jeudi 17 novembre 2011

l'échec



J’ai souvent connu l’échec. J’ai parfois connu le succès. L’échec seul m’enseigne et me rapproche de la réalité. Le succès : une nomination attendue, naguère la parution d’un article dans un grand journal, une démarche qui aboutit dans l’exercice de ma profession ou pour mes auto- gestions, une séduction déployée et acceptée avec quelque marque incontestable à la clé… m’a toujours attristé, dépaysé. Je me suis senti figé dans une atmosphère vaporeuse et dangereuse, comme si le pays du succès ne m’était pas convenable, comme si par avance je sentais que je ne m’y maintiendrai pas, que j’en serai chassé. Le succès m’isolait et me faisait perdre ma propre vue. Où aller maintenant que… et alors. Souhaits indistincts ou précis qui trouvent leur aboutissement. Je n’en ai joui et ils gardent leurs effets dans ma vie jusqu’à l’instant présent de cette méditation, de ce recueillement, que quand ils furent une rencontre. Le succès qui appelle une suite me dégrisait aussitôt enregistré.

L’échec en tout domaine, y compris celui de mes projets les plus légitimes par eux-mêmes : élaborer une œuvre, communiquer ce que la vie et le regard qui m’est donné sur elle, m’apprend. L’échec à chaque année ou jour de ma vie d’enfance à aujourd’hui. La nature de l’échec est longtemps l’arrangement hostile des circonstances, l’incompréhension d’autrui. Elle apparaît ensuite comme le résultat, la sanction d’une inadéquation entre mes projections et mes moyens, je me suis mal inséré au monde, je me suis mal utilisé, j’ai évalué tout à côté.

J’ai découvert et je vis depuis quelques années tout autre chose. L’échec est moteur, il est l’outil de perfectionnement qui m’approche de la vie et de la fécondité. J’ai découvert, pas immédiatement, mais en profondeur, et en rends grâce chaque jour, que les grandes (à mon échelle personnelle) et très douloureuses circonstances de ma chute professionnelle, des conséquences de celle-ci sur ma vie amoureuse, sur ma vie intellectuelle, sur mes finances personnelles, sur tous mes relationnements, m’ont appelé à une vérité que je n’aurai sans doute pas atteinte dans le succès : la pérennisation d’un smei-sommet de ma carrière jusqu’en 1994. L’angoisse indistincte que je vivais dans une position précaire a fait place à un inventaire de ce qui m’appartient en propre, et d’abord ma volonté de survivre et d’être enfin utile tel que je suis, et non fonctionnellement ou par la grâce d’autrui. Conclusions anecdotiques, mais si je regrette l’expérience, les rencontres, les acquisitions intellectuelles que m’auraient permis la suite d’une carrière diplomatique dont tout l’intérêt tenait d’ailleurs à l’usage que j’en faisais plutôt qu’aux opportunités habituellement attachées à mon métier, si je compare souvent à ce que je ferai encore encore aujourd’hui à la place de mes égaux, de mes contemporains ou de cadets en grande position professionnelle, politique, éditoriale, littéraire, je sais et je vis que le cœur des choses et l’âme des gens ne m’auraient pas été montrés, donnés autrement que je continue de les redevoir, et probablement moins bien. Aucu encens, aucune illusion, aujourd’hui car l’espérance est une certitude, elle n’est pas révérence pour l’attente ou pour le brouillard.

L’échec m’a mis, chaque fois, de mes désespoirs et souffrances d’amour aux pannes financières, au choc d’une interruption de carrière ou d’une mise au placard, dans la main de la Providence. Pas instantanément mais avec la patience d’une maïeutique dont je sais l’origine divine et le langage évangélique. J’ai été éduqué par l’échec. Je sais que ceux qui viennent m’amèneront à être plus jeune et plus simple, plus disponible pour ceux qui m’aiment, plus directement contemplatif de ce qu’il m’arrivera. Je comprends que le succès en Dieu et dans l’estime de qui m’aime, est bien davantage l’échec que je subis mais dont je ne meurs pas, et dont je souris même, en l’abandonnant de mémoire autant qu’ont été piétinés et réduits à ce qu’ils étaient, mes vieux souhaits et mes vœux qui me faisaient me cacher à moi-même.

Je ne compare rien, je dis et vis simplement qu’échouer rassemble et unifie, me fait me connaître et déplace enfin mon espérance vers l’essentiel. Je suis enfin rassemblé pour une suite que je ne définis plus mais dont je vais être l’instrument, l’agent décisifs. Alors ce qu’il adviendra sera partageable et pérenne.


Thème ressenti l’après-midi du jeudi 17
– tenté d’être transcrit et un peu élucidé le matin du vendredi 18 Novembre 2011

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