Pleurer
Pleurer, pleurer, gonfler de pleurs,
respirer de pleurs.
Rien à pleurer, personne à pleurer, que
pleurer.
Pas de raisons, ou tellement de raisons,
tellement de soi et d’autres,
mais rien qui pèse, qui gêne.
Légèreté et poids de pleurer n’ont ni
mesure ni nature.
Je pleure par envie, par désir de pleurer
parce que je ne ressens rien d’autre que
cette envie,
un désir semblable à celui de caresser ou
d’être envahi,
sentiments ou gestes qui prennent ou se
donnent,
mais le pleur n’a pas de vis-à-vis.
Aimé, aimant, je pleure quand même.
Peut-être parce que j’aime et suis aimé,
peut-être parce que je suis sûr d’une
issue heureuse
à cette existence que personne ne sait
définir,
que chacun vit sans se connaître soi-même
et en regardant, parfois intensément,
parfois selon un hasard, l’autre tout
autre,
sœur, frère indifféremment, sexe et âge
indifférent.
Je pleure parce que certitude et amour ne
suffisent pas
quand l’océan de la pauvreté, du
dénuement, du mutisme,
du cœur sans voix qu’appel… et pleur, déroule
sa houle
et me submerge, survient du dedans,
un dedans qui n’est pas moi
mais que je porte et dois apporter,
rapporter.
Le bonheur va avec le pleur,
ils s’épaulent sans adjectif ni
destination,
ni destinataire.
Le pleur, je ne peux me l’ôter,
le bonheur, je ne le veux que pour qui
j’aime.
C’est mon muguet à deux cloches,
c’est mon souvenir de demain,
c’est la tendresse que je reçois sans m’en
apercevoir,
que je ressentirai plus tard, un jour,
sans savoir,
c’est la tendresse que je ne peux donner,
c’est tout ce que j’ai perdu.
Je pleure parce que je pleure.
Je suis entré dans un temps ou un lieu
sans balise
où je pleurerai sans que cela se voit,
je le sentirai seulement parce que je ne
suis que pleur.
Sans raison, sans visage, gros, énorme, si
léger,
si logique puisque je pleure, n’y peux
rien
et ne sais plus être qu’ainsi.
Pleurer m’entre dans la vie sans rythme,
ni temps, ni lieu,
m’ancre dans ce que je ne sais,
m’attache à ce que je ne sais voir
et je vais en venir à tutoyer tout, à
m’éloigner de moi,
à partir pour n’être plus qu’ici gonflé,
gonflé de pleur.
Je pleure de moi,
et rien ni personne ni moi ne peut me
l’ôter.
Je suis pleur à prier,
l’exact envers du cri et des larmes.
Je pleure du dedans de toute ma vie à cet
instant-ci
Depuis longtemps peut-être
mais la houle lourde, le volume et le
poids
maintenant seulement m’atteignent et
opèrent,
j’implore je ne sais quoi je ne sais qui,
je suis plus que corps et moins qu’âme.
Je suis pleur à pleurer.