Je suis riche, je ne suis
riche que de mes rencontres. Chacune de celles-ci a tenu et à la Providence, et
à un intermédiaire, et à cette inuition du mot de passe, de ce qui ouvre autrui
à mon arrivée. Pas forcément à la demande, et il est bien finalement – pour
l’entier de ma vie et pour ce que j’entreprends à présent – que la demande ne
soit pas l’exploitation de la rencontre, que demeure la gratuité et de recevoir
une personnalité, la leçon d’existence, les trésors d’une expérience. La
demande fut longtemps un emploi selon Dieu, selon un prince en possession
d’état, servir. J’attendais mon recrutement d’année en année, celles de mon
adolescence et de la prière pour le sacerdoce et le quotidien du consacré. Je
demandai mon recrutement par le roi, il me reçut mais n’avait pas la place et
me dirigea ailleurs : cela m’ajouta beaucoup. J’ai demandé encore, il n’y
a pas longtemps, et j’eus la chance d’être si explicitement dédaigné, méprisé
que le ressort m’est enfin donné de faire quelque chose, de proposer et
peut-être de fonder. Apparemment, cela se joue ces mois-ci. Mais sait-on
jamais ? voit-on jamais ce que nous laisons de nous, ce que nous
produisons de nous ? Je fais, et puis je prierai.
Maintenant, j’essaie de
raconter – ce sera sans doute tout ce livre pour ne pouvoir dire que très
brièvement mes convictions et mes propositions, à la toute fin. J’essaie de
raconter ces rencontres. Toujours de mêmes factures, de même bonheur pour
l’intelligence, l’intelligence et la compréhension d’un autre, bien plus riche
et doué que moi, la compréhension du monde, par lui et par d’autres autres,
avant et depuis, de rencontres en rencontres donc, la compréhension et l’intelligence du monde.
Je n’ai manqué qu’une seule
rencontre, celle de mon père. Je la crois aujourd’hui la plus importante et
féconde, elle s’est faite post mortem et continue chaque jour. Je la dirai
aussi. Ma femme et notre fille font qu’aujourd’hui à l’heure du récit et de la
gerbe pour que se récolte et s’offre à autrui, à vous qui voulez bien me lire
dans des circonstances qui vous sont personnelles, je ne suis pas seul, mais
accompagné, et sans mimétisme ni bavardage. La situation de marche.
L’éducation scolaire et même
celle selon les pratiques universitaires ne font pas rencontrer, elles mettent
à la disposition d’une réceptivité native ou entreprise des outils. J’eus la
chance d’une véritable osmose avec mes accompagnateurs pour le profane et pour
le spirituel. Le premier pas de deux, séduction mutuelle que fonde le goût, la
curiosité de vérifier des affinités suggérées par une ambiance, des intuitions,
a donc été de dialogue, vite établi, en contre-bas de l’abbaye
bénédictine : Saint-Pierre, à Solesmes. J’avais juste vingt ans, j’étais
venu pour tout autre chose, la formation des chefs de troupe scoute
Reniac,
mardi 31 Mai 2016 . 11 heures 41 à 12 heures 18
Il tourne autour de nous, de
nos ateliers, c’est du bois, du papier crêpon, du cuivre à découper. C’est
puéril, mais c’est de la provision d’idées et de petits tours de main pour nos
camps. Je ne me souviens d’aucun de mes compagnons, ce n’était pas mixte,
l’animateur en revanche était très caractéristique de ce qui avait été la
réforme du mouvement en France, en correspondance avec le concile Vatican II.
La démocratie dans le gouvernement de pré-adolescents par des post-adolescents,
c’était bien dit et bien démontré, la dynamique, la dialectique en conseil des
chefs, chaque soir, au camp. Cela me plut. J’avais, à l’arraché et par défaut,
obtenu de l’aumônier, un Jésuite impérieux, précis mais donnant de la rigueur à
nos préparatifs et à nos conduites, et à un de mes anciens quand j’étais novice
sept ans plus tôt, la chefferie. Au lieu de vraiment travailler cours,
programmes et avenir rue Saint-Guillaume, je me suis passionné pour l’ensemble
de ce commandement et pour chacun de ces jeunes. Je devenais déjà père
spirituel, j’étais fier d’être central, suivi et accepté. Ce fut très rare par
la suite dans ma vie.
Donc, à la marbrerie,
récemment restaurée, dépouillée et mise à la disposition de stages ou séjours
de formation en divers genre, le bruissement du moulin à eau, le miroir autour
de nous sur pilotis et plus haut dominant mais sans nous inviter, le
prestigieux monastère. Le Père hôtelier, visage inoubliable, tout en courbe
mais plein et énergique, le regard regardant mais sans gêner, le front sans
ride, avait la voix qui n’hésite que pour l’expression à choisir. L’impact
avait la force d’une douceur décidée, le coup était inévitable. Il dut vite me
viser, car je crois bien que je me détachais de notre groupe. Celui-ci était
homogène puisque la pédagogie que nous avions adoptée et devions transmettre,
en en usant pleinement, nous donnait langue et outils communs, mais ni ce que
nous vivions et apprenions, ni les participants, un à un, ne me requéraient
entièrement. J’étais en partie, d’esprit, ailleurs, mais encore nulle part. Il
me sembla que nous manquions quelque chose en n’allant pas plus haut, assez
souvent, selon un rythme plus que millénaire : les heures monastiques, les
offices autant que le travail. La combinaison datant de saint Benoît était
certainement praticable et les Scouts de France – surtout pour la troupe
recrutant dans l’ouest parisien, principalement dans le cplus préctieux collège
de la Compagnie de Jésus en France – étaient confessionnels. Dom Jacques
Meugniot sourit, acquuiesça, proposa, mais aux offices, je vins, montai seul.
Une demi-heure, un quart d’heure, ou les Matines au lieu du lit militaire. Nous
redescendions ensemble à la marbrerie, nous faisions paire. Je ne fus pas
contagieux.
L’interrogation qui ne
s’épuisait pas – quel état de vie ? le sacerdoce ? le
monachisme ? quoique mon père m’eût décidé pour l’Ecole nationale
d’administration, ce qui avait été un de mes arguments et un test de maturité
pour recevoir la charge de cette troupe de jeunes selon Baden Powell – ne fut
pas le cœur de notre rencontre. L’amitié la constitua que dans les derniers
mois de vie ici-bas du moine qui m’aimait, j’ai sans doute un peu trahie en ne
le visitant pas assez, en arrivant en retard, mais nous étions, ma femme et
moi, en pénurie d’argent et jusqu’à compter les litres de carburant. Une amitié
exceptionnelle, réjouissante, tissant une étoffe extrêmement diversifiée mais
pas du tout compartimentée ou de texture séparable. Paradoxalement, la vie
spirituelle, l’expérience de Dieu – l’homme professionnellement adonné à la
prière, spécialisé dans la prière, et moi en demande d’une lumière, d’un ordre
– ne furent jamais vraiment traitée. Mais tout le reste de ce que deux personnes,
deux intelligences et deux cultures peuvent s’échanger et s’indiquer, fut au
programme à chacune de nos heures ensemble. Il y avait le contexte des
fonctionnements régissant nos cadres de vie respectifs : celui du
monastère, celui de la politique française, objet naturel de mes études de
sciences politiques et de ma préparation à servir l’Etat. Nos affinités se
vérifiaient à propos des évolutions de l’Eglise et en lecture de notre histoire
nationale, nos patries, donc. J’ai manqué l’amiral Fernet et surtout l’amiral
Auphan, souvent hôte des Bénédictins. Je fus entrepris par l’abbé
Ducaud-Bourget. Ma vie sentimentale, ratée chaque fois qu’elle tourna aux
fiançailles, pécheresse quand j’eus une maîtresse et habitais avec elle, ne se
discutait que quand je venais me réfugier à l’hôtellerie et que le moine était
appelé en intermédiaire ou en arbitre. Je ne lui dois ni l’arrangement d’un
couple stable avant mes trente ans – heureusement, le piquet ne se planta pas
au pré et d’ailleurs j’allais souvent changer d’espace et devenir de plus en
plus pluraliste et amateur – ni la confirmation d’un appel de Dieu. Nous
échangeâmes des lectures, je fus introduit à Charles Maurras, qui ne m’a plus
quitté et a commencé ma glane systématique de mes vingt-trente ans pour une bibliothèque
documentant ces crises de légitimité qui ont fait la France. Bouquinistes des
quais de Seine, puis rayonnages à Bruxelles quand j’eus à participer aux
groupes de travail du conseil des Communautés européennes. Maurras, nos
guerres, les mémoires des grands acteurs, un passé ayant tout généré, le XIXème
siècle, des reliures plus anciennes, du texte toujours. Maurras et le
socialisme en doctorat, cours animé par Jean-Jacques Chevallier qui avait
entrepris d’étudier autant pour son plaisir que pour notre culture, le débat
socialiste international entre 1900 et 1914. J’unissais les deux thèmes,
j’appris à travailler ce qui se trouve, se recoupe. Avec ma seconde fiancée,
nous donnâmes ensemble quelque chose sur Trotsky (son 1905). U.ne centaine
d’auditeurs compétents et attentifs. Je recevais aussi, tirées du revers de son
scapulaire, des fiches manuscrites, de la taille des cartes de correspondance,
en bristol blanc, des citations. Elles étaient pieuses, les miennes,
dactylographiées commencèrent alors une série qui pourrait constituer le plus
beau des livres. Ce qui m’a attaché chez un auteur, dans son livre, ou l’un de
ses livres : Gide, Montherlant, Giono, Maurois, Brasillach, tant d’autres.
La préparation au concours pour la rue des Saints-Pères qu’usuellement on
vivait en « écuries » et encore rue Saint-Guillaume : traverser
le grand jardin arboré, se fit donc tranquillement. La littérature, le memento.
Composé par Pierre de Boisdeffre, descendant de notre généralissime au temps de
l’affaire Dreyfus, évitait qu’on oubliât quelqu’un, je faisais l’impasse sur
les étrangers dans ce domaine, mais centrais mon travail en économie et en
social sur l’ordo-libéralisme, Ropke et donc Ludwig Erhard. Je fus reçu avec
angoisse car cela semblait me signifier que ma voie était dans le siècle. A la
suite de mon premier moment – fondateur – à Solesmes et auprès de celui que
j’appelais vite « mon » moine, je fis une retraite d’élection,
conseillée par un de mes Pères spirituels Jésuites, au collège où je retounais
souvent puisqu’il était aussi le siège social de ma troupe scoute. La Villa
Manrèse dans les hauts de Clamart, Jean Gouvernaire pas encore tout à fait
aveugle et la conclusion négative, qui ne me traumatisa pas. Jacques Meugniot
me laissait arriver, de plus en plus régulièrement, toujours apaisé et
réunifié, confiant quand je quittais le personnage ni frèreni père, mais
tellement entourant, et des lieux où je croyais que l’on peut être adopté, sans
cependant y demeurer en clôture. Il saisissait mes dires ou mes conclusions, la
sainteté, le pied de toute lettre. Je lisais Thomas Merton, auquel m’avaient
introduit des lectures de début de journée au collège à mes douze ans, donnée
au haut d’une estrade faisant penser aux deux nigauds de la comtesse de Ségur
ou aux dessins de Daumier. L’ambiance de cet outre-Atlantique civique,
cohérent, pas accidenté comme la France où je me trouvais et que de Gaulle
avait entrepris de stabiliser, de conduire, de fortifier, me mit de plain-pied
pour des suites intermittentes, des relations professionnelles en ambassade
avec les Américains, la symbolique des Kennedy, l’hégémonie monétaire des
Etats-Unis et leur décisive balance des paiements, plus encore pour le monde
que pour eux seuls. Dom Meugniot posait la question d’Europe, je lui apportais
Brasillach : comme le temps passe… il s’en régala, mima les échauffourées
catalanes entre gamins de sédentaires et progénitures des gens de mer. J’avais
écouté, en lecture encore, sports d’hiver pendant l’année de terminales, les
romans de Miguel del Castillo. Mes parents avaient investi dans une seconde
langue pour moi, cours particuliers donnés par un ancien ministre de la
République espagnole, j’avais séjourné à Madrid, puis à Burgos, découvrant
l’étranger, l’histoire tout autre, une grandeur dont nous n’avions ni
l’invention ni l’exclusive, tandis que le Surrey, outre-Manche m’avait surtout
fait visiter les grands musées et compulser l’encyclopédie de mes hôtes, tout
en collectionnant les pièces de un penny, frappées depuis Guillaume IV, les demi-couronnes au beau format de nos cinq
francs Restauration étaient hors de mes moyens d’épargne. De fil en aiguille,
par associations, se formait donc un réceptacle mental et l’abbaye, son
hôtelier, la prière des psaumes comme – déjà – une façon de psychothérapie par
invitation à se conformer à une union de larmes avec leur auteur ou leurs
auteurs, nous ressemblant tant, faisaient ma continuité. Le succès au concours,
les classes quelques semaines au camp de Frileuse, des amitiés alors, puis la
Mauritanie, les fiançailles, la scolarité si difficile, périlleuse à vivre, si
peu naturelle pour moi, m’auraient tronçonné si je n’avais eu ce hâvre, ce
môle. Les amis du collège, les partenaires qu’à chaque camp de Pâques ou d’été,
je devais trouver pour m’assister dans l’encadrement de la 119-121ème
Paris, n’étaient plus disponibles, autres orientations universitaires, des
mariages, les longues conversations dans les avenues parisiennes la nuit, voire
en forêt de Compiègne puisque les fûtaies et les cartes dressées par Mesnil,
les pancartes blanches aux carrefours d’allées cavalières et sableuses de la
route Eugénie à Saint-Jean-aux-Bois avec son carrefour du Capitaine, m’avaient
été offerts en repère à mes dix ans, tout cela avait passé. J’allais devenir,
j’étais moi-même enseignant, j’était titularisé fonctionnaire, j’avais changé
d’état, je n’étais plus enfant et le moine, pas bien vieux, m’apprenait à
raisonner, non pas en adulte, mais en jeune homme précis choisissant ses outils
et les utilités.
Je recevais des
appréciations, dures à entendre. Avais-je une échelle de valeurs ? Une sorte de da capo s’entendait à côté de moi
quand nous marchions dans les jardins privés du monastère, au-delà de portes
lourdes et en bois que le religieux, disposant de toutes les clés en tant
qu’hôtelier, ouvrait pour une nouvelle étape. Je vois en vous… et le
discernement restait suspendu. Ayant à consulter dans Paris pour des migraines
chroniques, Jacques Meugniot revenait à son attache en se faisant conduire, pas
d’autroute et les voitures étaient petites. Trois heures aux phares, une halte
une fois dans un restautant chartrain, une cigarette qu’il demanda, ma fiancée
était de l’équipée et fumait – de moins en moins puisque je ne l’accompagnais
pas du tout, lui a donna une. C’est alors que nous examinions tout, décrivions
ce que nous comprenions, c’était vague, mais nous semblait très intelligent et
original. Bien plus tard, vingt ans après, je fis, ainsi, souvent, la route de
Quiberon à Auteuil avec un abbé qui patagea tout, ma vie sentimentale et ses
ambitions cardinalices, rachetées par un humour, un semi-rire et une
extraordinaire coincidence personnelle avec l’état de vie célibataire de tout
homme de liturgie et de bréviaire. Compagnon, encore disponible et souriant,
affectueux, juste mais qui ne me marqua pas. Sans doute par un vrai et très
adulte respect mutuel. Et puis Dieu, une consécration de vie, des
responsabilités de communauté, puis d’un évêché et depuis une dizaine d’années,
d’un archi-diocèse ne se commentent pas. De mon côté qu’ai-je eu à dire depuis
vingt ans ? sinon que j’échouais apparemment en tout, que ce soit mon
droit ou que ce soient des tentatives, que j’étais quitté par un projet
matrimonial et qu’un autre, le véritable, n’était qu’à consentir positivement.
Ce que je fis. Se cotoyer en pensée mutuelle.
Jacques Meugniot fut au
contraire le frère d’armes. Il donna ses lettres, ses références, ses méthodes
à ma vie. Il me laissa seul aux offices monastiques car on ne rencontre pas
Dieu à plusieurs et faut-il en rendre compte. Il me donna, multiplia les
opportunités, me fit donc opérer le passage – apaisé – d’une recherche qui
n’était pas la vie à une existence où la familiarité, sinon avec Dieu, du moins
avec le goût de L’approcher et de Le cultiver en moi par l’Esprit, devint ma
façon d’exister, de me perpétuer et de m’équilibrer. Je suis ainsi depuis des
décennies, sans doute depuis lui et Solesmes. La Mauritanie, imprévisiblement,
nous sépara et nous fit nous retrouver. Sa communauté monastique dont il était
l’une des figures intellectuelles risquant de dominer, lui semblait de moins en
moins son lieu mental. Il y voyait l’humanité, il n’était pas fraternel ni
grégaire. Aristocrate sans ascendance ni particule, souvent intimidé par une
fonction ou une histoire – ce fut manifeste quand je le présentais à l’ancien
président de la République où il avait choisi d’émigrer pour y vivre en ermite,
la Mauritanie à laquelle mes correspondances l’avaient introduit – le religieux
jouissait de la vie quand il en percevait l’esthétique. Au bord de la Sarhe, ce
ne lui était plus manifeste alors qu’il était entré, au décès de son père, les
larmes aux yeux, à dix-huit ans juste. Mais Atar encore plus que Kaédi, puis
Toujounine aux premiers kilomètres de la « route de l’Espoir » le
situa. Il ne m’a jamais dit comment sa vie spirituelle s’en était trouvée
confirmée ou s’en enrichit. Quand je le visitais, quarante ans presque après
nos entretiens de la marbrerie sarthoise, il avait organisé une chapelle
merveilleuse. J’en ai perdu les photos. ainsi que tout le contenu d’un énorme
et magnifique coffre traditonnel maure : considérable excédent de bagage
que cette richesse, volée à Casablanca et qui s’éparpilla sans doute,
pellicules, bandes magnétiques, images, les dernières de Moktar Ould Daddah et
la première version d’entretiens d’un de ses cousins me donnant ce qui a
constitué le pays, l’ouest du Sahara jusqu’à l’arrivée des Français. Tout était
dans la petite salle Dieu, le désert, la Présence réelle, le pays. Aussi unis
que devant les petits autels particuliers de l’église abbatiale, nous y priâmes
et célèbrèrent souvent. Dehors, un doigt aux lèvres, nonchalant et malicieux,
Ousmane, l’affranchi, son familier et gardien, se tenait proche pour voir et
entendre. J’en ai hérité. Notre fille est unique, enfant unique aussi, mais
j’ai quelques autres charges d’âme dont celle-là, dont celle aussi de qui,
encore jeune homme mais déjà poète assuré, m’a donné l’ordre d’écrire ce livre.
C’était entre Bénédictins,
j’en fus prévenu la veille pour le lendemain par Dom Robert, convié à condition
d’être conforme. Retraite d’Avent par le moine venu consulter des médecins en
France. Revoir naturel, simple, nos émotions ne se disaient pas, mais à notre
dernière conversation – il évoquait son entrée en religion et la mort de son
père (il ne m’a jamais vraiment parlé de sa mère), il était proche de la mort,
l’attendait moins que les transfusions lui rendant beaucoup de vie – il pleura.
La retrait qu’il donnait présentait sur tout l’Islam, il me sembla qu’il
l’avait peu compris, qu’il avait davantage vu les comportements qui en
viennent, mais, d’évidence, il aimait ce pays et ces gens qu’avais aimés et
dont je lui avais donc donné envie. Le Sahara algérien auquel il avait d’abord
songé ne lui convint pas. Les heures en voiture facilitaient des propos retenus
jusques là : des récits sur lui-même, sur sa formation à Fribourg de
Suisse, sur les grands enseignants en philosophie et en économie du bien
commun. Ce corps de doctrine que peut-être j’eusse associé à une expértience du
groupe Michelin façon 1930 et 1960, si j’y étais entré, ce qui faillit être ma
vie, mes amours et ma carrière, en première instance de mariage, pourrait être
s’il est réfléchi la vraie proposition alternative à un socialisme d’Etat.
L’Eglise et son magistère social politique aussi, hésite trop. Ses papes ont
l’intuition de l’actualité, des urgences, du scandale mais ne commandent pas,
n’élargissent pas et les leurs experts ne sont pas mentalement, sociolgiquement
libres. Thomas d’Aquin n’est pas encore né en économie sociale et politique,
l’ord-libéralisme suisse et allemand ne s’est pas illustré. La société et la
politique, dans l’histoire européenne contemporaine, empêchent l’Union et ses
penseurs autant que les gestionnaires de toute nature, de trouver. Tout
simplement, parce qu’on ne cherche pas vraiment et que l’on ne se fonde que sur
l’existant. Lequel est vicié et refuse de s’avouer. Il y a certainement destin
commun entre l’entreprise européenne et le retour de l’Eglise aux actes des
Apôtres. Je revenais donc en emmenant et ramenant Dom Meugniot de la région
française du Centre à l’aéroport de Nice pour son retour à Nouakchott, à nos
élaborations du début. Nous avions la grâce de n’avoir pas à parler de Dieu,
mais simplement à savoir que nous Le priions de la même manière, jusqu’à ce que
la mort de mon aîné me donne à comprendre que souvent – sainteté ? non
encore certifiée après questionnaire et évaluations ? – la foi échappe à
notre conscience, plus encore qu’à notre volonté. J’ai toujours fait semblant.
Il l’avait dit à plusieurs, lui qui accueillait ma troupe scoute en
assurant : ici, t’attend la plus grande aventure, puis en témoignant pour
ses frères de stalles et de bancs au réfectoire : Dieu seul leur suffit. Mais
devant les gamelles, on est patibulaire et, quand la maladie devient la
nouvelle et dernière nature de l’humain, on est si humble qu’on perd
qualificatif, étiquette et justification biographique. J’ai rencontré plusieurs
saints, chacun m’a accueilli, je leur dois à titre individuel et au titre de
leur ensemble dans ma vie, ce que j’essaye de dire ici : ce qui me
réjouit, m’emplit, me comble depuis des années, surtout maintenant que c’est
éclos. Beaucoup de nous, s’ils savaient, sont sujets au chant du Magnificat.
Ibidem,
mardi 31 Mai 2016 . 13 heures 38 à 15 heures 33
Il fallait la transition de
l’accueil, je l’eus à voix baasse, la main souvent sur la mienne, elle était
belle, le visage émacié d’une noblesse antique, une petite table à déjeuner,
une impasse très calme, au bas de l’avenue Malakoff, la résidence de
l’ambassadeur de Mauritanie. Je voulais partir loin, loin de qui ? de
quoi ? j’étais heureux et bien placé en famille, un des neuf mais le
puîné, je venais d’être reçu au concours d’entrée de ‘lécole publique la plus
prestigieuse de la France, on était au temps du général de Gaulle, l’état ne
faisait pas de doute. Il plaçait les jeunes fonctionnaires encore à former en
Afrique d’expression française pour y porter nos scolarités et non plus nos
armes. Je voyais Madagascar parce qu’au plus loin. Pas disponible, il y avait
l’Afrique de l’Ouest, nous serions plusieurs du même concours et des mêmes
médailles dans des capitales fort grandes, il y avait Nouakchott, pas dix mille
habitants, pas de concurrents pour le coopérant que je serai, professeur au
Centre de formation administrative. C’était cela qu’il fallait choisir.
Enseigner quoi ?
l’économie de marché, quand le marché aligne des tentes en poil sombre de
chameaux pour étals ? les libertés publique, le droit administratif
français et l’histoire universelle, Louis XV, Vichy et les guerres. Je décidai
que non. Je ne pouvais enseigner aux Mauritaniens que la Mauritanie – je le
fais encore aujourd’hui grâce aux colonnes qui me sont ouvertes depuis bientôt
dix ans du principal hebdomadaire francophone d’influence au sud du Sahara. Rue
du Commandant-Marchand – la colonisation concurrentielle – j’apprenais en
confidence les « réalités » de là-bas, l’unité nationale,
l’indépendance, le parti dont le président de cette République était aussi le
secrétaire général. Cela ne me préparait pas au choc qui ne fut pas celui du
niveau de mes élèves – choc abasourdissant, exténuant que je n’ai subi qu’en
France et seulement cet automne de 2016, pour la première fois de ma vie, quand
elle est enseignante alors qu’elle l’est fréquemment depuis celui de 1968 –
mais celui de l’environnement. Minéral, quelques immeubles, dits
« blocs », couleur et peut-être matériau plâtreux, quelques villas au
plan de patio, les murs extérieurs quasiment aveugle, cela posés comme des
accessoirs de plage ou un jeu de construction, le sable rouge, des euphorbes,
des chèvres-moutons sans cornes ni laines, broutant du carton ondulé, le
silence, le ciel souvent gris. Pas de passants, deux-trois voies goudronnées,
pas de trottoirs, peu de voitures, des silhouettes gonflées par le bou-bou
souvent en voile de bateau au moindre mouvement de vent. L’eau : une heure
ou deux par jour au robinet, acheminée par camion depuis la frontière fluviale
du Sénégal. L’électricité, à condition de pouvoir visser un plomb amovible au
commutateur. Les claustra laissant passer le vent de sable à l’école, plus tard
ce seront les archives – le hangar où s’était proclamée, avec message du
général de Gaulle et exceptionnelle présence de son Premier ministre, Michel
Debré, l’indépendance en assemblée nationale de l’époque, quatre ans à peine
avant que j’atterrisse dans la capitale et y enseigne – le vent de sable dans
les couloirs et les bureaux à l’air libre des ministères. Partout, la sobriété,
le silence.
Enseigner quoi ? ce que
j’apprendrai pour eux sur leur pays, et particulièrement sur ce qui était en
train de se créer, de se faire, d’être projeté. Comment me documenter ?
rien évidemment de publié, sinon une analyse des probables impacts de
l’exploitation des gisements de fer dans le nord, une thèse d’histoire du pays,
surtout d’un point de vue français – notre pénétration – et en fatras, enfin
d’une première présentation anglo-saxonne des années récentes. Quelques brochures
ronéotypées du ministère français de la Coopération.
Ibidem, mardi 31 Mai 2016 . 16 heures 55 à 17
heures 18
Donc me documenter à la source-même : la
peroduction de la nouvelle administration, les statistiques du moment, les
discours officiels et les débats parlementaires, le JO RIM aussi. Jean-Marie
Ballèvre, le second de mes inittiateurs, administrateur de la France
d’Outre-Mer ayant « commandé » dans l’intérieur du pays et maintenu
au transfert de compétences pour soutenir un des ministres en conseiller
techique, m’indiqua les gisements, les bureaux et conclut qu’il me faudrait
l’autorisation de tout demander et de tout obtenir, donc celle du président de
la République, Maître Moktar Ould Daddah, le demi-frère de son ambassadeur à
Paris. Au passage, tombant bien, de celui-ci, s’arrangea l’audience. J’ai déjà
dit l’impression immédiate, profonde que me donnèrent le naturel et très vite
la dilection du chef d’un Etat dont je commençais de percevoir qu’il était
aussi solide et nécessaire mentalement que d’armature ténue. Sans doute la plus
gratifiante de mes amitiés d’homme naissait paisiblement. La rencontre, tout à
fait hiérarchique et motivée en règle, avait été d’emblée personnelle. Près de
quarante ans commencèrent ainsi. Chacune de nos conversations, je l’ai notée à
la main, devant le Président, tous deux côte à côte au-devant de sa table de
travail, puis d’ambiance ensuite dans mon journal. A sa libération pour raison
de santé par les malheureux putschistes, les premiers à se succéder dans l’humble
bâtiment, construit en pierre brune d’Atar avec auvent blanc comme alors toutes
les habitations et tous les édifices de Nouakchott, furent ses aides-de-camp,
respectant (sans s’en rendre compte) la chronologie de leur nomination à un
poste de confiance et d’untimité, le dernier en date de ceux-ci fut cekui qui
l’arrpêta, pour ensuite piteusement se rebeller contre les autres… mon éminent
ami dût faire convalescence. Une dizaine de jours, à Toulon, dans l’enceinte
d’un de nos hôpitaux militaires, nous fûmes seuls ensemble, le magnétophone
tournait – c’était en Décembre 1979, ma thèse, motif, de notre rencontre et
ordre du jour des audiences ensuite en Mauritanie ou à Paris, avait été
soutenue sans gloire ni édition, j’étais conseiller économique et commercial en
second à notre ambassade de Lisbonne – et je suscitais ainsi la première
version des mémoires dont j’aurai l’honneur d’opérer la mise en forme et
quelques compléments par adaptation de discours et conférences, à partir de
retrouvailles en Janvier 2001. Je présentai mon moine-ermite au couple
présidentiel résidant encore à Nice : vingt-et-un ans au pouvoir et près
de vingt-trois en exil français et, quelques années, tunisien, et j’appris que
j’allais être nécessaire. Navettes entre Paris et Nouakchott, relectures et
encore des lectures de ce que nous corrigeâmes et mîment au point à trois, le
Président, Mariem son épouse et moi, saisissant, conservant, établissant des
notes de bas de page. Ma documentation et mon observation me placent sans doute
en tête des mémorialistes du pays, j’y suis connu, Moktar Ould Daddah m’a
surnommé en me flattant beaucoup pour une adaptation de cœur et de vêtements à
son pays : Ould Kaïge, René Caillé parvenu en voyageur local jusqu’à
Tombouctou et sauvant sa tête par une impeccable récitation du Coran.
La rencontre a donné une
continuité à ma vie depuis mon adolescence que seules la permanence de ma foi
chrétienne et à ma fidélité nostalgique à l’homme du18-Juin, notre refondateur
pour l’époque contemporaine, n’auraient peut-être marqué à ce point, faute
d’exotisme.
Mais j’appris surtout.
D’abord, mon besoin d’être utile et estimé quoiqu’il m’ait paru raisonnable de
décliner la proposition que me fit le Président de travailler, non loin de lui,
en conseiller. J’objectai que ma carrière française était encore trop courte
pour faire socle de la suite quand ma coopération cesserait à Nouakchott, et
surtout que celle-ci n’avait de sens pour moi qu’en intimité avec lui. Ses
compatriotes l’admettraient-ils ? Le travail ensemble, jamais convenu, fut
nos échanges, ma retenue en mémoire de ses propos, de son expérience, de ses
projections. La confidence et le commentaire du gouvernement d’hommes et d’une
population qu’il voyait et aimait aun futur autant qu’au présent. Il m’en expliquait
les cohésions, les immanences, il ressentait peu de risques, s’appuyait sur les
siècles et sur la nécessité. De l’extérieur ou superficiellement, certainement
des ingrédients ethniques, des méfiances et concurrences, mais tant d’intérêts
communs, du métissage dont il parlait peu, du dualisme plutôt que les mises en
cause d’aujourd’hui puisque les affranchis (les haratines) ne peuvent plus être
assimilés aux Maures blancs (les beydanes) et sont la majorité relative. Son
combat avait été vis-à-vis d’une métropole accomodante mais parfois courte de
vue et lente de réflexes, sauf suscetibilité défiée par le jeune chef, plus
nationaliste lais très retenu d’expression qu’on ne l’a jamais été après lui,
et vis-à-vis des voisins, tous, les uns après les autres, guerre du Sahara pour
finir ce qui fut l’interruption de la fondation. Il racontait, ne stigmatisait
jamais, il comprenait l’adversaire rétrospectivement autant que – sans doute –
il s’était mis à sa place dans les entretiens qu’il eut avec tout ce qui compta
dans les années 1960 et 1970 de notre monde. L’amour porté à ses compatriotes –
plus intensément dit et vécu, selon sa femme que celui envers les siens – se
combinait avec l’obsession de dignité nationale. Il était seul en fonction et
en capacité de l’assurer, de la défendre. Il faisait l’Histoire et il
s’ingéniait à nê s’y mouvoir qu’accompagné de tous. Il y parvint manifestement.
Cette geste du développement économique, des corrections et évolutions sociales
avait une forme et des étapes politiques. C’était mon sujet d’université, ce
devint mon expertise. L’ancienne métropole n’abandonnait pas pas sa
responsabilité morale. Dans une première époque, du fait de ses intérêts
matériels, stratégiques, puis dans l’actuelle – commencée tôt –parce que le champ de la corruption
était trop accessible. Je ne participais à aucun secret, ne sus pas les
revendications de mon ami quand il exigea, en Juillet 1972, la révision des
accords de coopération laborieusement conclus en Mai 1961, après la
proclamation d’indépendance ce qui ne se passa qu’avec lui, et ne prévis pas
davantage la nationalisation de Miferma en Novembre 1974. Pourtant, afin de
revoir vite mon cher pays devenu d’adoption et de jeunesse, j’avais accompli un
stage dans la société, et étudié comment établir davantage d’osmose et de liens
entre les deux entités : l’industrie de capital étranger et l’Etat
naissant, chacun demandeur d’une compréhension de son partenaire obligé.
J’apprenais surtout cette
angoisse du chef, du responsable d’un peuple, à ressentir les freins pour la
cohésion nationale, cette fierté quand il s’avérait qu’une négociation ou
qu’une administration aboutissaient vraiment. J’entrais dans la conviction que
le moyen mis progressivement et consensuellement au point par un homme de rayonnement
moral, mais pas de contrainte, le parti unique de l’Etat, était le bon :
cette conviction s’est encore renforcée depuis que persiste une dictature
d’origine militaire. La démocratie en Afrique ne peut être l’alternance tant
durent les règnes inaugurés par force et terminés par force. Elle doit être le
partage entre tous de ce pouvoir d’Etat, d’autant que l’étranger l’entreprend
et le corrompt, avec l’appui, sinon la complicité de l’ancienne métropole. En
Mauritanie, un de mes lieux mentaux auquel je reviens chaque jour depuis si
longtemps dans ma vie, j’ai donc appris comment naît un Etat, se défendent des
frontières et des composantes démographiques, appris à la source. Puis, j’ai
appris mon propre pays : la France et la dégénérescence des formes et
animations de son gouvernement. Quand après trente ans de régimes autoritaires,
s’était élu, indiscutablement, le président d’une démocratie, le militaire qui
répète depuis son coup d’Août 2008, qu’il y avait déjà beau temps qu’il aurait
pu occuper la place, acheta la caution française dans toutes les enceintes ou
se délibèrent, se contrôlent et se perdent ou se gardent la reconnaissance en
légitimité internationale…, fit payer en espèces le secrétaire général de notre
propre présidence de la République. D’autres intérêts, intermédiaires et
conseillers firent cohorte. J’appris enfin qu’il peut exister des personnalités
chaleureuses et de libre examen. Pendant tout le dernier trimestre de 2008, je
vécus la tentative au Quai d’Orsay, rue Monsieur, et même dans ce qui est
appelé la « cellule diplomatique » à l’Elysée, de ramener le
président régnant à la doctrine initiale : pas de coup militaire. Depuis,
sans périodicité fixe et surtout sans le moindre résultat, j’échange quelques
informations, des sensations plutôt, avec celle qui conseille l’actuel
président de notre République, en matière africaine. Le bureau fut celui de
Jacques Foccart, il est calme, au rez-de-chaussée, rue de l’Elysée, côté des
Champs et des jardins anglais ou romantiques. Le premier successeur, René
Journiac, était au palais-même, confiné, et j’étonnais fort Moktar Ould Daddah
d’avoir pu l’interroger sur le coup dont il avait été victime, en Juillet 1978.
A mon service national en
Mauritanie, je dois que le racisme et l’islamophobie me sont étrangers :
l’expérience est un vaccin contre la peur, la haine et la bêtise. J’ai vu en
toutes époques prier mes amis musulmans, j’ai dormi côte-à-côte avec ces
compatriotes que je qualifie d’adoption tandis que bruissaient la nuit, les
troupeaux. A Moktar Ould Daddah, à notre amitié, je dois de comprendre combien
des institutions publiques doivent avoir des racines de traditions et de
société, ce qui est également la leçon française et fut le dessein de nos
constituants de 1958, plus encore la pratique par le général de Gaulle de notre
République. C’est avoir beaucoup reçu, en relations internationales, en
pénétration des rouages de nos Etats, en imagination de ce qu’il faut pour se
tenir collectivement en forme et en permanence à notre époque : dans les
livres, je ne l’aurais pas appris ni dans l’industrie ou dans les activités
dites tertiaires.
Mais ma tentative pour
changer, presque à moi seul, le cours d’une histoire de nation et d’Etat –
désolidariser la France du système putschiste mauritanien en 2008, m’assurer
que nous n’avions pas favorisé le renversement du « père fondateur »
en 1978 – a eu un précédent, qui m’a bien plus occupé, tendu, gratifié tour à
tour. Ce fut ma douleur que parte le général de Gaulle, en Avril 1969.
Rencontre avec la politique,
qui me procura des rencontres toujours thématiques mais très personnelles.
Comment expliquer ce départ ? seulement la lassitude des Français,
partageant finalement une fois l’émeute et la crise politiques jugulées, les
slogans étudiants ? un changement de génération ? un enjeu de
civilisation ou une brigue banale d’une succession que l’âge imposerait vite ? En cherchant à comprendre, en
écrivant mon chagrin, je fus amené à converser avec beaucoup des ministres, des
collaborateurs, des grands fonctionnaires ayant servi notre pays, c’est-à-dire
travaillé avec de Gaulle. L’enquête commença l’été de 1969, elle reprit quand
trente ans plus tard j’entrepris d’écrire la biographie de celui que je tins
dès la fracture de 1969 pour le successeur souhaité du Général : Maurice
Couve de Murville, dont je pus interroger, après l’avoir visité – lui – pendant
trente ans, à quelques jours près – les principaux de ses collaborateurs. La « constellation
de Gaulle » m’apparut dès un émouvant et profond, chaleureux entretien
avec Jacques Chaban-Delmas, à Ascain, chez lui, à l’extrême-sud de son
Aquitaine, sans accident du sud-ouest mais avec la passion pour sa ville de
Bordeaux. C’est sa comparaison du grand homme tombé avec l’étoile polaire qui m’a
donné ce titre pour la recension, à produire, de toutes mes conversations
sur de Gaulle avec ses témoins. De belles étoiles, aussi, avaient entouré la
pricnipale et permis son éclat. J’allais les identifier, les reconnaître.
J’ai des certitudes. Autant
sur ce qui se vécut et se passa la dernière année du « règne », l’étude
des dépêches de l’Agence France Presse
– j’ai le projet d’en publier l’exhaustivité comme le témoignage le plus
immédiat d’une vie et d’une emprise publiques exceptionnelles – me l’a confirmé :
factuellement, que sur le legs-même du Général. Contenu et matière. La transposition
pour aujourd’hui et pour demain est aisé si l’on a l’esprit libre et si l’on observe,
avec mémoire, les événements dans notre pays et dans son monde.
L’initiation commença à la
lecture d’une brève biographie de Pompidou par Pierre Rouanet. Je ne
connaissais de lui qu’un récit du gouvernement Mendès France, et sur l’ancien
ministre que l’essai de Bromberger paru avant la campagne présidentielle de
1965. C’est Eugène Mannoni qui sut, le premier et très en avance sur l’Histoire
et les historiens de la rétrospection, mettre mise en scène de Gaulle, le
déduire du 18 Juin 1940, même et surtout en tant que président de la République,
le livre data de la même échéance de 1965. Manifeste écart entre deux figures. L’appel
… – je pense depuis quelques années, à y avoir réfléchi, que ce ne fut pas du
tout un appel, mais une réponse. Sans l’attente de certains Français ou de
beaucoup, je ne décide pas, le texte radiodiffusé depuis Londres n’aurait rien
commencé. L’appel établit, en revanche, une constante, plus actuelle que
jamais, en matière de communication nationale publique. Celui qui veut répondre
d’un peuple et des circonstances, et donc en recevoir mission au moins morale,
doit principalement expliquer ce dont il s’agit, au plus grave et au plus
risqué, et proposer d’emblée et sue le même ton une stratégie, ue ligne. Faire
comprendre, mobiliser, c’est en fait donner rendez-vous à un pays pour un
lendemain qui va périmer le désastre, la catastrophe, la plus irréppressible en
apparence des contrainte. Le petit livre vert, l’homme en couverture, en
première et en quatrième, veste ouverte, était bien candidat, et de longue date.
Le Général qui eût gagné le referendum diminuant le Sénat et érigeant les
régions s’il l’avait tenu au lendemain de la bourrasque monétaire de Novembre
1968, qu’il sût calmer à lui presque seul –je saurai en Mai 1972 par
Jean-Marcel Jeanneney l’influence qu’eut alors Raymond Barre, commissaire
européen – avait été trahi par l’ensemble des personnels et élus politiques lui
devant tout : places et stabilité prestigieuse des places. La France y
perdit, le corps et les axes d’une doctrine de présence au monde et à nous-mêmes,
sans références électorales ni partisanes, furent mis de côté. On ferai autre
chose en assurant faire mieux, en tout plus aisé.
Dès Juin 1966, Louis Vallon
avait – en polytechnicien et en homme de gauche – calculé puis proposé, en tant
que rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale, que les salariés d’une
entreprise participent à l’accroissement des valeurs d’actifs de celle-ci. Si
le facteur travail reste stable dans l’affaire, les salariés en quelques
décennies de fidélité à leur emploi se substituent au capital,
mathématiquement. L’ « amendement Vallon » pouvait modifier tout
le système économique et social français, la pétition gaullienne dès le temps
de la guerre mondiale trouvait une expression écrite, législative. La
participation, financière et concrète, étayait la sincérité des réformes
cherchées par le Général en pleine contestation de Mai 1968 : la
participation aux décisions à tous niveaux et en tous registres. La geste
indépendantiste, celle d’abord d’en appeler spectaculairement de l’armistice du
26 Juin qu’avait accepté le maréchal Pétain, longtemps modèle du chef (le Fil de l’épée), une indépendance
constamment conçue, vécue, revendiquée comme une émancipation collective, et en
l’espèce de sa relation personnelle au vainqueur de Verdun, comme une rupture
intime.
Ibidem,
mardi 31 Mai 2016 . 18 heures 55 à 20 heures 45
Ibidem,
mardi 31 Mai 2016 . 22 heures 10 à 23 heures 37
J’écrivis cela, c’était mon
second livre, après celui d’une chronique amoureuse, ma défaite et mon
ignorance totale pour retenir et aménager une relation avec autrui, quand c’est
une femme. Etait-ce plus original, mieux troussé. Louis Vallon, recevant ma
dactylographie par la poste, téléphona au domicile familial, où je n’étais plus
guère qu’à l’heure du déjeuner, et faisant ma louange à ma mère, conclut
cependant que cela manquait un peu de ton. Sa mise en cause de l’anti-de
Gaulle, effectivement, avait plus de mordant. Le manuscrit recommandé par mon
premier lecteur à son éditeur, à qui il fasait gagner de l’argent : plus
de quatre cent mille exemplaires aussitôt la publication, et la mise de
l’intrépide déuté du XVIIIème (la circonscription de Clemenceau et d’où partit
le mouvement de la Commune, avec une prise de quelques canons sur place) au
dehors du parti dominant. Jean Lacouture – nous ne nous connaissions pas encore
– prétexta de mon texte était inexact sur l’Indochine, donc impubliable. Louis
Vallon me traita « au petit pavé », rue Danton, je mis vingt-quatre
heures de sommeil ou peut-être de coma éthylique pour assimiler ce déjeuner, je
me dictais sur un magnétophone à bandes roulés au format des camembert le récit
que j’avais entendu, tous les indices de la trahison, mais la voie de sortie et
de rétablir de Gaulle, au moins le gaullisme, ne s’en déduisait pas. L’nquête
commençait, le complot devenait secondaire, surtout s’il était certain,
probable, plausible, les moyens de renouer importaient bien plus.
Louis Vallon me recommanda
René Capitant. Le grand juriste, à la seconde génération, l’ancien ministre de
l’Education nationale à Alger et au retour du gouvernement de la République à
Paris, le garde des Sceaux des derniers mois, fut enthousiaste de me recevoir,
me garda au repas familial, y découpa le gigot, la serviette au cou, me dit son
respect pour Mendès France, puis m’écrivit – lettre que j’ai inexplicablement
aussitôt égarée alors que je l’avais glissée dans le cahier en cours de mon
journal intime – sur la jeunesse, la mienne, et celle de toute espérance, du
futur politique. La Direction des relations économiques extérieures, une des
administrations centrales les plus indépendantes et les plus névralgiques, était
alors animée par une personnalité dont j’appris plus tard qu’elle avait été
« communisante » et peut-être l’un des « sous-marins »
postés par Jacques Duclos aux points de décision de la structure publique
française, en 1947 : Jean Chapelle. Mais son audace et son rayonnement
n’allaient pas jusqu’aux exercices auxquels j’assistais sans participation,
numéro trois le plus souvent de la délégation française à l’O.C.D.E. Au château
de la Muette se discutait alors la position à tenir par les pays les plus
développés face aux moindres, lors de la prochaine assemblée de la C.N.U.C.E.D.
Toute ma vie, il y a eu des coincidences. Il fut question presque vingt ans
plus tard que je représente la France auprtès de cette même institution. Les
séances n’étaient ni longues, ni précises. Tout semblait pour la seule
apparence : qu’allions-nous dire, s’effrayait-de certaines côtés. La
délégation japonaise, forte d’une trentaine de membres, montrait, sans en
donner le secret, un art que j’admirai aussitôt : dormir assis, tête
droite, visage inexpressif, en suivant peut-être les interventions. C’était
donc ennuyeux, le fond de couloir n’était pas rébarbative, la petite pièce qui
l’avait été attribuée était celle de Kogève. Beaucoup de noms, mais pas
beaucoup de sujet dont j’apprendrai plus tard qu’ils ont importé et nous ont
illustré. Jean Chapelle ne se réveilla pas d’une opération bénigne,
facultative-même dont il avait choisi la date en fonction des longueurs
probables de l’installation de la gauche au pouvoir, l’été de 1981. Les
premiers mois que je vivais dans l’administration étaient donc les premiers de
la France sans de Gaulle, les premiers aussi où Georges Pompidou allait
chercher à s’illustrer en propre. Michel Jobert annonça la dévaluation du
franc, depuis le balcon de l’Elysée, aussi officiant et inexpressif qu’à sa
lecture de la liste du nouveau gouvernement. Dépouillant les archives des
Finances, à Savigny-le-Temple (un immeuble solitaire sur plan d’eau qu’on peut
croire dessiné pour tourner une histoire de Jacques Tati et continuer
« mon oncle »), je découvrirai trente ans plus tard qu’à l’insu du
ministre ? François-Xavier Ortoli, précédemment premier collaborateur de
Georges Pompidou à Matignon, les services avaient préparé cette dévaluation.
Or, de Gaulle et son nouveau Premier mnistre, Maurice Couve de Murville,
avaient signifié qu’ils la refusaient, que l’opération n’était pas nécessaire.
Le flagrant délit se cinsttuait, les mémoires d’Espoir en prirent d’ailleurs
acte. Sortant des des cinémas de l’U.G.C. à Saint-Germain des Prés où avait
passé en boucle une annonce : « la France invente et les Etats-Unis
réalisent », je fus ainsi déterminé à écrire mon pamphlet sur la démission
d’Avril : qui d’ailleurs avait démissionné, les Français ou le président
de la République ?
René Capitant me conseilla
de préparer l’agrégation de droit public. Je prévoyais qu’il l’aiderait, il me
reçut de nouveau mais mourut bientôt. Dans l’église paroissiale de
Saint-Pierre-du-Gros-Caillou, les obsèques chrétiennes, Christian Fouchet,
silhouette puissante, chaussures craquantes avec véhémence jusqu’aux premiers
rangs, qu’en retard il tenait cependant
gagner. A défaut des facultés de droit où j’avais été admis à diriger
des travaux pratiques en deux matières : les libertés publiques et le
droit international, d’abord en cours du soir au lycée Montaigne, le long du
jardin du Luxembourg, puis dans les nouveaux bâtiments de la rue d’Assas,
j’entrais dans le cercle des amis de René Capitant. Il s’agit vite de publier
ses oeuvcres complètes surtout les politiques. Je fus chargé d’une partie du
travail lais – comme souvent il l’est arrivé par la suite – je négligeais le
travail, reportais, le faisait croire très bientôt livrés. Charles Eisenmann et
Marcel Waline auraient été des parrains puissants. Ce péché contre moi et les
opportunités, je l’ai souvent commis. Ma proposition aux collections Que sais-je ? d’une histoire des
relations franco-allemandes depuis 1945, fut accepté mais je ne tins pas
parole. Je sais me desservir, et même décevoir. Un inconnu me demanda de
commenter des photos. qui m’intéressèrent tout de suite : des vues
successives d’un même banc. Cela évoquait un film, dont le succès étonnait.
Blow up. Ce texte que j’eusse pu écrire en un après-midi et en me laissant
mener par la suggestion des images, je ne le composai pas. J’avais alors une
tribune et celle-ci en habitation de ma pensée se substitua à mon enquête, ou
plutôt justifia celle-ci car le procès en fidélité que j’intentai à Georges
Pompidou, exigeait précision et référence.
Je ne rencontrai plus
premièrement des personnes, et deuxième des faits ou des hypothèses, je ne
faisais pas une démarche politique en vue d’un quelconque rôle qui me serait
accordé au bénéfice de ma jeunesse et de mon humilité questionneuse, j’entrais
– inattendu des gens, inattendu de l’établissement gaulliste, inattendu de
moi-même surtout – dans le débat politique, et par la très grande porte, les
colonnes du journal de référence nationale, le
Monde. C’était ma troisième tentative, quelque chose sur les vedettes de
Cherbourg, quelque chose sur l’accueil de Khadafi à Paris sans compter quelques
lignes de protestation pour n’avoir pas reçu la parole qui m’était promise à
l’occasion d’un débat télévisé opposant Michel Rocard à Christian Fouchet.
Question rentrée. J’avais eu droit à un titre.
Cette fois, Georges Pompidou
prétendait se faire consacrer par referendum comme l’auteur de tout ce que de
Gaulle avait commis d’important, de fondateur… depuis 1962, quand il changea de
Premier ministre et amena donc en situation de possible succession, l’« agrégé
de lettres, sachant écrire », recruté par René Brouillet, en 1944 pour son
cabinet, rue Saint-Dominique. Ce me parut insolent et cynique. Plus tard, une photo. me retiendra, le
nouveau président de la République suintant le bonheur du parvenu, ls’appuyant
les fesses à l’arrête de la table du général de Gaulle, au premier étage du palais
de l’Elysée. Je rédigeai facilement, vite et escomptai que je ferai nombre dans
la salve d’articles et de remontrances que n’allait pas manquer de provoquer la
présentation du referendum – à tenir pour la saint-Georges – que, de plus en
plus exaxpéré, je venais de voir, écouter. Papier expédié par la poste, silence
des gaullistes, Louis Vallon au Maroc, Maurice Couve de Murville silencieux
alors que le sujet était le sien : l’entrée de la Grande-Bretagne dans le
Marché dit commun. Lui et de Gaulle, chacun selon son génie particulier, l’avait empêché. Le successeur allait donc
changer le cap et la stratégie. Pourqioi pas, ensuite, la réintégration de l’organisation
du traité de l’Atlantique Nord ? Silence dans la majorité dont avait
hérité Georges Pompidou, applaudi à peine moins que de Gaulle, dans le cortège
du 30 Mai, montant les Champs-Elysées. La gauche socialiste allait sabstenir,
seuls les communistes diraient non. Je disais : non ! comme eux mais
sur fond de oui, au précédent referendum, à celui du Général. J’attendis, puis
téléphonai au journal. Une de mes soeurs était liée à l’une des filles du
directeur, et j’avais été reçu par Jacques Fauvet en 1967 pour qu’il me
recommande à l’éditrice de la collection Petite planète. Je souhaitais y placer
une rédaction de mon crû sur la Mauritanie. Simonne Lacouture me reçut et me
détailla le mince livre que je devais lui proposer, moi qui pensais connaître
le sujet et ses anecdotes, s’il était nécessaire, mieux que personne. J’ignorais
l’édition, je l’ignore encore, même si j’ai eu l’honneur et le bonheur de
plusieurs conversations avec Françoise Verny, tant chez Grasset que chez
Flammarion, ou à l’Hôtel des Saints-Pères, et si j’ai déjà dit que des poèmes
inspirés par des situations au Brésil, des rencontres et de la tristesse, des
deuils avaient failli se faire admettre par les jeunes éditeurs d’Arles, et qu’une
écriture d’auto-suggestion ou de psycho-thérapie en vue d’un mariage dû à une
femme assurément aimée de moi mais sans que je trouve le rassemblement
intérieur de la décision. Pierre Viansson-Ponté me reçut au téléphone, m’apprit
que la dernière ligne de mon papier ne pouvait tenir : l’idée du
referendum était de Michel Debré. Lui et Pompidou préféraient de beaucoup l’Angleterre
familière à l’Allemagne dont ils avaient peur. Le même Michel Debré, parangon
de la fidélité à de Gaulle, avait d’ailleurs inspiré cinq ans avant de procéder
par ordonnances dans certains domaines sociaux, tant la majorité issue des
élections de Mars 1967 était douteuse pour la Cinquième République. Sans la
voix de Tahiti, il eût fallu peut-être consentir à un gouvernement de
coalition. Peut-être même de Gaulle serait-il parti, deux ans plus tôt. Je
revivais ces jours de Mars-Avril 1972 cette guette des radios et de la
télévision, des unes de journaux aux kiosques ou en pile sur des tables légères
aux angles de rue : guette et anxiété de Mai-Juin 1968. L’enjeu était bien
moindre, de Gaulle n’était plus menacé de perdre le pouvoir et son eemprise sur
l’esprit public, mais la confusion de son œuvre avec les insuffisances ou les
décisions tout à fait différentes, contraires d’un Georges Pompidou de plus en
plus sécessionniste, me paraissait dangereuse pour le pays, pour notre avenir.
Il fallait prendre date, dénoncer si l’on avait aimé de Gaulle.
Ma prise de parti n’était
pas nouvelle, mais elle restait solitaire.
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