mercredi 31 août 2011

suite brésilienne - l'enfant s'il meurt

Messe

Tandis qu’hier s’avançaient mitrés des hommes déguisés,
qu’avaient applaudi les pauvres et les solennels
à la venue du chef soupçonneux, raide, étonné, entouré,
je te cherchais ange et tes frères,
et du plafond en gerbe de béton ne tombaient que des ailes
celles que tu portais désormais et qui t’enlevaient ailleurs.
La foule était sur pied, la foule murmurait, emplissait
de ses convenances et de ses spectacles la mémoire qui
lui faisait déjà défaut.
Tu étais déjà, pâle, encore rieur de la dernière partie,
Couché en ton dernier corps sur ton dernier lit,
Près des derniers tiens de cette terre-ci,
sans parole, sans regard que tes yeux si fermés,
qu’on pouvait sans doute croire que tu faisais effort
pour les tenir ainsi et que bientôt tu les rouvrirais
et reprendrais le jeu, l’escalade et les rires.

La cathédrale avait ses lumières et son glas,
les prélats et les présidents, les diplomates
ne pouvaient aucune prière, cette église-là
n’avait donc rien à dire
de ceux que nous couchons, de ceux dont nous défaisons
le costume qu’ils avaient passé eux-mêmes,
de ceux dont nous touchons le visage et les paupières
pour les figer au mieux de leur sommeil,
cette église-là, ces dignitaires du sacré
politique et religieux, les cités entremêlées
de ce temps où la vie ne se compte pas
tant qu’elle reste donnée,
n’avaient rien à dire à ma prière.

Un seul, nu et blanc, les bras étendus bien haut
au-dessus des autels et des éclairs des artifices
et des rites, semblait à sa place ignorer tous les autres,
un seul en croix allait dire la messe que je suivrais
de loin,
tandis que demain on va commencer de te porter
par cette campagne, vers cette église
où tu fis tous les gestes de ton enfance,
où tu riais tous les cris et les jeux encore
aujourd’hui si le temps t’avait été laissé.
Les vis et les cachets sont mis,
Toi – tu as su tomber à terre sans qu’on ait
plus tard à t’y descendre, tu as choisi le point de chute,
tu as préféré le dimanche et la pénombre peut-être,
tu avais commencé ce jour-là comme tant d’autres,
tu avais l’allégresse de ne rien préparer,
pas même un adieu, pas même un mot, pas un geste surtout
que ce seul-là qui lia tout.

Les aurores ont leur office,
dans la grisaille du sommeil qui nous quitte à peine,
à des seuils frais, dans des chambres dorées
où le prêtre se prépare et murmure,
on peut aller, tu allais sans doute certaines fois,
se prendre à genoux à regarder quelque chose en nous-mêmes
d’étrange et d’insaisissable,
un souffle frôle les épaules,
un esprit dit des mots écrits depuis longtemps
qui sentent le futur simple,
qui indiquent quelque part ce que nous serons
et ce que nous ferons.
La prière se récite peut-être, mais toi – comme tous les enfants
– que nous fîmes et que nous fûmes peut-être avais-tu
l’oraison distraite, ou bien la tête dans ton coude
comptais-tu les éclairs dans tes yeux
que produisaient la lassitude et l’attente.
La messe se disait, je ne sais si tu la suivais,
je sais que tu n’en avais pas besoin,
si peu de temps te restait que l’éternité
tu n’aurais pas à prendre l’inquiétude
ni la supplication d’ordinaire humaine.

Cette messe-là, demain, tandis qu’on te prendra
comme tu n’aurais jamais imaginé être pris, balancé, emmené
je vais la dire pour toi,
je vais t’y associer, tu viendras à mon bras,
tu auras ta place et ton livre, les genoux nus
et le regard clair que nous aimions tant, tous,
tu regarderas le sacré et les vases, tu écouterasles symboles,
tu verras celui seul qui a quelque chose à nous enseigner,
déjà à relever nos têtes et nos larmes,
toi tu seras déjà l’ange qui à notre épaule passe l’étole
et dans notre cœur souffle les braises de la présence.

Dans le cercle élevé clair du béton qu’on a façonné en gerbe,
je serai seul à la prière d’une messe dont l’heure sera autre,
entre les sièges désertés et habituels, sur les dalles blanches,
à la tombée exacte des trois esprits, je verrai ta vie entière
et j’entendrai tes pas, et la joie de ton rire quand tu m’auras
surpris, clos les yeux de ta main, arrêté ma méditation
et souri simplement d’être avec moi qui n’y pouvais plus croire.
Tu t’en iras mon enfant dans le lointain de l’édifice,
tu m’auras chuchoté quelque chose, comme un signe de te suivre,
tu t’en iras mon enfant et je n’y pourrai rien. +





*****



On ne sait jamais rien d’un enfant

On ne sait jamais rien d’un enfant que son visage,
et le visage d’un enfant c’est son âme et ses yeux
sont son son cœur et sa langue, et l’expression qu’on
ne peut saisir du lointain de notre vieillesse et
de nos consciences.

Quelle page s’écrit dans l’âme de notre enfant,
de l’enfant que nous fûmes, de l’enfant que nous regardons ;
mobile ou quémandeur, yeux clairs ou front parfois occupé,
nous n’en savons rien, nous ne savons pas même celle
que nous écrivions dans cette vie-là.

Quel visage et quel corps avions-nous, qui étions-nous
enfants ? Certains nous le disent, d’autres le rapportent
ou le fixent, notre époque a inauguré les moyens de cette identité
mais en vain cherchons-nous qui nous étions et que les autres
ont vu sans oubli ni prescience.

Nous étions en nous-mêmes, aveugles à l’avenir,
ennuyés si souvent du présent, vivant de mots et de rêves
que nous ne communiquerions que bien plus tard,
qu’à présent où nous sommes la semence de notre éternité.
Notre enfance façonnait ce présent et l’enveloppe et la graine
ont disparu dans le lointain de ces courses d’où nous arrivons
sans mémoire que celle de notre avenir.

On ne sait jamais rien d’un enfant que ses sentiments,
l’histoire file des laines et des jeux, se prépare sans nom.
Tu n’aurais pâs d’histoire, tu n’aurais été que présence,
à quoi te préparais-tu donc,
quelle était la graine, quelle était l’enveloppe
que tu concoctais pour la dépiauter à un âge que tu n’aurais jamais.
La légèreté était ton secret, oui ! tu pouvais ne rien peser
Puisque tu n’avais pas notre avenir, pas cette charge
à organiser et à prévoir, pas ces épaules qu’il faudrait courber.

C’était singulier, tu courais si vite, et tu ne paraissais
ni hâtif ni anxieux, pas même attentif,
ta présence filait comme un ciel, ton sourire comme un don fugitif,
tu étais de ta naissance à ce choix d’un soir comme éperdu,
la transparence était ta couleur et ton or pour les autres,
tu aurais aimé disparaître ainsi comme envolé.
On ne savait rien de toi parce que ton histoire était un jeu,
tu jouais de tout, tu réfléchissais la peine et la demande
d’autres que tu regardais, prenais de ton sourire et épousais
alors, comme la chienne que tu aimas, ventre à ventre,
enfants tous deux de la terre, des tapis de l’homme,
des vacances scolaires et des jours de congé.

On ne savait que visage, tes vêtements et ta voix,
on songeait que le temps peut-être bien plus tard dirait plus,
on ne pouvait deviner que l’éternité ne suffit pas à comprendre
et que l’amour avide de gestes l’est à raison
car lui seul des instants, de la présence, de la vie
craint et goûte tout le poids. Même de cela tu te passas.

Avril 1985

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