,
l’héroïne assuré que c’était la 42, et lui la 12. L’album des photos. commence pour l’événement
par la carte collée de l’identification d’époque. C’est 42. C’est un matin
comme il n’en a jamais vécu, à ranger au plus évident trésor de sa mémoire et
de toute son existence d’âme passagèrement incarné dans un corps distant et
proche, dont on ne fait jamais ce que l’on veut vraiment. Un matin comme il y
eut la nuit de sa première chute en orgasme, mouillant de pleurs et de salive
le visage de l’accueillante, son initiatrice. Un matin comme il y eut la fin
d’après-midi, lui et sa femme, chacun tenant une main de sa belle-mère,
celle-ci leur donnait de les avoir attendus pour ce moment-là, précis, elle leur
donnait aussi un sourire implicite, les mains étaient chaudes, c‘est d’elle que
vint le signe d’une dernière respiration à prendre, aucune autre ne suivrait et
sa femme s’inclina pour s’effondrer, il avait un chagrin dont sa mère ne
l’avait pas chargé à ce point quand, bien avant, elle était morte, ainsi que
l’on meurt, tous. La naissance n’est jamais un souvenir. Il ne se saurait
jamais père, il resterait un célibataire à la conquête d’une seule femme,
difficile à séduire, la sienne quotidienne, et leur fille viendrait de plus en plus en compagne,
sans ressemblance que les décisions souvent étonnantes d’une liberté qu’il
avait ressentie dès la conception, une altérité, une autonomie, une vérité
d’existence propre et personnelle. Cela lui irait bien, il serait protecteur et
protégé, elle les quitterait pour qu’ils ressentent mieux sa présence à chacun
de ses retours. Violette des pressions de l’accouchement, d’une césarienne en
instantané après la course plus folle qu’angoissée – l’angoisse, la peur, l’inquiétude
se télescopent tellement qu’elles ne sont ressenties qu’une fois la bataille
livrée, donc gagnée – course vers une salle d’intervention, bizarrement
éloignée de la salle dite travail grande comme un hall, surtout très froide. La
chambre est petite, chaleureuse, aseptisée peut-être, sienne certainement. Sa
fille est dans ses bras, il est assis, elle est incurvée à la taille, au creux
de son bras. Elle ne pleure pas, il ne pleure pas, elle est là, cela dure,
peut-être deux heures à ce qu’il reconstitue tandis que sa femme est
réchauffée, réconfortée. L’air chaud, la couverture polaire. Sont-ils
séparés ? Le ventre qui s’est à peine formé, arrondi, elle n’a eu que
quelques mois de monopole, mais lui avec ces heures-là, il a conscience que
l’éternité est proche, qu’elle est disponible, qu’ils en sont, sa fille et lui,
les habitants, les vivants par nature et par destination. Il regarde l’inconnu
déjà familier d’un visage qui n’a aucune ressemblance, et l’aime, sans doute
parce qu’il ne la connaît pas et qu’il sait déjà qu’elle ne lui appartiendra
pas, qu’il en sera le père nourricier, le premier admirateur, l’inconditionnel
et constant compagnon, une part de sa vie à elle, bien plus qu’elle ne sera sa
production ou sa fierté. La distance, la distinction, l’accouchement et la
grande séparation, une anticipation de l’autre naissance, celle que nous
vivrons à notre mort, fait aimer qui, dans nos bras, est déposé par la vie. Il regarde leur
enfant, il murmure, qu’il est présent pour elle, qu’elle est là contre sa
poitrine, qu’ils attendent cette femme qui leur donne à chacun d’exister, rôle
difficile dont il ressent qu’elle se l’apprend à elle-même sans l’avoir choisi.
Un amour les guide tous trois, leur amour. Cela ne se dit pas.lundi 21 avril
2014 10 heures 30 à 10 heures 45
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