Je donne ci-dessous une version de commencement, sans relecture, ni ajustement des notes. C'est un travail ... en plan.
POURQUOI J ' ECRIS
à Edith,
qui, questionnée : que dois-je,
que puis-je écrire,
m'a écrit
Pourquoi ne faire un écrit
(dans lequel tu pourrais
exprimer tout toi)
" Pourquoi j'écris ? écrire.
Pour parler, dire,
vivre, comprendre, aimer
et décliner ainsi des
thèmes - illustrations "
Et comment (car c'est ce qui
extraordinaire pour
toi)
écrire devient un besoin
(l'éducation, ton caractère...
la vie)
Le caractère de quelqu'un qui
a un tel besoin d'écrire.
Comment expliquer,
car tu écris plus facilement
que tu ne dis.
Comprends-tu le sens ?
Essaies donc, ce que tu écriras,
d'être très concentré autour
de chaque Pourquoi (j'écris)
Les chiffres renvoient aux notes en bas de page, les (chiffres) en fin de livre
I
Je ne sais s'il faut, si je dois mettre : un point d'interrogation.
J'écris, c'est un fait. Et c'est fait. En ce sens que je ne puis plus revenir en arrière, que je ne puis plus ne pas écrire. Or, en quoi consiste écrire - factuellement - pour moi ?
Psychologiquement, c'est retenir et disposer. retenir du matériau et disposer de ce matériau. Ce matériau ce sont des sensations, mes sensations, celles que me disent ressentir les autres, d'autres. Ce sont des images au présent, au passé, au futur, ce sont des détails, ce sont des phrases qui commencent et notées au plus vite furent des poèmes au Brésil, sont le jet brutal de ce qui est donné et que je vais oublier l'instant d'après, une assonnance, des mots [1], ce qu'il me reste, que je suis arrivé à mobiliser, des rêves de la nuit. Je note le présent, j'écris.
Factuellement, c'est toujours le présent, donc j'écris toujours, tous les jours. Donc, je retiens, je retiens tous les jours. Je ne me relis pas, ou vraiment c'est par accident que je me relis, qu'il s'agisse...
Il s'est agi d'abord... quand ce ne furent plus les dictées de mes maîtresses dans mes premières classes ou des pères spirituels, des professeurs d'histoire, ceux, celles qui dictent, prenant qu'il en restera davantage. Ecrire donc, pour qu'il reste quelque chose. Il s'est agi, quand j'ai écrit par moi-même... mais ce fut d'abord... ce ne fut pas pour moi-même. Les compositions, narrations, rédactions, j'y ai aussitôt excellé. Je racontais, à longueur des récréations, un groupe d'admirateurs ou d'objectuers à tout jeu de ballon, autour de moi, je racontais des aventures dont je ne prévoyais aucun épisode pas même la fin de la phrase que je commençais pour introduire mon récit, et cela marchait sans reprendre haleine, cela marcha de mes dix à mes quinze ans peut-être. Je n'ai encoe publié aucun roman, ce n'est pas faute d'en avoir composé, souvent avec un plaisir que je tenterai de m'exliciter plus loin (car c'étaient, ce furent chaque fois le refus éditorial et un certain dégoût, mépris personnel pour ces pages-là, sinon pour le temps d'exaltation qui les avaient conçues) ; je ne sais plus raconter, ou plutôt je raconte à contre-temps dans des conversations ou des entretiens réclamant une réponse directe et brève, je remonte alors aux plus lointains prolégomènes que je juge décisivement explicatifs. Je suis le seul à m'y prendre - on me regarde m'étourdir, et d'expérience je devrais savoir qu'on m'estourbira, galipettes, jeux de mots, rebonds, brio à table, digression brillante - mais ce n'est plus mon public des cours de récréation, ce n'est plus du tout l'attention ni la sympathie. Profusion qui lasse et obscurcit.
Ecrire commença par une corvée, et je n'écrivais point. Ma réputation de conteur était telle que ma patrouille scoute me confia le journal de bord et d'en rédiger la suite. Les récits antérieurs à celui que je devais fabriquer était au moule. Les sketches de veillée répétitifs avaient engendré un style trop imitable, j'imitais, je m'ennuyais à imiter, beaucoup de ponctuation, peu de mots et un effort de mémoire de plus en plus insipide pour moi et stérile pour la rédaction car j'avais pris du retard, on pliait les tentes du camp d'été que je n'avais pas encore rendu compte des eek-ends de la Toussaint et du Mardi-Gras sous la neige dans les environs de Paris, le long de bois qui ont les noms de la guerre de 1870, et du Siège. Les narrations étaient bonnes, je n'avais pas le temps de me recopier, j'étais inachevé, je barbouillais au crayon, j'avais le prix pour une description de cathédrale, de fait cela ressemblait - la copie vue de loin - à cette succession des esquisses de MONET pour celle de Rouen.
Ce ne fut pas écrire que de compiler le Larousse en X volumes et du XIXème siècle. J'y passais les nuits, reconstituant des chronologies de souverains à mes quatorze ou quinze ans, et à la veille de concourir pour l'entrée à l'Ecole Nationale d'Administration j'étais à nouveau à graticuler des listes et des compositions de tous les Gouvernements de la France depuis 1789, vingt ans avant des publications actuelles encyclopédiques ou alphabétiques. Je composais aussi, sur des feuilles arrachées de mes cahiers à gros carreaux bleus et marges tracées en rouge, des fiches de géographie : une par Etat ou territoire. C'était encore l'époque coloniale, j'avais choisi des coloris pour chaque continent, le recto tenait les chiffres et la liste des villes, le verso un résumé historique. J'ajoutais donc les prix correspondants, je savais tout de tête et mon public, les mêms camarades ou presque qu'à mes dix ans, me revint en Rhétorique ou en Philosophie pour la répétition des ultimes colles préparant le bac. Il fallait donner un croquis à l'épreuve écrite de géographie, mon énumération des affluents du grand fleuve dont il fallait tout montrer était si précise - Napoéléon a parfois tort - que j'eus la note maximale, sans croquis. Ce n'était pas écrire, mais cela m'y préparait. Il y avait cette âcreté de l'ambiance nocturne, le silence de l'appartement immense et familial, la tendresse pour cette table, cette petite lampe bleue à dosseret, ces livres dont je tirais ce que je voulais ; il y avait la disponibilité des heures parce que j'étais seul, que je ne dormais pas. Ce devait aussi m'induire à la lecture spirituelle et me retarder dans mes émois sexuels ou sensuels dont je ne commençais l'épreuve qu'à deux et de la plus hétérodoxe façon. Des fusées qui auraient pu partir, ne furent donc pas mises à feu. Je me voûtais le dos à graticuler, je lisais hors programme des pièces de SARTRE l'année où le XVIIIème et le XIXème devaient être assimilés, et de MUSSET quand j'aurais dû prendre CAMUS, je dépiautais les textes, rédigeais pour moi-même mes commentaires, commençais donc de prendre des notes. Car au cours, je voulus toujours prendre le verbatim, encore aujourd'hui mes carnets - dont une journaliste m'a appris qu'on les dit de terrain - s'en encombrent, ce qui est implicitement me renvoyer à un second examen, sinon à une réécoûte, pour assimiler et casser la coque, ne gardant que l'amande. Ce genre de choix, je ne sais pas l'opérer. Avant d'avoir commencé d'écrire, j'avais donc contracté de défaut-là de vouloir tout prendre, exhaustivement et tout garder. Il en résulta un comportement de vie, dangereux et boulimique dont je n'ai su me départir. Ecrire me ressemble, et si je ne sors pas d'une écriture qui n'a été jusqu'à présent que ce qu'elle est : peu lisible et peu prisée par des tiers, je ne sors pas davantage d'une biographie, libertaire quand je suis au soleil, pitoyable quand e suis à l'ombre, du moins au point de vue des tiers, qui sont les mêmes, lecteurs ou contempteurs.
Mais avant d'écrire, j'avais également découvert un pays exceptionnel où peu accède et encore moins réside. Ce pays immédiat et tout autre, on est là, je suis là, ainsi ce soir, ce soir qui tombe, la journée a été fraiche et grise, la terrasse est dallée, les prairies - ce sont les miennes jusqu'à une ligne d'eau, la mer rentre dans les terres, grise ou blanche suivant le ciel ou la vase, j'écris... mais cepaysage, je ne le vois pas, cette fraicheur je ne la sens pas, je n'éprouve que d'écrire, je ne suis nulle part, en tout cas je ne suis pas là, et si j'y suis physiquement, indubitablement, toutes mes facultés, les plus sensuelles, surtout les plus sensuelles de mes facultés sont - avec moi - ailleurs : j'écris. Oui, au cours de ces nuits de compilation, de ces commentaires de nos grands textes qu'à l'étude du soir, sur les bureaux à se partager avec un camarade qu'on finissait par choisir, je faisais clandestinement ayant terminé mon "devoir" à l'avance, j'appris qu'on peut plonger ailleurs, y être hors du temps, loin de toute prise. Ce n'était pas une fuite, car la chaleur familiale, mes succès scolaires le plus souvent, l'aventure et le dépaysement que représentait le scoutisme de cette époque-là, me donnaient une vie agréable ; je n'avais rien à fuir, je n'appréhendais ni l'avenir (sauf quelques compositions de mathématiques ou les exrecices de gymnastique pour lesquels j'étais fort médiocre, ou plutôt ne savais m'y prendre) ni le lendemain ou le soir tout à l'heure. Je ne systématisais pas même cet accès et ces séjours répétés dans un pays que je ne croyais pas si particulier. J'avais appris à me concentrer, et - paradoxalement - c'est cette capacité, demeurée, à me concentrer au point d'être hors d'atteinte de tout le reste : soucis prenant l'âme et la cervelle, astreintes des lieux et de la promiscuité, qui m'a le plus conduit à la dispersion. Tout me passionne, me séduit, j'y entre avec aisance, je suis tout entier dans l'instant mais cet instant je le fuse, le travestis, le transporte : oui, je vais l'écrire, je suis en train de l'écrire. J'entre en prière, peut-être eus-je des extases ? j'entre dans les gestes et la liturgie de mon corps accepté par un autre corps, j'eus certainement des extases. C'est le même pays que celui des fiches et des chronologies de mon adolescence : une concentration telle que rien n'existe plus, que je ne perçois plus rien que ce que je suis devenu, tout entier à cette supra-conscience d'être habité de toujours à toujours par Dieu si familier, si reconnaissable et pourtant impossible à convoquer ni à retrouver de moi-même, tout entier à la plus subtile, heureuse et angoissante attente qui soit pour l'être humain quand les sexes se sont repris l'un l'autre, tout entier à cet homme, à cette femme, à cet enfant qui me disent leur histoire, une expérience, une attente. J'écoûte, je vais écrire, j'écris. Ecrire, c'est copier, c'est transcrire, je n'invente rien, j'ai devant moi, en moi, ce matériau ; je copie, je l'empaquette, je le stocke, je l'écris. Des paroles, à certains instants, où je suis fou de sensibilité, me paraissent si exceptionnelles, parce que ce ne sont pas mes paroles, que ce sont des mots qui ne me seraient pas venus : je voudrais les noter, je les ai parfois notés au vol. De là à la manie d'enregistrer, pas du tout à de quelconque fin de témoignage, de contradiction, peut-être pas même pour le souvenir, mais pour palalier mon manque d'imagination et d'originalité. Je n'aurais su dire cela. Comme vous le dites bien ! Qu'il est authentique, irremplaçable ce mot, même vous-même qui venez de le dire, vous ne sauriez le répéter, c'est déjà parti, ce vous fut inspiré, c'était si juste, heureux. Les mots des autres, les sensations que me donne la vie, qu'elle me dicte, je ne puis les inventer, je les prends à l'instant, j'écris.
Les fiches sont devenues de lecture. Les grands auteurs, nos grands auteurs m'avaient donné la grandeur, et de quoi débattre, ils introduisaient au monde. Sur la plate-forme, cloche avec chaine noire et poignée de bois, boîte métallique au ventre du contrôleur, je lis GIDE, j'apprends Les nourritures terrestres, bientôt je dicterai à mes élèves qui pourraient être mes père ou grand-père, ce va être en Mauritanie, le service militaire de coopération, je suis "professeur" et je dicte des pages de BRASILLACH (Tolède, pas " la nuit " mais le site, les cigarrales), je me suis enchanté des images de GIONO. Ce sont des bristols, deux ou trois fois la taille des cartes de visite d'antan, redevenue celle d'à présent, les miennes, on peut y écrire dessus, ce ne sont pas des étiquettes. Retenir des lectures, doubler la joie que je viens d'éprouver en lisant cette phrase, en y étant revenu pour en vérifier les contours, c'est depuis : là, et jusqu'ici. Oui, c'est juste ! C'est juste parce que c'est adéquat, c'est exactement ce que j'ai ressenti, ce que je ressentirai, c'est ce qu'il fallait dire, on ne peut mieux dire. C'est bien dit, parce que c'est bien écrit. La citation, le texte non dans son entier, mais pour sa perle, dans sa saillie la plus présente. On ne peut tout retenir par coeur, ce ne sont pas des dates, j'ai la mémoire des dates, le reste ne revient qu'à peu près, je suis trop encombré de mes mots, c'est pourquoi je prise tellement ceux des autres. Des rectangles blancs que je dactylographie (au dos, ou à la fin de la citation, si celle-ci nécessite aussi le verso, je tape en rouge, non seulement les références, mais la date de ma lecture - longtemps, vingt ans après, je réalisai que la mise bout à bout de ces citations, à la date où elles arrrivèrent dans ma vie et à mon plaisir, leurs références, c'est-à-dire l'aveu de ces dettes et emprunts, rejetées " en fin de document ", constituera le plus beau livre que je puisse jamais écrire, le plus personnel et représentatif de ce que je fus, aimais et compris, et pourtant je n'en aurai pas écrit une ligne, ce qui ne signifie pas - au contraire, très précisément - qu'il y en aura eu une seule, oui ! une seule que je n'ai pas choisie, trouvée, savourée pour elle-même et par moi-même). L'informatique permet cette écriture-là. Je lus beaucoup, je lis parfois encore beaucoup, je crois que je reviendrai à beaucoup lire, mon plus beau livre sera donc un gros livre, de nombreux tomes.
J'hésitais donc encore à ces débuts, à mes vingt ans, entre la compagnie de l'écrit et écrire. Faisais-je même la différence ? puisqu'aujourd'hui je serai tenté de ne plus la faire. J'avais abandonné l'étude, la compilation de l'Histoire et la politique - de GAULLE régnant - c'était de l'écriture, des livres ; toujours hors programme, j'avais lu, et je commençais d'acheter, pour - plus tard - les faire relier bon marché suivant des classifications minutieuses et jubilatoires, tout ce qui pouvait expliquer les fondements de la cohésion française contemporaine : la légitimité en somme, qui n'a été acquise par nous que de tête, car nos sols, nos races et nos histoires sont si différentes, nos parlers aussi, donc des crises de l'intelligence et cela s'écrit. Ce ne furent pas des fiches, mais être passé des encyclopédies, des cours magistraux aux mémoires, sténotypie de procès, journaux des grands acteurs m'introduisit dans une compréhension de l'Histoire que je ne pouvais plus détacher de la politique la plus courante, la plus contingente et quotidienne qu'elle fut celle de mon pays, ou celle de ce désert et de ces hommes, censés s'émanciper de la France. J'entrepris de documenter une thèse sur Le pouvoir politique en Mauritanie, c'est-à-dire que je fis la chasse et la découverte, non de ce qui avait été écrit sur ce projet d'Etat [2] mais ce que, à mesure qu'il émergeait, se perfectionnait, devenait autre chose qu'une élucubration, cet Etat produisait d'écrits et d'éphémérides. Le document, et aussi le témoignage. Je prenais des notes qui n'étaient plus de cours, qui était la confidence d'hommes de là-bas au pouvoir ou y ayant été, à commencer par le premier d'entre eux, président à peine quadragénaire au parler lent et sourd, de totale conviction. Je projetais d'écrire, mais écoûter, noter, retenir, comprendre de l'intérieur, sans référence à ma formation, à mes mots, à mon pays et à ses jugements - ceux-ci par le truchement des " conseillers techniques " ne manquaient pas... - était une sorte de bonheur. je vivais par procuration ce que d'autres m'exposaient de leurs difficultés à gouverner les circonstances et les mentalités, bien davantage que les hommes. Ces paroles, elles aussi, étaient uniques, sans analogie ni précédent. Une méthode me fut ainsi donné par mes premiers interlocuteurs. Mon métier naissait qui pouvait être celui du journaliste, celui de l'historien ou du sociologue, ou - compris d'une certaine manière - celui du diplomate, car écoûter intensément donne presqu'immanquablement au monologue la force et la réciprocité d'un dialogue. Venu me documenter, je repartais en conseiller aulique dont le retour était souhaité et attendu. J'avais l'intelligence assez heureuse, assez prise à son plus sérieux pour éprouver qu'une posture de ce genre, notamment dans mon pays, d'oreille puis de redondance du grand chef, me suffirait largement comme carrière. J'ambitionnais d'être appelé par le roi, non sur la scène, non pour jouer les éminences grises en coulisse, mais vraiment pour le dédoubler, réfléchir avec lui et pour lui, et me croyant tout de même doué d'une certaine imagination et de beaucoup d'enthousiasme une fois le tonneau percé, je conjecturais, presque dès mon séjour mauritanien, pouvoir être utile en pensant un Etat. Je parlerai, je produirai des notes à un seul, mais qui serait le premier. J'ai commencé ainsi d'écrire en politique, d'en avoir le projet, pas vraiment la méthode car aucun journaliste ne tiendrait la plume comme je l'aurais à l'époque tenu, puisque l'art n'est pas de faire comprendre du point de vue du sujet abordé, mais de le présenter comme un objet, avec distance, avec critique. J'ai toujours tenu que le lecteur préfère le matériau brut ; est-ce parce que je ne sais qu'écrire d'après matériau ? qu'on traite ainsi le lecteur aussi bien que l'interlocuteur en adulte, qu'on ne peut l'être soi-même que dans cette situation de supposer les raisons et la raison de l'autre aussi affûtées que les nôtres, analogues. Vivant pendant dix-huit mois, à vingt ans, parmi Noirs et Beïdanes [3], j'eus la grâce insigne de n'éprouver que le racisme des tiers et d'apprendre qu'il en est un autre plus insidieux et nous agrippant tous : la haine autant que la peur de la différence, différence d'âge, de sexe, d'histoire, de parler, d'allure, d'odeur. Je ne ferai partie d'aucune ethnie ni en idée, ni en manière d'écrire, ni en politique ; aujourd'hui, je puis comprendre n'avoir fait ni carrière ni livres.
Carnets de terrain, fiches à citations, transcriptions d'entretien, il manque encore tout à la palette. Le journal intime est celui d'un amoureux transi qui ne peut rien dire de son admiration ni de sa passion. C'est un été, celui de 1961, en baie de Paramé, la soeur d'un camarade de collège en est l'objet, je plais mais n'ai aucune chance. Elle se mariera tôt, se dessèchera comme sa mère, ne me reconnaîtra pas, même à la voix, face-à-face à une table de réfectoire, me servant au plat communautaire, vingt ans après, quand nous suivons, elle, son mari, beaucoup d'autres et moi, une retraite spirituelle aux environs de Clamart. Lui, le mari, me reconnaît et avoue implicitement que je fus un rival sérieux malgré mon très jeune âge, et que je n'avais ni diplôme ni service militaire encore à mon actif, comme le Polytechnicien en école d'application qu'il était à l'époque. Tandis que sur le palier, il y a l'autre chambre, la sienne, comme la mienne sous les combles de la villa des années 1920, prête pour un roman de GRACQ ou un film de ROHMER, que j'entends des nocturnes de CHOPIN, je ne peux qu'écrire, pas même lui écrire. J'écris l'escalier, j'écris mes bras la portant, j'écris sa robe - blanche naturellement - j'écris, non j'effleure, et c'est à peine, j'écris le corps que je peux voir tous les jours, maillot une-pièce, de coton noir, elle se tient très droite comme sa mère, j'écris ce qu'elle ne lira jamais. Quand j'apprends son mariage, je fais dix brouillons, j'essaie d'être aussi allusif que transparent, des métaphores, de la tristesse, Pierrot pour Les enfants du paradis, et à ce mariage je vais. A l'enterrement de son père, chirurgien renommé, qu'on tue en voiture doublée en troisième position, j'étais allé aussi, deux heures de marche à travers champs, assez loin de Paris, je m'étais trompé de gare, j'arrivais pour les condoléances, la tombe n'avait déjà plus d'entourage. Des notes de cette époque, j'aimerais en lire à présent. Le cahier sur musique de CHOPIN a disparu, il avait suivi de trop peu et d'un même format bizarre, tous deux achetés en Angleterre, un autre que j'avais écrit, sans penser à mal, mais le mal dût être pensé par ma mère, qui d'autre l'eût détruit ? j'y racontais, d'imagination, des amours homosexuels avec quelques camarades de collège dont aujourd'hui je ne sais rien et ne reconnaîtrais ni la voix ni le visage, ils étaient à l'époque, beaux ou intéressants, fascinants et supérieurs, nous n'avions pas de fraternité, guère plus d'amitié, les Jésuites nous mettaient en garde contre l'amitié, ne nous parlaitent pas non plus d'amour. On nous apprenait à faire des plans de dissertation et de carrière, pas à écrire, pas à faire la cour, pas à désespérer, pas même à espérer tant la certitude d'être le sel du monde nous était inculquée. On cultivait à Saint-Louis de Gonzague plutôt la parole et le maintien, il y avait du théâtre amateur, j'y étais souvent une vedette, ce fût moi, il est vrai par raccroc, qui lus le complément à l'évêque qui confirma ma promotion, pas le premier venu, c'était Mgr. BLANCHET. Certains prêches, les plus longs, donnés par le doyen des Pères dits spirituels, donnaient à entendre quelques citations d'effusions mystiques, qualifiées de pages admirables, mais je n'appris ni à composer ni à rédiger, seulement à briller, ce qui est insuffisant et dangereux par les temps qui allaient courir dès que je fus adolescent.
Mon journal s'est donc ouvert tard et en notes de lecture, les fiches ne pouvaient rendre compte de tout, car dans ce que lisais tout n'était pas style ni image. Notes qui étaient des commentaires, c'était le mois d'Août, je vins chez mon grand-père maternel à Carcassonne, y passais un mois, tombais amoureux de la meilleure-amie de ma cousine, laide et piquante, que je trouvais enchanteresse parce qu'inaccessible, cela me faisait oublier celle dont je n'appris le mariage qu'à mon départ pour le sevice qu'on disait encore militaire quoiqu'en coopération. Aux commentaires sur d'autres, se mêlèreent presqu'aussitôt des commentaires sur mon infortune et sur mes résolutions amoureuses. Ouvert, ce registre ne se referemerait plus. Je commençais vraiment d'écrire... l'effusion qu'étiquetta "claudélienne" mon premier lecteur - un énième père spirituel en charge de diagnostiquer ma vocation sacerdotale ou religieuse, c'était déjà un moine les tirant du pendant de son habit bénédictin, qui m'avait donné le goût de faire et avoir des fiches. Je n'en sortais plus, comme de certains cantiques ajoutant un "mais" amoureux à chacune des phrases conclusives. J'écrivais pour pointer ma certitude amoureuse en dépit du silence de l'aimée, j'écrivais moins stérilement ce que je comprenais du débat gaullien en France, ce que je retenais des éditoriaux de J.J.S.S. Mes premiers jours en Mauritanie - durs et isolés, deux courriers parce que deux avions seulement par semaine - furent ainsi consignés, j'allais de résolutions inlassablement recopiées et confirmées aux premiers relevés des adolescentes européennes ou octavones du lycée de Nouakchott. Les scènes de puits entre Mederdra et Boutilimit, qui furent les premiers fortins de la pénétration française, au-delà du feuve Sénégal, aux temps de PSICHARI et pas encore de SAINT-EX. donnèrent beaucoup de lignes ; comme encore en charge du cahier scout, j'imitais le style des Sahariens et annonnait des images et des asonnances publiées depuis les années 1930, j'en étais pourtant content, je commençais d'aimer le pays, je le vivais en privilégié de la politique et donc des relations ou invitations locales. Une des plus jolies plantes me capitva parce qu'elle avait dit, d'une vois sourde et émue, qu'elle aimait danser avec moi. Je poétisais avec le peu de comparaisons musicales ou chorégraphiques dont je disposais en mémoire immédiate d'une partie de tennis à laquelle elle m'avait invitée pour que nous ayons un prétexte. C'était mon énième premier véritable amour, ce fut un objet très chaste, et presque totalement interdit, de correspondance dubitative que je lui adressais, à chaque vol vers Nice, sans être payé de retour qu'une ou deux fois - de faire-part aussi à mes parents de cette passion sans précédent. C'est ainsi, que - de nouveau à Carcassonne, mais pendant les " événements de Mai " je composais un roman, c'était le premier, et que - lisant peu après un article de TROYAT sur la mise en scène par l'écrivain de ses pesonnages qu'ensuite, une fois bien typés, il laisse évoluer selon leur logique propre universel - je crus m'y reconnaître en plein travail créatif, et donc déjà reçu dans la grande famille des écrivains. Je devais, ensuite, et tous les deux ou trois ans, goûter au même bonheur et à la même illusion, vivant des aventures que je n'aurais pas comprises autrement, revivant des moments que j'enfilais les uns après les autres au moyen d'un vocabulaire que je croyais varié et d'une syntaxe par laquelle je m'autorisais, comme ici - hélas ! - d'interminables phrases. J'avais contracté le goût d'écrire et je me crus assez vite avoir en main l'archet magique. Mon journal intime intégra, par papier carbone, les lettres d'amour que j'estimais les plus topiques. Il était manuscrit et c'était un cahier en long, toujours à carreaux d'écolier, d'une écriture lisible et bleue, un cahier qui durait six mois, puis qui ne dura que deux mois, qui racontait des fiançailles, plusieurs fois, des pentes et des certitudes, des bilans, des attentes et de l'impuissance. J'y peux relever aujourd'hui la date et la trame d'entretiens très politiques avec tout ce que la France d'après de GAULLE compta d'hommes d'avenir qui sortaient d'un passé récent. Il y a peu de vraies descriptions d'un caractère, d'une situation, mais il y a - comme à mes origines de rapporteur, d'antenne intimes - les mots de ces hommes, leurs mots. Ce peut être touchant. Leur méli-mélo avec mes affres sentimentales éloigne cette oeuvre, considérable en volume, de ces journaux qu'on publie au soir d'une vie illustre. Je ne mettais pas là mon talent, et je ne m'en suis cru un, dans ce genre d'écriture qu'il y a peu, ce que rien n'a confirmé, car - exactement comme lorsque je dus interrompre la série de mes cahiers manuscrits - je n'ai jamais été lu que par curiosité, vite vengeresse ou écoeurée. J'aimerais pourtant lire, d'un de mes aïeux, le même journal intime que je tiens depuis vingt-cinq ans maintenant, à la machine, et distingue, depuis quinze ans, d'une relation de ce que je vois et comprends dans mes affectations professionnelles successives. Sans doute pas un récit, mais les impressions successives, probablement répétées d'un homme ou d'une femme qui avance et se retient, se lâche et se réfugie comme il peut, comme elle peut, comme ils purent. On n'y verrait pas vraiment ni les visages, ni les corps qu'ils aimèrent chez autrui ou qui furent les leurs, ni les maisons qu'ils habitèrent ou les machines dont ils disposaient déjà ou encore, mais on les y verrait semblables avec les mêmes complications, semblables entre eux et à nous. J'y trouverai, dans ces journaux, ou dans ces lettres s'il y en avait beaucoup de l'insignifiance à la tragédie, les ancêtres que je me veux, des ancêtres de mes échecs et de la joie humaine. Il est des familles où l'on tient le livre de raison, mes livres d'or ouverts depuis mon poste de Vienne ont ceci que je sais seul : ces scrupules, ces hésitations, ces lenteurs, ces rapidités qui donnent les lignes les moins belles parce que les plus convenues ou professionnelles, cette situation que l'hôte n'avait pas prévu et dans laquelle il est prié, contraint décrire, et je le regarde écrire, composer, se composer.
J'ai été retenu, je suis encore séduit parce que des lettres viennent qui murmurent tout, la compagnie, le compagnonnage, le désir que cela recommence, cela : le jeu sensuel, qui n'est pas tendresse mais peut le devenir, qui est d'abord aventure. Deux fois, jusqu'à présent, dans ma vie, cette stimulante situation d'être en correspondance. Conditions : une femme intelligente et passionnée, qui doute de moi, de mon amour ou de ma capacité. Résultat : une lucidité sur moi, plus que sur la signataire se sous-estimant ou se sur-appréciant. Contexte : une immédiate surabondance du journal intime qui accompagne et commente ce dialogue, le remettant à plat en ne le lisant qu'en signes et en chances d'amour. Conséquence : une surcharge au moment des revoirs, laquelle engendre un besoin très clair et envoûtant de se dire plus qu'on ne peut se dire et s'écrire. L'érotisme, la liturgie sensuelle sont ainsi convoqués, on ne les quitte plus. L'écriture m'a mis au monastère des étreintes qui ne sont pas d'hygiène, pas d'une priorité donnée au plaisir, des étreintes qui sont des communions, des prières, dont on ne ressort jamais lassés ni déçus. L'écriture compense ce dont on n'est pas sûr, et le seul manque décisif en cette existence est sans doute le manque de certitude, certitude de soi, plus que certitude de l'autre, l'autre se fait en nous à façon, l'écriture le délie rarement, le rapporte toujours. L'écriture introduit rarement, l'anticipation de l'érotisme en gâche les tentatives de l'appliquer, le récit qu'on en ferait ne plaira qu'aux complaisantes ou aux indifférentes. J'ai écrit également de cette manière. Toutes les écritures nous donnent, le temps d'en tracer les caractères, cette sensation de trouver, de dire d'une manière unique, de trouver, d'avoir trouvé une manière unique, de dire ce qu'il y a dire d'unique, et uniquement cela. Une royauté pour soi-même, une royauté de nuit. J'ai pourtant écrit, une femme à mes côtés, déjà dormant, mais moins présente que celles au loin à qui je consacre des lignes. Deslignes que je ne saurais lui écrire, mais qu'il m'est indispensable d'écrire, c'est mon dialogue - absolument nécessaire et quotidien - entre elle, son image en moi et l'image que j'ai de moi, et que je suppose qu'elle a de moi. Je fais se mouvoir - peut-être - deux marionnettes à chacune deux visages, qui ne parlent qu'une seule langue : la mienne. Le journal raconte, constitue ce dialogue, ou plutôt c'est ce dialogue qui fait mon journal. Dieu y vient presqu'aussi souvent, qu'il est moins aisé de méduser. La femme que j'aime ne me dissuade pas - par elle-même - des niaiseries ; il y faut l'inquiétude qu'elle ne m'aime plus pour que j'écrive autre chose que mon désir de m'en émanciper ou ma culpabilité de ne pas la satisfaire par un peu d'éternité ; je ne discute longtemps qu'avec l'idée que je me fais de ce qu'elle attend ; qu'elle paraisse fuir ou s'enfermer, alors il s'agit de moi, d'un manque, d'une perte, de mon égoisme, je suis plus précis et deviens prometteur. Dieu ne se prête pas à cela, du moins - écrivant - n'ai-je jamais pu L'éprouver de cette sorte dont je pourrai tout faire. Même du scrupule, Il m'a assez vite guéri. Mes premières notations spirituelles furent un débat sur la licéité même de prendre des notes et de prier par l'écriture, tandis que je " faisais une retraite d'élection ". Lignes appliquées, marges maigres, feuillets nombreux, je ne sus rien décider mais entrevit que Dieu peut se manifester. De cette époque, celle aussi de ma rencontre avec le moine aux fiches - épris de perfection, surtout formelle, maurrassien et scolastique, qui acquit par moi le lieu où accomplir une vocation spirituelle de toujours au désert : la Mauritanie, donc -, celle presqu'aussitôt ensuite de ma naissance aux évaluations politiques et sentimentales, date une écriture qui n'a pas changé, celle du soir ou des aubes, par laquelle on ne répète que pour soi le chant continu de la déception, donc de l'attente et de l'espérance. J'écris chaque jour, avec la même petite croix - manuscrite ou dactylographiée - avant ou à la suite d'une notation de l'heure, le point d'une existence sans âge : mon pays se passe toujours de moi, je ne parviens pas à me marier, j'ai à peine le fantasme d'un enfant mais il y faut un ventre, et je contemple, au fil des années qui pencheront bientôt vers la vieillesse, la succession, la progression de tout tandis que, battant la mesure sur place, je m'infantilise. Un journal intime, en termes littéraires et en valeur éditoriale, note gravement les débats de l'époque et des têtes-à-têtes dialectiques ; il est relu, annoté, avec coquetterie allégé d'un détail. Personne n'y a d'épaisseur et peu s'y répètent. On se met à son journal comme à un article pour la presse ; on écrit parce qu'on sera lu, on est responsable de ce que l'on écrit, l'est-on de soi-même ? Le succès, la notoriété en dispense. Il y a longtemps, plus de cinquante ans qu'on n'a fusillé d'écrivains chez nous, encore l'émule de CHENIER à notre Libération ne tint-il de journal intime qu'en forme des Poèmes de Fresne ; il y est question de mort, pas de suicide, pas non plus du procès. Pierre LAVAL, pour la première fois de sa vie, rédigea abondamment et avait choisi le suicide. Mes compagnons sont les mêmes, ce soir qu'aux premières pages du premier cahier qu'il me fut permis de conserver. J'écris la même chose, avec plus de prolixité seulement, et à l'unique nuance près que je ne me sais plus d'avenir. Là peut commencer - peut-être - un effort pour écrire, donc me concentrer et rassembler. Serait-cela là des Mémoires ? Rétrospectivement, en danger de vie.
Parvenu à ce point de ma vie et donc de mon écriture, je puis caractériser celle-ci, puisque j'ai pu en indiquer l'histoire. L'écriture n'a rejoint ma vie que fruste et sur le tas, pas du tout précocement, sans conscience ni ambition, elle s'est avérée sans débouché tout le temps que - la trahissant parce que je la comparais à d'autres - je me suis interrogé sur l'usage à en faire, ou qu'il était possible que j'en fasse. Elle me ressemble tellement, elle est si analogue à ma vie, à ma manière de vivre, qu'elle n'est pas plus pratique que moi. J'ai commencé - ici - par dire qu'elle est peu lisible, et peu lue. Mais elle est facile à produire, et croire - tandis qu'on écrit, qu'on écrit vraiment ce qu'on veut écrire, ce qu'on voulait écrire en rouvrant le cahier, et qu'écrire même peut ajouter à ce qu'on voulait écrire, et oarfaire ce qu'on n'aurait pas si bien voir ou se dire avant d'écrire ou autrement qu'en écrivant - cette foi-là donne, à peu de frais, une joie qui revient à chaque exercice. D'autres me disent et m'ont répété qu'écrire n'est pas cela, n'est pas un bonheur, ni une manière de vivre, mais un travail. Raturer, couper, reprendre, pour eux, c'est écrire. Peut-être... tu n'écris pas pour toi, m'est-il ordonné. Ah ?
S'il en était autrement, je me relirais. Ecrire, n'est pas m'écrire, mais c'est plus communiquant que de me lire et me relire.
Je ne gêne personne ainsi. Sinon celle qui à mes côtés voudrait dormir, et une vie, à deux, trop intime et sans quelque absence l'un de l'autre, le jour ou la nuit, empêche le journal intime. Personne sinon le diplomate que je fus, le journaliste-éditorialiste que je fus, le romancier que j'aurais dû être, le poète que j'aurais pu devenir, le créateur que je ne suis pas. L'écriture m'a isolé de moi-même au plan le plus pratique. J'ai empilé des pages, seul l'ordinateur me fait la grâce den perdre quelques-unes ; j'en suis, sur le coup, désolé, puis j'oublie, envahi par les suivantes vite décuplées, centuplées. L'écriture - solitaire, sans but : exercice du soir et du matin, à tout moment, non pas maniaque mais si habituelle -m'empêche d'écrire au sens convenu du terme... que faites-vous e vos journées, qu'avez-vous fait de cette année ? répondre par la tenue d'un journal dont la découverte a cassé, une nouvelle fois, votre vie sentimentale semble tellement sphérique et clos qu'il y faut une autre question. J'y arrive : pourquoi j'écris ?
Parce que rien d'autre ne m'est proposé ni par la société ni par la vie, parce qu'à la longue il s'est avéré que je ne sais rien faire d'autre, parce que toute proposition qui aurait tari... ou empêché... une proposition d'être ou de faire, par exemple, me fascine et m'effare, je me dérobe ou je casse. Ce n'est ni beau ni mature. L'écriture ne m'a pas appris à vivre, à oublier, à me lancer, à vraiment donner, à me confier au présent. Est-ce elle qui m'a de plus en plus déséquilibré, confiné, aveuglé ? Ou bien : est-ce ce que j'écris ? Qu'écrivè-je, sinon ma vie, et qu'est ma vie sinon écrire, m'écrire, me noter ? L'aération ! et c'est le vertige. Je tiens en équilibre par habitude, et je n'ai d'habitude qu'écrire. J'ai pensé, ces dernières années, qu'arrivé... je cesserai d'écrire. Fin de l'oeuvre pour cause d'accomplissement ! mais arrivé où ? et quel accomplissement ? sinon au pays de l'écriture.
J'ai conçu l'écriture, très tôt et de ce que je pris pour une véridique expérience, comme un élan vital, comme une expression la plus proche possible de sa source - une source à peu près ignorée en débit, en origine, en consistance, en véracité - et pas du tout comme un travail. Même lorsque j'écris pour le travail, c'est-à-dire professionnellement. Dans cette situation de docte, et où je serai lu par hypothèse - je suis nommé, recrutén promu, payé pour cela - et par destination - le travail est expédié, archivé, censé répondre ou instruire, plus rarement questionner - situation longuement la mienne, je ne me suis pas plus relu que je ne revois mes écrits personnels ; plus grave sans doute : j'y ai éprouvé la même joie. Mon insuccès - en profession comme en édition - doit bien signifier l'insuffisance de mon écriture. Je ne sais donc pas écrire, et pourtant j'écris. GALILEE... Celle à qui j'écris, des mois, des années, son amour durant, chacun de mes mots porte, elle y croit, elle les détache et, comme ces paysannes des Cévennes protestantes portent au chaud de leur entre-seins les cocons, elle les roule et murmure le jour et la nuit en sa pensée ivre et tendre. Convaincue que je la trompe, traversée par une intuition que j'admets et alternativement redoute ou implore, la voici qui ne peut plus me lire sans que j'ajoute, sans doute parce que mes mots n'ont pas changé, au fagôt d'amertume. On n'écrit donc bien que par la grâce du lecteur. N'en avoir point c'est l'indépendance. Une telle liberté, qui fut aussi celle de ma vie, n'a que le champ se rétrécissant toujours de la solitude. L'écriture ne peut ressusciter qu'appelée par celui qui l'attend. J'ai toujours pris l'interlocuteur, le lecteur - la femme d'amour, plus encore - pour un conseiller en puissance, au lieu d'un partenaire et peut-être d'un censeur : naïveté. Etre aimé, être lu donne quelque lucidité. Etre aimé, être lu oblige. Vouloir être lu, accepter d'être aimé, ai-je déjà eu l'expérience d'une telle naissance à soi-même pour complaire à autrui, rejoindre quelqu'un ? C'est bien différent que d'indéfiniment et vainement tenter de se préciser et de se situer, soi.
J'ai donc commencé d'écrire à vingt ans, pas vraiment avant ; la plante fut assez longtemps petite et domestique. Je ne suis devenu qu'il y a peu, mais presque complètement à présent, cette plante-là ; elle tourne à la sauvagerie. Hélas ?
II
Ce qui m'empêche d'écrire ? Ne pas savoir écrire ! Ne pas savoir quoi écrire !
La matière, je l'ai. Cinquante ans plus qu'accomplis, on a vu, entendu, compris des choses, rencontré des gens, forcément. Par tempérament, par curiosité presque toujours éveillée, d'un lit d'hôpital où j'ai manqué y passer, d'une Ambassade d'où l'on peut entrer et voyager n'importer dans un pays où n'ont séjourné ni mémorialiste, ni journaliste, ni aucun Ocidental, dans un monastère où je fais retraite spirituelle, dans une soirée organisée par les parents d'avant-hier pour les adolescents qui furent de mon temps, dans les couloirs de l'Elysée, de plusieurs journaux, de la présidence de Mauritanie, du Vatican, au Brésil, en Grèce, en Bavière, au Cap nord, au Portugal, au Kazakhsta, en Autriche, des prêtres, des ministres, des chefs d'Etat, le Pape, des prostituées, de vieux homosexuels, des garçons faciles, des chirurgiennes compliquées, une Carmélite même, des femmes délaissées, des femmes pudiques, des très jeunes et des très vieilles, des normales et des pathétiques, des écrivains, des frustrés et des simples, des Noirs, des Jaunes et des Roses, des paysans et des enseignants, des entrepreneurs et des hâbleurs, j'ai vu tout ce qu'il y a de spécimens humains, de paysages actuels, les camps nazis, le Sahara, de fonds mer battus par la houle même à cinquante mètres de fond autour du cap Fréhel, les Soyouz décoller de Baïkonour, Prague avant la chute d'ADAMEC manifestant pour le dixième anniversaire de la mort de LENNON, et j'avais cru que c'allait être de la politique, et c'en était, de cette manière là. Beaucoup vu, beaucoup entendu, presque tout noté à mesure, et pourtant pas de saga, pas de biographie, pas de récits, pas de personnages, pas une oeuvre, pas une page. Quoi donc m'empêche d'écrire, car je continuerai de vivre en voyant, happant, regardant, écoûtant, notant... Matière envoûtante, tellement et à elle seule, que l'écriture - en moi, intimement, automatiquement, magnifique - se dévide, orale, murmurante, et se dérobe - en des mots si banaux, un rythme si naïf et médiocre que ce n'est ni écrire, ni avoir écrit ?
Ni mémoires, ni récits de voyage, ni philosophie ou typologie de tant de personnages, de personnes, de situations. Pas davantage le journal réussi d'une aventure qu'on se donne de tenter, une journée dans Paris, sans téléphoner ni se faire accompagner, à pied dans des rues et un quartier pourtant familier mais à un autre de mes âges en relevant le défi de rencontrer quelqu'un et de demeurer assez intimement avec qui j'aurais ainsi rencontré : énième tentative de basculer la table, de perdre les cartes, de tout recommencer. Une grande semaine sur la ligne stérile, une ligne maritime entre les plus désolées des Cyclades, même en été, le bateau ne passe, énorme comme un transatlantique qu'il n'est pas, à défiler entre les rochers vers le quai plat et bas, des entrepôts et les sac-à-dos qui ont sué d'ennui et de crasse au bout de deux après-midi de nudisme et de brochettes ; j'y imagine pourtant, voygeant avec l'une, mais correspondant mentalement avec l'autre, la lettre d'amour et de regrety à deux entrées pour supplier l'une d'excuser mon manque de présence mentale et sensuelle, et l'autre d'un désir qui ne pouvait s'exprimer qu'au travers, très corporel, de la première ; sujet banal, paysages spomptueux mais souvent décrits, rien n'y fit. Quelques photographies m'en restèrent et aussi une première, l'amour de pénétration et de partout dans une eau presque grenat, avec sur la plage des filles et garçons qui s'en f... et parmi lesquels - faisant décor - je pris lesdites photographies. De émois vertigineux de l'âme découvrant son Hôte, de l'esprit découvrant la plus grande ivresse qui est celle de la séduction, celle du corps féminin qui se met nu et qu'on va toucher, qu'on a doucement et maintenant harponné pour la première mutuelle fois. Vertige de se sentir si double, si menteur, si sincère, si contradictoire que la folie est là, vertige que le suicide soit si logique, si attrayant. Toutes les matières, je les ai eues, je les connais, je les retiens, je ne sais les perdre sur le papier, au bout de la plume, et par ces lettres et ces mots que mes doigts au clavier frappent et dont - eux - ne savent pas s'échapper. C'est toujours les mêmes lapsus que je constate : des yeux blonds ou des prénoms inversés. L'informatique a ceci de troublant que tombant de fatigue, conscient soudain que je me suis assoupi quoique j'ai continué de dactylographier et qu'il me faut sauvergarder mon texte et fermer la boîte, la boutique, je retrouve le lendemain, à la suite, mot à mot, des lignes de plus en plus incohérentes, un paragraphe entier, sans une faute de frappe ni de grammaire ; ce qu'il me dit époustoufle, sans le moindre rapport avec ce que je pensais ou croyais écrire la veille, il témoigne d'une tout autre écriture dont la logique est analogue à la mienne mais qui avait attaqué un filon inconnu, absent de tous mes répertoires. Etait-ce avoir écrit ?
Qu'avez-vous écrit ? et la question, manifestement ne s'entend pas par : qu'avez-vous publié ? non qu'avez-vous, concrètement, matériellement, papier contre plume, cervelle contre le temps, la faim, l'indigestion ou l'indiscrétion, ténacité contre le ridicule d'imaginer des héros et des chambres et des couleurs quand il y a la vie bien plus bête et bien plus pleine tout autour de la table, du papier et de l'heure qui tourne, qu'avez-vous écrit ? réponse : rien. Et pourtant j'écris sans cesse, ni trêve, même avec plaisir. Cafardeux, mal luné, impotent, vif, content, quels que soient le moment de mon âme, la disposition impatiente ou rassurée de mon coeur, de mes sens, de mon sexe, j'écris et je suis ailleurs, quoiqu'avec tous mes bagages et ceux-ci acquièrent là tout leur sens. Unifié et paisible dans l'action pratique d'écrire. Apaisé si je ne l'étais pas en y entrant. Au fait de ma complexité, de mes contradictions, si j'arrivais à l'étape d'écrire en folie, en angoisse, en décision latente. Et, écrivant, des choses, des sentiments me viennent que je n'eus trouvées ou éprouvées autrement. Mais ce n'est rien qu'un état de vie, ce n'est pas une oeuvre ni même un écrit, si court ou factuel serait-il.
La capacité, je l'ai. Je ne vise pas là le produit fini, le contrôle de qualité, mais l'empilement des pages, la sortie du texte. Aussi régulière que la marée, pas un jour sans... Je sais tellement que rien ne se reconstitue, ni l'imagination qui vous a parcouru un instant, parce que... ou par réminiscence de... ou plus mystérieusement encore, qu'on ne sait épingler le processus quand il se fit, ni la sensation, que je note, en testament avant l'anesthésie, que je note à mon réveil alors que je suis plus bouclé, sanglé que le scaphandrier ou le cosmonaute, que je suis à plusieurs jours de pouvoir tousser sans réveiller le volcan le plus redouté, de pouvoir me mettre sur le côté ou sur le ventre ! que je note au volant, que je m'assieds -pour noter au vol l'irrépétable - en tailleur devant celle qui me plaque, me dévisage, m'injurie mais finalement (pourtant pas calmée, simplement retenue) me tolérera à dormir auprès d'elle ainsi que depuis tant d'années - non, ce n'est pas de toi qu'il s'agit : avec toi, je mémorise, et puis : tu sais m'écrire malédictions, imprécations, tous les fruits arrachés au buisson âpre de la lucidité, des fruits dont je ne sais s'ils sont tout à fait ceux de ton jardin, c'est ce qui me permet de te lire même horriblement acide - méthode qui a du bon, car précisément le silence se fait et, passés à autre chose, on peut revenir au lit ou aux sentiments autres qu'on les quitta. Les carnets, que souvent je ne parviens pas à relire : l'automobile, la colère font écrire dispersé. Un de mes plus beaux poèmes pourrait être - à l'instar de ces citations bout à bout constituant mon autobiographie affective et mentale - la transcription des maximes et interjections peintes au garde-boue des poids lourds brésiliens, surtout ceux qui circulent entre le Nord-Est et Brasilia ; au-dessus des énormes structures, tremblent et parfois se détachent des sacs de charbon de bois. En recevoir un, quand chacun est lancé à plus de 150 kilomètres/heure car la voie est droite, sur cinq cent kilomètres, sans stations-service ni carrefour, que le passage des vaches s'opère de préférence la nuit et sans gardien, donc sans signalisation lumineuse, un de ces sacs, et l'on cesse à jamais de lire et de conduire. J'ai donc lu et noté ces versets ; c'est plus divers et parlant que les dépliants de magasine de charme à la cabine des camions d'Europe ou d'Amérique du nord. Il y a de la couleur ; ceux qui écrivent ainsi, savent vivre, ils en sont d'ailleurs conscients, même dans la misère, selon nos approximatifs critères, ils sourient et chantent, ils ne détroussent que ceux qui ne leur ressemble pas. J'ai dormi sur des plages isolés des environs de Rio-de-Janeiro, avec mes appareils de photo et mon portefeuille, je ne fus pas attaque ; on ne m'en prit un que pour, jouant à plusieurs comme au ballon, me faire comprendre qu'on n'avait voulu me le prendre. on voyait bien que j'étais heureux de n'être que là. J'ai eu droit à l'imprévisible mais totale douceur, elle était au coin de la rue, j'avais trop dans mon assiette, j'y fis mettre autour un second couvert, elle mangea, le rancart que lui avait donné un Européen, un autre... et de passage, ou habituel, je ne sais plus, ce rancart n'était pas honoré, il était probabalement payant. Elle se donna l'heure de l'autre en dédommagement avec moi. Je la raccompagnais ensuite à sa pension de famille, tenue par des religoeuses, à horaires stricts, ce n'avait été que la sieste. Elle s'y prenait, elle me prenait sans beaucoup de personnalité, sans trop de ferveur, mais avec douceur, la reconnaissance du ventre au ventre, nous avions bien déjeuné et c'était mieux que de lire seul devant, ou plutôt malgré, une caipirinha, suivie d'une autre puis d'une troisième et de rentrer, lourd, un peu triste, sous un soleil trop dur, marchant de réverbère en réverbère, ceux, là-bas qui affichent la température en alternance avec l'heure : on a encore plus chaud... Ce fut un poème ([1]), pas beaucoup après : la douceur avait été, était au coin de la rue. Poème sans rime, qu'images ; je ne sais pas même lire mes poèmes, j'en fis un sur le cendrier à ma main, je ne fume pas, lors d'une séance littéraire que l'Ambassadeur dans les lieux et du moment avait organisée, il y déployait (de manière préparée et qu'on pouvait escompter) une mémoire d'enseignant pour les textes d'un banal XIXème siècle, mais il exorbitait ses yeux, rougissait de passion et une promenade sans originalité, quoique de prestigieuse signature, sur le pont de Bir-Hakeim, semblait un chef-d'oeuvre et même, car il y avait des étrangers, moins francophones que ma petite cour le supposait, un chef-d'oeuvre qu'il avait écrit, lui. Le cendrier était une virtuosité ([2]), j'étais seul à en être conscient, et je le lus si mornement, comme chacun de mes autres papiers, que je ne convainquis personne, alors qu'on attendait beaucoup. Puisqu'on me voyait avec mes carnets, à la table diplomatique aussi et ce n'était pas des téléphones que je prenais, et de discours il n'y avait que le toast, dit avec autant d'émotion que la traversée du pont sur Seine ; je prenais donc des voix, et parfois la mienne. On enterrait Tancredo NEVES, c'était la dernière fois que l'on voyait Gaston DEFFERRE, la "cohabitation" allait venir, je rencontrais Danielle MITTERRAND, et mon journal comme mes poèmes ne présentent - quel que soit le critère adopté, de l'édition à la glose solitaire d'un tiers dont j'abuse - aucun intérêt ! Cette douceur donc, je ne l'ai plus jamais rencontrée, je ne l'ai pas re-cherchée non plus, je n'habitais d'ailleurs pas Rio de Janeiro, je n'y venais que professionnellement, plus rarement pour l'aéroport. Elle m'avait laissé quelque chose qui persista tout mon temps de Brésil, mais ne survêcut pas à mon départ : le goût, sinon la science d'écrire à brûle-pourpoint sans les handicaps de la prose, du roman, de l'exposé et des introductions préalables, des explications en cours de route et de la grammaire conventionnelle ; on écrit court, on part d'une image, on se récite la phrase suivante, on court au papier, on l'a parfois déjà avec soi, le rythme s'installe parfois, indépendant, des mots arrivent qu'on ne prévoyait pas, on est déjà à la fin, on pirouette, on pleure, on salue, on fait se coucher le soleil, passer un oiseau, s'entrouvrir des lèvres au visage, au ventre. On aime beaucoup, on s'aime un peu, on offre ces lignes, on les compose de plus en plus vite, elles font suite, ce devient un agenda, un carnet de bal, on titre, on tire. Une liaison, qui - il est vrai - ne dura point, m'inspira plus de pages à larges marges et fin de lignes dispersée, de poèmes que de narrations ou de bilans dans mon journal intime. Je dormis - nous étions séparés par un étage, par son statut matrimonial et par le souvenir immédiat d'une compagne que je venais de raccompagner de là à l'aéroport, - je dormis non loin d'une fille au visage et au buste banaux, qui était peintre et j'achetais tellement de ses toiles, commandées ou aussitôt retenues, que le mari, figurant de cinéma, put devenir batelier des touristes dans la baie exceptionnelle de Paraty, mais tandis qu'avant de se séparer pour le lit et la nuit, elle dessinait à l'encre, sans lâcher ou presque son trait des illustrations pour le recueil de ces poèmes à coup sûr futurement édités, j'avais continué et pour me passer l'envie d'une proximité plus loisible je faisais de mon côté des poèmes érotiques ([3]) ; je les lui tendais, nous travaillions à la même table, et elle dessinait aussitôt. Il fallut dix ans pour que je revive une telle connivence, ce serait par télécopie - oui, avec toi ! chacune de tes pages arrivant tandis qu'à la plume, bien exceptionnellement, mais la célébration a mérité d'être ainsi faite, j'écrivais, continuais ma réponse. Est-ce écrire ?
Concentrer, ramasser, attaquer, conclure, dire brièvement mais très clairement, rester facile - surtout si l'on est dense, et j'étais forcé à la densité par le peu d'espace que le grand quotidien du soir m'accordait, mais il est vrai ce fut, pendant dix ans, si souvent... - c'est une école. Elle ne me fut pas ouverte, je n'y entrais par aucun concours, j'en fus exoté par système, j'en avais été un des plus voyants favoris pour des motifs très contingents mais qui furent une habitude dix ans. L'amitié d'un homme [4], de décisives position et fonction, fit tout. Mon indignation lui avait plu, exprimée au bon moment et sur un sujet où beaucoup, dans le monde politique et dans l'opinion publique, attendaient que se manifestassent de très nombreuses critiques ou oppositions ; Georges POMPIDOU, Président de la République après de GAULLE, depuis trois ans presque, sortait d'une apparente déférence pour les options les plus précises du fondateur ; il proposa un referendum qui diviserait la gauche entre européistes et communistes et qui consacrerait sa légitmité jusques là, pas encore très personnelle ; il en exposa les motifs par le rôle, selon lui, décisif, qu'il avait eu, quoique dans l'ombre du Général, depuis plus de dix ans ; le thème était d'intérêt, l'entrée de la Grande-Bretagne dans ce que l'on appelait encore le Marché Commun cela pouvait s'apprécier, mais à l'évidence pas en termes de fidélité à l'homme dont il avait été six ans le Premier Ministre ! Comme beaucoup donc, j'attendis une contestation : tant d'illustres en avaient la compétence et surtout l'autorité au moins morale, la logique pour eux, la légitimité sans doute. Il n'y eut personne. Sur la table de salle-à-manger dans l'appartement familial, j'écrivis un brouillon à la main, raturais, tapais, postais, codicillait que si ce n'était publié, je distribuerai les termes de ma querelle aux bouches du métro. J'en appelais d'ailleurs à Michel DEBRE en conclusion du papier, car je ne pouvais soupçonner qu'il fût à l'origine, sinon de la manoeuvre, du moins du thème présidentiels. C'était Pierre VIANSSON-PONTE qui lisait ce genre de courriers. Je fus publié ([4]) le surlendemain, ramenant le journal du kiosque, je marchais plus lentement, il me semblait que les passants me reconnaissaient, j'étais déjà dans la peau de ceux qui - écrivant - peuvent passer devant la cour puis le peloton à raison de ce qu'ils ont proféré, je pouvais me faire casser la g... A trois jours de la parution d'un papier attaquant vivement le Général STEHLIN [5], parce que ce dernier avait tenté de convaincre le Président GISCARD d'ESTAING d'acheter américain plutôt que français pour renouveler une partie de notre flotte aérienne, je reçus des lettres mettant à mon compte le suicide de l'ancien chef d'état-major de l'armée de l'air. Celui-ci, figurant sur des listes de stipendiés du Pentagone que publia alors le Sénat américain, s'était jeté sous un autobus ; je l'avais comparé à BOURMONT que BLüCHER éconduisit la veille d'un autre 18 Juin. Il fut exaltant de sortir la mère et la fille PORTAL de prison : JOUVENEL, DUTOURD et moi, sans que je les connusse, nous avions publié dans le même sens ([5]), LECANUET, alors Garde des Sceaux, céda aussitôt. Gratuitement glorieux - cependant pas de tour gratuit... - de se faire lire en chaire de Saint-Nizier par "Ulla" ; rentrant d'un dîner - précisément chez Jacques FAUVET où il fallait parler d'Afrique pour un ami de sa dernière fille qui y partait [6], Jacques SOURDILLE était là aussi, la conversation avait roulé sur le fait du jour, l'occupation de certaines églises à Lyon et à Paris par des prostituées - j'avais écrit sur le bureau grave d'un beau-père éventuel, colonel de surcroît, tandis que ma compagne était nue et m'attendait dans une autre pièce, un long article. C'était personnel et encombré ([6]), j'y mêlais les riches qui s'envoient les environs de Paris, alors qu'ils habitent déjà avenue Foch tandis que sur les trottoirs de la même avenue, aux pauvres qui n'ont personne à caresser que du portefeuille et d'un minable papier-toilette au quart d'heure... J'eus la première page, l'article fut plusieurs volé de mon dossier aux archives du journal. J'écrivais à la main, le plus souvent c'était le soir, et par le métro, station Richelieu-Drouot, j'allais déposer l'article, mis au net à la machine, au veilleur de nuit, je recommandais que ce fut posé sur la table du directeur, avant la conférence. Souvent, c'était dans les kiosques dès le lendemain à 13 heures ; parfois, les informations de 15 heures, me mentionnaient. Du courrier de lecteurs m'arrivait, des plaintes aussi auxquelles répondait Jacques FAUVET : n'aurais-je pas usurpé ma qualité d'ancien élève de l'Ecole Nationale d'Administration, par laquelle on situa ma signature, au début, puisque je ne présentais aucun autre aspect ? Des chroniqueurs [7] après coup rapportèrent l'humeur qu'avait de mes commentaires, le Président POMPIDOU, et des commensaux du Président GISCARD d'ESTAING à l'époque la méchanceté qu'il me prêtait et qui motiva de me refuser à sa table lors d'un voyage officiel du Président mauritanien, l'ami de mes vingt ans et d'encore aujourd'hui. Je fus ainsi reçu par Michel JOBERT me faisant lire ce qu'il comptait proclamer sur le Président défunt à la tribune des Nations-Unies pour laquelle il s'envolait ; à sa nomination, je lui avais écrit que censé être l'ombre de Georges POMPIDOU au Quai d'Orsay, il se démarquerait et forcément aurait les amis et les ennemis du Général de GAULLE. KISSINGER l'y aida et le ministre, me répondant aussitôt de sa main, m'ouvrit mieux que son antichambre : son estime personnelle sans encore me connaître et les confidences de Raoul DELAYE, brillant et informé s'il en fût. Je fis donc toute la campagne, dans la presse, de ce que l'intrépide bataillait des Etats-Unis au Parlement français et aux instances bruxelloises. Fin mais conscient de lui-même sans jamais le dire quoiqu'il souffrît aussitôt de tout manque de considération, Michel JOBERT [8] eût souvent l'élégance de souligner, et d'abord de révéler, que les positions qui, aussitôt, surtout par leur forme, firent tant sa réputation et une très durable notoriété, malgré son peu de temps à l'avant-scène du pouvoir, étaient en fait en retrait du Président moribond : quel éloge ! Spontanément, j'en dictais d'ailleurs un, d'un restaurant de Bruxelles, à l'oreille sidérée de mon chef de bureau, le soir où Pierre MESSMER annonça le décès attendu. Car, très vite, je fus au téléphone avec les sténotypistes qui prenaient mot à mot, sans qu'il y eût à répéter, puis relisaient, mon papier - dans les chemises de mon peu d'ordre - restait manuscrit mais on le tirait à plus de 500.000 exemplaires. Quand les Chinois franchirent la frontière vietnamienne, j'étais dans le train entre Perpignan et Madrid, retournant au Portugal où l'on m'avait affecté [9]. Ce me parut un événement décisif, j'étais partisan - depuis le referendum de 1972 et l'Union de la gauche - d'une entente moins honteuse et moins tactique avec l'Union Soviétique, encore fallait-il qu'apparaissent des causes vraiment communes, et que se dessinât, de notre partenaire et du partenaire de l'Europe, une image moins ambigüe et contradictoire que l'éventuelle prise à revers de l'Allemagne. J'écrivis sur les genoux, et de gare en gare, sautait sur les quais, cherchait le téléphone, dictait quelques phrases et promettait la suite ([7]). Il en résulta un style, les phrases sont restées jusqu'à extinction de publication, longues et compliquées, mais les débuts et les chutes étaient aussi nettes que celles plus tard de mes poèmes, et l'entre-deux toujours assez détonnant dans la presse du moment pour valoir l'indulgence ou la patience du lecteur. Le fait d'être publié dans un tel journal l'emportait de beaucoup sur le contenu de mes articles, et l'on admira la fréquence de parution, donc le savoir-faire qu'on me prêtait dans la conservation d'une telle tribune, plutôt que le corps de doctrine constitué à mesure des circonstances pendant dix ans, et qui devenait dans mon esprit un droit moral à succéder d'une certaine manière au Général de GAULLE. Je ne me demandais donc pas pourquoi j'écris. Tout bonnement, j'avais quelque chose à dire, et je fus longtemps en position de le dire. Que ce fut par écrit, était accessoire et ne me donna ni discipline ni méthode.
Celles-ci, je les crus acquises par la jubilation qui me prit dès que je tentai d'écrire un roman. J'étais encore loin du Monde auquel je n'aurai à l'époque jamais pensé que je collaborerai un jour, je ne le désirais pas même. Les " événements de Mai " m'atterraient, mais bien davantage par attachement total, et donc affectif, au Général de GAULLE, que par souci du paysque je découvrais étonamment capable de mésestime. Cela ne me conduisit à aucune militance ni sur le moment ni ensuite, avant bien longtemps. J'étais donc à Carcassonne, une nouvelle fois, chez mon Grand-père et j'entrepris de me distraire d'un amour malheureux en racontant celui - encore plus malheureux - qui l'avait précédé et m'y avait d'une certaine manière introduit, puisque c'était pour combler un vide et exorciser une rupture de fiançailles qu'on organisa une présentation, laquelle tourna court. J'avais vingt-cinq ans, presqu'aucune expérience sensuelle - ce qui m'avait déjà été reproché - et je pensais ma déconvenue exceptionnelle. M'étant mis à écrire, et transposant à peine, j'eus la sensation qu'après leur disposition au seuil du récit, mes personnages - ma fiancée et moi - trouvaient une vérité et des mouvements autonomes ; j'allais revivre autrement ce que j'avais manqué, j'aurais au moins une chance de comprendre ce qu'il m'était arrivé. Ecrire était donc une manière de revivre et de vivre en mieux. Je prenais une revanche, j'entrais où il m'avait été interdit d'entrer, je n'étais pas pour autant maître du jeu, et il me semblait composer sous la dictée. Le résultat me valut les premières correspondances avec les éditeurs, des imprimés, rarement un court commentaire. J'avais goûté à quelque chose, j'y avais pris plaisir. En sus du sentiment d'entrer dans un prestigieuse compagnie - ce que j'ai déjà dit - celle des écrivains, il me parut que l'instrument était facile à manier. Donc, on choisit les personnages, on les portraiture, puis on les observe et l'on croque d'après-nature. Que mon coup d'essai fasse long feu, qu'un second manuscrit ait presqu'aussitôt suivi - composé tout autrement, car le sujet en fut politique et j'en appelais l'année suivante de La démission du Général de GAULLE - mais sans plus de succès, je n'en tirais aucune conclusion. Ni quant aux difficultés d'être édité ou présenté, ni quant à mon stule ou mon inspiration. J'avais pris plaisir à écrire mon roman, j'avais cru nécessaire le pamphlet qui retint aussitôt l'attention de Louis VALLON, évidemment destinataire. Je ne m'interrogeais pas davantage. J'en étais encore à mes cahiers intimes sur gros carreaux et manuscrits. Je commençais - orale - une enquête sur le legs gaullien, finissais, à force d'insistance, par rencontrer beaucoup des anciens ministres de " l'homme du 18 Juin ", eus l'honneur d'une lettre de ce dernier accusant, quoique tardivement, réception de mon essai politique. Je me préparais sans le savoir à l'emploi, puis à la manière du pigiste que je viens de décrire. Je lisais désormais bien plus les journaux que des livres, et l'administration dans laquelle je venais d'entrer ne m'enseignait ni à lire ni à écrire, que des feuillets ronéotypés recto verso sur papier rêche et de couleur : les projets de compte-rendus de quelques groupes de travail à Bruxelles. On me pressait de " coller au texte " que j'avais à présenter en rapport à la Direction.
Les écrits qui suivirent, ne naquirent que plusieurs années ensuite : ils ne me vaudront certainement pas la postérité. J'étais régulièrement publié dans Le Monde ; La Croix m'accueillait, L'Humanité me citait, mais je n'adhérais à aucun parti, pas même au Mouvement que fondait Michel JOBERT et dont j'étais l'un des animateurs principaux quand il y avait congrès. Celui de Marseille fut encore très couru [10], et coincida avec la correction des épreuves de mon premier livre : une lettre ouverte, Dernière prière à M. Valéry Giscard d'Estaing, encore Président de la République. On n'était qu'en 1976 à l'automne, et - ayant tout écrit en pas huit jours -, je voulais, comme alors dans la presse quotidienne, occuper les vitrines de libraire, en stricte équivalence de format et d'audience, avec Démocratie française. Ce fut ma première expérience, et jusqu'à maintenant, la plus intime, d'un éditeur. Je ne pouvais tomber plus mal. Mon manuscrit avait été précédé d'un autre qui devait constituer un second pamphlet, après celui éructé contre les successeurs immédiats du Général, et que - quoique l'appréciant - Louis VALLON avait jugé " manquer un peu de ton " [11] ; c'était une charge à partir d'une compilation de mes principaux articles de journaux. Thierry de BEAUCE, à qui je l'avais adressée, la fit lire, dans l'été de sa gentilhommière, à Bernard-Henry LEVY qui n'était alors que lui-même, modeste salarié chez Grasset. C'est à lui que je vins avec un manuscrit au point, ou presque, sur la promesse encore fraiche d'un contrat dès que j'aurais quelque chose à proposer. Mais la chose - maintenant - était un défi au Président régnant. B-H-L- allait très bientôt faire partie des "intellectuels" que le Président recevrait à sa table palatiale, et sous sa plume, le Nouvel Observateur - surprenant ! - publierait un compte-rendu très complaisant sur " le livre du Président ". Le contrat, on me le promettait toujours, serait plus approprié pour l'ouvrage suivant. Le futur maître qui ne préparait - par fiches - qu'un modeste et austère essai sur La philosophie dans tous ses états me fit déjeuner, en sa compagnie, avec Françoise VERNY, j'appris les rencontres au sortir du lycée, je repartis les bras chargés de livres que le maître de maison, dans les étages de la rue des Saints-Pères, cueillait à chaque pile. J'ai toujour envié ceux qui par fonction reçoivent gratuitement des livres qu'ils lisent rarement et sans plaisir, dont ils ne savent donc que faire ; je n'ai encore eu ni cette chance ni ces fonctions. Je fus présenté à Jean-Edern HALLIER, alors éditeur comme Bernard TAPIE fut entrepreneur. Nous fîmes aussitôt affaire. Il jugeait avantageux de fournir ses collections commençantes, escomptait une campagne du Monde en ma faveur et j'étais sensible aux délais - très courts - qu'il était en situation technique de respecter pour que je paraisse le moins possible après la parution de M. GISCARD d'ESTAING lui-même. Je refusais donc à RAMSAY les vingt-quatre heures que celui-ci souhaitait pour conclure avec moi. Je fus, ce jour-là, au Twickenham bien entendu, bien inspiré. Quelques mois plus tard, je revis mon éditeur [12] à La closerie des lilas comme de juste, il ne pouvait rien aux retards qui avaient mouillé mon pétard, et moi encore moins à la critique [13] trop tardive et pas assez consacrée que m'avait accordé, en même temps qu'à d'autres politiques de cet automne-là le journal à qui je devais déjà tellement. C'était raté, et Bernard-Henry LEVY qui publiait désormais La barbarie à visage humain - autre titre, autre habit, début de publicité, bientôt la chemise en toutes saisons pour un visage qui deviendrait bientôt dur et gris comme celui de Mel GIBSON, mais avec les mêmes fiches que pour sa première esquisse -me fit comprendre dans un café, vers la Seine et le boulevard Saint-Michel [14], qu'il valait mieux que je me fasse oublier, puis un jour peut-être tenter une grosse biographie. Mon avenir sentait déjà le passé... Je rencontrais d'autres éditeurs, je commis un essai politique à la veille de chaque élection générale ou presque, je sollicitais des intermédiaires, je revins vers RAMSAY, je n'eus personne. J'allais perdre la tribune du Monde [15], et la vie publique ne m'introduisait nulle part puisque je n'y entrais pas. S'agissait-il encore d'écrire ou, décidément, d'entregent ?
Le roman me défia et me plut à composer, à écrire : à copier d'après mémoire ou d'après nature, continuais-je de penser et d'éprouver chaque fois que je me lançais dans une nouvelle entreprise de ce genre. Mon incapacité s'est confirmée mais les situations de celui qui s'est pris - aussi régulièrement - pour un écrivain, ont varié. Incapacité de ton, de rythme, de syntaxe, car je ne puis me défaire d'une longueur des phrases, d'une fausse profusion de la tournure ou du vocabulaire anciens qui me lasse le premoer à la relecture. Vaut-il mieux des tics d'écriture ou des habitudes à la correction ? toujours les mêmes crampes ! La monotonie demeure. Je n'ai pas de sujet. Au travail, tout un mois, à des aurores à peine discernables, j'enregistre la chronologie des avancées de chapitres, je jouis de mes trouvailles, je lèche des paysages, en réalité je ne sors pas de l'autobiographie ni d'images rabâchées. Du plaisir à écrire, mais de bonheur dans l'expression, ainsi qu'annoterait le scolaire... non ! Mon premier récit racontait des fiançailles manquées, je me pris pour Françoise SAGAN, un éditeur me compara, pour une scène se passant au sous-sol de la rue Saint-Benoît [16] ; c'était un écrit de manifeste compensation. J'écrivais allusif, respectueux, je n'avais guère de rien approfondir, je n'aurais d'ailleurs pas su à quoi accrocher ma discussion, de quoi la faire partir et où la faire aboutir ; je me voulais factuel et pudique, en ce sens que je ne disais rien de moi, et ne voyais rien des autres ; pas d'âme, pas de visages, une sorte de chronologie morne d'événements vêcus par un enfant prolongé et raconté de la bouche-même de celui-ci. Comme écrire me faisait oublier que j'avais souffert et soufrais encore, je ne pensais pas davantage à dire une quelconque souffrance ; l'amour-propre blessé ne m'a fait écrire que des correspondances, les sens et ce qui est pénétré de la vie grâce à eux, je n'en savais rien. Tant soit plus d'expérience m'eût fait camper une famille, une jeune fille peut-être assez proche des feuilletons d'aujourd'hui où l'argent explique, défait et annonce l'amour et où l'artifice des doublages donne à la plupart des personnages une voix unique : on n'y croit donc pas. L'hôtel particulier, la dynastie industrielle - vêcus comme exceptionnels un an avant que je n'écrive - n'apparaissaient pas dans mon récit.Je me contentais de peu en écrivant, d'aussi peu que je m'étais cru comblé par la jeune fille au visage dont personne ne m'a ensuite fait un commentaire émerveillé, d'aussi peu qu'on m'avait accordé de tendresse, de mots ou de regards, de chair... Je tirais sur des mamelles bien faibles, je ne creusais ni ne caressais. Ma récitation était aussi timide que mon costume de l'année précédente, reteint pour convenir à toute ocasion. Je ne m'enorgueillissais qu'in petto, je débutais dans le rôle de l'écrivain comme j'avais débuté et été roulé dans l'emploi - que je jouais théâtral - de fiancé du miracle. Pauvreté d'histoire et de thème, je le savais, mais me croyais sur la bonne voie quand je me regardais écrire et revivre par le truchement de mes personnages si simplifiés. Ma vie, hors cette activité que je découvrais juste, débordait de la même disponibilité, du même optimisme. Je ne me donnais pas de délai dans cette écriture, je ne lui assignais aucun rôle dans mon existence pratique, sinon ce plaisir d'écrire que je prenais pour une maîtrise de moi ; l'exercice était mental, il avait des effets affectifs, en attendais-je davantage ? Ce n'est qu'en m'y consacrant, qu'en me concentrant là-dessus que m'était venue la réponse à une question que je n'avais pas encore rencontrée, ni même conjecturée : pourquoi j'écris. Le plaisir était beaucoup, entrer de la sorte ailleurs : aussi.
III
Ecrit-on ? écrivè-je ? A écrire déjà autant ! Sans compter ce qu'un métier, où l'on rapporte beaucoup, impose ou implique... Plusieurs fois par semaine, depuis ma première affectation en poste diplomatique à l'étranger, je tiens le journal de ce que j'observe depuis ma profession mais aussi par rencontres personnelles, par fréquents déplacements à travers tout le pays où je vis. Ce n'est ni une chronique du Portugal, de l'Allemagne, de la Grèce, du Brésil, de l'Autriche, du Kazakhstan, ni un reportage, c'est le chelmin d'une compréhension personnelle de ce que l'on peut comprendre précisément à partir d'une position privilégiée en informations et en relations, mais surtout parce que l'on vit en osmose (les medias, les gens de la rue) avec une époque et une culture. Certains pays induisent une observation, portant peu sur exu-mêmes, et beaucoup sur leur environnement : ce fut le cas de l'Autriche et de Vienne, la vieille capitale des Habsbourg, tandis que se déchire puis tombe le rideau de fer. C'est davantage l'histoire de relations d'un pays neuf avec ses anciens maîtres et avec ses nouveaux partenaires, ou encore une histoire du choc des mentalités sinon des générations, que j'écris à Almaty, mais mes tribulations professionnelles, la relation manquée entre les ambitions que je crois et veux être celles de la France avec ce pays, principal site et principale réserve stratégiques de l'ancienne Union Soviétique, tiennent autant de place. De l'Allemagne, je ne suivis guère que la campagne de Franz-Josef STRAUSS pour la Chancellerie, et seulement par la télévision. Je suis d'ailleurs, à tenter de me faire élire à Pontarlier et l'évolution française tandis que 1981 approche me prend davantage que l'outre-Rhin, fort simple à tout prendre ([8]), ce que Jacques FAUVET publie et qui rompt avec les spécialistes qui se sont - de fait - accaparé le sujet. cette chronique devient un journal quand une endogamie en est la dialectique principale, alors d'un pays qui a sa réputation, son images très faites, je présente et vis au jour le jour tout autre chose, je suis au Brésil, je suis en Grèce non en touriste mais en permanence, les saisons passent, la politique anticipe ou ne liquide toujours aucune de ses mémoires, l'économie échoue. Ce travail n'est pas une écriture, je tape - chez moi, au bureau s'il s'est agi d'un entretien, en route, à l'hôtel, chez d'autres - et n'ai de souci que du tableau à fixer, que d'une intelligence dont je relate les étapes, et qui ne présente d'intérêt que parce qu'elle a la durée et les moyens d'information et de déplacement. J'ai commencé d'écrire sur ce mode en Septembre 1975 et mes retours en France ne m'on pas faut changer de méthode, je regarde la France, ses politiques, ses échéances comme si j'y étais en visite de longue application, je note les audiences ou les conversations, je réfléchis par écrit, d'autant plus qu'assez vite ma collaboration de presse la plus prestigieuse a cessé. Ces feuillets, un éditeur me les arracherait que j'y consentirai, mais la matière serait épaisse. Je la trouverais plus digeste, si au lieu de séparer l'homme en deux parts : le professionnel, le public et à d'autres heures ou en d'autres lieux, l'amoureux, l'inquiet, le lecteur, l'esthète, le spirituel. Mes cahiers - manuscrits pendant une dizaine d'années - qui étaient devenus ceux du coeur, ayant été lus à ma dérobée, je ne tiens plus, une nouvelle décennie, aucun journal intime. Mes carnets de terrain consignent quelques moments, je ne les quitte guère, ils sont peu déchiffrables, je n'en mettrai un au net dans son intégralité qu'à propos de cette Ligne stérile et du double dialogue que j'entretins quelques jours d'été en Grèce. Ce fut déclaré illisible, j'avais écrit presque sans cesse, plus que je n'avais respiré, regardé, ou surtout parlé à ma compagne, il y avait une gageure, tevhnique, si je puis écrire, quii ne fut pas perçue, c'était presque la saisie des pensées et des sensatuions au moment, intme et mystérieux, où les mots s'étirent de notre conscience, de quelque part en nous, à moins qu'ils n'y passent ans origine ni fin, mais à ce passage je les happe, tels qu'ils sont. Grammaire, rythme, linguistique, évidemment fort peu. Intrigue aucune, que l'angoisse de la première personne qui se sent de moins en moins singulière, de moins en moins achevée, qui se vautre dans la moindre impression, se gorge de ce qu'elle photographie aussitôt, se repaît des perspectives et des arrangements que donnent les phrases à leur émergence. Journal intime qui réfkéchit plus qu'il n'expose, qui balance plus qu'il ne décide, qui ne portraiture presque jamais mais qui récite la litanie du doute, de l'attente, de l'absence et - quelquefois, il y a miracle ! - l'émerveillement d'une présence, du plaisir, d'une visitation, d'une évidence. Alors quelque bilan avant que la nuit ou de l'imprévu efface presque tout.
Cela fait donc beaucoup de pages chaque jour, beaucoup d'heures emmaillotté en soi-même et à dégurgiter du mot, de l'image... Les unes viennent en reliures, en chemises, partent en famille, l'informatique n'a pas encore permis les retouches, les arrangements ni les incises. Je bute souvent sur des redites ou des oublis, qui me paralysent, l'ouvrage me quitte, je ne le prise plus, je dois me forcer à rattraper et à mettre à jour ou plus douloureusement encore, à renoncer pour toute un période, un voyage, des entretiens qu'ils soient jamais analysés et relatés. Mais je ne tiens chronique que pour moi-même, les rencontres - une autre génération, je commence à en avoir sous mes ordres professionnels, l'autre sexe, les miens - quand elles sont une fleur, sont aussi placées dans mes vases. J'écris le plus souvent au lit, le soir. Des heures qu'on sippose dans mes administrations que je consacre à tant d'écrits, il me faut trouver le suremploi ; je passe pour un insomniaque, pour un surdoué de la notation rapide ; ce n'est pas complètement faux, mais il est avéré que ces deux rédactions me prennent du temps, que je ne suis plus capable de rencontrer quelqu'un sans ouvrir mon carnet, de contourner ou de pénétrer un monument historique autrement que plume en mains. Une époque, je suis éperdu de photographies, les paysages selon un thème, le nu de mes amies selon leur morphologie, ou des décors qui m'habitent ensuite tellement, que je les y fais défiler - à leur insu - et que ma galerie s'orne d'une façon passionnée, maniaque. Je retourne l'argument en poétisant d'après photos. Cette illustration d'images par le texte est d'ailleurs mon premier essai - à main levée -qui ne soit pas la linéarité de la prose. Des revues de charme n'auraient pris que celle-ci, mes modèles, parce que très amateurs, quoique j'avais établi à Munich une cellule spéciale avec différents projecteurs et surtout une totale nudité de murs et de sols, n'ont pas toujours la perfection souhaitable. Mes oeuvres ne seront pas complètes si ces albums que je fis en intimité totale, en véritable échange de respiration, n'en font pas partie intégrante. La femme qui se met nue, et qui se met nue, puis s'étudie, accorde du temps, des gestes, propose et commence de cehcrher puis d'échafauder bien davantage que le photographe entre complètement dans la dialectique du voyeur, se juge elle-même et jouit d'une évidente manière de ce ballet qu'elle a déclenché autour d'elle puisque l'autre - que je suis - se couche, se lève, tourne et retourne autour d'une lenteur de suggestion et d'exposition. Ce furent des moments aussi savoureux qu'une étreinte, ou qu'une écriture érotique. Je photographiais comme j'écrivais, spontanément, après l'amour en Forêt Noire, à des couchers de soleil, dans les salles médiévales de l'antique pays de Malvoisie, au pied même du monastère de la Chira à Patmos, en plein midi, et souvent l'initiative du déshabillement, de la quête d'arrière-plans n'était pas de moi. Ce serait à écrire, je ne l'écrivis que d'une autre manière et pris dans une tout autre surprise, bien plus tard : La femme d'image.
Ces écrits ne sont cependant pas l'aveu de mon écriture. J'ai changé. Pas d'éditeurs certes, un roman maladroit et sans doute enfantin, pour une trame transparente, sans consistance. Une habitude de la solitude devant le clavier, la mémoire d'une certaine méthode, inventer, se donner des personnages et des héros, puis laisser aller et raconter ce que l'on voit. Mes buts de guerre se précisent : la gloire, le butin, le plaisir. Je m'y prends tôt le matin, le jour souvent lointain encore, j'ai alors une heure, deux heures pour écrire, six ou sept pages probablement, je tiens d'ailleurs - comme d'autres des échéanciers - la chronologie de mes moments de travail en même temps que les numéros de mes chapitres. Un chapitre par jetée sur le papier, en courant continu, tandis que vient l'aube, que ma compagne dort dans la chambre voisine. C'est la volupté d'aller dans un pays qu'on ne connaît, qu'on relate à mesure. J'invente mais, sans doute, je demeure sous influence, une mauvaise influence qui limite et raréfie tout - je ne sais toujours ni crier, ni me moquer vraiment, je ne suis que moi et je m'abandonne rarement, mes personnages n'apparaissent pas assez, les décors sont rapportés et m'ennuient, ou alors les ayant tellement bercés dans une mémoire récente, je ne sais les peindre sans un amour qui distrait. L'intrigue se morcelle, mais j'ai le plaisir d'écrire, de relever mon défi quotidien, les pages sont venues, celles du lendemain, que j'aurais méditées par avance tout le jour, surtout la phrase de commencement, rachèteront éventuellement la médiocrité du petit matin précédent. Je ne me relis guère, j'envois des carbones à l'un de mes frères, je sollicite conseil et jugement d'un vieil ami, belle carrière de consul général à Thessalonique puis à Lisbonne, où je l'ai rencontré, conteur tordant à la diction inénnarrable, et aux sujets toujoiurs si minuscules, que comme au chant du bouzouki on s'étonne qu'il en tire tabnt de choses, un tel spectacle, un tel volume... Il me stimule car il me lit, il suggère précisément ce qui ferait mieux voir, il ne critique guère mon style. Un Ambassadeur italien, dignitaire, m'avait estimé, vngt-cinq années après le maître-nageur de la pisvcine Lutetia qui me punissait de mes bavardages aux douches ou dans l'attente du plongeoir en me donnant des " lignes à faire " : hé là-bas ! toi l'écrivain... cela résonnait entre les colonnes doriqurs, sur les mosaiques quand il en reste et dans ma mémoire encore, au carrefour de la Croix-Rouge, station depuis condamnée et ornée d'un singulier centaure ou d'un Don Quichotte, ce n'est pas encore clair. On a besoin de prophètes à sa naissance, donc Pierluigi ALVERA le fut aussi - voyeur en sus de mes photographies et des séances qui les permettaient, la nudité des compagnes dans les patios aux heures de sieste, mais il était probablement homosexuel et entre les rochers de Ponza, je ne dus qu'à mes performances en natation, d'échapper à une situation scabreuse... J'écrivais une transposition de commentaires de diapositives sur les grands opéras - ambition qui n'était pas paradoxale de sa part, car il racontait la vie des librettistes et des compositeurs et faisait entendre en off sur une voix qu'il avait belle, surtout en récitant l'Enfer de DANTE, ce qui fut une autre déclaration moins gestuelle mais toujours en mernférences. Les commentaires que j'écrivais en français à partir d'une approximation qu'il me donnait de son texte vénitien - car il n'était pas italien, mais de Venise, où sa famille, branche aînée avait encore un palais sur canal, sa mère se contentant d'immeubles piazza del Popolo, évidemment à Rome. L'exercice était passionnant et faillit m'introduire, la duchesse de La Rouchefoucauld aidant, dans l'un des derniers salons littéraires parisiens où le bel homme avait des entrées, ayant épousé en premières noces une princesse Colonna, épileptique et se roulant sur les tapis d époque en donnant le salut fasciste. La seconde épouse, typée, merveilleuse et surtout intelligemment amoureuse du "monstre", était la fille d'un des derniers témoins de FREUD et JUNG en Tyrol autrichien. Pierluigi ne prophétisait pas mais me fit également des commandes ; écrire pour ses propres oeuvres qui comportaient un récit sur les temps à venir en Italie et ailleurs, j'avais à improviser sur la fin de la papauté, je parvins - de chic et avec beaucoup de joie, en m'exécutant - à faire participer à une messe sur le monde qui n'était pas celle de TEILHARD de CHARDIN, mais d'un extrême vieillard, le Pape Eusèbe, enfermant le souverain pontificat dans un silence définitif et monastique. Mes propres romans se terminent presque toujours par la prison, contrainte bénie qui résoud les amours indécis et les dettes criantes. Un autel orthodoxe ou bénédictin, une fille au visage et au parfum quelconques mais qui se donne longtemps en secret à ce ténébreux qu'est toujours mon jumeau afin qu'il y ait un héros, précèdent chacun et immanquablement, la scène finale de l'imagination suffisant à nourrir le restant des années. Ou bien tout brûle, tout naufrage. Mon premier récit se terminait dans un mur, je croyais l'avoir habilement fait croire, ou donné quelque choix au lecteur, la supputation d'une rédemption.
Le plaisir donc de coller des photographies sur un album dont les pages ont le grain glatteur et la reliure s'insérant bien dans les bibliothèques dont je suis fier. Ecrire ainsi pour avoir quelque chose, écrire pour avoir fini et passer à autre chose. L'idée qui m'avait enchanté, aussitôt en perce, et tout le cours de son xploitation, me lassait de plus en plus, je bâclais ce que je m'étais donné à faire. Une autre ambition, moins édoniste, m'était en effet venue. Le beau sujet, la vérité de ce que j'avais à tirer d'une vie - estimée par moi, déjà bien remplie - ou d'une existence quotidienne parfois capiteuse, la Grèce et le Brésil s'y prêtèrent particulièrement, ce serait pour plus tard, une fois vraiment accompli d'écriture et accepté en édition. Le préalable était de trouver l'éditeur, je m'en souciais plus que du lecteur, tandis que je composais, en avais-je trois ? Pas quatre, et jamais les mêmes d'une tentative à une autre, mais mon souci restait peu informé. J'avais les adresses, je rédigeais une lettre de couverture, je recevais un numéro de dépôt et quelques mois ensuite un paragraphe tout fait, les collections étaient telles que ma pointure n'aurait pas trouvé chaussure, etc... Je cherche aujourd'hui conseil, conseil technique, éclairé, reprenant mon fatras, l'analysant, peut-être en tirant quelque prêt-à-porter qui aurait dans le passé échapper au jugement commun, mais - plus vraisemblablement - me suggérant à partir de mes performances et de ma biographie, quelque sujet et beaucoup de coupes, enfin un peu d'exotisme. Ce serait la maîtrise suggérée à passés cinquante ans ; est-ce naïf que de l'attendre encore.
Conseil et gloire, car le projet de roman, de livre que j'entreprends ce matin-là, retour d'Albufeira où m'ont submergé des nostalgies d'enfance, je suis pieds nus à l'aube sur du sable mouillé, la plage sous les remparts ocres est désserte,il y a des barques avec des proues multicolores - la lusitanité des pare-boues brésiliens et des bateaux portugais, le mauvais oeil et les dictonsn - ce livre peut changer ma vie, me sortir d'une carrière où je ne me sens pas survivre, résoudre mes co,ntradictions amoureuses. C'est La peau douce, le conférencier sucré qui reçoit les clichés de son péché et la décharge de chevrotine, du noir et du blanc. Je me vois écrivain consacré, l'entreprise d'écrire n'est que ténacité, je place un réveil sur la table, compose la liasse, c'est le temps des copies qui noircissent la pulpe des doigts, et je changerai de vie. Je déçois mes compagnes quand elles s'y retrouvent, mes cousines qui me trouvent meilleurs à l'oral qu'à l'écrit, à la main qu'à la machine, car la dactylographie induit des retours à la page qui ne sont pas ceux du manuscrit. J'ai écrit de la sorte un parcours que je présentais pompeusement initiatique : Les règles, autobiographie jusqu'à ma mutation de Lisbonne en Bavière -, puis une tentative d'énosis tandis que je suis à Athènes, j'imagine du terrorisme à propos d'Egine en face du Pirée et je mêle le couple pas très paritaire d'un de mes stagiaires à la saga d'une maîtresse qui m'initie à presque tout, et qui est presque grecque à force d'être franco-hellénique : La tentative dont je corse le défi en n'y mettant aucun nom de personne et en présentant mes acteurs par antiphrases -, puis, sur le sable en France, un figuré qui exprime pourtant bien la sécheresse d'une quotidienneté angoissée parce que la cabale casse ma carrière (j'en suis d'ialleurs à la seconde expérience avec le même remède et la même certitude de débouché ! écrire...), ce sont des nouvelles, une pochade pour concourir en roman policier, et une autre pour magnifier le Cinquième arrondissement de Paris, enfin un quatrième récit brodant une énième version d'autobiographie continuée. De commun, le rythme de l'écriture, de l'acte d'écrire, toujours les six ou sept pages, les deux heures guère plus, jusqu'à la reprise après une promenade et quelque souffle -, l'enregistrement des scènes de rues, des conversations, d'images venues d'autrui. Personne ne me prime, mais j'ai retenu deux attentions.
Isabelle LAFONT a mémoire d'un envoi précédent, et son père, quoique les directeurs de collection et les artistes patentés veillent autour de lui, remarque une auto-thérapie qu'à séquences quotidiennes dont j'ai déjà répété l'horaire et le geste pour rouler les papiers dans la machine à écrire, que j'ai tentée en vue d'un mariage. A cela, j'avais pensé qu'il fallait me résoudre, mais je ne parvenais à aucune évidence intérieure ; masturbation, psychologue, méditation, les trois exercices seraient ou coûteux ou fastidieux, j'avais opté pour l'écriture de mes raisons d'aimer et me décider. J'envoyais les chapitres journaliers à mon héroïne, et même un exemplaire au papier de charbon pour son père. je n'eus pas ces lecteurs qui ne souciaient que du concret, mais celui de la place Saint-Sulpice. Je fis connaissance de la compagne de Bertrand BLIER, les préboms étaient un bon oprésage, je me crus le pied à l'étrier, la lettre paternelle était flatteuse et la fille intéressée. Même émoi, mais sans audienvce quand mes poèmes furent discutés à Actes-Sud, mais on y vint au diagnostide de VIANNSON-PONTE et l'on ne sut choisir, était-ce di simple et liquide que ce devait être banal, ou bien le génie avait goûté sur le papier : Tant de terre à nos pieds et pour seconde livraison Miel de lune ce qui annonçait quelque régal. Ni ma Confession en vue du mariage, ni mes émois sous les flamboyants ou non loin des marigots amazoniens n'ont fait la décision. Dans un autre retour de manuscrit, je verrai une note favantage manuscrite de la même Isabelle LAFFONT : répondre gentiment. Dont acte !
Incapable de changer de manière, je dois me vendre tel que. Françoise VERNY a quitté Julliard, elle est rue Racine, elle me reçoit, elle me lit, parfois dans le métro je la croise ou la double, des papiers s'échappent, sans doute pas numérotés ni paginés, de son imperméable. On raconte et elle a raconté beaucoup sur elle, et la tendresse désespérée d'une fiancée dont elle n'a plus le physique mais dont elle garde le regard. Elle me regarde donc, elle me voit mais elle ne me conseille pas ; a fond, la littérature, il me faut bien admettre, si avancé que je suis dans son parcours, dans la matérialité de son parcours, cela ne doit pas s'apprendre, on l'a ou on ne l'a pas. Quoi ? Eh bien ! je ne le sais pas. On l'a, et cela se voit, cela me fait copier des citations, cela me fait acheter un livre pour son auteur, cela me fait des frères, des soeurs, des intimes supplémentaires, une famille qui n'est que la mienne, car entre eux certains se détestent ou s'ignorent, mais en moi ils se matrient, s'accompagnent, se suivent, se font écho, c'est ce livre magnifique dont j'ai parlé en commençant... ce livre d'emprunt. Au pluriel, mais qui n'est quu'ne seule phrase, celle qui continue toute ma vie depuis que j'ai commencé de lire. Or, je lis moins, ou par à-coups, tandis que j'écris de plus en plus. Mon journal intime, soixante-dix ou quatre-vngt pages, simple interligne, longtemps tenait deux mois, trois, puis chaque mois pour que les "fichiers" informatiques ne se disloquent pas en transfert ou quelque aventure mystérieuse dont la cybernétique n'entame dans notre vie mentale et intellecuelle, encore que les prémisses, cela sera bientôt un "cahier" par semaine. Et pour dire quoi ? que je fus là à écrire. La pluie, cette nuit : diluvienne. La plage au-dessus de laquelle je reviens maintenant : une anse avec une redondance d'anse par le parapet, les nuances du sable, et une eau avant la plissure de la laisse de mer que je voudrais décorfer d'une épothète, c'est du vert et du bleu, c'est transparent, il y a des foulards Hermès de cette nuance, et à mon garde-meuble (avec lequel je suis en procès, les papiers - noircis ou, pour la réserve, blancs - alourdissent mes factures de déménagement) j'ai un SAUZET (il a eu ses affiches sur les hampes des panneaux de la ville de Paris) où une Viet-Namienne, sa femme, coule toute épployée dans un aquarium dont l'eau a cette couleur. L'adhjectif décidément m'éhappe, et ce qui me vient, le topaze, je sais que c'est du jaune. Alors je cherche sans trouver, comme l'écrit éditable, je cherche, je confectionne, je travaille, je crois m'être modifié à la longue, à la durée, et je ne trouve pas... Le fameux quotidien du soir m'avait publié sur un cri, je manque du ton quand ce n'est pas politique : piteux. Et guère perspicace car une carrière mérite la prudence tandis que le roman doit détonner. Mais j'ai lamour liturgique et délicat, je ne sais pas rompre ni partir, comment éclaterai-je de la plume et du style ? Frabçoise VERNY se décourage, tombe dans le lacionisme et à son tour, enfin, dans l'écriture. Elle est éditée... je conjecturais donc d'être célèbre par l'écrit, et l'évidence est que l'édition recherche la célébrité qui lui rapportera. Je ne suis ni jeune fille, ni réfugié, ni atteint d'une incurable maladie, ni étranger (l'astuce de Boris VIAN) et mes pseudonymes ne donnent pas plus que mon identité ou mon rappel biographique. Odile JACOB me reçoit récemment, j'arrive sans manuscrit, j'en repars avec la convention d'un rappel mutuel une fois pesées les idées que j'ai mises sur un paopiuer, l'une au-dessous de l'autre. Quoi donc peut intéresser ou se vendre. L'été passe dans le silence de la rue Soufflot et ne m'apporte que les lignes que j'ai tracées avce le sourire : j'ai trouvé pourquoi il ne fut pas donné suite, et naturellement l'ai écrit. La nouvelle est érotique, et je l'ai glissée dans un recueil que je lui proposerai. LAWRENCE et REAGE, peut-être. C'est plus fatiguant que le classique, la forme requise est du même ordre imprévisible, noinquantifiable que celle que je suppose attendue des partenaires masculins pour certains spectacles peu nouveaux à Paris.
Du plaisir à foison, de la gloire que putative, du butin : néant, pas même la prébende d'un lectorat car j'aimerai voir l'édition à sa naissance, ingurgiter du format 21x27, ce sera bientôt de la disquette. Et de la pile des mansucrits arrivant par porteur, je ferais l'échange avec des livres tout faits, un budget allégé, tous ces fonctionnaires de l'écrit qui ont bibliothèque des plinthes aux moulures de chacun de leurs murs, je les envie pour cela surtout. Car la compagnie des auteurs est plus incertaine. Je la manque de justesse, pour des raisons qu'on ne me dit pas davantage qu'à mes disgrâces administratives périodiques ou pour mes proses recalées. Je suis en Allemagne, à Bonn, le quartier étudiant, il y en a un, BEETHOVEN y est né (je crois), je lis Le grand coucher, une critique de mon ex-quotidien du soir, la plus magnifique qui soit. L'auteur est dans une maison d'éfdition, il publie un roman (le sien) tous les vingt-cinq ans. J'attends ne décennie pour trouver et m'enfoncer dans Les fiancées (qui) sont froides. Toutes les qualités de mes préférés : ELIADE, GRACQ, HESSE, ZWEIG sont réunies et il y a quelque chose d'encore plus, il y a une explication fulgurante et intimiste de l'histoire totale de la France, l'O.A.S. et PETAIN expliqués en termes millénaristes, tandis que prie, sans doute aux Invalides, une femme dont j'loublie ce qu'il lui arrive ensuite sinon que l'affaire DREYFUS l'enquête doit encore se poursuivre. YOURCENAR et Le coup de grâce sont écrits autrement. C'est le talent, ce sont aussi les murs que je viens d'évoquer, Michel DUPRE est devant moi, je suis chez lui, il me retient à dîner, je vais à la messe anticipée, au bout de al rue du Temple, c'est le soir de Noël, René CAPITANT m'avait adopté de cette manière. Arrivé aux heures médianes, jétais voulu jusqu'au repas et ensuite. de fait, on me voudrait aussi au Jour de l'an, je décline, quand j'apprends que Philippe de SAINT ROBERT, que je connais et admire depuis longtemps, mais dont je ne suis pas sûr pour des raisons plus noires qu'obscures il me rende vraiment la pareille, y sera aussi. je lui gâcherais certainement son bonheur. J'ai tort car la conversation eût pour sujet, peut-être, l'absent, la clause de revoir ne fut pas respectée et j'eus un téléphone presque haineux de celui qui était devenu en un après-midi mon ami et un commensal particulièrement fin tandis que sa compagne ou sa femme, psychiâtre et brune frisotée, plaisante et aigüe, nous avait prodigué la meilleure cuisine. On ne s'habitue jamais à passer d'un lever de rideau à l'autre de ces deux rôles d'apparence, le héros et le paria. Mes écrits suivent le rythme des deux heures et quelques, mes amitiés, mes amours et mon existence, ma carrière aussi, le rythme de ce théâtre de composition.
Hélène CIXOUS ne m'a pas déçu, parce que je ne demandais qu'à la lire, que j'eus le saisissement dans son premier texte de rencontrer pour la première foisnune écriture dépaysante, plus seulement par le contenu ou une intrigue, n propos, mais vraiment par le style, la grammaire. BEAUVOIR et DAGAN sont de mes favorites, mais n'écrivent pas selon un sexe, une expérience intérieure intransposable pour un homme, elles ne font pas pénétrer dans le mystère du tout autre. Le masculin est exposé depuis des millénaires, le désir du féminin donc tout autant, mais le désir et la vie par le féminin, non ! Donc CIXOUS que je vois par hasard, étant venu voir les tableaux de mon ami pontissalien, Pierre BICHET. Elle est là en robe et en voix de noyée, elle est directe. Je suis content de l'avoir ainsi connue. Muriel CERF, " parlez-nous une langue bandante " fut au programme, une amie d'amie, j'avais même conjecturé une fois, elle est peintre, et me peignait sous les yeux de ma compagne, d'asouvrir le vieux fantasme des deux maîtresses ensemble... mais il n'y en avait qu'une à l'être déjà et qui n'aima pas les femmes, tandis que l'autre, talentueuse mais givrée (elle me vint en cachette de la première, tandis que j'étais à Athènes, pousuivie disait-elle par les services spéciaux ayant découvert qu'elle descendait de Louis XIV ce qui changeait tout et la mettait en extrême danger... elle peignit mes chiens au panier, eut la ch... tout notre voyage au Péloponèse quand, revenue plus officiellement, elle voyagea avec nous), donc Muriel CERF portraiturée seins nus devait être rencontrée, le repas n'eût pas lieu. Ma peintre se mariait avec le plus stable de ses amants, son cousin germain, secrétaire général de l'hebdomadaire qui succéda à L'Illustration. Comme Françoise SAGAN, et comme s'il s'agit en littérature de pâtir de l'âge et de la gloire ainsi qu'une actrice repérée à quinze ans et ne pouvant survivre à ses quarante, Muriel CERF a tiré de plus en plus en longueur, a perdu ses sujets et sa grand-mère, peut-être aussi l'érotisme des jeans et des aéroports, des retours à Ménilmontant ou rue Raynouard. Longtemps que je ne l'ai lue, mais j'ai tout d'elle comme de celles que j'ai citées, avant elle.
C'est à Conques que j'imagine et écris la dernière page puis la première d'un récit qu'on filmerait en noir et blanc et aurait comme sujet un qui pro quo d'amour et d'assassinat. Mais ce serait du pastiche, à moins que pour - enfin imaginer ce qu'il y a dedans, à quoi il sert - on ait la permission de copier le style ? On ne se remet ni d'Hiroshima mon amour ni de La douleur. Les coliques qui retournent la tripe, la peau et l'identité, un député - gaulliste s'il en fût, réélu de 1958 à sa mort, dans le Cotentin, GODEFROY - nous tint, SAINT ROBERT, GERMAIN-THOMAS, peut-être MATZNEFF, quelques autres et moi, une journée sur la piste nue de l'aéroport de Benghazi à nous raconter son évasion d'un camp allemand en Ukraine et des marches si solitaires, épuisantes et longues que les soupes parfois obte,nures en même tems que de la paille et du journal pour dormir, tombaient du froc aux souliers des deux hommes en loques. Marguerite DURAS a raison, la vie, c'est cela, cela se répète plusieurs fois pour ne dire qu'une seule chose, c'est la beauté des dialogues au café, des rencontres bizarres selon les canons sociaux et littéraires mais vêcus. Je l'ai adorée, ne l'ai jmais rencontrée. L'Académie française est mal composée, le Rassemblement pour la République la contrôle ; coincidence troublante avec le début des écritures plates et sentencieuses qu'excuserait, que ferait tolérer, que donnerait à oublier la position à la tête de l'Etat, depuis Georges POMPIDOU, mais ce dernier qui fit la chance (non renouvelée) de Valéry GISCARD d'ESTAING, s'il ne la souhaita pas, avait cependant quelque plume, quand il souffrit Pour rétablir une vérité ; ses notes posthumes pour les années 1950, celles du Général absent du pouvoir, émeuvent et font comprendre pourquoi il fut estimé et choisi tandis que, dans les notes dérobées (cum permissu superiorum) à l'Histoire par Alain PEYREFITTE, je vois une extraordinaire trahison intellectelle : comment celui qui a eu l'honneur et le privilège d'une telle intimité, d'une telle audience, peut-il à la fois tout et si bien rapporter ; et pourtant ne se conformer jamais ou presque à ce que le Géant prêchait devant lui. Davantage : maître dans la réalité éditoriale d'un quotidien, à peine moins prestigieux que celui dit du soir, comment n'a-t-il pas fait du gaullisme, comment n'a-t-il pas accueilli ceux dont les idées auraient dû lui être familière. Je rencontrai le futur auteur du Mal français quand, seulement ancien ministre de l'Education Nataionale en Mai 1968, il allait entrer au Gouvernement formé par Pierre MESSMER, je ne l'ai plus jamais revu, malgré une demande d'entretien réarticulée tous les trimestres depuis vingt-cinq ans, et un envoi de copie presque mensuel. Ecrivain véritable ou tapeur de pages, la sensibilité au refus et la jalousie des positions mal tenues sont les mêmes. Avoir été publié ne garantit donc pas de continuer de l'être. Le Monde et Le Figaro, j'y ai sans doute un dossier de propositions d'articles plus volumineux que tout ce que fit paraître Raymond ARON et qu'on reprend sur papier-bible, je ne compare que la quantité... Plus encore que l'auteur consacré, j'eusse voulu être avec MAURIAC, SERVAN-SCHREIBER et Françoise GIROUD, à déjeuner rituellement pour dégager ce qui sera la marque d'une époque ou d'un gouvernement et qu'on va défendre toutes ces prochaines semaines. La photographie connue de la première équipe de l'Express, l'année où P.M.F. ne fut pas investi. Je ne comprends qu'à présent que ce serait inverser le temps plutôt qu'accéder à quelque position, car de ces organes de presse, il n'y a plus : on affiche par la comparaison annuelle des salaires de cadres ou le point de la recherche scientifique alors qu'en Angleterre, le Premier Ministre eût démissionné pour une histoire d'appartement, on ne comprend qu'avec dix ans de retard la question de savoir si la France est encore rentable et l'on manque donc la question du moment : le dogme libéral idolâtré par des fonctionnaires, et l'on coupe tellement dans la propagabnde gouvernementale que plusieurs quotidiens ne gomment pas même les sous-titres du dossier anniversaire de notre actuel septennat. C'est de la copie, est-ce écrire ? KOHL à Moscou, CHIRAC à Varsovie, personne ne traite du grand voisinage que constitue l'enclave russe de Kaliningrad. Là éclatera la vraie guerre, puisque l'Allemagne subventionne ses lointains descendants ppur qu'ils ne reviennent que là, et pas en territoire " fédéral ". Que sous prétexte d'empêcher toute prolifération à partir des anciennes Républiques soviétiques dites nucléaires, trois en dehors de Moscou, les Etats-Unis rachètent les têtes nucléaires notamment celles sises au Kazakhstan et, par le désarmement suppsoé général, acquièrent une supériorité cumulant la leur propre et celle qu'avait de concert avec eux le faire-valoir soviétique, aucun ministre ou Premier Ministre que je rencontrais étant Ambassadeur là-bas ne le savait, et pour cause les télégrammes diplomatiques ne comptent qu'au débit de ceux qui gaspillent les crédits en en expédiant, et la lecture gouvernementake n'étant que la presse, cette dernière n'en a jamais parlé. Diogène faisait oeuvre salubre on seulement parce qu'il posait la bonne question, mais parce qu'il caricaturait la vraie réponse. Plus personne n'est ni Jean-qui-rit, ni Jean-qui-pleure.
Editorialiste, bloc-noteur, le talent doit être exceptionnel. Donc François MAURIAC parce qu'il eût tous les genres, qu'il campait en politique l'empoisonneuse et faisait du Général un " amphibie de Dieu " ou bien était-ce plausible. Son " dans le doute, il faut choisir d'être fidèle " qui fut sa recommandation pour répondre au referendum sur lélection présidentielle au suffrage direct, est la maxime cardinale en morale et en spiritualité, elle est plus douteuse en politique, pétainiste davantage que gaulliste, mais elle frappe et demeure. La politique et le sacré, c'est Un adolescent d'autrefois qui la fonde ; il y faut la coincidence, en une même époque, des deux rôles. L'écrivain-journaliste ignorera presque totalement dans son plaidoyer interrogatif de vingt ans le grand écrivain qu'est aussi le grand politique, il ne voit l'éternité chez de GAULLE que dans la geste par excellence française, alors que l'ermite de Coleombey savait que l'avenir a ceci de commun avec la conjoncture qu'on les maîtrise tous deux par le verbe, et que le verbe ne s'improvise pas, que la boutade surtout ne peut naître que de la pratique du par-coeur dont, alors, on a joie à jaillir, parfois et à dessein. Je ne sais guère rapporter ce que j'observe des femmes, des personnages qui pourraient être de romans - trop à plat, trop en fonction de mes hantises ou de mes assimilations abusives à des modèles ou à des nostalgies, mais je sais voir le politique, sa chair, sa peur, son petit linge, la jubilation d'un Premier Ministre constamment roide, coincé, pire que froid, éteint ? ou étreint (mais de quoi ou par quoi ?), laquelle n'apparaît qu'en une seule situation, celle du propagandiste, harponnant l'adversaire par ses vêtements du passé. Alain JUPPE n'est pas un homme d'Etat, c'est un colleur d'affiche qui ne jouit que la voix cassée sous un préau, c'est-à-dire au niveau où il a été coopté, n'ayant jamais élu par lui-même : le Palais-Bourbon, les salles genre cinéma Gaumont où se tiennent toutes les applaudisseries des partis. J'ai su voir pour Georges POMPIDOU et Valéry GISCARD d'ESTAING, là où çà fait mal. Et ce qui me fait mal à moi, c'est l'exorbitant privilège de ces si ternes entreteneurs de l'opinion, chaque parution d'hebdomadaire, chaque colonne de gauche en première page de tant de journaux, ayant la radio, l'émission de télévision, d'autres éditoraux encore pour - par additions et défraiements - palper bien plus qu'un dirigeant d'entreprise ou de grande administration, et ont le monopole lucratif du commentaire. Si le débat s'est éteint depuis une vingtaine dannées en France, si les gouvernants sont nus devant les chocs de circonstances ou de nouveautés, si l'opinion n'est plus qu'une rumeur ou que le relevé des sondages, si la langue de bois est telle que nous ne sûmes rien penser de l'unification allemande (en réalité, l'absorption de la plus faible des deux Républiques d'après-guerre par la mieux placée géographiquement et démographiquement), pas davantage chercher la vérité dans les affaires du Golfe, et encore moins comprendre la logique économique qui fait le chômage, quelles que soient les primes et les non-primes, cela tient essentiellement à la pauvreté du journalisme politique, pauvreté contagieuse puisqu'il n'y a plus d'orateur politique, ni de politique vraiment politique. Un art s'est perdu qui est indispensable, mêlant imagination, interpellation, fronde et éternité, parfois tout exprimé en majuscule, parfois sans titre. Je propose ma copie en format " papier ", je la propose périodiquement en échantillon de feuilleton, quand les directions ou rédactions-en-chef, les propriétaires-mêmes changent, et je ne suis jamais adéquat, que ce soit, un mois de Janvier, Claude IMBERT, aimable et confiant, dans un clair-obscur de chambre de bonne à quoi l'on accède par escalier intérieur et murs punaisant les couvertures d'autres décennies ou Christine OCKRENT de passage en haut de l'avenue Hoche un mois de Novembre. Le discours est semblable et de plus, de nos jours, l'emploi est pourvu, le gagne-pain tenu ; ma prstation gratuite, ce ne serait pas dans les normes. Je suis condamné à lire les journaux et à ne plus les écrire. La politrique où je ne puis intervenu en pensée ou en élection, ne m'intéresse plus. Je suis devenu ce Français qui par millions soudain est au bout du défilé, place de la Nation, pour les merguez et un jour pour la surprise, et peut-être ce qui ressemble en énergie humaine le plus à la haine : l'exaspération. Reçu une première fois à l'Elysée par François MITTERRAND, je l'entends me demander, et non pas soliloquer ce que je pense de tous ces faux-c... de chrétiens de gauche, il vient de subir un petit déjeuner avec Edmond MAIRE et sans doute une discussion avec DELORS et ROCARD, je lui explique Le Monde de FAUVET, il a, sur la table de travail La Croix, donc mon dernier article. On ne vit pas cela deux fois, non parce que ce fdut une chance, mais parce que quinze ans, cela n'existe plus du tout, cela ne peut exister. L'homme qui meurt ne pense-t-il pas que ce sont les choses qui s'en vont. C'est ce que je pense, puisque Raymond ARON, André FRANCOIS-PONCET (qui fut si vite présenté comme le père du ministre !), Sirius, J.J.S.S. et Jean DANIEL des crises maghrébines n'existent plus de ce côté-ci de la feuille. Et moi pas davantage. J'ai donc grand mal à continuer, tandis que je suis une nouvelle fois en difficulté de carrière et donc chez moi, de tenir un journal politique. Le paysan à qui je prête mes petites terres pour qu'il y ait profit et que je ne sois pas en friche, raisonne mieux sur la spirale déflationniste que l'expert-comptable de Chateau-Gontier. MAURIAC, DAUDET, ARON, FRANCOIS-PONCET auraient su les faire dialoguer ; c'est comme cela d'aileurs, qu'à lui presque seul, notre ancien Ambassadeur près HITLER et MUSSOLINI maintint l'opinion atlantiste chez nous, ce qui ne pouvait que pousser les Etats-Unis à se découvrir et de GAULLE à trancher. La littérature éditoriale est ma frustration, c'est le seul genre auquel j'avais pu aboutir, presque du premier trait. L'exilé, s'il a conscience que le soleil le plus haut brille sur sa patrie, ne peut que souffrir de son éloignement, mais si le temps, il le sait, y est médiocre, alors il se console, quoiqu'avec amertume. Sous l'or terni d'une République maintenant trop mûre, notre Cinquième si sauvageonne au temps où de GAULLE pouvait dire à MALRAUX n'avoir que Tintin pour rival, ce sont les mauvais stucks des hotels particuliers que s'arrachent les cabinets ministériels d'aujourd'hui mais dont les tissus et papiers peints ont plus d'usure et de lamentable aspect que la salle d'attente d'un dentiste. Ma position ne me permet que les salles d'attente, je m'y connais donc, je ne fus reçu que quand l'or était frais, et moi également. Jacques CHIRAC a succédé à Henri QUEUILLE, c'est son siège. Or, l'article à faire que les précités n'auraient pas loupé, est bien celui-là, et s'il y avait quelque mémoire, on n'oserait conjecturer que le futur Président de la République ait pu rencontrer à l'Elysée celui qui venait de concocter, sous sa signature le plan RUEFF, attendu que cela se passa à Matignon et que le héros était au service militaire, en Algérie et " fana. mili. ". La culture... et l'oubli sont tous deux sélectifs. J'en suis donc réduit à écrire au passé composé, j'eusse voulu écrire toujours au présent et au futur. Là aussi, je suis donc Français.
[1] - Exemples : la géographie du consentement - je n'y mets rien avant, rien après, les mots, comme un fait, comme une réalité qui ne seraient décrite, suggérée qu'à moi seul, me viennent. Je les ai cette fois retenu, c'était hier, au premier tournant du chemin, quand on vient de chez moii, et c'est à la campagne. On pourrait penser qu'il s'agit des caresses qui feront consentir une femme, la pensée ne m'en est venue qu'ensuite. J'étais seul et en voiture, le matin.
[2] - L'expression est du Président Moktar ould DADDAH, fondateur de la République islamique de Mauritanie, qui demeura au pouvoir du 20 Mai 1957 au 10 Juillet 1978, date à laquelle des colonels, l'en prévenant par son aide-de-camp au petit matin, le renversèrent.
[3] - Les "blancs" en Mauritanie, même de peau noire de jais.
[4] - Jacques FAUVET est alors directeur du journal Le Monde. Il a succédé au fondateur Hubert BEUVE-MERY : son autorité, fondée encore plus sur sa qualité professionnelle et son intuition de l'opinion publique autant que des cercles du pouvoir qu'il connaît, comme pas un, pour avoir été pendant quinze lle chef du service de la politique intérieure, est à peine moindre que celle de Sirius. Il ouvre les colonnes de son journal à deux innovations : la collaboration, comme pigistes mais figurant dans l'organigramme, notamment celui publié sur papier glacé en 1974..., d'assez jeunes - jeunes gens, qui ne sont pas du métier, n'ont que peu ou pas du tout de notoriété (c'était mon cas) mais qui ont quelque chose à dire, répétitivement - la dimension régionale des événements économiques politiques et sociaux en France. La répétivité de la publication fit des jaloux, mais pas des émules, car J.F. avait une doctrine qu'il n'écrivbit ni n'avoua mais qu'a posteriori j'énonce aisément : il aimait qu'on dît, ce qu'il eût voulu lui-même dire et que ni lui ni le journal ne pouvaient dire sous la plume des professionnels. Il y eut MATZNEFF, qui d'autre aurait fait discourir les moines barbus, pédophiles, pénétrés de patristique et d'Arthur (SCHOPENAUER) ? Il y eut SAINT-ROBERT, qui aurait pu se rapprocher de POMPIDOU, après l'avoir tant fustigé sous de GAULLE et enseigner notoirement au Président régnant MAURRAS, Kiel et Tanger ... et moi, parce qu'un procès en fidélité à de GAULLE, permanent, réargumenté bi-mensuellement au Chef de l'Etat, à sa majorité, c'était certainement toucher les successeurs au point sensible, mais qu'au journal personne n'avait été vraiment "gaulliste", en conséquence de quoi personne ne pouvait vraiment être un indigné crédible. Or, J.F. était lui-même un indigné. La pureté d'intentions, d'action, de moeurs et la transparence des recettes font un caractère qui aujourd'hui serait totalement déplacé dans le journalisme ; or, c'est cela qu'il eût prisé sur la scène politique et qu'il ne trouvait décidément pas, sauf à lire certains à qui il avait ouvert ses colonnes. La critique du "giscardisme" - quand V.G.E. parut, puis fut élu - était plus aisée, le journal y pourvût d'excellence, mais il était piquant qu'un énarque, sans nom ni position que ses articles, fut publié, chaque fois en regard de l'intervention présidentielle, et constitua de la sorte une famille d'esprit et un système d'opposition, à lui seul et sans mandat. Cela ne dura que son règne, Pierre VIANNSON-PONTE prié de diagnostiquer mes premiers "papiers" conclut dubitativement : on ne sait s'il écrit bien ou s'il écrit mal. J.F. me coupait, au crayon à bille rouge, d'une écriture très penchée, très courante, il ne me mûtila jamais et me publia plus de cent-vingt fois ; je lui dois ma signature, et un accompagnement affectueux, comme il l'a consenti à d'autres, de ses jeunes journalistes ou de ces pigistes. Ceux-ci, eux, moi qui nous connaissions, nous estimions, partagions les mêms opinions, analyses et tactiques, ne formèrent malheureusement jamais un collège ; nous combinant, nous aurions peut-être pu faire renaître quelqu'organe de la valeur de Notre République sous de GAULLE. Nos articles du Monde, mis ensemble, le formèrent - de fait - en quoi Jacques FAUVET, par son indépendance y compris vis-à-vis de son premier étage de la rue des Italiens, c'est-à-dire de son comité de rédaction, chaque jour officiant à 07 heures 30 et à qui il imposa mes articles et ceux des autres "jeunes" de l'extérieur, et par son flair, fut un des successeurs les plus certains mais les moins connus du Général de GAULLE dans la vie intellectuelle et politique de la France pendant dix ou quinze ans. Alors même et surtout qu'il ne fut jamais "gaulliste".
[5] - Le Général STEHLIN termina en 1963 une carrière militaire exceptionnelle, comme chef d'état-major de l'Armée de l'Air, il avait été attaché militaire à Berlin avant 1939, puis interprête de l'Amiral DARLAN auprès de GOERING. Il a publié des souvenirs sur cette période, sous le titre de Témoignage (éd.
[6] - Il devint plus tard Garde des Sceaux, mais longtemps après avoir épousé Sylvie. Michel VAUZELLE, dont je sus et sais à mesure, par son beau-père, comme une longue narration à suite, les tribulations pour être élu et demeurer député et maire d'Arles. Entretemps, pas encore fiancé, je le reçus au Portugal quand j'y étais en poste. Il fut le premier porte-parole de l'Elysée dans la décennie Mitterrand, fonction que dans ma naïveté j'avais espéré, pour le moins, recevoir du nouveau Président de la République, quoique sans le lui avoir demandé mais parce que j'avais été "reçu" en tête-à-tête déjà trois fois : place du palais-Bourbon, rue de Bièvre, enfin rue de Solférino.
[7] - Alain PEYREFITTE,
Eric ROUSSEL,
[8] - A l'époque, mes papiers lui plurent et ensuite aussi, qui étaient fréquemment consacrés à le citer, le commenter, le rappeler à la mémoire ; il me donnait souvent l'idée ou le titre, nous nous confiions l'un à l'autre, sauf pour ce qui est de nos relations naissantes avec François MITTERRAND, futur Chef de l'Etat ; je ne mangeais le morceau qu'à la dernière audience de celui-ci avant son élection, ce qui me fit lui porter, en oubliant peut-être d'en mentionner l'origine, la suggestion astucieuse : faute de supprimer l'institution préfectorale, mais pour respecter les engagements de programme socialiste, pourquoi pas les Commissaires de la République ? En 1944, et même en 1968, le Général en avait adoubé l'appellation. Quand je ne fus plus publié, il me donna souvent des leçons de style : couper, travailler, que je ne suivais pas, car j'en ai toujours été incapable, et ce n'est pas paresse, mais le thème entier de ce que j'écris ici et à présent. Mais les leçons de Michel JOBERT sont autant de style littéraire que de comportement et de caractère dans la vie. En quoi, je reviens à cette constatation - constante pour moi, jécris comme je vis, et je vis comme j'écris, c'est-à-dire pas très bien et avec insuffisamment de rigueur. Lui au contraire... Il est donc publié, mais encore moins que moi il n'aura été durablement favorisé à proportion de mérites et de talents, dont je sais maintenant d'expérience, qu'ils ont été exceptionnels et nous manquent. Journaliste pour journaliste, l'entendre dicter un communiqué de soutien à Gaston DEFFERRE, entre les deux tours très difficiles des municipales de 1983 à Marseille, fut prodigieux : le jeune directeur du cabinet, qu'il avait été en 1956.1957, de Gaston CUSIN, dernier Gouverneur général de l'A.O.F. vieille façon, sut faire par avance le panégyrique du vieux militant et de la grande figure, parce qu'il rapprocha de la fameuse Loi-Cadre les textes, alors récents et encore bouleversants sur la décentralisation. La dictée fut sans hésitation, courte ; le ton de cette passion qu'a mon éminent ami et qu'il sait faire entendre d'une voix grave et très belle. Le plus souvent, c'est cependant la leçon de vie, l'interjection, le renvoi du visiteur, de l'interlocuteur à soi-même ; ainsi, put-il écrire, comme à son fils, ou à sa concierge, dns l'avion qui l'emmenait à Helsinki le texte qui fut la position française quand on ouvrait la Conférence dont l'aboutissement très ultérieur fut la disparition du système soviétique.
Je dois aussi à Michel JOBERT de fréquentes introductions. Ainsi, ai-je préfacé le recueil de ses interventions pour le Mouvement des Démocrates : Parler aux Français, et ai-je ou intervenir à un colloque, à l'époque important, à propos de la Défense nationale et qu'organisait l'Association des ancins élèvces de l'E.N.A. Les anciens ministres des années 1970 et les futurs ministres des années 1980, y furent presque tous.
[9] - Jacques CALVET, alors directeur du cabinet de Valéry GISCARD d'ESTAING, ministre de l'Economie et des Finances, avait tenu à ce que mon administration - Direction des Relations Economiques extérieures de ce ministère - m'éloigna, conformément d'ailleurs au statut de mon corps. Il escomptait qu'à l'étranger, je serai coupé de mes intuitions ou informations sur la scène intérieure nationale, et surtout de l'organe me publiant. Le soir de mon arrivée à Lisbonne, le ministre était, entretemps car j'avais longtemps résisté et ma Direction avait été complaisante, devenu Président de la République et parla économie. Je pus tout de suite détromper ceux qui escomptaient mon silence, entendis la harangue à la radio et répondit par téléphone. Jacques FAUVET comprit que le fait autant que le texte méritaient la publication immédiate. Mon Ambassadeur voulut que je cesse, ou au moins attendisse son successeur - j'avais ensuite publié sur la mort de FRANCO, ce qui étonna à Paris, et aurait pu choquer à Lisbonne où les oeillets ne se fânaient encore qu'à peine. Je me refusais à ce qui eût été une jurisprudence. HEYRIES, fonctionnaire du ministère de la Guerre en 1914.1918, s'en prit, dans un journal, à CLEMENCEAU, il fut révoqué mais le Conseil d'Etat, avec dommages-intérêts et reconstituton de carrière, le rétablit. Maurice COUVE de MURVILLE intervint auprès de son ancien, quoique lointain collaborateur, on préféra ne pas faire de vagues et Raymond BARRE, devenu, deux brefs trimestres, mon ministre, m'écrivit pour m'assurer de son libéralisme d'universitaire et me recommander tout de même quelque prudence. Mon emploi n'étant pas à la discrétion du Gouvernement, j'étais sans contradiction ni ingratitude, fondé à publier ma critique, si elle ne choquait pas la chalandise du service dont j'avais la charge auprès de l'Ambassade. Ce fut ma règle, elle fut tacitement acceptée. Que mes diatribes contre le Chef de l'Etat aient été ainsi publiées, depuis l'étranger, pendant une dizaine d'années, est à l'honneur de mon administration et des moeurs françaises de l'époque. Je ne sais si ce serait possible aujourd'hui.
[10] - Je fis applaudir notre retrait à terme de l'Alliance Atlantique, processus probable auquel le départ du Général de GAULLE avait fait surseoir par une étrange coincidence entre les délais à partir desquels les signataires du Pacte de 1949 pouvaient s'en retirer et la tenue du referendum sur les régions et le Sénat. J'y éprouvais mon art oratoire, de la même manière "amateur" que j'avais pris de plaisir à écrire ; je testais et cela répondait. Sentir ce qu'attend l'auditoire, lui donner le bonheur d'attendre, d'esoérer, de respirer, d'éclater, de se recueillir ; affaire de débit, de volume de la voix, de lenteur affectée, de conclusion davantage hâchée pour déjà préparer l'applaudissement. J'appris en sus la manoeuvre politique : Francis GUTMAN, qui serait cinq ans plus tard Secrétaire Général du Quai d'Orsay, reprenant ainsi une carrière substantielle de diplomate, qu'il avait été d'origine mais longtemps avec si peu de lustre qu'il avait vêcu au Gaz de France et en intelligence constante avec Michel JOBERT - fit mon siège pour que j'édulcore la résolution concoctée par la commission qu'on m'avait chargé de présider. Je me retranchais derrière le peuple et avais su rédiger. Etait-ce écrire, ce fut certainement parler.
[11] - Pressées par l'auteur à gros tirage de L'anti-de Gaulle, les Editions du Seuil refusèrent de faire plaisir à Louis VALLON en me publiant. Motif : un paragraphe sur l'Indochine et ses guerres n'avait pas paru exact à Jean LACOUTURE, qui m'écrivit l'imposibiité, dans de telles conditions, de donner suite. il n'y avait pas à insister. Simone LACOUTURE avait refusé, à peu près de la même manière, un projet de Petite planète sur la Mauritanie dont à l'époque de ma proposition, j'étais l'un des meilleurs, sinon seul connaisseur ; je n'y racontais pas assez un épisode (grotesque ou négligeable) ni ne rapportais convenablement une chanson réputée locale : de GAULLE entrant à cheval et en vainqueur à Berlin en 1945, suivant ce qu'en avait chanté un griot. Elle m'avait reçu, puis en somme dicté ce que je devais écrire sur le pays pour être édité à son propos. Le sujet ne commandait pas. Toujours sur la Mauritanie, j'eus le doublon de cette exérience, François PERROUX ne manifesta d'intérêt pour une présentation économique et financière de l'ancien territoire français dont l'indépendance avait été rendue possible par un seul investissement, mais de taille : celui de MIFERMA, que si je vérifiais par là des équations, les siennes, qu'il avait mises au point entre indépendance et je ne me souviens plus quels paramètres culturels quoique quantifiables. Dans les deux cas, je ne pouvais obtempérer, l'aurais-je voulu ; il me manquait déjà tout le savoir-faire.
[12] - Il était déjà proche de quitter l'édition, avait trop de dettes pour en imposer aux imprimeurs et les stocks, y compris celui de mon livre, disparurent dans un incendie, m'assura le repreneur, la Librairie... Je ne l'ai plus jamais revu ni lu. Ce qui le concerne est assez connu pour que je n'ai pas à raconter ce que je ne sais ni exaustivement ni mieux que le " grand public ".
[13] - Sous la plume de Pierre VIANNSON-PONTE, décidément mon jury, et en compagnie de
Le Monde n° du
[14] - Nous nous sommes revus deux fois depuis, ou plutôt je l'ai revu deux fois, car m'a-t-il vu, lui ? La première était à ... ; l'hôtel est réputé, la plage privée, spacieuse, variée. D'Athènes, moyennant un léger passe-droit, on peut y accéder en une dem-heure d'auto depuis le centre-ville. C'est au début de la route menant au Cap Sounion. François MITTERRAND, visitant officiellement la Grèce en Septembre 1982, y fut à déjeuner, et c'est là qu'étonné que je ne vienne pas le voir depuis nos entrevues de 1977 à son élection, il m'invita à le faire. Je ne demandais que cela depuis plus de dix-huit mois et ne recevait que les imprimés signés d'André ROUSSELET, alors le directeur du cabinet du Président de la République. je sus alors qu'il fallait penser, plus encore qu'auparavant, par Marie-Claire PAPEGAY ; très bien m'en prît car, à défaut d'être reçu, aussi souvent que je l'eusse souhaité, je fus lu jusqu'à la fin. Je vis encore le Président commenter avec Andreas PAPANDREOU, contemporain de longévité au pouvoir, de ténacité et d'engagement politiques, la chute d'ANDROPOV, seulement pour cause de mort. Tous deux eurent la sagacité de saluer le dernier homme d'Etat, vraiment soviétique. Bernard-Henry LEVY s'était marié avec Sylvie B. attachée de presse des Editions Hallier le temps qu'il y en eût et quand j'y étais publié. Charmant petit bout de femme, au teint mat, bien faite, susceptible, aimable, agréable ; il la cocufiait en cette fin d'hiver avec une femme autrement célèbre, quoique jamais immensément, à la peau de cendre, Arielle DOMBASLE et dans la iscine déserte, il fit énormément de tapage, car il m'avait reconnu et voulut être remarqué ; il était encore à une étape de sa vie où la liaison, sans fard et avec peu de maillot, d'une actrice de cinéma, pouvait le valoriser. Je me gardais de donner le moindre signe que je l'avais aperçu, alors qu'il crevait les yeux et éclaboussait partout. C'était bien gris. La seconde fois fut à notre Ambassade de Vienne. Catherine CLEMENT, très fan de lui et qui fut assez dépitée qu'à l'issue du dîner, où il relaya en vedette principale Pierre JOXE venu comme simple ministre de la Défense, il n'ait pas occupé sa chambre mais plutôt arpenté la ville en souvenir d'un tout autre amour, avait donc fait organiser une conférence où les "intellectuels" - c'est entretemps devenu un état de vie, une raison sociale, et une responsabilité en soi - exposaient la conception qu'ils ont d'eux-mêmes. La Yougoslavie n'était éventuelle que pour des observateurs désintéressés et sur place - je crois en avoir été, au second semestre de 1991, c'est-à-dire quand la paix et l'unité étaient encore tout à fait possibles. Je pariais avec mon collègue du sefrvuce culturel que je saluerai le conférencier, accablé d'applaudissements et d'hommages, du titre de maître ou cher maître, à au moins trois reprises, en l'approchant ensuite à l'occasion du dîner. Ce que je fis, l'enjeu n'était pas marqué, mais je dois reconnaître que la courte conversation, sous les yeux inquiets de " l'ambassadrice ", fut agréable, au point que je tombais dans le panneau, me crus estimé, écrivis esuite une protestation d'amitié et de passage à profits et pertes d'un passé qui m'avait moins charmé. je demandais, il est vrai quelques services de presse d'oeuvres que je n'avais pas voulu acheter à leur époque. Le silence reprit.
[15] - En Juillet 1982, Jacques FAUVET quitta, à 68 ans, la direction du journal. Le dernier article qu'il put y publier, le fut en Avril. Symboliquement, le premier refus, qui inaugura ma disgrâce, mensuellement confirmée jusqu'aujourd'hui où je continue d'envoyer de la copie, porta sur mon sujet d'origine : la Mauritanie, et le premier de mes mentors ou amis, qui aient été notoires : le Président Moktar ould DADDAH. Ce fut pendant ses dernières vacances de directeur et malgré la promesse qui lui avait été faite que je "passerai". Sa succession au Monde, qu'il n'a pu inspirer, ne s'est toujours pas vraiment faite, quinze ans après : deux patrons entre 1944 et 1982, quatre depuis pour déjà deux changements d'adresse... Mais "le" journal a une dynamique qui semble échapper même à ses rédacteurs. A chaque décennie, ou à chaque septennat, correspond un rebond de sa vocation ; elle est actuellement de sortir les papiers qu'un Gouvernement aurait voulu réserver à la confidence ou ne sortir que plus tard. M. GISCARD d'ESTAING, dans le second volume de ses Mémoires, attribue sa défaite de 1981 au directeur du Monde de l'époque. sans l'autorité du journal, le Canard enchaîné n'aurait pas tant accrédité l'affaire des diamants.
Jacques FAUVET préside depuis 1984 la Commission nationale Informatique et Libertés. Membre nommé par le Président de la République, il n'en est la tête que par élection puis réélection, chaque fois à l'unanimité.
[16] - Le Bilboquet que j'ai ainsi évoqué... j'ignore s'il existe toujours.
[1]. - La douceur était au coin de la rue
[2]. - Cendrier
[3]. - A Paraty, poèmes avec Maté
[4]. - Du oui au non...
Le Monde n° du
[5]. - Je m'appelle Portal
Le Monde n° du
[6]. - La plus grande misère
Le Monde n° du
[7]. - La première chance depuis 1939
Le Monde n° du
[8]. - Simple Allemagne
Le Monde n° du