mardi 29 janvier 2013

la moitié de l'univers devant moi

mise au net d'une écriture du dimanche soir 27 - d'ici peu

mardi 1 janvier 2013

l'absolu et ses personnages - rencontre du littéraire avec le graveur . 1982


Il est des plaisirs, il est des itinéraires, il est des tentations qui pour les uns sont péchés, pour les autres la quête de l’absolu. Toute contemplation, tout amour, toute création participent du vertige devant le temps et l’inconnu de la matière vivante ou pétrifiée.
Il est donc cent façons de mettre ses pas dans ceux de Don Juan, d’expliquer ce dernier par sa naissance ou par le destin contrarié de regarder ses prises comme des alibis ou comme des objets, de faire du mythe une leçon de métaphysique ou une esquisse éthique.
Le graveur et le poète se rencontrent surtout à cet instant où aboutit le mouvement de la main, de l’œil et où vont commenver la tentation et la course.
Cet instant est un lieu, ce lieu est la femme, et la femme – pour elle-même comme pour le partenaire masculin – est un contour, une invitation, un plein qui a besoin du dehors, la séduction dont personne – peut-être pas Dieu non plus – ne peut décider si ce sont des inventions de l’homme ou la suprême façon féminine de faire accroire à l’amant d’hier ou de demain qu’il sait seul les pas de la danse et le moment d’ouvrir le bal.
Des trophées en chapiteau jusqu’à la crucifixion de la solitude et des contradictions mortelles, le rêve se grave et s’écrit en rondes et en bosses, en élans du désir et de la ferveur. Au carrefour de l’émotion, les couleurs ont combiné leur piège. Chaque écrivain a écrit un Don Juan, sans forcément le nommer ainsi, comme chaque adolescent, de sexe bleu ou de fleur d’oranger, mais d’intelligence amoureuse, a dessiné en son jardin secret les pelouses où il aurait voulu courir les temps du paradis. Le dessin en sait les poudres lumineuses, les arrêtes millénaires et des saillies et des courbes imprévues, et de Molière à Mozart, de Montherlant à Byron, du chevalier anonyme quittant la religieuse portugaise à l’Aphrodite de Louÿs, il y a les mille mains qui épousent et balbutient et le chemin commun de l’image qu’on se fait de la femme qu’on est ou qu’on convoite.
Ensuite, bien des traverses, bien des interprétations, bien des projections de soi-même surtout, font écrire et méditer autrement le mythe qu’a su porter naguère un  homme de bonne naissance et de grande audace, sur la tombe duquel à Séville Apollinaire singulièrement situe l’une de ses scènes les plus atroces. Car l’amour, le déir quand ils jaillissent du rêve et de la page, qu’ils sont adoptés comme la règle passionnée de l’existence, peuvent conduire à tous les déchirements d’une éternité manquée.
Don Juan a – je crois – des frères. Lorenzaccio l’iconoclaste, Faust qui ne connut pas sa jeunesse, Lucifer pris de vertige quand il n’avait pas encore ce nom, judas le bienheureux, Narcisse dans son intuition qui n’est pas celle du miroire, Pâris qui jugea bien autrement que ce qui est aujourd’hui dit, Don Quichotte mort avec raison. Ils ont aujourd’hui notre visage. Ce qu’ils ont tenté d’étreindre, ce qu’ils sont devenus est ici, là gravé, pour nos yeux.
Reste l’interrogation érotique, qu’on croit de l’ordre du prélude ou de la résurrection, qui à coup sûr est inventaire, récitation, repérage des traits évidents ou screts, tendres ou assaillants. Qu’on refoule, qu’on sublime, qu’on en arrive ici, qu’on parte de là, le nœud de la vie a été ou sera, est dans cet instant où nous parvenons au poème de la perfection nue, ouverte à notre lecture et à notre intuition. C’est le mariage de l’enfance et de la mort dans le corps symbolique de l’autre. Certains galopent explicitement, d’autres effeuillent en secret. L’imagination a gravé des silhouettes des mouvements dont nous ne guérissons pas, et cette blessure est notre identité quand la confidence n’est plus banale.
Le regard et les distances de l’objet au désir sont doublés dansla mémoire comme dans la gravure, puisque sont transposées les ombres fugitives qu’on entr’aperçût ou qu’on crût posséder. L’irrigation de notre âme est la même, puisque le myhthe fait appel à ce rythme de l’existence : désir, regret, assouvissement, souvenir, admiration et retour.
Don Juan, quelles que soient les manières différentes dont peut-être ci-après le graveur et le littéraire, chacun de nous, le commentent, s’est assis comme nous en silence devant le trait féminin et la contradiction masculine. L’histoire, quand elle est biographie ou rédemption, quand elle est personnelle, intime, a son étape et ses champs érotiques, ses images que nous n’osons pas toujours regarder. L’érotisme dans l’art réconcilie ces timidités et ces audaces. Le modèle est à nous, l’imagination s’installe, paisible folle et quand nous les rencontrerons autrement qu’en image souvenue ou évoquée, nous aurons la certitude de l’habitude, l’ivresse de la nouveauté et chez nous le vin quotidien commencera enfin d’être bu, à la chandelle et au soleil, au pied du lit et au seuil de tous les pages, car la parole nous aura été rendue, et ce qui était osé ou banal – jusque-là – nous le ferons, le vivrons avec ferveur.


introduction à
Bertrand Fessard de Foucault Don Juan . 12 planches gravées à la pointe sèche par Roger-Louis Chavanon
1982

tirage limité à 175 exemplaires
in-4 raisin présents sous coffret, tous signés, sur vélin blanc d’Arches de 250 grammes
20 exemplaires avec les deux frontispices, tiré sur chine contrecollé   3.900 F
10 exemplaires avec suite, à plat, dans un portefeuille    4.700 F
145 exemplaires      3.500 F
165 suites sous portefeuille       1.200 F