lundi 14 novembre 2011

soir d'hier - plage de Bétahon seul avec mer et chiens + carnet de terrain


La plage, le soir sans soleil ni coucher


J’étais venu pour voir le coucher du soleil,
j’imaginais ce que je verrai dans tout,
et ce qui vient à ma rencontre n’est que
luisance de la mer, flou infini profond du ciel,
ce qui existe bouge et vit – figure
de vaguelettes roulant et ourlant
à la montée du rivage,
c’est leur son répété qui se fait écho
dans le seul sens de la largeur,
en étant parallèle à celui de la vague.

Jétais venu pour contempler,
je ne vois passer qu’un couple, femme côté mer,
suivi d’une jeune aux fesses
qui rebiquent et qui dansent,
très longs cheveux blonds,
jeune fille qui fait silhouette et les rejoint.

Une femme sans âge ni ligne passe
les ayant croisés sans doute,
des oiseaux que je ne distingue qu’en points noirs
léger grésil entre les perches jalons du port en bois calotté
et l’obstacle-balise lourd, bétonné, façon tourelle
d’un navire dont il serait la dernière émergence, après naufrage,
je le vois là depuis quinze ans au moins.

La marée est haute,
le soleil a seulement laissé une trace à effacer
rose, vuerge, tenace à l’endroit probable,
quelques barres dentées, sauvages – habituelles – des rochers-récifs
dépassant, en semblant dormir, en semblant guetter,
la surface plane de l’eau.

Et je suis là devant tout
et tout est devant moi,
le socle de mon passé qui frémit toujours
mais ne me dérange plus d’aucune question,
d’aucun choix ou compromis : tout est arrivé.
Je suis là devant un présent,
apparence de bataille, de soif, de compagnie
et je brave l’avenir que je veux et ne sais pas,
l’avenir dont je reçois à chaque instant la responsabilité,
dont je suis la respiration, l’automate, l’accueillant accueilli.

. . . rencontre fortuite, venue sans annonce :
un homme, un passant,
un visage, une silhouette, un premier plan,
tout se passe, nos voix d’abord pour le commentaire,
l’actualité, les pronostics,
le choc de nos cultures, première identification,
une note de lecture, Pascal et son chien, puisque les miens…
Pascal à l’impossible canonisation quoique docteur spirituel,
une biographie de Rimbaud fait le tournant,
échange de nos ignorances, récitation du poème en répons alterné,
l’enquête sur moi,
le retour de la question,
le vêtement de l’autre,
l’âge de même pour la constatation que l’un comme l’autre
nous sommes à ce qui était la vieillesse
quand j’étais très jeune et encore vague…

La balise clignote vert, ver luisant.
Les chiens ont leur pose,
mes deux de troupeau sont couchés, attentifs
les deux autres, jolie façon de pointer ou griffon minuscule,
se distraient à observer du rien, aussi de la vérité.
Tous quatre tournent leur dos au couchant.
Derrière moi, une voix d’enfant fait rumeur
sans que le probable adulte se fasse entendre.
La laisse de mer ne cesse son rythme
mais le son ne l’emporte plus sur le visuel,
tout relief s’atténue,
un coup de feu inattendu fait seul une pointe.

Il commence de faire froid,
la nuit vient sans transition et je pars.
La page de mon carnet est plus blanche que le ciel.
Que d’hommes, de femmes installant maintenant des lumières
étoiles basses aux découpures qui, noircies, font encore paysage.
Je ne pense aux morts qui les ont précédés
ni aux vivants qui me succèderont.
Les barres – soutenant l’horizon d’eau
en bras inégaux pour ouvrir ou fermer l’étal
de cette anse vaste et nue que j’aime
comme l’anse des golfes du cher et parfait Brasillach :
la mer et ses limites quand on est à terre.

Ce n’est ni une heure ni un paysage
pour les amoureux,
par manque de couleur, par unicité d’un son sans nom ?
ce sont ceux de l’âge où la vie
nous apporte à nous-mêmes la conscience
d’avoir vécu et d’avoir encore à vivre,
ce n’est d’aucun poids, que présence.

Je suis content
si qui j’aime, au pluriel singulier, est heureux :
alors je le suis aussi.
Les deux plus jeunes de mes chiens jouent et luttent
sur le sable devant l’eau qui les indiffère
et là-bas derrière le clin vert du phare
un autre point rouge, exactement à l’horizon,
sans construction.

Il y a l’heure, l’heure de vivre,
l’heure de ne rien édifier et de tout accueillir,
tout est alors improbable et précis.

Si je priais je ne dirais rien,
si je voulais je laisserais venir,
ce qui m’est donné est mieux que ce que je cherche.
Plage le soir coucher sans soleil

transcription difficile à effectuer, achèvement d’un tiers encore, remis à plus tard

plage de Bétahon, Morbihan
soir du dimanche 13 Novembre 2011

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