La geôle. Les contours, nous ne les connaissons pas.
Depuis quand y sommes- nous, nous ne le savons pas bien, nous n’avons pas
compté les jours ou les années, ni noté les événements, les premiers, ceux par
qui tout est arrivé, tout nous est arrivé. Les derniers événements, ceux
d’hier, ceux d’aujourd’hui, ceux de maintenant, nous savons leur point commun,
leur nature unique, la même : la nature, le fait de nous enfermer
physiquement. De nous contraindre à accepter qu’il n’y a ni échappatoire, ni alternative,
rien. Qu’à être là, et à attendre quoi ? Nous ne savons pas les geôliers,
nous entendons parfois des noms, la rumeur de spectacles et de délibérations,
nous avons cependant compris que cela ne concerne que ce qui est dehors. Notre
sort à nous est réglé. C’est collectif, c’est individuel, peut-être y a-t-il
d’autres prisons, d’autres geôles, d’autres endroits sans rémission ni fuite
possible, des lieux où l’imagination est bannie. Nous avons le nom générique
d’humains. Nous sommes traités comme des choses et ce que nous avions fabriqué,
inventé, construit est vendu.
Chacun a son désespoir, des moments d’existence où la
grâce se donne et nous fait rebondir, gagner, des heures ou des instants de
désespoir. Seulement, crier, ce qui n’a d’effet que de nous faire ressentir
d’être encore vivants, de pouvoir encore produire quelque chose : le cri,
ce cri.
Les racistes, les geôliers qui réussissent à attraper,
à attirer et lier, emprisonner, ne sont pas – de nos jours, ces années-ci et en
France, notre pays, notre beau pays, mer, soleil, fleuves, montagnes et
plaines, forêts et villes quand celles-ci sont encore épargnées ou enfin
honorées pour ce qu’elles étaient ou doivent être – les racistes ne sont pas
les antisémites, les islamophobes, les machistes, tous ceux qui haïssent les
autres par peur, et principalement par peur d’eux-mêmes, ce qui peut commencer
et durer entre homme et femme dans un coupe, entre parents et enfants, d’une
version à une autre de la personne humaine. Ce racisme-là se repère, se soigne,
s’endigue, peut se dialoguer. Celui qui nous encage ces années-ci, création
continue aux capacités oppressives croissantes d’années en années, de mois en
mois, de jour en jour, est tout simplement et crûment la passion de
quelques-uns que nous élisons, puis que nous tolérons. Ils n’exercent pas les
fonctions nécessaires à une vie en société. Ils ne parlent que d’autre chose
que ce qu’ils commettent, et ce qu’ils font, c’est de nous vendre. Le
patrimoine industriel français se vend depuis une trentaine d’abord par
exception, par nouveauté, puis par des pans financièrement logiques, et enfin
ce devient un système qui ne s’arrêtera qu’à la plus infime propriété
française. Nous nous connaissons si mal entre
Européens que nous ne savons pas si c’est partout pareil. Les
gouvernants actuels censément ne possèdent pas en nom propre ce qu’ils
aliènent. Ils laissent aliéner, ils créent un discours et une ambiance propres
à légitimer ce que commettent, préparent et achèvent les dévoyés, les recéleurs
de la finance et de l’entreprise. Ces deux activités ne sont plus dédiées à la
production de ce qui satisfait les besoins d’une société, d’une population,
d’un pays, de chacune des personnes. Ce sont des moyens de faire du profit. Le
constater, le théoriser n’a rien d’original et le phénomène n’a rien de
nouveau. Mais il était, jusqu’il y a peu encore, le fait de certaines personnes
physiques ou morales, toutes privées, tandis que l’Etat, outil du bien commun,
dont les dirigeants sont élus et qui fonctionne démocratiquement, était par
construction et par tradition le gardien du patrimoine collectif, le protecteur
des activités et le censeur de la morale, de l’équité, de l’éthique de ces
activités. Depuis peu, ce n’est plus ce que nous vivons. Notre Etat est
dépouillé par les gouvernants de plus en plus de ses prérogatives. La liste des
entreprises, des industries, des capacités cédées à l’étranger, pas même entre
Européens, est à dresser, afficher, publier.
Ceux qui nous laissent dépouiller ainsi, qui tolèrent,
encouragent les choix d’industriels, de financiers vendant nos outils et nos
marchés, au lieu de produire et d’inventer, sont les vrais racistes, sont nos
tueurs. Il ne s’agit ni d’un débat juridique ou politique sur le fonctionnement
des institutions européennes ni de l’évolution
Désespoir et souffrance parce que l’ambiance est
douloureuse, parce que ce qui nous abîme tous, y compris les dévoyés et les
recéleurs, dévoyés de l’économie, de l’entreprise, de la finance, recéleurs
d’un pouvoir dont les prérogatives n’ont de légitimité que confiées à des élus
fidèles à leur mandat, à la conscience que nous leur croyons, pourrait, aurait
pu, peut encore être évité, même si la table, naguère bien servie et même
harmonieuse autant à regarder qu’à entourer entre commensaus, entre amis, entre
compatriotes. Mais ni la dénonciation ni les moyens ni le bon sens n’ont
aujourd’hui prise sur la délibération des quelques-uns qui décident, plus même
en notre nom, mais selon une idéologie dominante. Concept vieux d’une
cinquantaine d’années, énoncé quand rien n’était encore que possible ou
naissant. Beaucoup souffrent physiquement, psychologiquement de ce que produit
en organisation, en rétention des chances, en inégalités cette idéologie quand
elle devient la norme et l’intelligence de ceux qui exercent – disons-nous,
dit-on – le pouvoir. D’autres parmi nous, vous peut-être sans doute, souffrent,
nous souffrons, je souffre de cette immoralité, de ce dépouillement de notre
pays. Naguère, la peur et le scandale, c’étaient les grandes risques de guerre
ou d’ennemis très identifiés dont la suite a montré qu’ils étaient autant notre
fait que celui des autres. Ce que nous construisions était nôtre et le restait.
Aujourd’hui, c’est vendu, cela sort de chez nous, de l’emprise de nos
décisions. Pendant des décennies, notre vie collective et chacune des vies
personnelles dans notre pays se faisaient en intelligence mutuelle. Le droit
social avançait, la solidarité progressait avec les outils de la sécurité
sociale et de la fiscalité, l’égalité des chances était voulue, les réformes
étaient des ajustements médités et attendus depuis longtemps, une sorte de
solidarité entre les étapes de notre histoire nationale, de nos régimes
successifs nous faisait vivre mentalement mais aussi pratiquement une grande
continuité, un accord général sur le bien commun. Il y avait discussions,
combats, épreuves de forces, événements et fratctures politiques certes, mais
nous nous sentions maîtres de nous-mêmes. Nos maux et nos insuffisances étaient
nôtres.
L’usurpation du pouvoir en France n’est pas Bruxelles
ou les sociétés transnationales ou supranationales, la prise de contrôle de nos
terres et de nos entreprises n’est pas la conséquence de batailles ou de
guerres perdues, l’invasion, la submersion, la mûe de notre population ne sont
pas le fait d’immigrants, d’étrangers et certainement de ces compatriotes
d’antan que furent pendant cinquante, cent ou deux cent ans les peuples que
nous administrions en ayant fait de leurs territoires propres notre propriété
coloniale, ce à quoi ils s’étaient fait, et ce qui aurait pu et pourra
peut-être se continuer autrement que selon ces dernières décennies. Non !
notre désappropriation vient d’une amnésie ou d’un crime. Elle est de nature
intellectuelle, elle est bien plus dangereuse qu’une agression matérielle, elle
nous dépèce bien plus efficacement que toute amputation de territoire, de
population. Nous nous abandonnons. Nous nous laissons aller à perdre toute
perspective propre, toute mémoire. Plus rien n’est légitime, approprié que
d’admettre une dogmatique se faisant passer pour libératrice et créatrice.
J’essaye ainsi de dire et d’écrire, ce que je ressens
de plus en plus douloureusement depuis quelques années – autant admettre…
depuis 2012 – car jusqu’à cette date et à cette élection présidentielle (qui
est aussi législative puisque la sottise ou la logique d’une destruction qui
n’apparaissait pas encore pour telle il y a quinze ans, a rendu la désignation
des députés dépendante de celle du président de notre République). Jusques là,
il y avait le recours normal de l’espérance, que le présent n’est pas
l’éternité et que les procédures du changement, du raffermissement des pensées
et donc de nos politiques, seraient, sont efficaces. Préparer, proposer,
attendre n’était pas vain. Le futur, sans être une utopie, pouvait changer du
présent, le juger, l’annuler, l’amodier. La sensation de geôle est récente.
Elle ne me vient pas du ridicule des mises en scène de « primaires »
ou de candidatures, pas même de cette singulière dialectique Non, la sensation me vient de cette
expérience quotidienne du bon sens de chacun, excepté de ceux qui nous
gouvernent. De la tolérance de chacun, de l’humilité de chacun, excepté de ceux
qui nous assènent de la pédagogie, qui contraignent contre leur conscience ceux
qui devraient collaborer au bien commun en contrôlant et discutant les moyens
pris pour l’atteindre ou le maintenir. La geôle est l’endroit d’où l’on ne peut
être entendu, car sortir n’est rien si l’extérieur ne se distingue pas
substantiellement de l’intérieur. C’est ce qu’éprouvent déjà les électeurs
britanniques quels qu’aient été leurs votes. La geôle est le lieu sans beauté
ni lumière, alors que nous sommes faits pour jouir de ce que nous voyons,
comprenons et respirons.
Ce matin, aujourd’hui, tout s’est ligué pour que
j’éprouve le resserrement davantage qu’hier où je l’oubliais, de ce qui
m’empêche d’aider celui à qui j’ai promis du secours, de ce qui m’empêche de
propager des propositions et d’entrer dans les processus de communication
actuels. Il y a certes la santé et l’âge, mais ils ne rétrécissent pas les
perspectives, ils n’amoindrissent aucun des sens de l’âme. C’est comme cela que
je me ressens moi-même, c’est ainsi aussi que je considère autrui, les autres.
Mais, hors de ma portée mentale et sans outils psychologiques pour y suppléer,
je ne peux plus comprendre le dévoiement, qui n’est plus même un comportement,
le dévoiement de nos dirigeants et la mécanique, la morale de ceux des grands
acteurs de notre économie. Je suis tellement convaaincu – éducation ? foi
chrétienne ? non : expérience personnelle ! – que le bonheur est
de commettre le bien, de voir et partager la joie d’autrui, qu’il est de
remplir sa vocation, de comprendre ce pour quoi l’on est fait.
J’essaye d’écrire désespoir, diagnostic, compréhension
et je m’y emploie devant un paysage, au sein d’un paysage, sans doute pas
exceptionnel, mais qui est calme et calmant, statique, silencieux, tranquille
et pousse au silence et aux stabilités qui vont avec, aux ressourcements et
inventaires de soi qui vont avec. Pourtant, je ne peux me reposer, je ne peux
continuer de vieillir et de diminuer en force, en énergie car ce que nous
vivons ensemble n’est ni juste, ni beau, ni supportable. Alors que faire ?
Du moins, dans ce paysage et indépendamment de ses
vertus, y a-t-il un modèle, un appel même ! Notre fille en stage de
planche à voile.
base nautique 47° à la pointe de Bill – matin du jeudi 7 juillet 2016
10 heures 16 à 11 heures 13 … 56
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire