Je suis le produit de ce que
je vis et je vis d’attente et de beauté. Mon enfance n’identifie pas cette
posture intérieure (il est vrai que ma silhouette tôt voûtée, surtout du côté
droit, et ma tête lancée en avant la disent à beaucoup qui m’en rapportent le
reflet). La beauté, comme une synthèse qui se fait, se donne. Ainsi, en classe
de septième, le Jésuite qui est notre père spirituel, catéchiste et confesseur,
nous fait sommeiller un instant, les yeux bien fermés, pour nous appeler
soudainement ce qu’il a – à la craie – dessiné au tableau, la rosace de Reims.
En bordure de la forêt de Compiègne, il nous apprend – répartis en deux hardes
– les fûtaies de hêtres qui inspièrent à coup sûr l’invention de la croisée
d’ogive communément située dans l’église petite et basse de Morienval. De là,
dans une 1000 kilogs-Renault, aménagée pour notre petite vingtaine de
garçonnets, toute la géographie du grand style français naissant et vite au
point, Sens, Noyon, Laon, Reims pour s’appeler, indûment, le gothique quand
appelés pour la cathédrale de Strasbourg par un évêque féru de l’Ile-de-France,
il franchit le Rhin.
La beauté quand, chaque
jeudi, je suis guidé - salle après salle, semaine après semaine – par mon chef
de patrouille scoute. La victoire de Samothrace dont j’irai voir le site, dans
l’île battue par une telle tempête que – la rotation des bateaux non loin des
Dardanelles, interrompue – je pus lire le journal d’une âme, dans la première
édition, celle antérieure à la béatification de la petite sainte du Carmel de
Lisieux. Les Ucello, la statuaire grecque dont j’aurai la jouissance absolue
pendant les trente mois de mon affectation à Athènes, l’Acropole sous la neige,
ou bien peu après mon arrivée le Parthénon et son musée visités et commentés au
clair de lune pour François Mitterrand par Mélina Mercouri, ministre de la
Culture sous Andreas Papandreou. La beauté dont le sentiment est inné comme je
le constate, étonné et heureux, quand ensemble,
mon suppléant à ma tentative d’élection législative partielle dans le
Haut-Doubs, et moi, contemplant Corinthe du haut de la forteresse médiévale,
notre communion et nos sensations sont évidemment analogues. La beauté qui
émeut, la perfection qui s’avance à l’œil, à l’oreille, les conférences de
presse du général de Gaulle, les passions selon Jean-Sébastien Bach dont
j’apprends à lire à tâtons quelques partitions. Les mentors, cette jeune fille
dont je tombe instantanément amoureux mais que je suis incapable de séduire
quoique la présentation mutuelle avait été arrangée par la fille d’une amie de
ma mère et cette dernière. Chacune des personnalités qui – dans chacun de mes
postes diplomatiques – m’initie à son pays et il se forme en moi une impérieuse
sensation de logique et de cohérence : l’histoire et la géographie, le
moment politique, social et économique du Portugal après sa « révolution
des œillets », de la Grèce passée à gauche avec le Pasok, du Brésil que
m’explique l’ancien chef des renseignements et ministre de l’Intérieur pour les
débuts de la dictature militaire en 1964-1967, de l’Autriche centre plus
mental, cérébral, culturel que stratégique de toute l’Europe centrale de l’Est,
République démocratique allemande comprise, de Cracovie à Skopje, et enfin du
pays de Ksyl-Orda, de Semipalatinsk, de Baïkhonour. Mentors dont la leçon est
façonnée, reprise par un accompagnement féminin. Melo Antunes, Antonio Morais
Baretto et Maria… Tsatsos, Mitzotakis, Marchesinis et Isa… Golbéry et le coup
de foudre, Carmen, avec véritablement l’éclat orageux quand la jeune diplomate
entre chez ma collaboratrice d’alors… Erich Bielka, incomparable de conviction
pour son pays constamment incompris de siècle en siècle, et encore ces
jours-ci, et d’amour fraternel pour moi, Klaus Mündl pour le lien
austri-allemand et pour la nature intime de la Double Monarchie avec en
compagne de voyages, de découvertes de villes assombries par des régimes vivant
leurs dernières heures staliniennes, Beatrix et la valse que je ne fus jamais
capable de danser qu’avec elle, les yeux dans ses yeux dilatés et marron clair…
Oljas Souleïmenov et une traîtresse qui cependant m’apprit tout sur le système
soviétique et sur l’âme steppique, Aïgoul, pierre de lune m’appelant à la
longue son peuplier pour interpréter magnifiquement François Mitterrand, le
faisant répondre en kazakh à la harangue de Nazarbaëv en russe, et Vera, la
Géorgie, les cimetières, la presse d’opposition, la diaspora russe en Asie
centrale… La beauté comme une construction intime dont nous ne sommes
architectes que par osmose entre le spectateur, convié seul à la joie de
découvrir et ainsi de se découvrir, et l’œuvre, le moment, le paysage, un
ensemble qui ne devient tel et disponible à l’intelligence que par cette
rencontre. Je le vis donc depuis mes treize-quinze ans et j’ai reconnu que la
vie spirituelle a ses étapes, son Mont-Thabor, sa gratification, périodique
mais jamais sur commande selon une analogie totale avec l’irruption de la
beauté dans nos vies. Deux religieux me l’ont dit à leur manière : la
beauté, l’attendre comme (je ne me souviens plus de l’ensemble de sa phrase
d’expérience : il s’agissait d’être comblé), Dom Jacques Meugniot, moine
de Solesmes… et un éblouissement supportable, l’Abbé Pierre disant les
contemplations et oraisons solitaires des débuts de sa vocation de capucin.
Beauté et attente, le temps comme une prépration amicale et savante, pas du
tout un ennemi.
Le travail personnel, ce que
j’appelais des recherches, sans préméditation à la manière de ces marches à la
laisse de mer pour ramasser des débris, des coquillages, parfois des objets. D’abord
les compilations. Wikipédia aujourd’hui, disponible, immense mais appropriable,
personnalisable, à ma mesure et à nos mesures. Puis les reconstitutions, la
perception pour moi seul. La beauté de nos outils intellectuels, quand la
recherche, l’intuition placent les pièces manquantes. Les archives que j’ai
pratiquées, depuis les tâtons de documentation pour une thèse sur le pouvoir
politique en Mauritanie, dès ma première conversation avec Moktar Ould Daddah,
jusqu’à la préparation de mon grand œuvre, si j’en ai force et longévité, la
biographie d’un Français secret, exemplaire, fondateur de ce qu’auraient dû
continuer d’être les politiques de la Cinquième République pour que nous
disposions encore d’hommes, de femmes d’Etat. Les découvertes qui frappent
délicieusement.
Reniac,
matin du lundi 30 Mai 2016 . 11 heures 46 à 12 heures 30
Oui, le coup, l’autre
registre de l’émotion, celui d’une vue, d’une appréciation inattendue. Ce qui
m’est offert et que je ne voyais pas du tout, quoique j’avais regardé, mais je
m’étais habitué sans entrer, quoique je me croyais déjà chez moi, accepté,
reçu, attendu. La royauté soudaine de cette jeune femme, jusques là vue comme
un peu lourde de corps, de jambes, de visage. D’abord remarquée quand elle
venait, sur le même trottoir de l’avenue que moi, dîner chez ma mère qui
voulait faire les présentations et me demander les ervice de la reconduire chez
elle. Je ne venais plus que déjeuner, j’avais découché depuis quatre ans, ma
chambre n’existait plus qu’en entrepôt de cartons, de livres, de papiers qui ne
m’ont d’ailleurs pas suivi – immanence de la punition, l’entier des souvenirs
et conservations de toute mon enfance très soigneuse des objets – puisqu’à la
mort de ma mère, j’ai omis de continuer les trimestrialités de garde-meubles. A
la brûlerie, quand je vins tardivement à mon emménagement breton demander
quelque forfait pour tout récupérer. Chambre du remords, chambre de beaucoup
d’écrits, de la plupart de mes débuts et de mes travaux, le socle de ce que je
publie sur la Mauritanie s’est alors constitué par l’analyse chronologique des
productions ronéotypées du jeune Etat. Mais la collection du Monde, conservée
bien à plat depuis Septembre 1960 avait été emmenée pour la reliure au Portugal
où les artistes des fins de régime de Salazar et de Caetano étaient plus que
bon marché.
La jeune femme, nue, à me
guetter de sa fenêtre, le square Latour-Maubourg où habitère Pétain, puis
Capitant et Juppé héritant des confiscations de la Libération, le voile des
rideaux comme celui d’une mariée. Je l’ai photographiée en noir, et blanc, et
pendant dix ans, elle a été ma muse, ma sculpture, mon poème et probablement la
matière de mes plus belles images. Aussi de mes deux seuls écrits, non
politiques, qui faillirent séduire l’éditeur.
Reniac,
même lundi 30 Mai 2016 . 13 heures 15 à 13 heures 45
J’ai voulu répéter la
sensation, l’état de synthèse se proposant à moi, magnifiant le motif et le
contemplatif, elle et moi. Une dizaine d’années, des photographies ainsi.
D’elle, arrangées, cheminée, feu, la pose classique du corps en profil, du
genou qui tête et pose les mains, les bras tandis que l’autre jambe allonge et
décide l’horizontal. Il y eut les dérobées, il y avait eu le sommeil quand a
passé l’étreinte qui laisse des marques au dos. Il y eut une autre. C’était à
Monemvassia, la forteresse faisant comptoir vénissien dans le Pléoponèse
oriental. Ce fut aussi à Patmos, lectures matinales à mi-colline de l’île, la
grotte de l’Apocalypse, le texte de Jean, et à midi la montée jusqu’au
moanstère, le bleu ciel et le blanc de chaux qui sont couleurs de la Grèce, les
ruelles désertes, pas de trottoir mais les sols et les murs, des murets aussi
et des marches d’escaliers allant aux toits plats sans arrêtes, la lumière
intense mais pas agressive, la nudité, le désert qui concentre le regard, des
images encore, d’autres en bord d’eau et selon des roseaux. Vingt ans après
Paris et les voilages des années 50, une nouvelle silhouette, la sensualité est
venue sans consommation que la capture et un consentement étrange de l’autre,
qui avait accompagné le chirurgien de ma grande chance, une péritonite
appendiculaire, elle assistait le praticien, ces photos ont été mentales,
passionnées, sans texte ni suite que la perte de vue et des épousailles
putatives. Mon initiante m’avait donné un après-midi d’immobilité marmoréenne
sur les pentes de l’Hymène, les plans de l’objectif faisant de la chair un
paysage plus qu’immense.
La beauté et l’instant sont
parents. Une œuvre mentale qui semble ne tenir qu’à nous surgit. Elle n’est pas
fugitive, elle se mémorise. Enseignant la philosophie et animant les structures
d’accueil de son monastère, tout en ayant assisté son Abbé, supérieur majeur,
au concile Vatican II, mon moine de Solesmesne développa pas cette hantise de
la beauté qu’il m’avait fait partager, en même temps que la conscience d’une
exceptionnalité vécue par chacun de ceux qui s’isolent pour s’arrêter à ce
qu’ils ressentent ou doivent décider. Nous avons parlé deux fois dix ans, aux
débuts de notre rencontre, puis à la fin de sa vie, entretemps vingt-cinq sans
échange ni correspondance. La sainteté du dehors, thème de départ. La lecture
qu’il m’enseigna, les fiches et la délectation tandis que je le lui rendais en
raisonnements et appréciations politiques. Nous généralisions, les analogies abondaient,
nous devenaient palpables. J’ai eu adolescent les conversations de rue et
d’avenue, dans Paris la nuit, quand chacun tient à racompagner l’autre et
retour ensemble, et encore. Elles n’étaient pas d’enthousiasme ni d’anxiété,
elles étaient fraternité, elles n’ont pas retrouvé leur dans cette époque de
maintenant. En chronologie, milieu de matinée et soir tout proche. Le thème
avec mes frères de parcours scolaire ou scout était l’état de vie religieux,
proposé ? souhaité ? reçu ? à saisir ? Ils furent trois
dans ces débuts de ma vie, leur certitude avait-elle du fondement, je le crois,
mais – eux ? chacun, la vie ? – décidèrent, allèrent autrement. J’en
suis encore marqué. La relation, la fraternité, la vibration d’une envie, d’une
écoute, celle que Dieu met dans une existence cherchant son état, voulant la
totalité, pensant s’élancer et se donner, cette relation s’éteignit, il y a eu
ces trois silences, ils durent encore, sont présents. Mon moine me resta,
devint de moins en moins un magistère délicat et à recevoir, et de plus en plus une compagnie aboutissant au
souhait explicite que je sois bien davantage présent, ponctuel, aimant. Je
recueillis les larmes des souvenirs qui creusent un homme et le font tout jouer.
Il mourut et les mots d’un dernier semestre se vérifièrent d’un religieux à un
autre, plusieurs me le confiant : j’ai toujours fait semblant, leur
disait-il en allant mourir. La beauté, l’avait-il manqué ? était-elle un
but, une attente. Plus catéchétiquement, accueillant ma troupe scoute, il avait
évoqué Dieu, plénitude d’attrait. La marbrerie aux volumes et aux murs nus, le
plan d’eau de la Sarthe à cet endroit.
Quand, dans l’émotion qui
demeurait d’un premier dîner, une rue, un restaurant comme il en existe encore
à Paris, déterminant pour deux commensaux une ambiance insulaire et
l’évacuation du temps bien ailleurs, je crus que j’allais embrasser cette jeune
femme dont je ne disposais encore, il arriva que la pénombre, la voiture
permettant le vis-à-vis et la proximité intime, un réverbère firent apparaître
l’indicible. Le visage que je voyais devint tous les visages que j’avais
regardé, souhaité embrasser et pénétrer de ma vie, de mon passé, d’un avenir
peut-être proposé. Cela allait vite, avec empressement, c’était offert. Ma
future épouse, la décisive tant attendue et qui se reconnut par l’unité
intérieure qu’elle me donna et qui ne s’est plus refusée depuis, opérait –
inconsciemment – cette multiple substitution. Ce n’était ni la beauté, ni des
réminiscences appelées par l’instant, la posture, le nature, c’était l’histoire
de ma vie. La vie.
J’ai su à partir de ce
moment, sans conclusion immédiate, par elle et a contrario par une autre, que
la beauté a de la laideur et peut produire doute et dégoût en celui qui la
regarde et se croyait sûr de rester fasciné, donc unifié, contraint à l’unité,
et que cette catastrophe, la décristalisation stendhalienne, peut se produire à
tout moment. Dévastatrice. Et inversement, j’ai vérifié que l’amour crée la
beauté, la discerne et sait parfaitement, constamment préparer l’ivresse et la
renouveler. La banalité inopinée après l’admiration et le ravissement
durables. La beauté, l’or du visage, le
murmure émergeant au visuel me sont ainsi donnés depuis une grande décennie,
l’actuelle, et l’étoffe du bonheur, l’unité intime que fait et maintient
l’admiration d’autrui, l’aimée, se déploie et nous pare ensemble.
Apparemment plus mentale et
illusion si forte d’avoir enfin trouvé, plus solidement que rencontré, celle –
mais se peut se faire pour une grande amitié ou pour un engagement fondateur,
créatif, gratifiant – avec qui la suite se vivra. Ni coup de foudre, ni
élaboration raisonnée, mais synthèse de ce qui se voit, s’anticipe. Une
personne, un visage, la voix, le regard, la présence surtout et l’acceptation
de la nôtre : mutuelle, de la mienne dont je suis, j’étais, peut être
encore si incertain, si peu sûr. La décision, l’émotion, c’est elle. Le plaisir
de l’échange, d’une acceptation presque chronométrée pour des rites dont j’ai
joui dès ma première fois, n’est pas cela. Succession de moments, groupe et
énumération restés dans ma mémoire, tandis que la sensation forte, soudaine,
sans appel ni hésitation est une forme nouvelle de beauté : elle qualifie
sincèrement la vie, nous la signifie heureuse. La vie coincide avec nous, les
mains vont se prendre. Elles étaient profanes, j’ai joué le scenario trois
fois, manquant le premier par crispation et aussi par une erreur dans la
distribution, j’y appris l’impuissance, j’eus aussi, en hors d’œuvre, car la
table me fut vite interdite, une semi-entrée dans la sociologie des grandes
fortunes industrielles françaises faisant coter ma cote d’estime dans ma
promotion d’énarchisants : le puissant mariage, ce qui ne me correspondait
pas et n’était que très adjacent. La seconde interprétation fut gâchée
alors que ses premiers tableaux étaient délicats, vibratiles, lents au
développement, déférents, subtils, parce que le souvenir de la première
répétait des comparaisons sans objet, sans consistance, mais se répétait, s’imposait.
J’étais dans le passé et ne voulait pas perdre ce qui fugitivement me tentait
ailleurs. Je perdis le texte, mais l’héroïne car c’en est une n’a jamais
disparu de ma reconnaissance et de ma chapelle intérieure, tandis que la
première, au règne de dix ans dans ma vulnérabilité à sa moindre évocation, est
presque vaine : il est vrai que nous ne nous sommes pas connus, mais
séparés dès que nous eûmes décidé, une nuit de désoeuvrement et dans la
permanence imposée d’une chasteté qui me pesa obsessivement. La beauté comme
exercice mental de projeter l’existence à commencer, un peu plus tard, comme
synthèse d’une plausible lecture de ma vie. C’est ce qu’il m’arriva, trente ans
après mes deux premières fiançailles. L’écart d’âge ne changea rien au
scenario, rajouta même du précieux à chaque moment et faisait croire à la
nouveauté. La décision et le doute furent réciproques, l’histoire eut son
commencement et son dénouement. L’autre exista-t-il ? exista-t-elle ?
Désormais, il n’y aurait plus d’a priori, de délibération pénible, de
discussion. Aimer et être aimé, certainement, m’avait été souvent donné, j’en
avais vécu plus continûment qu’en épisodes de carrière professionnelle, mais je
m’étais jamais quitté, je n’avais rien établi. Ce que je vis en événements et en
sensation de bonheur, en certitude n’a pas été décidé, mais consacré. Et l’état
de vie que je souhaitais, mais ne décidais pas en conséquence logique de mes
années de collège jésuite, et qui me questionna encore peu avant mon mariage,
se trouva périmé. Il n’eût pas été mien, sauf à supposer une grâce si inventive
et précise de Dieu. De même que la fidélité mutuelle, l’esprit d’équipe entre
un quinquagénaire continuant une carrière – qui, elle, est un état de vie
exposé en permanence, desséchant et dispersant : la diplomatie selon une
certaine manière par temps de fonctionnaires et de hiérarchies – et une
adolescente de la colonisation russe en Asie centrale, aurait, avec la même persévérance
de Dieu pour nous maintenir et nous mûrir, peut-être fait un couple, donc une
personne en deux personnes. Je vis ce que la réalité a choisi : le bonheur
et la grâce à trois. Chaque jour découvre des mots, des pensées, des répliques,
l’aventure et l’art de la paternité, de la maternité mouvementant ma femme et
notre enfant, de l’élan et des dialogues, sans cesse proposés, exigés :
notre fille qui m’apprend l’authentique, la fraicheur, le hors-mode tel que ce
hors-piste affectionné par beaucoup. A domicile, celui de mon âge, d’un déclin
physique qui m’apprend à mieux me connaître, d’une disponibilité intellectuelle
sereine, assurée mais vraiment perméable à l’inédit et au début, je reçois ce
que je n’avais jamais escompté.
Tenir le principal – non le
premier – rôle dans sa vie, il me semble que ce n’est qu’une responsabilité.
Notre version achevée n’est pas dans les formes d’ici-bas. Nous vivons bien
plus incomplets que nous ne naissons et c’est la mort qui nous empêchent de
disparaître par incohérence, surtout si nous acceptions de n’être qu’une partie
de ce que nous sommes. Est-ce être seul ? dans la vie et ne frôler que des
compagnies de situation ou de malentendu.
Le mouvement, ce qui est
appelé improprement : l’action, ou l’édification, la recherche de l’oeuvre
qui cherche notre accord pour survenir, exister, répondent au moins
partiellement. Voici la marche, voici la course. Au sortir de la durée scolaire
et de sa grande dizaine d’années d’étais, d’échafaudages et d’accompagnements,
faire quelque chose, choisir un parcours, des avenues, des échéances. Le scoutisme
m’avait mis dans la société, la nature, des références, une harmonie entre
l’acquis familial et les consignes, les accoutumances pédagogiques. Mes études,
réputées supérieures selon les normes universitaires, ne me placèrent nulle
part mais me procurèrent des étapes et des stations : de la lecture, ds
connaissances et surtout de la structure autour et par lesquelles placer et
augmenter toujours et toujours mes connaissances. En gros, la politique selon
l’histoire en tant que sciences humaines et très vite des sympathies qui n’ont
jamais cessé pour des personnages dont beaucoup sont décriés ou mal connus. Je
me suis peuplé. Le premier pays où j’arrivai a été ce jeune Etat : ce fut,
à mes vingt ans, la première synthèse entre ce que j’apprenais et ce dont je
jouissais en me faisant adopter par des étrangers, par des très différents et
en adoptant la respiration, les épisodes et la beauté d’une naissance
difficile. Peuplé et seul.
Pas beaucoup après,
l’étranger, le dépaysement, l’orphelinat, le manque envahirent peut-être mon
propre pays – la France, telle que j’en vis et ne me déçoit jamais car elle
impose à l’instinct des siens et du reste de l’univers le discernement entre
elle-même et ce qu’en font certains par recel – et certainement ma vie. Les
couloirs du quai Branly, avant que ce soit le musée des Arts premiers, ses
linoléums qui durent être à tendance bleue pour le provisoire du Front
populaire mais s’étaient usés en rose et en gris, m’accueillaient
machinalement, les emplois qui m’y furent donnés et que je n’honorais guère
pendant les six ans de mon appartenance à une administration centrale qui – en
réalité et généreusement – me correspondait parfaitement, ainsi que ses chefs
d’alors, et allait me donner une expérience décisive, celle du spectateur qui
comprend toujours mieux la pièce que l’acteur, et souvent l’auteur-même.
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