Découvrez le nouveau numéro de la remarquable revue dirigée par Marc Knobel. Un numéro consacré à l’immense poète que fut Claude Vigée. La coordination de ce bel hommage a été confiée à Daniella Pinkstein.
La poésie juive en dialogue *
par Daniella Pinkstein
Écrivain, journaliste et enseignante, Daniella Pinkstein a choisi la forme des miscellanées, ce qui nous vaut un florilège de textes aussi brillants les uns que les autres. Sous les plumes de Thierry Alcolumbre, d’Anthony Rudolf, de Daniella Pinkstein et de Claude Vigée lui-même, la vie et l’œuvre du poète nous sont magistralement proposées.
C‘est le 3 janvier 1921, à Bischwiller, en Alsace que Claude André Strauss, qui plus tard deviendra Claude Vigée, a vu le jour. Il est mort à Paris, presque centenaire, le 2 octobre 2020. D’Israël où il résidait alors, il avait gagné la capitale française en 2001 en raison de la grave maladie de son épouse. Il a été enterré au cimetière juif de Bischwiller.
Il appartient à une famille juive enracinée en Alsace depuis des siècles et, si, plus tard, il sera polyglote, parlant parfaitement sept langues, il pratique, dès l’enfance, le dialecte bas-alémanique. « Deux fois juif et doublement alsacien », aimait-il dire.
Après avoir commencé des études de médecine, qu’il sera obligé d’interrompre en raison de la Guerre, de l’Occupation et du numerus clausus visant les Juifs, il se retrouve à Toulouse, en 1940. C’est là qu’il redécouvre le judaïsme en suivant les cours clandestins de Paul Roitman et en rejoignant la Résistance juive. Il poursuit ce retour aux sources aux États-Unis pendant dix ans puis en Israël où il étudie l’hébreu et aura parmi ses maîtres, Léon Askénazi Manitou. Son amour pour l’Israël ressuscité sera sans limites. « Je suis un Hébreu, un homme de passage », affirmait-il avec force.
En 1947, il épouse Évelyne Meyer, Evy, qui lui donnera deux enfants et soutient un doctorat sur le démonique chez Goethe avant d’être nommé professeur de littérature française et comparée à l’université Brandeis.
Le 30 septembre 1960, veille de Kippour, c’est le grand saut, l’alyah. Le voilà à Haïfa, sur cette terre de « futurs inépuisables ». Il est enseignant à l’Université Hébraïque de Jérusalem au département de littérature comparée.
Devenu écrivain et poète, il puise dans le judaïsme l’essentiel de son inspiration car « parler c’est donner ». Pour lui, « le rôle véritable d’un poète rejoint, en un sens, celui du prophète dans l’Israël antique » ou encore : « Je suis un écrivain juif de langue française ».
Il a notamment pour amis Gershom Sholem, Martin Buber, André Neher, André Chouraqui, Henri Atlan et Stéphane Mosès.
Au fil des pages de cette passionnante Étude, on découvre une comparaison intéressante entre Claude Vigée et Edmond Jabès, un choix de poèmes de Vigée dont « L’amandier de Jérusalem » et des extraits de « L’été indien »
« À chaque essor du jour mes paupières
s’envolent,
les grives font leur nid dans mes moindres
paroles,
une étoile palpite au bout de mes dix doigts ».
Dans « Le buisson ardent », Claude Vigée raconte son enfance dans le quartier de la Grand rue à Bischwiller, les relations avec les voisins et amis, la famille Bohler. « Pour moi, la demeure des Bohler fut longtemps un second foyer ». C’est là que le petit Juif alsacien apprit à célébrer Noël.
Le comparatiste Michel Arouimi, a intitulé son dernier ouvrage « Rimbaud…rusalème » (1) pour bien montrer que la source d’inspiration du grand poète français se situe in fine, au cœur de la Terre Sainte.
On pourrait, de même et sans trahir la pensée de Vigée, parler de Vigée…rusalème car il n’hésitait pas à mettre en parallèle le génie hébraïque et la civilisation française.
En bref, « Comme le furent jadis Athènes et Jérusalem, Paris et Jérusalem constituent de nos jours les pôles majeurs de notre existence spirituelle. « Car la France romane a reçu au berceau le message de la justice et de l’Un émané de Sion ».
Le rabbin tunisien Haï Taïeb (1743-1837) a été surnommé, quand il eut quitté cette terre, « Lo Met », pour bien affirmer qu’il n’est pas mort, qu’il ne mourra jamais. Claude Strauss a décidé de s’appeler Vigée, de l’hébreu « Haï Any », « Vie j’ai », en référence à un verset d’Isaïe. Nul doute que comme Haï Taïeb, Claude Vigée ne mourra jamais. Claude Vigée « Lo Met ».
Des pages somptueuses. Une très belle étude.
Jean-Pierre Allali
(*) Une étude de Daniella Pinkstein. Novembre 2021. 96 pages. 10 €.
(1) Éditions Hermann. 2021
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