jeudi 7 juillet 2016

reprendre pour continuer - suite des esquisses et exercices




La geôle. Les contours, nous ne les connaissons pas. Depuis quand y sommes- nous, nous ne le savons pas bien, nous n’avons pas compté les jours ou les années, ni noté les événements, les premiers, ceux par qui tout est arrivé, tout nous est arrivé. Les derniers événements, ceux d’hier, ceux d’aujourd’hui, ceux de maintenant, nous savons leur point commun, leur nature unique, la même : la nature, le fait de nous enfermer physiquement. De nous contraindre à accepter qu’il n’y a ni échappatoire, ni alternative, rien. Qu’à être là, et à attendre quoi ? Nous ne savons pas les geôliers, nous entendons parfois des noms, la rumeur de spectacles et de délibérations, nous avons cependant compris que cela ne concerne que ce qui est dehors. Notre sort à nous est réglé. C’est collectif, c’est individuel, peut-être y a-t-il d’autres prisons, d’autres geôles, d’autres endroits sans rémission ni fuite possible, des lieux où l’imagination est bannie. Nous avons le nom générique d’humains. Nous sommes traités comme des choses et ce que nous avions fabriqué, inventé, construit est vendu.

Chacun a son désespoir, des moments d’existence où la grâce se donne et nous fait rebondir, gagner, des heures ou des instants de désespoir. Seulement, crier, ce qui n’a d’effet que de nous faire ressentir d’être encore vivants, de pouvoir encore produire quelque chose : le cri, ce cri.

Les racistes, les geôliers qui réussissent à attraper, à attirer et lier, emprisonner, ne sont pas – de nos jours, ces années-ci et en France, notre pays, notre beau pays, mer, soleil, fleuves, montagnes et plaines, forêts et villes quand celles-ci sont encore épargnées ou enfin honorées pour ce qu’elles étaient ou doivent être – les racistes ne sont pas les antisémites, les islamophobes, les machistes, tous ceux qui haïssent les autres par peur, et principalement par peur d’eux-mêmes, ce qui peut commencer et durer entre homme et femme dans un coupe, entre parents et enfants, d’une version à une autre de la personne humaine. Ce racisme-là se repère, se soigne, s’endigue, peut se dialoguer. Celui qui nous encage ces années-ci, création continue aux capacités oppressives croissantes d’années en années, de mois en mois, de jour en jour, est tout simplement et crûment la passion de quelques-uns que nous élisons, puis que nous tolérons. Ils n’exercent pas les fonctions nécessaires à une vie en société. Ils ne parlent que d’autre chose que ce qu’ils commettent, et ce qu’ils font, c’est de nous vendre. Le patrimoine industriel français se vend depuis une trentaine d’abord par exception, par nouveauté, puis par des pans financièrement logiques, et enfin ce devient un système qui ne s’arrêtera qu’à la plus infime propriété française. Nous nous connaissons si mal entre  Européens que nous ne savons pas si c’est partout pareil. Les gouvernants actuels censément ne possèdent pas en nom propre ce qu’ils aliènent. Ils laissent aliéner, ils créent un discours et une ambiance propres à légitimer ce que commettent, préparent et achèvent les dévoyés, les recéleurs de la finance et de l’entreprise. Ces deux activités ne sont plus dédiées à la production de ce qui satisfait les besoins d’une société, d’une population, d’un pays, de chacune des personnes. Ce sont des moyens de faire du profit. Le constater, le théoriser n’a rien d’original et le phénomène n’a rien de nouveau. Mais il était, jusqu’il y a peu encore, le fait de certaines personnes physiques ou morales, toutes privées, tandis que l’Etat, outil du bien commun, dont les dirigeants sont élus et qui fonctionne démocratiquement, était par construction et par tradition le gardien du patrimoine collectif, le protecteur des activités et le censeur de la morale, de l’équité, de l’éthique de ces activités. Depuis peu, ce n’est plus ce que nous vivons. Notre Etat est dépouillé par les gouvernants de plus en plus de ses prérogatives. La liste des entreprises, des industries, des capacités cédées à l’étranger, pas même entre Européens, est à dresser, afficher, publier.

Ceux qui nous laissent dépouiller ainsi, qui tolèrent, encouragent les choix d’industriels, de financiers vendant nos outils et nos marchés, au lieu de produire et d’inventer, sont les vrais racistes, sont nos tueurs. Il ne s’agit ni d’un débat juridique ou politique sur le fonctionnement des institutions européennes ni de l’évolution

Désespoir et souffrance parce que l’ambiance est douloureuse, parce que ce qui nous abîme tous, y compris les dévoyés et les recéleurs, dévoyés de l’économie, de l’entreprise, de la finance, recéleurs d’un pouvoir dont les prérogatives n’ont de légitimité que confiées à des élus fidèles à leur mandat, à la conscience que nous leur croyons, pourrait, aurait pu, peut encore être évité, même si la table, naguère bien servie et même harmonieuse autant à regarder qu’à entourer entre commensaus, entre amis, entre compatriotes. Mais ni la dénonciation ni les moyens ni le bon sens n’ont aujourd’hui prise sur la délibération des quelques-uns qui décident, plus même en notre nom, mais selon une idéologie dominante. Concept vieux d’une cinquantaine d’années, énoncé quand rien n’était encore que possible ou naissant. Beaucoup souffrent physiquement, psychologiquement de ce que produit en organisation, en rétention des chances, en inégalités cette idéologie quand elle devient la norme et l’intelligence de ceux qui exercent – disons-nous, dit-on – le pouvoir. D’autres parmi nous, vous peut-être sans doute, souffrent, nous souffrons, je souffre de cette immoralité, de ce dépouillement de notre pays. Naguère, la peur et le scandale, c’étaient les grandes risques de guerre ou d’ennemis très identifiés dont la suite a montré qu’ils étaient autant notre fait que celui des autres. Ce que nous construisions était nôtre et le restait. Aujourd’hui, c’est vendu, cela sort de chez nous, de l’emprise de nos décisions. Pendant des décennies, notre vie collective et chacune des vies personnelles dans notre pays se faisaient en intelligence mutuelle. Le droit social avançait, la solidarité progressait avec les outils de la sécurité sociale et de la fiscalité, l’égalité des chances était voulue, les réformes étaient des ajustements médités et attendus depuis longtemps, une sorte de solidarité entre les étapes de notre histoire nationale, de nos régimes successifs nous faisait vivre mentalement mais aussi pratiquement une grande continuité, un accord général sur le bien commun. Il y avait discussions, combats, épreuves de forces, événements et fratctures politiques certes, mais nous nous sentions maîtres de nous-mêmes. Nos maux et nos insuffisances étaient nôtres.

L’usurpation du pouvoir en France n’est pas Bruxelles ou les sociétés transnationales ou supranationales, la prise de contrôle de nos terres et de nos entreprises n’est pas la conséquence de batailles ou de guerres perdues, l’invasion, la submersion, la mûe de notre population ne sont pas le fait d’immigrants, d’étrangers et certainement de ces compatriotes d’antan que furent pendant cinquante, cent ou deux cent ans les peuples que nous administrions en ayant fait de leurs territoires propres notre propriété coloniale, ce à quoi ils s’étaient fait, et ce qui aurait pu et pourra peut-être se continuer autrement que selon ces dernières décennies. Non ! notre désappropriation vient d’une amnésie ou d’un crime. Elle est de nature intellectuelle, elle est bien plus dangereuse qu’une agression matérielle, elle nous dépèce bien plus efficacement que toute amputation de territoire, de population. Nous nous abandonnons. Nous nous laissons aller à perdre toute perspective propre, toute mémoire. Plus rien n’est légitime, approprié que d’admettre une dogmatique se faisant passer pour libératrice et créatrice.

J’essaye ainsi de dire et d’écrire, ce que je ressens de plus en plus douloureusement depuis quelques années – autant admettre… depuis 2012 – car jusqu’à cette date et à cette élection présidentielle (qui est aussi législative puisque la sottise ou la logique d’une destruction qui n’apparaissait pas encore pour telle il y a quinze ans, a rendu la désignation des députés dépendante de celle du président de notre République). Jusques là, il y avait le recours normal de l’espérance, que le présent n’est pas l’éternité et que les procédures du changement, du raffermissement des pensées et donc de nos politiques, seraient, sont efficaces. Préparer, proposer, attendre n’était pas vain. Le futur, sans être une utopie, pouvait changer du présent, le juger, l’annuler, l’amodier. La sensation de geôle est récente. Elle ne me vient pas du ridicule des mises en scène de « primaires » ou de candidatures, pas même de cette singulière dialectique   Non, la sensation me vient de cette expérience quotidienne du bon sens de chacun, excepté de ceux qui nous gouvernent. De la tolérance de chacun, de l’humilité de chacun, excepté de ceux qui nous assènent de la pédagogie, qui contraignent contre leur conscience ceux qui devraient collaborer au bien commun en contrôlant et discutant les moyens pris pour l’atteindre ou le maintenir. La geôle est l’endroit d’où l’on ne peut être entendu, car sortir n’est rien si l’extérieur ne se distingue pas substantiellement de l’intérieur. C’est ce qu’éprouvent déjà les électeurs britanniques quels qu’aient été leurs votes. La geôle est le lieu sans beauté ni lumière, alors que nous sommes faits pour jouir de ce que nous voyons, comprenons et respirons.

Ce matin, aujourd’hui, tout s’est ligué pour que j’éprouve le resserrement davantage qu’hier où je l’oubliais, de ce qui m’empêche d’aider celui à qui j’ai promis du secours, de ce qui m’empêche de propager des propositions et d’entrer dans les processus de communication actuels. Il y a certes la santé et l’âge, mais ils ne rétrécissent pas les perspectives, ils n’amoindrissent aucun des sens de l’âme. C’est comme cela que je me ressens moi-même, c’est ainsi aussi que je considère autrui, les autres. Mais, hors de ma portée mentale et sans outils psychologiques pour y suppléer, je ne peux plus comprendre le dévoiement, qui n’est plus même un comportement, le dévoiement de nos dirigeants et la mécanique, la morale de ceux des grands acteurs de notre économie. Je suis tellement convaaincu – éducation ? foi chrétienne ? non : expérience personnelle ! – que le bonheur est de commettre le bien, de voir et partager la joie d’autrui, qu’il est de remplir sa vocation, de comprendre ce pour quoi l’on est fait.

J’essaye d’écrire désespoir, diagnostic, compréhension et je m’y emploie devant un paysage, au sein d’un paysage, sans doute pas exceptionnel, mais qui est calme et calmant, statique, silencieux, tranquille et pousse au silence et aux stabilités qui vont avec, aux ressourcements et inventaires de soi qui vont avec. Pourtant, je ne peux me reposer, je ne peux continuer de vieillir et de diminuer en force, en énergie car ce que nous vivons ensemble n’est ni juste, ni beau, ni supportable. Alors que faire ?

Du moins, dans ce paysage et indépendamment de ses vertus, y a-t-il un modèle, un appel même ! Notre fille en stage de planche à voile.







base nautique 47° à la pointe de Bill – matin du jeudi 7 juillet 2016
10 heures 16 à 11 heures 13 … 56

Aucun commentaire: