vendredi 25 novembre 2011

vérité, action de grâce - II

vérité, action de grâce - I jamais qu'au présent

Allongé sous le drap et l’édredon, la tête au repos,
les mains loin du ventre que j’ai nu si nous sommes au lit,
contraire à elle toujours à veste, pantalon, chaussettes
plus tard ou pas ôtés, rebroussés, lourdeur alors du corps se rasseyant,
blancheur du bas et douceur de la coulée vers le plus fendu,
et les mains poussant les coudes en ailes éployées de papillon
pour défaire l’ultime armure soutenant encore des seins le silence.

Je savais et sais tout, depuis quelques mois ou années
quand le vent des gestes et l’étincelle des yeux,
la salive au goût copieux gonflant bouche et lèvres,
entonnent l’acquiescement – et ils ne venaient plus,
s’étaient éteints, depuis des jours sans nuits qu’en rêve,
déjà dix ou vingt, lendemains à ne plus espérer.

L’heure intermédiaire en saison d’avant nos hivers,
elle est venue à son tour s’allonger, elle est ma femme,
je suis l’homme de sa vie, dont elle dit qu’il lui prend la vie,
mais arrivant au drap, jambes nues pour rien de plus,
un chant doux est venu qui n’a aucune parole et que je vis.

J’ai murmuré que, pour ne rien faire, le corps essentiel sien
nu me ferait doucement le fredon immobile du bonheur quand même.
Le maquillage de tissu bleu, à anse blanche élastique, fut effacé,
entre les cuisses ne posant la main qu’à plat sur la plus vaste surface
j’ai mis mon cœur et mon silence sans demande ni attente
au plan du repos où nul ni rien ne frémit.

La seconde et dernière demande était sœur de la première,
du trait aussi de ma main au blanc intime de la cuisse pas serrée,
de sa joue dans ma paume et de ses paupières closes déjà.

Mon sexe commença de respirer, fraternel et paisible dans sa main
comptant les coups de mon cœur, sans qu’elle resserra ou coula
l’étreinte dont je ne voulais pas plus qu’une évocation
anticipant une autre fois et rêvant du passé dont je ne me souviens jamais qu’au présent.

Le bonheur pulsait dans sa main, au bas de mon ventre,
de tout mon cœur, de toute ma chair, sans que rien ne chavire…
entre ses cuisses avancer au large de la surface
jusqu’à davantage qui offre des paysages, des humeurs, des idées
je ne voulais pas à cause du bonheur, à cause du moment,
à cause de nous et de la main libre des gestes,
je reçus sa caresse à mon front
que n’attendait pas un sexe devenu ciboire de mon émoi
et de sa douceur.

Il y avait allongé, se mouvant lentement pour faire repli qui emboîte,
le corps en deux versions qui était redevenu notre couple.
Le pouls ne battit plus, le sommeil venait signer notre union
les minutes durèrent, elle laissa longtemps ma main
venue envelopper comme d’un coque le sexe qu’elle revêtait
du bleu et de l’anse blanche d’avant
et ses assises avec la vallée médiane dont l’ombre et le bois
sont plus loin à l’orée du devant que je n’avais pas vu,
rayonnèrent un grand instant pour me promettre ce soir.

Elle partit, tout demeurait, mes mains revenues à mes cuisses
sans bouger rien ni reprendre plus ou moins
écrivirent ce que gisant et éperdu j’avais reçu et qui durait.

Alors j’entonnai le cantique de la grâce insouhaitable,
de l’impatience miraculée,
de l’aventure différente,
de l’âme trouvant sa sœur, chair aimée d’en face,
chair aimée d’une enfance d’amour et de patient désir
sans étape ni arrivée ni début, que la venue,
les mains qui s’échangent et qui se permettent,
les ventres et le sourire qui promettent
en écoutant la tranquillité nouvelle
qui nous avait indiqué le chemin jusqu’à plus tard,
car j’avais traversé le doute et l’oubli :
l’union toujours à deux avait déposé à ma tête,
à mon front, à mon bras où elle abandonnait toute veille,
toute réserve, tout refus
le baiser qui dit tout et n’a besoin de rien qu’un instant
où tout reste, arrêté, vivant.

au lit, l’heure de la sieste à Reniac, vendredi 25 Novembre 2011

vendredi 18 novembre 2011

jeudi 17 novembre 2011

La vérité

l'échec



J’ai souvent connu l’échec. J’ai parfois connu le succès. L’échec seul m’enseigne et me rapproche de la réalité. Le succès : une nomination attendue, naguère la parution d’un article dans un grand journal, une démarche qui aboutit dans l’exercice de ma profession ou pour mes auto- gestions, une séduction déployée et acceptée avec quelque marque incontestable à la clé… m’a toujours attristé, dépaysé. Je me suis senti figé dans une atmosphère vaporeuse et dangereuse, comme si le pays du succès ne m’était pas convenable, comme si par avance je sentais que je ne m’y maintiendrai pas, que j’en serai chassé. Le succès m’isolait et me faisait perdre ma propre vue. Où aller maintenant que… et alors. Souhaits indistincts ou précis qui trouvent leur aboutissement. Je n’en ai joui et ils gardent leurs effets dans ma vie jusqu’à l’instant présent de cette méditation, de ce recueillement, que quand ils furent une rencontre. Le succès qui appelle une suite me dégrisait aussitôt enregistré.

L’échec en tout domaine, y compris celui de mes projets les plus légitimes par eux-mêmes : élaborer une œuvre, communiquer ce que la vie et le regard qui m’est donné sur elle, m’apprend. L’échec à chaque année ou jour de ma vie d’enfance à aujourd’hui. La nature de l’échec est longtemps l’arrangement hostile des circonstances, l’incompréhension d’autrui. Elle apparaît ensuite comme le résultat, la sanction d’une inadéquation entre mes projections et mes moyens, je me suis mal inséré au monde, je me suis mal utilisé, j’ai évalué tout à côté.

J’ai découvert et je vis depuis quelques années tout autre chose. L’échec est moteur, il est l’outil de perfectionnement qui m’approche de la vie et de la fécondité. J’ai découvert, pas immédiatement, mais en profondeur, et en rends grâce chaque jour, que les grandes (à mon échelle personnelle) et très douloureuses circonstances de ma chute professionnelle, des conséquences de celle-ci sur ma vie amoureuse, sur ma vie intellectuelle, sur mes finances personnelles, sur tous mes relationnements, m’ont appelé à une vérité que je n’aurai sans doute pas atteinte dans le succès : la pérennisation d’un smei-sommet de ma carrière jusqu’en 1994. L’angoisse indistincte que je vivais dans une position précaire a fait place à un inventaire de ce qui m’appartient en propre, et d’abord ma volonté de survivre et d’être enfin utile tel que je suis, et non fonctionnellement ou par la grâce d’autrui. Conclusions anecdotiques, mais si je regrette l’expérience, les rencontres, les acquisitions intellectuelles que m’auraient permis la suite d’une carrière diplomatique dont tout l’intérêt tenait d’ailleurs à l’usage que j’en faisais plutôt qu’aux opportunités habituellement attachées à mon métier, si je compare souvent à ce que je ferai encore encore aujourd’hui à la place de mes égaux, de mes contemporains ou de cadets en grande position professionnelle, politique, éditoriale, littéraire, je sais et je vis que le cœur des choses et l’âme des gens ne m’auraient pas été montrés, donnés autrement que je continue de les redevoir, et probablement moins bien. Aucu encens, aucune illusion, aujourd’hui car l’espérance est une certitude, elle n’est pas révérence pour l’attente ou pour le brouillard.

L’échec m’a mis, chaque fois, de mes désespoirs et souffrances d’amour aux pannes financières, au choc d’une interruption de carrière ou d’une mise au placard, dans la main de la Providence. Pas instantanément mais avec la patience d’une maïeutique dont je sais l’origine divine et le langage évangélique. J’ai été éduqué par l’échec. Je sais que ceux qui viennent m’amèneront à être plus jeune et plus simple, plus disponible pour ceux qui m’aiment, plus directement contemplatif de ce qu’il m’arrivera. Je comprends que le succès en Dieu et dans l’estime de qui m’aime, est bien davantage l’échec que je subis mais dont je ne meurs pas, et dont je souris même, en l’abandonnant de mémoire autant qu’ont été piétinés et réduits à ce qu’ils étaient, mes vieux souhaits et mes vœux qui me faisaient me cacher à moi-même.

Je ne compare rien, je dis et vis simplement qu’échouer rassemble et unifie, me fait me connaître et déplace enfin mon espérance vers l’essentiel. Je suis enfin rassemblé pour une suite que je ne définis plus mais dont je vais être l’instrument, l’agent décisifs. Alors ce qu’il adviendra sera partageable et pérenne.


Thème ressenti l’après-midi du jeudi 17
– tenté d’être transcrit et un peu élucidé le matin du vendredi 18 Novembre 2011

écrire en intime

lundi 14 novembre 2011

soir d'hier - plage de Bétahon seul avec mer et chiens + carnet de terrain


La plage, le soir sans soleil ni coucher


J’étais venu pour voir le coucher du soleil,
j’imaginais ce que je verrai dans tout,
et ce qui vient à ma rencontre n’est que
luisance de la mer, flou infini profond du ciel,
ce qui existe bouge et vit – figure
de vaguelettes roulant et ourlant
à la montée du rivage,
c’est leur son répété qui se fait écho
dans le seul sens de la largeur,
en étant parallèle à celui de la vague.

Jétais venu pour contempler,
je ne vois passer qu’un couple, femme côté mer,
suivi d’une jeune aux fesses
qui rebiquent et qui dansent,
très longs cheveux blonds,
jeune fille qui fait silhouette et les rejoint.

Une femme sans âge ni ligne passe
les ayant croisés sans doute,
des oiseaux que je ne distingue qu’en points noirs
léger grésil entre les perches jalons du port en bois calotté
et l’obstacle-balise lourd, bétonné, façon tourelle
d’un navire dont il serait la dernière émergence, après naufrage,
je le vois là depuis quinze ans au moins.

La marée est haute,
le soleil a seulement laissé une trace à effacer
rose, vuerge, tenace à l’endroit probable,
quelques barres dentées, sauvages – habituelles – des rochers-récifs
dépassant, en semblant dormir, en semblant guetter,
la surface plane de l’eau.

Et je suis là devant tout
et tout est devant moi,
le socle de mon passé qui frémit toujours
mais ne me dérange plus d’aucune question,
d’aucun choix ou compromis : tout est arrivé.
Je suis là devant un présent,
apparence de bataille, de soif, de compagnie
et je brave l’avenir que je veux et ne sais pas,
l’avenir dont je reçois à chaque instant la responsabilité,
dont je suis la respiration, l’automate, l’accueillant accueilli.

. . . rencontre fortuite, venue sans annonce :
un homme, un passant,
un visage, une silhouette, un premier plan,
tout se passe, nos voix d’abord pour le commentaire,
l’actualité, les pronostics,
le choc de nos cultures, première identification,
une note de lecture, Pascal et son chien, puisque les miens…
Pascal à l’impossible canonisation quoique docteur spirituel,
une biographie de Rimbaud fait le tournant,
échange de nos ignorances, récitation du poème en répons alterné,
l’enquête sur moi,
le retour de la question,
le vêtement de l’autre,
l’âge de même pour la constatation que l’un comme l’autre
nous sommes à ce qui était la vieillesse
quand j’étais très jeune et encore vague…

La balise clignote vert, ver luisant.
Les chiens ont leur pose,
mes deux de troupeau sont couchés, attentifs
les deux autres, jolie façon de pointer ou griffon minuscule,
se distraient à observer du rien, aussi de la vérité.
Tous quatre tournent leur dos au couchant.
Derrière moi, une voix d’enfant fait rumeur
sans que le probable adulte se fasse entendre.
La laisse de mer ne cesse son rythme
mais le son ne l’emporte plus sur le visuel,
tout relief s’atténue,
un coup de feu inattendu fait seul une pointe.

Il commence de faire froid,
la nuit vient sans transition et je pars.
La page de mon carnet est plus blanche que le ciel.
Que d’hommes, de femmes installant maintenant des lumières
étoiles basses aux découpures qui, noircies, font encore paysage.
Je ne pense aux morts qui les ont précédés
ni aux vivants qui me succèderont.
Les barres – soutenant l’horizon d’eau
en bras inégaux pour ouvrir ou fermer l’étal
de cette anse vaste et nue que j’aime
comme l’anse des golfes du cher et parfait Brasillach :
la mer et ses limites quand on est à terre.

Ce n’est ni une heure ni un paysage
pour les amoureux,
par manque de couleur, par unicité d’un son sans nom ?
ce sont ceux de l’âge où la vie
nous apporte à nous-mêmes la conscience
d’avoir vécu et d’avoir encore à vivre,
ce n’est d’aucun poids, que présence.

Je suis content
si qui j’aime, au pluriel singulier, est heureux :
alors je le suis aussi.
Les deux plus jeunes de mes chiens jouent et luttent
sur le sable devant l’eau qui les indiffère
et là-bas derrière le clin vert du phare
un autre point rouge, exactement à l’horizon,
sans construction.

Il y a l’heure, l’heure de vivre,
l’heure de ne rien édifier et de tout accueillir,
tout est alors improbable et précis.

Si je priais je ne dirais rien,
si je voulais je laisserais venir,
ce qui m’est donné est mieux que ce que je cherche.
Plage le soir coucher sans soleil

transcription difficile à effectuer, achèvement d’un tiers encore, remis à plus tard

plage de Bétahon, Morbihan
soir du dimanche 13 Novembre 2011