mardi 31 mai 2016

j'ai touché la vitre, j'ai touché le soleil



Je suis riche, je ne suis riche que de mes rencontres. Chacune de celles-ci a tenu et à la Providence, et à un intermédiaire, et à cette inuition du mot de passe, de ce qui ouvre autrui à mon arrivée. Pas forcément à la demande, et il est bien finalement – pour l’entier de ma vie et pour ce que j’entreprends à présent – que la demande ne soit pas l’exploitation de la rencontre, que demeure la gratuité et de recevoir une personnalité, la leçon d’existence, les trésors d’une expérience. La demande fut longtemps un emploi selon Dieu, selon un prince en possession d’état, servir. J’attendais mon recrutement d’année en année, celles de mon adolescence et de la prière pour le sacerdoce et le quotidien du consacré. Je demandai mon recrutement par le roi, il me reçut mais n’avait pas la place et me dirigea ailleurs : cela m’ajouta beaucoup. J’ai demandé encore, il n’y a pas longtemps, et j’eus la chance d’être si explicitement dédaigné, méprisé que le ressort m’est enfin donné de faire quelque chose, de proposer et peut-être de fonder. Apparemment, cela se joue ces mois-ci. Mais sait-on jamais ? voit-on jamais ce que nous laisons de nous, ce que nous produisons de nous ? Je fais, et puis je prierai.

Maintenant, j’essaie de raconter – ce sera sans doute tout ce livre pour ne pouvoir dire que très brièvement mes convictions et mes propositions, à la toute fin. J’essaie de raconter ces rencontres. Toujours de mêmes factures, de même bonheur pour l’intelligence, l’intelligence et la compréhension d’un autre, bien plus riche et doué que moi, la compréhension du monde, par lui et par d’autres autres, avant et depuis, de rencontres en rencontres donc,  la compréhension et l’intelligence du monde.

Je n’ai manqué qu’une seule rencontre, celle de mon père. Je la crois aujourd’hui la plus importante et féconde, elle s’est faite post mortem et continue chaque jour. Je la dirai aussi. Ma femme et notre fille font qu’aujourd’hui à l’heure du récit et de la gerbe pour que se récolte et s’offre à autrui, à vous qui voulez bien me lire dans des circonstances qui vous sont personnelles, je ne suis pas seul, mais accompagné, et sans mimétisme ni bavardage. La situation de marche.

L’éducation scolaire et même celle selon les pratiques universitaires ne font pas rencontrer, elles mettent à la disposition d’une réceptivité native ou entreprise des outils. J’eus la chance d’une véritable osmose avec mes accompagnateurs pour le profane et pour le spirituel. Le premier pas de deux, séduction mutuelle que fonde le goût, la curiosité de vérifier des affinités suggérées par une ambiance, des intuitions, a donc été de dialogue, vite établi, en contre-bas de l’abbaye bénédictine : Saint-Pierre, à Solesmes. J’avais juste vingt ans, j’étais venu pour tout autre chose, la formation des chefs de troupe scoute

Reniac, mardi 31 Mai 2016 . 11 heures 41 à 12 heures 18


Il tourne autour de nous, de nos ateliers, c’est du bois, du papier crêpon, du cuivre à découper. C’est puéril, mais c’est de la provision d’idées et de petits tours de main pour nos camps. Je ne me souviens d’aucun de mes compagnons, ce n’était pas mixte, l’animateur en revanche était très caractéristique de ce qui avait été la réforme du mouvement en France, en correspondance avec le concile Vatican II. La démocratie dans le gouvernement de pré-adolescents par des post-adolescents, c’était bien dit et bien démontré, la dynamique, la dialectique en conseil des chefs, chaque soir, au camp. Cela me plut. J’avais, à l’arraché et par défaut, obtenu de l’aumônier, un Jésuite impérieux, précis mais donnant de la rigueur à nos préparatifs et à nos conduites, et à un de mes anciens quand j’étais novice sept ans plus tôt, la chefferie. Au lieu de vraiment travailler cours, programmes et avenir rue Saint-Guillaume, je me suis passionné pour l’ensemble de ce commandement et pour chacun de ces jeunes. Je devenais déjà père spirituel, j’étais fier d’être central, suivi et accepté. Ce fut très rare par la suite dans ma vie.

Donc, à la marbrerie, récemment restaurée, dépouillée et mise à la disposition de stages ou séjours de formation en divers genre, le bruissement du moulin à eau, le miroir autour de nous sur pilotis et plus haut dominant mais sans nous inviter, le prestigieux monastère. Le Père hôtelier, visage inoubliable, tout en courbe mais plein et énergique, le regard regardant mais sans gêner, le front sans ride, avait la voix qui n’hésite que pour l’expression à choisir. L’impact avait la force d’une douceur décidée, le coup était inévitable. Il dut vite me viser, car je crois bien que je me détachais de notre groupe. Celui-ci était homogène puisque la pédagogie que nous avions adoptée et devions transmettre, en en usant pleinement, nous donnait langue et outils communs, mais ni ce que nous vivions et apprenions, ni les participants, un à un, ne me requéraient entièrement. J’étais en partie, d’esprit, ailleurs, mais encore nulle part. Il me sembla que nous manquions quelque chose en n’allant pas plus haut, assez souvent, selon un rythme plus que millénaire : les heures monastiques, les offices autant que le travail. La combinaison datant de saint Benoît était certainement praticable et les Scouts de France – surtout pour la troupe recrutant dans l’ouest parisien, principalement dans le cplus préctieux collège de la Compagnie de Jésus en France – étaient confessionnels. Dom Jacques Meugniot sourit, acquuiesça, proposa, mais aux offices, je vins, montai seul. Une demi-heure, un quart d’heure, ou les Matines au lieu du lit militaire. Nous redescendions ensemble à la marbrerie, nous faisions paire. Je ne fus pas contagieux.

L’interrogation qui ne s’épuisait pas – quel état de vie ? le sacerdoce ? le monachisme ? quoique mon père m’eût décidé pour l’Ecole nationale d’administration, ce qui avait été un de mes arguments et un test de maturité pour recevoir la charge de cette troupe de jeunes selon Baden Powell – ne fut pas le cœur de notre rencontre. L’amitié la constitua que dans les derniers mois de vie ici-bas du moine qui m’aimait, j’ai sans doute un peu trahie en ne le visitant pas assez, en arrivant en retard, mais nous étions, ma femme et moi, en pénurie d’argent et jusqu’à compter les litres de carburant. Une amitié exceptionnelle, réjouissante, tissant une étoffe extrêmement diversifiée mais pas du tout compartimentée ou de texture séparable. Paradoxalement, la vie spirituelle, l’expérience de Dieu – l’homme professionnellement adonné à la prière, spécialisé dans la prière, et moi en demande d’une lumière, d’un ordre – ne furent jamais vraiment traitée. Mais tout le reste de ce que deux personnes, deux intelligences et deux cultures peuvent s’échanger et s’indiquer, fut au programme à chacune de nos heures ensemble. Il y avait le contexte des fonctionnements régissant nos cadres de vie respectifs : celui du monastère, celui de la politique française, objet naturel de mes études de sciences politiques et de ma préparation à servir l’Etat. Nos affinités se vérifiaient à propos des évolutions de l’Eglise et en lecture de notre histoire nationale, nos patries, donc. J’ai manqué l’amiral Fernet et surtout l’amiral Auphan, souvent hôte des Bénédictins. Je fus entrepris par l’abbé Ducaud-Bourget. Ma vie sentimentale, ratée chaque fois qu’elle tourna aux fiançailles, pécheresse quand j’eus une maîtresse et habitais avec elle, ne se discutait que quand je venais me réfugier à l’hôtellerie et que le moine était appelé en intermédiaire ou en arbitre. Je ne lui dois ni l’arrangement d’un couple stable avant mes trente ans – heureusement, le piquet ne se planta pas au pré et d’ailleurs j’allais souvent changer d’espace et devenir de plus en plus pluraliste et amateur – ni la confirmation d’un appel de Dieu. Nous échangeâmes des lectures, je fus introduit à Charles Maurras, qui ne m’a plus quitté et a commencé ma glane systématique de mes vingt-trente ans pour une bibliothèque documentant ces crises de légitimité qui ont fait la France. Bouquinistes des quais de Seine, puis rayonnages à Bruxelles quand j’eus à participer aux groupes de travail du conseil des Communautés européennes. Maurras, nos guerres, les mémoires des grands acteurs, un passé ayant tout généré, le XIXème siècle, des reliures plus anciennes, du texte toujours. Maurras et le socialisme en doctorat, cours animé par Jean-Jacques Chevallier qui avait entrepris d’étudier autant pour son plaisir que pour notre culture, le débat socialiste international entre 1900 et 1914. J’unissais les deux thèmes, j’appris à travailler ce qui se trouve, se recoupe. Avec ma seconde fiancée, nous donnâmes ensemble quelque chose sur Trotsky (son 1905). U.ne centaine d’auditeurs compétents et attentifs. Je recevais aussi, tirées du revers de son scapulaire, des fiches manuscrites, de la taille des cartes de correspondance, en bristol blanc, des citations. Elles étaient pieuses, les miennes, dactylographiées commencèrent alors une série qui pourrait constituer le plus beau des livres. Ce qui m’a attaché chez un auteur, dans son livre, ou l’un de ses livres : Gide, Montherlant, Giono, Maurois, Brasillach, tant d’autres. La préparation au concours pour la rue des Saints-Pères qu’usuellement on vivait en « écuries » et encore rue Saint-Guillaume : traverser le grand jardin arboré, se fit donc tranquillement. La littérature, le memento. Composé par Pierre de Boisdeffre, descendant de notre généralissime au temps de l’affaire Dreyfus, évitait qu’on oubliât quelqu’un, je faisais l’impasse sur les étrangers dans ce domaine, mais centrais mon travail en économie et en social sur l’ordo-libéralisme, Ropke et donc Ludwig Erhard. Je fus reçu avec angoisse car cela semblait me signifier que ma voie était dans le siècle. A la suite de mon premier moment – fondateur – à Solesmes et auprès de celui que j’appelais vite « mon » moine, je fis une retraite d’élection, conseillée par un de mes Pères spirituels Jésuites, au collège où je retounais souvent puisqu’il était aussi le siège social de ma troupe scoute. La Villa Manrèse dans les hauts de Clamart, Jean Gouvernaire pas encore tout à fait aveugle et la conclusion négative, qui ne me traumatisa pas. Jacques Meugniot me laissait arriver, de plus en plus régulièrement, toujours apaisé et réunifié, confiant quand je quittais le personnage ni frèreni père, mais tellement entourant, et des lieux où je croyais que l’on peut être adopté, sans cependant y demeurer en clôture. Il saisissait mes dires ou mes conclusions, la sainteté, le pied de toute lettre. Je lisais Thomas Merton, auquel m’avaient introduit des lectures de début de journée au collège à mes douze ans, donnée au haut d’une estrade faisant penser aux deux nigauds de la comtesse de Ségur ou aux dessins de Daumier. L’ambiance de cet outre-Atlantique civique, cohérent, pas accidenté comme la France où je me trouvais et que de Gaulle avait entrepris de stabiliser, de conduire, de fortifier, me mit de plain-pied pour des suites intermittentes, des relations professionnelles en ambassade avec les Américains, la symbolique des Kennedy, l’hégémonie monétaire des Etats-Unis et leur décisive balance des paiements, plus encore pour le monde que pour eux seuls. Dom Meugniot posait la question d’Europe, je lui apportais Brasillach : comme le temps passe… il s’en régala, mima les échauffourées catalanes entre gamins de sédentaires et progénitures des gens de mer. J’avais écouté, en lecture encore, sports d’hiver pendant l’année de terminales, les romans de Miguel del Castillo. Mes parents avaient investi dans une seconde langue pour moi, cours particuliers donnés par un ancien ministre de la République espagnole, j’avais séjourné à Madrid, puis à Burgos, découvrant l’étranger, l’histoire tout autre, une grandeur dont nous n’avions ni l’invention ni l’exclusive, tandis que le Surrey, outre-Manche m’avait surtout fait visiter les grands musées et compulser l’encyclopédie de mes hôtes, tout en collectionnant les pièces de un penny, frappées depuis Guillaume IV,  les demi-couronnes au beau format de nos cinq francs Restauration étaient hors de mes moyens d’épargne. De fil en aiguille, par associations, se formait donc un réceptacle mental et l’abbaye, son hôtelier, la prière des psaumes comme – déjà – une façon de psychothérapie par invitation à se conformer à une union de larmes avec leur auteur ou leurs auteurs, nous ressemblant tant, faisaient ma continuité. Le succès au concours, les classes quelques semaines au camp de Frileuse, des amitiés alors, puis la Mauritanie, les fiançailles, la scolarité si difficile, périlleuse à vivre, si peu naturelle pour moi, m’auraient tronçonné si je n’avais eu ce hâvre, ce môle. Les amis du collège, les partenaires qu’à chaque camp de Pâques ou d’été, je devais trouver pour m’assister dans l’encadrement de la 119-121ème Paris, n’étaient plus disponibles, autres orientations universitaires, des mariages, les longues conversations dans les avenues parisiennes la nuit, voire en forêt de Compiègne puisque les fûtaies et les cartes dressées par Mesnil, les pancartes blanches aux carrefours d’allées cavalières et sableuses de la route Eugénie à Saint-Jean-aux-Bois avec son carrefour du Capitaine, m’avaient été offerts en repère à mes dix ans, tout cela avait passé. J’allais devenir, j’étais moi-même enseignant, j’était titularisé fonctionnaire, j’avais changé d’état, je n’étais plus enfant et le moine, pas bien vieux, m’apprenait à raisonner, non pas en adulte, mais en jeune homme précis choisissant ses outils et les utilités.

Je recevais des appréciations, dures à entendre. Avais-je une échelle de valeurs ?  Une sorte de da capo s’entendait à côté de moi quand nous marchions dans les jardins privés du monastère, au-delà de portes lourdes et en bois que le religieux, disposant de toutes les clés en tant qu’hôtelier, ouvrait pour une nouvelle étape. Je vois en vous… et le discernement restait suspendu. Ayant à consulter dans Paris pour des migraines chroniques, Jacques Meugniot revenait à son attache en se faisant conduire, pas d’autroute et les voitures étaient petites. Trois heures aux phares, une halte une fois dans un restautant chartrain, une cigarette qu’il demanda, ma fiancée était de l’équipée et fumait – de moins en moins puisque je ne l’accompagnais pas du tout, lui a donna une. C’est alors que nous examinions tout, décrivions ce que nous comprenions, c’était vague, mais nous semblait très intelligent et original. Bien plus tard, vingt ans après, je fis, ainsi, souvent, la route de Quiberon à Auteuil avec un abbé qui patagea tout, ma vie sentimentale et ses ambitions cardinalices, rachetées par un humour, un semi-rire et une extraordinaire coincidence personnelle avec l’état de vie célibataire de tout homme de liturgie et de bréviaire. Compagnon, encore disponible et souriant, affectueux, juste mais qui ne me marqua pas. Sans doute par un vrai et très adulte respect mutuel. Et puis Dieu, une consécration de vie, des responsabilités de communauté, puis d’un évêché et depuis une dizaine d’années, d’un archi-diocèse ne se commentent pas. De mon côté qu’ai-je eu à dire depuis vingt ans ? sinon que j’échouais apparemment en tout, que ce soit mon droit ou que ce soient des tentatives, que j’étais quitté par un projet matrimonial et qu’un autre, le véritable, n’était qu’à consentir positivement. Ce que je fis. Se cotoyer en pensée mutuelle.

Jacques Meugniot fut au contraire le frère d’armes. Il donna ses lettres, ses références, ses méthodes à ma vie. Il me laissa seul aux offices monastiques car on ne rencontre pas Dieu à plusieurs et faut-il en rendre compte. Il me donna, multiplia les opportunités, me fit donc opérer le passage – apaisé – d’une recherche qui n’était pas la vie à une existence où la familiarité, sinon avec Dieu, du moins avec le goût de L’approcher et de Le cultiver en moi par l’Esprit, devint ma façon d’exister, de me perpétuer et de m’équilibrer. Je suis ainsi depuis des décennies, sans doute depuis lui et Solesmes. La Mauritanie, imprévisiblement, nous sépara et nous fit nous retrouver. Sa communauté monastique dont il était l’une des figures intellectuelles risquant de dominer, lui semblait de moins en moins son lieu mental. Il y voyait l’humanité, il n’était pas fraternel ni grégaire. Aristocrate sans ascendance ni particule, souvent intimidé par une fonction ou une histoire – ce fut manifeste quand je le présentais à l’ancien président de la République où il avait choisi d’émigrer pour y vivre en ermite, la Mauritanie à laquelle mes correspondances l’avaient introduit – le religieux jouissait de la vie quand il en percevait l’esthétique. Au bord de la Sarhe, ce ne lui était plus manifeste alors qu’il était entré, au décès de son père, les larmes aux yeux, à dix-huit ans juste. Mais Atar encore plus que Kaédi, puis Toujounine aux premiers kilomètres de la « route de l’Espoir » le situa. Il ne m’a jamais dit comment sa vie spirituelle s’en était trouvée confirmée ou s’en enrichit. Quand je le visitais, quarante ans presque après nos entretiens de la marbrerie sarthoise, il avait organisé une chapelle merveilleuse. J’en ai perdu les photos. ainsi que tout le contenu d’un énorme et magnifique coffre traditonnel maure : considérable excédent de bagage que cette richesse, volée à Casablanca et qui s’éparpilla sans doute, pellicules, bandes magnétiques, images, les dernières de Moktar Ould Daddah et la première version d’entretiens d’un de ses cousins me donnant ce qui a constitué le pays, l’ouest du Sahara jusqu’à l’arrivée des Français. Tout était dans la petite salle Dieu, le désert, la Présence réelle, le pays. Aussi unis que devant les petits autels particuliers de l’église abbatiale, nous y priâmes et célèbrèrent souvent. Dehors, un doigt aux lèvres, nonchalant et malicieux, Ousmane, l’affranchi, son familier et gardien, se tenait proche pour voir et entendre. J’en ai hérité. Notre fille est unique, enfant unique aussi, mais j’ai quelques autres charges d’âme dont celle-là, dont celle aussi de qui, encore jeune homme mais déjà poète assuré, m’a donné l’ordre d’écrire ce livre.

C’était entre Bénédictins, j’en fus prévenu la veille pour le lendemain par Dom Robert, convié à condition d’être conforme. Retraite d’Avent par le moine venu consulter des médecins en France. Revoir naturel, simple, nos émotions ne se disaient pas, mais à notre dernière conversation – il évoquait son entrée en religion et la mort de son père (il ne m’a jamais vraiment parlé de sa mère), il était proche de la mort, l’attendait moins que les transfusions lui rendant beaucoup de vie – il pleura. La retrait qu’il donnait présentait sur tout l’Islam, il me sembla qu’il l’avait peu compris, qu’il avait davantage vu les comportements qui en viennent, mais, d’évidence, il aimait ce pays et ces gens qu’avais aimés et dont je lui avais donc donné envie. Le Sahara algérien auquel il avait d’abord songé ne lui convint pas. Les heures en voiture facilitaient des propos retenus jusques là : des récits sur lui-même, sur sa formation à Fribourg de Suisse, sur les grands enseignants en philosophie et en économie du bien commun. Ce corps de doctrine que peut-être j’eusse associé à une expértience du groupe Michelin façon 1930 et 1960, si j’y étais entré, ce qui faillit être ma vie, mes amours et ma carrière, en première instance de mariage, pourrait être s’il est réfléchi la vraie proposition alternative à un socialisme d’Etat. L’Eglise et son magistère social politique aussi, hésite trop. Ses papes ont l’intuition de l’actualité, des urgences, du scandale mais ne commandent pas, n’élargissent pas et les leurs experts ne sont pas mentalement, sociolgiquement libres. Thomas d’Aquin n’est pas encore né en économie sociale et politique, l’ord-libéralisme suisse et allemand ne s’est pas illustré. La société et la politique, dans l’histoire européenne contemporaine, empêchent l’Union et ses penseurs autant que les gestionnaires de toute nature, de trouver. Tout simplement, parce qu’on ne cherche pas vraiment et que l’on ne se fonde que sur l’existant. Lequel est vicié et refuse de s’avouer. Il y a certainement destin commun entre l’entreprise européenne et le retour de l’Eglise aux actes des Apôtres. Je revenais donc en emmenant et ramenant Dom Meugniot de la région française du Centre à l’aéroport de Nice pour son retour à Nouakchott, à nos élaborations du début. Nous avions la grâce de n’avoir pas à parler de Dieu, mais simplement à savoir que nous Le priions de la même manière, jusqu’à ce que la mort de mon aîné me donne à comprendre que souvent – sainteté ? non encore certifiée après questionnaire et évaluations ? – la foi échappe à notre conscience, plus encore qu’à notre volonté. J’ai toujours fait semblant. Il l’avait dit à plusieurs, lui qui accueillait ma troupe scoute en assurant : ici, t’attend la plus grande aventure, puis en témoignant pour ses frères de stalles et de bancs au réfectoire : Dieu seul leur suffit. Mais devant les gamelles, on est patibulaire et, quand la maladie devient la nouvelle et dernière nature de l’humain, on est si humble qu’on perd qualificatif, étiquette et justification biographique. J’ai rencontré plusieurs saints, chacun m’a accueilli, je leur dois à titre individuel et au titre de leur ensemble dans ma vie, ce que j’essaye de dire ici : ce qui me réjouit, m’emplit, me comble depuis des années, surtout maintenant que c’est éclos. Beaucoup de nous, s’ils savaient, sont sujets au chant du Magnificat.


Ibidem, mardi 31 Mai 2016 . 13 heures 38 à 15 heures 33



Il fallait la transition de l’accueil, je l’eus à voix baasse, la main souvent sur la mienne, elle était belle, le visage émacié d’une noblesse antique, une petite table à déjeuner, une impasse très calme, au bas de l’avenue Malakoff, la résidence de l’ambassadeur de Mauritanie. Je voulais partir loin, loin de qui ? de quoi ? j’étais heureux et bien placé en famille, un des neuf mais le puîné, je venais d’être reçu au concours d’entrée de ‘lécole publique la plus prestigieuse de la France, on était au temps du général de Gaulle, l’état ne faisait pas de doute. Il plaçait les jeunes fonctionnaires encore à former en Afrique d’expression française pour y porter nos scolarités et non plus nos armes. Je voyais Madagascar parce qu’au plus loin. Pas disponible, il y avait l’Afrique de l’Ouest, nous serions plusieurs du même concours et des mêmes médailles dans des capitales fort grandes, il y avait Nouakchott, pas dix mille habitants, pas de concurrents pour le coopérant que je serai, professeur au Centre de formation administrative. C’était cela qu’il fallait choisir.

Enseigner quoi ? l’économie de marché, quand le marché aligne des tentes en poil sombre de chameaux pour étals ? les libertés publique, le droit administratif français et l’histoire universelle, Louis XV, Vichy et les guerres. Je décidai que non. Je ne pouvais enseigner aux Mauritaniens que la Mauritanie – je le fais encore aujourd’hui grâce aux colonnes qui me sont ouvertes depuis bientôt dix ans du principal hebdomadaire francophone d’influence au sud du Sahara. Rue du Commandant-Marchand – la colonisation concurrentielle – j’apprenais en confidence les « réalités » de là-bas, l’unité nationale, l’indépendance, le parti dont le président de cette République était aussi le secrétaire général. Cela ne me préparait pas au choc qui ne fut pas celui du niveau de mes élèves – choc abasourdissant, exténuant que je n’ai subi qu’en France et seulement cet automne de 2016, pour la première fois de ma vie, quand elle est enseignante alors qu’elle l’est fréquemment depuis celui de 1968 – mais celui de l’environnement. Minéral, quelques immeubles, dits « blocs », couleur et peut-être matériau plâtreux, quelques villas au plan de patio, les murs extérieurs quasiment aveugle, cela posés comme des accessoirs de plage ou un jeu de construction, le sable rouge, des euphorbes, des chèvres-moutons sans cornes ni laines, broutant du carton ondulé, le silence, le ciel souvent gris. Pas de passants, deux-trois voies goudronnées, pas de trottoirs, peu de voitures, des silhouettes gonflées par le bou-bou souvent en voile de bateau au moindre mouvement de vent. L’eau : une heure ou deux par jour au robinet, acheminée par camion depuis la frontière fluviale du Sénégal. L’électricité, à condition de pouvoir visser un plomb amovible au commutateur. Les claustra laissant passer le vent de sable à l’école, plus tard ce seront les archives – le hangar où s’était proclamée, avec message du général de Gaulle et exceptionnelle présence de son Premier ministre, Michel Debré, l’indépendance en assemblée nationale de l’époque, quatre ans à peine avant que j’atterrisse dans la capitale et y enseigne – le vent de sable dans les couloirs et les bureaux à l’air libre des ministères. Partout, la sobriété, le silence.

Enseigner quoi ? ce que j’apprendrai pour eux sur leur pays, et particulièrement sur ce qui était en train de se créer, de se faire, d’être projeté. Comment me documenter ? rien évidemment de publié, sinon une analyse des probables impacts de l’exploitation des gisements de fer dans le nord, une thèse d’histoire du pays, surtout d’un point de vue français – notre pénétration – et en fatras, enfin d’une première présentation anglo-saxonne des années récentes. Quelques brochures ronéotypées du ministère français de la Coopération.


 Ibidem, mardi 31 Mai 2016 . 16 heures 55 à 17 heures 18


 Donc me documenter à la source-même : la peroduction de la nouvelle administration, les statistiques du moment, les discours officiels et les débats parlementaires, le JO RIM aussi. Jean-Marie Ballèvre, le second de mes inittiateurs, administrateur de la France d’Outre-Mer ayant « commandé » dans l’intérieur du pays et maintenu au transfert de compétences pour soutenir un des ministres en conseiller techique, m’indiqua les gisements, les bureaux et conclut qu’il me faudrait l’autorisation de tout demander et de tout obtenir, donc celle du président de la République, Maître Moktar Ould Daddah, le demi-frère de son ambassadeur à Paris. Au passage, tombant bien, de celui-ci, s’arrangea l’audience. J’ai déjà dit l’impression immédiate, profonde que me donnèrent le naturel et très vite la dilection du chef d’un Etat dont je commençais de percevoir qu’il était aussi solide et nécessaire mentalement que d’armature ténue. Sans doute la plus gratifiante de mes amitiés d’homme naissait paisiblement. La rencontre, tout à fait hiérarchique et motivée en règle, avait été d’emblée personnelle. Près de quarante ans commencèrent ainsi. Chacune de nos conversations, je l’ai notée à la main, devant le Président, tous deux côte à côte au-devant de sa table de travail, puis d’ambiance ensuite dans mon journal. A sa libération pour raison de santé par les malheureux putschistes, les premiers à se succéder dans l’humble bâtiment, construit en pierre brune d’Atar avec auvent blanc comme alors toutes les habitations et tous les édifices de Nouakchott, furent ses aides-de-camp, respectant (sans s’en rendre compte) la chronologie de leur nomination à un poste de confiance et d’untimité, le dernier en date de ceux-ci fut cekui qui l’arrpêta, pour ensuite piteusement se rebeller contre les autres… mon éminent ami dût faire convalescence. Une dizaine de jours, à Toulon, dans l’enceinte d’un de nos hôpitaux militaires, nous fûmes seuls ensemble, le magnétophone tournait – c’était en Décembre 1979, ma thèse, motif, de notre rencontre et ordre du jour des audiences ensuite en Mauritanie ou à Paris, avait été soutenue sans gloire ni édition, j’étais conseiller économique et commercial en second à notre ambassade de Lisbonne – et je suscitais ainsi la première version des mémoires dont j’aurai l’honneur d’opérer la mise en forme et quelques compléments par adaptation de discours et conférences, à partir de retrouvailles en Janvier 2001. Je présentai mon moine-ermite au couple présidentiel résidant encore à Nice : vingt-et-un ans au pouvoir et près de vingt-trois en exil français et, quelques années, tunisien, et j’appris que j’allais être nécessaire. Navettes entre Paris et Nouakchott, relectures et encore des lectures de ce que nous corrigeâmes et mîment au point à trois, le Président, Mariem son épouse et moi, saisissant, conservant, établissant des notes de bas de page. Ma documentation et mon observation me placent sans doute en tête des mémorialistes du pays, j’y suis connu, Moktar Ould Daddah m’a surnommé en me flattant beaucoup pour une adaptation de cœur et de vêtements à son pays : Ould Kaïge, René Caillé parvenu en voyageur local jusqu’à Tombouctou et sauvant sa tête par une impeccable récitation du Coran.

La rencontre a donné une continuité à ma vie depuis mon adolescence que seules la permanence de ma foi chrétienne et à ma fidélité nostalgique à l’homme du18-Juin, notre refondateur pour l’époque contemporaine, n’auraient peut-être marqué à ce point, faute d’exotisme.

Mais j’appris surtout. D’abord, mon besoin d’être utile et estimé quoiqu’il m’ait paru raisonnable de décliner la proposition que me fit le Président de travailler, non loin de lui, en conseiller. J’objectai que ma carrière française était encore trop courte pour faire socle de la suite quand ma coopération cesserait à Nouakchott, et surtout que celle-ci n’avait de sens pour moi qu’en intimité avec lui. Ses compatriotes l’admettraient-ils ? Le travail ensemble, jamais convenu, fut nos échanges, ma retenue en mémoire de ses propos, de son expérience, de ses projections. La confidence et le commentaire du gouvernement d’hommes et d’une population qu’il voyait et aimait aun futur autant qu’au présent. Il m’en expliquait les cohésions, les immanences, il ressentait peu de risques, s’appuyait sur les siècles et sur la nécessité. De l’extérieur ou superficiellement, certainement des ingrédients ethniques, des méfiances et concurrences, mais tant d’intérêts communs, du métissage dont il parlait peu, du dualisme plutôt que les mises en cause d’aujourd’hui puisque les affranchis (les haratines) ne peuvent plus être assimilés aux Maures blancs (les beydanes) et sont la majorité relative. Son combat avait été vis-à-vis d’une métropole accomodante mais parfois courte de vue et lente de réflexes, sauf suscetibilité défiée par le jeune chef, plus nationaliste lais très retenu d’expression qu’on ne l’a jamais été après lui, et vis-à-vis des voisins, tous, les uns après les autres, guerre du Sahara pour finir ce qui fut l’interruption de la fondation. Il racontait, ne stigmatisait jamais, il comprenait l’adversaire rétrospectivement autant que – sans doute – il s’était mis à sa place dans les entretiens qu’il eut avec tout ce qui compta dans les années 1960 et 1970 de notre monde. L’amour porté à ses compatriotes – plus intensément dit et vécu, selon sa femme que celui envers les siens – se combinait avec l’obsession de dignité nationale. Il était seul en fonction et en capacité de l’assurer, de la défendre. Il faisait l’Histoire et il s’ingéniait à nê s’y mouvoir qu’accompagné de tous. Il y parvint manifestement. Cette geste du développement économique, des corrections et évolutions sociales avait une forme et des étapes politiques. C’était mon sujet d’université, ce devint mon expertise. L’ancienne métropole n’abandonnait pas pas sa responsabilité morale. Dans une première époque, du fait de ses intérêts matériels, stratégiques, puis dans l’actuelle – commencée  tôt –parce que le champ de la corruption était trop accessible. Je ne participais à aucun secret, ne sus pas les revendications de mon ami quand il exigea, en Juillet 1972, la révision des accords de coopération laborieusement conclus en Mai 1961, après la proclamation d’indépendance ce qui ne se passa qu’avec lui, et ne prévis pas davantage la nationalisation de Miferma en Novembre 1974. Pourtant, afin de revoir vite mon cher pays devenu d’adoption et de jeunesse, j’avais accompli un stage dans la société, et étudié comment établir davantage d’osmose et de liens entre les deux entités : l’industrie de capital étranger et l’Etat naissant, chacun demandeur d’une compréhension de son partenaire obligé.

J’apprenais surtout cette angoisse du chef, du responsable d’un peuple, à ressentir les freins pour la cohésion nationale, cette fierté quand il s’avérait qu’une négociation ou qu’une administration aboutissaient vraiment. J’entrais dans la conviction que le moyen mis progressivement et consensuellement au point par un homme de rayonnement moral, mais pas de contrainte, le parti unique de l’Etat, était le bon : cette conviction s’est encore renforcée depuis que persiste une dictature d’origine militaire. La démocratie en Afrique ne peut être l’alternance tant durent les règnes inaugurés par force et terminés par force. Elle doit être le partage entre tous de ce pouvoir d’Etat, d’autant que l’étranger l’entreprend et le corrompt, avec l’appui, sinon la complicité de l’ancienne métropole. En Mauritanie, un de mes lieux mentaux auquel je reviens chaque jour depuis si longtemps dans ma vie, j’ai donc appris comment naît un Etat, se défendent des frontières et des composantes démographiques, appris à la source. Puis, j’ai appris mon propre pays : la France et la dégénérescence des formes et animations de son gouvernement. Quand après trente ans de régimes autoritaires, s’était élu, indiscutablement, le président d’une démocratie, le militaire qui répète depuis son coup d’Août 2008, qu’il y avait déjà beau temps qu’il aurait pu occuper la place, acheta la caution française dans toutes les enceintes ou se délibèrent, se contrôlent et se perdent ou se gardent la reconnaissance en légitimité internationale…, fit payer en espèces le secrétaire général de notre propre présidence de la République. D’autres intérêts, intermédiaires et conseillers firent cohorte. J’appris enfin qu’il peut exister des personnalités chaleureuses et de libre examen. Pendant tout le dernier trimestre de 2008, je vécus la tentative au Quai d’Orsay, rue Monsieur, et même dans ce qui est appelé la « cellule diplomatique » à l’Elysée, de ramener le président régnant à la doctrine initiale : pas de coup militaire. Depuis, sans périodicité fixe et surtout sans le moindre résultat, j’échange quelques informations, des sensations plutôt, avec celle qui conseille l’actuel président de notre République, en matière africaine. Le bureau fut celui de Jacques Foccart, il est calme, au rez-de-chaussée, rue de l’Elysée, côté des Champs et des jardins anglais ou romantiques. Le premier successeur, René Journiac, était au palais-même, confiné, et j’étonnais fort Moktar Ould Daddah d’avoir pu l’interroger sur le coup dont il avait été victime, en Juillet 1978.

A mon service national en Mauritanie, je dois que le racisme et l’islamophobie me sont étrangers : l’expérience est un vaccin contre la peur, la haine et la bêtise. J’ai vu en toutes époques prier mes amis musulmans, j’ai dormi côte-à-côte avec ces compatriotes que je qualifie d’adoption tandis que bruissaient la nuit, les troupeaux. A Moktar Ould Daddah, à notre amitié, je dois de comprendre combien des institutions publiques doivent avoir des racines de traditions et de société, ce qui est également la leçon française et fut le dessein de nos constituants de 1958, plus encore la pratique par le général de Gaulle de notre République. C’est avoir beaucoup reçu, en relations internationales, en pénétration des rouages de nos Etats, en imagination de ce qu’il faut pour se tenir collectivement en forme et en permanence à notre époque : dans les livres, je ne l’aurais pas appris ni dans l’industrie ou dans les activités dites tertiaires.
Mais ma tentative pour changer, presque à moi seul, le cours d’une histoire de nation et d’Etat – désolidariser la France du système putschiste mauritanien en 2008, m’assurer que nous n’avions pas favorisé le renversement du « père fondateur » en 1978 – a eu un précédent, qui m’a bien plus occupé, tendu, gratifié tour à tour. Ce fut ma douleur que parte le général de Gaulle, en Avril 1969.

Rencontre avec la politique, qui me procura des rencontres toujours thématiques mais très personnelles. Comment expliquer ce départ ? seulement la lassitude des Français, partageant finalement une fois l’émeute et la crise politiques jugulées, les slogans étudiants ? un changement de génération ? un enjeu de civilisation ou une brigue banale d’une succession que l’âge imposerait  vite ? En cherchant à comprendre, en écrivant mon chagrin, je fus amené à converser avec beaucoup des ministres, des collaborateurs, des grands fonctionnaires ayant servi notre pays, c’est-à-dire travaillé avec de Gaulle. L’enquête commença l’été de 1969, elle reprit quand trente ans plus tard j’entrepris d’écrire la biographie de celui que je tins dès la fracture de 1969 pour le successeur souhaité du Général : Maurice Couve de Murville, dont je pus interroger, après l’avoir visité – lui – pendant trente ans, à quelques jours près – les principaux de ses collaborateurs. La « constellation de Gaulle » m’apparut dès un émouvant et profond, chaleureux entretien avec Jacques Chaban-Delmas, à Ascain, chez lui, à l’extrême-sud de son Aquitaine, sans accident du sud-ouest mais avec la passion pour sa ville de Bordeaux. C’est sa comparaison du grand homme tombé avec l’étoile polaire qui m’a donné ce titre pour la recension, à produire, de toutes mes conversations sur de Gaulle avec ses témoins. De belles étoiles, aussi, avaient entouré la pricnipale et permis son éclat. J’allais les identifier, les reconnaître.

J’ai des certitudes. Autant sur ce qui se vécut et se passa la dernière année du « règne », l’étude des dépêches de l’Agence France Presse – j’ai le projet d’en publier l’exhaustivité comme le témoignage le plus immédiat d’une vie et d’une emprise publiques exceptionnelles – me l’a confirmé : factuellement, que sur le legs-même du Général. Contenu et matière. La transposition pour aujourd’hui et pour demain est aisé si l’on a l’esprit libre et si l’on observe, avec mémoire, les événements dans notre pays et dans son monde.

L’initiation commença à la lecture d’une brève biographie de Pompidou par Pierre Rouanet. Je ne connaissais de lui qu’un récit du gouvernement Mendès France, et sur l’ancien ministre que l’essai de Bromberger paru avant la campagne présidentielle de 1965. C’est Eugène Mannoni qui sut, le premier et très en avance sur l’Histoire et les historiens de la rétrospection, mettre mise en scène de Gaulle, le déduire du 18 Juin 1940, même et surtout en tant que président de la République, le livre data de la même échéance de 1965. Manifeste écart entre deux figures. L’appel … – je pense depuis quelques années, à y avoir réfléchi, que ce ne fut pas du tout un appel, mais une réponse. Sans l’attente de certains Français ou de beaucoup, je ne décide pas, le texte radiodiffusé depuis Londres n’aurait rien commencé. L’appel établit, en revanche, une constante, plus actuelle que jamais, en matière de communication nationale publique. Celui qui veut répondre d’un peuple et des circonstances, et donc en recevoir mission au moins morale, doit principalement expliquer ce dont il s’agit, au plus grave et au plus risqué, et proposer d’emblée et sue le même ton une stratégie, ue ligne. Faire comprendre, mobiliser, c’est en fait donner rendez-vous à un pays pour un lendemain qui va périmer le désastre, la catastrophe, la plus irréppressible en apparence des contrainte. Le petit livre vert, l’homme en couverture, en première et en quatrième, veste ouverte, était bien candidat, et de longue date. Le Général qui eût gagné le referendum diminuant le Sénat et érigeant les régions s’il l’avait tenu au lendemain de la bourrasque monétaire de Novembre 1968, qu’il sût calmer à lui presque seul –je saurai en Mai 1972 par Jean-Marcel Jeanneney l’influence qu’eut alors Raymond Barre, commissaire européen – avait été trahi par l’ensemble des personnels et élus politiques lui devant tout : places et stabilité prestigieuse des places. La France y perdit, le corps et les axes d’une doctrine de présence au monde et à nous-mêmes, sans références électorales ni partisanes, furent mis de côté. On ferai autre chose en assurant faire mieux, en tout plus aisé.

Dès Juin 1966, Louis Vallon avait – en polytechnicien et en homme de gauche – calculé puis proposé, en tant que rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale, que les salariés d’une entreprise participent à l’accroissement des valeurs d’actifs de celle-ci. Si le facteur travail reste stable dans l’affaire, les salariés en quelques décennies de fidélité à leur emploi se substituent au capital, mathématiquement. L’ « amendement Vallon » pouvait modifier tout le système économique et social français, la pétition gaullienne dès le temps de la guerre mondiale trouvait une expression écrite, législative. La participation, financière et concrète, étayait la sincérité des réformes cherchées par le Général en pleine contestation de Mai 1968 : la participation aux décisions à tous niveaux et en tous registres. La geste indépendantiste, celle d’abord d’en appeler spectaculairement de l’armistice du 26 Juin qu’avait accepté le maréchal Pétain, longtemps modèle du chef  (le Fil de l’épée), une indépendance constamment conçue, vécue, revendiquée comme une émancipation collective, et en l’espèce de sa relation personnelle au vainqueur de Verdun, comme une rupture intime.

Ibidem, mardi 31 Mai 2016 . 18 heures 55 à 20 heures 45 


            J’écrivis cela, c’était mon second livre, après celui d’une chronique amoureuse, ma défaite et mon ignorance totale pour retenir et aménager une relation avec autrui, quand c’est une femme. Etait-ce plus original, mieux troussé. Louis Vallon, recevant ma dactylographie par la poste, téléphona au domicile familial, où je n’étais plus guère qu’à l’heure du déjeuner, et faisant ma louange à ma mère, conclut cependant que cela manquait un peu de ton. Sa mise en cause de l’anti-de Gaulle, effectivement, avait plus de mordant. Le manuscrit recommandé par mon premier lecteur à son éditeur, à qui il fasait gagner de l’argent : plus de quatre cent mille exemplaires aussitôt la publication, et la mise de l’intrépide déuté du XVIIIème (la circonscription de Clemenceau et d’où partit le mouvement de la Commune, avec une prise de quelques canons sur place) au dehors du parti dominant. Jean Lacouture – nous ne nous connaissions pas encore – prétexta de mon texte était inexact sur l’Indochine, donc impubliable. Louis Vallon me traita « au petit pavé », rue Danton, je mis vingt-quatre heures de sommeil ou peut-être de coma éthylique pour assimiler ce déjeuner, je me dictais sur un magnétophone à bandes roulés au format des camembert le récit que j’avais entendu, tous les indices de la trahison, mais la voie de sortie et de rétablir de Gaulle, au moins le gaullisme, ne s’en déduisait pas. L’nquête commençait, le complot devenait secondaire, surtout s’il était certain, probable, plausible, les moyens de renouer importaient bien plus.

          Louis Vallon me recommanda René Capitant. Le grand juriste, à la seconde génération, l’ancien ministre de l’Education nationale à Alger et au retour du gouvernement de la République à Paris, le garde des Sceaux des derniers mois, fut enthousiaste de me recevoir, me garda au repas familial, y découpa le gigot, la serviette au cou, me dit son respect pour Mendès France, puis m’écrivit – lettre que j’ai inexplicablement aussitôt égarée alors que je l’avais glissée dans le cahier en cours de mon journal intime – sur la jeunesse, la mienne, et celle de toute espérance, du futur politique. La Direction des relations économiques extérieures, une des administrations centrales les plus indépendantes et les plus névralgiques, était alors animée par une personnalité dont j’appris plus tard qu’elle avait été « communisante » et peut-être l’un des « sous-marins » postés par Jacques Duclos aux points de décision de la structure publique française, en 1947 : Jean Chapelle. Mais son audace et son rayonnement n’allaient pas jusqu’aux exercices auxquels j’assistais sans participation, numéro trois le plus souvent de la délégation française à l’O.C.D.E. Au château de la Muette se discutait alors la position à tenir par les pays les plus développés face aux moindres, lors de la prochaine assemblée de la C.N.U.C.E.D. Toute ma vie, il y a eu des coincidences. Il fut question presque vingt ans plus tard que je représente la France auprtès de cette même institution. Les séances n’étaient ni longues, ni précises. Tout semblait pour la seule apparence : qu’allions-nous dire, s’effrayait-de certaines côtés. La délégation japonaise, forte d’une trentaine de membres, montrait, sans en donner le secret, un art que j’admirai aussitôt : dormir assis, tête droite, visage inexpressif, en suivant peut-être les interventions. C’était donc ennuyeux, le fond de couloir n’était pas rébarbative, la petite pièce qui l’avait été attribuée était celle de Kogève. Beaucoup de noms, mais pas beaucoup de sujet dont j’apprendrai plus tard qu’ils ont importé et nous ont illustré. Jean Chapelle ne se réveilla pas d’une opération bénigne, facultative-même dont il avait choisi la date en fonction des longueurs probables de l’installation de la gauche au pouvoir, l’été de 1981. Les premiers mois que je vivais dans l’administration étaient donc les premiers de la France sans de Gaulle, les premiers aussi où Georges Pompidou allait chercher à s’illustrer en propre. Michel Jobert annonça la dévaluation du franc, depuis le balcon de l’Elysée, aussi officiant et inexpressif qu’à sa lecture de la liste du nouveau gouvernement. Dépouillant les archives des Finances, à Savigny-le-Temple (un immeuble solitaire sur plan d’eau qu’on peut croire dessiné pour tourner une histoire de Jacques Tati et continuer « mon oncle »), je découvrirai trente ans plus tard qu’à l’insu du ministre ? François-Xavier Ortoli, précédemment premier collaborateur de Georges Pompidou à Matignon, les services avaient préparé cette dévaluation. Or, de Gaulle et son nouveau Premier mnistre, Maurice Couve de Murville, avaient signifié qu’ils la refusaient, que l’opération n’était pas nécessaire. Le flagrant délit se cinsttuait, les mémoires d’Espoir en prirent d’ailleurs acte. Sortant des des cinémas de l’U.G.C. à Saint-Germain des Prés où avait passé en boucle une annonce : « la France invente et les Etats-Unis réalisent », je fus ainsi déterminé à écrire mon pamphlet sur la démission d’Avril : qui d’ailleurs avait démissionné, les Français ou le président de la République ?

                 René Capitant me conseilla de préparer l’agrégation de droit public. Je prévoyais qu’il l’aiderait, il me reçut de nouveau mais mourut bientôt. Dans l’église paroissiale de Saint-Pierre-du-Gros-Caillou, les obsèques chrétiennes, Christian Fouchet, silhouette puissante, chaussures craquantes avec véhémence jusqu’aux premiers rangs, qu’en retard il tenait cependant  gagner. A défaut des facultés de droit où j’avais été admis à diriger des travaux pratiques en deux matières : les libertés publiques et le droit international, d’abord en cours du soir au lycée Montaigne, le long du jardin du Luxembourg, puis dans les nouveaux bâtiments de la rue d’Assas, j’entrais dans le cercle des amis de René Capitant. Il s’agit vite de publier ses oeuvcres complètes surtout les politiques. Je fus chargé d’une partie du travail lais – comme souvent il l’est arrivé par la suite – je négligeais le travail, reportais, le faisait croire très bientôt livrés. Charles Eisenmann et Marcel Waline auraient été des parrains puissants. Ce péché contre moi et les opportunités, je l’ai souvent commis. Ma proposition aux collections Que sais-je ? d’une histoire des relations franco-allemandes depuis 1945, fut accepté mais je ne tins pas parole. Je sais me desservir, et même décevoir. Un inconnu me demanda de commenter des photos. qui m’intéressèrent tout de suite : des vues successives d’un même banc. Cela évoquait un film, dont le succès étonnait. Blow up. Ce texte que j’eusse pu écrire en un après-midi et en me laissant mener par la suggestion des images, je ne le composai pas. J’avais alors une tribune et celle-ci en habitation de ma pensée se substitua à mon enquête, ou plutôt justifia celle-ci car le procès en fidélité que j’intentai à Georges Pompidou, exigeait précision et référence.

                   Je ne rencontrai plus premièrement des personnes, et deuxième des faits ou des hypothèses, je ne faisais pas une démarche politique en vue d’un quelconque rôle qui me serait accordé au bénéfice de ma jeunesse et de mon humilité questionneuse, j’entrais – inattendu des gens, inattendu de l’établissement gaulliste, inattendu de moi-même surtout – dans le débat politique, et par la très grande porte, les colonnes du journal de référence nationale, le Monde. C’était ma troisième tentative, quelque chose sur les vedettes de Cherbourg, quelque chose sur l’accueil de Khadafi à Paris sans compter quelques lignes de protestation pour n’avoir pas reçu la parole qui m’était promise à l’occasion d’un débat télévisé opposant Michel Rocard à Christian Fouchet. Question rentrée. J’avais eu droit à un titre.
 
                  Cette fois, Georges Pompidou prétendait se faire consacrer par referendum comme l’auteur de tout ce que de Gaulle avait commis d’important, de fondateur… depuis 1962, quand il changea de Premier ministre et amena donc en situation de possible succession, l’« agrégé de lettres, sachant écrire », recruté par René Brouillet, en 1944 pour son cabinet, rue Saint-Dominique. Ce me parut insolent et cynique.  Plus tard, une photo. me retiendra, le nouveau président de la République suintant le bonheur du parvenu, ls’appuyant les fesses à l’arrête de la table du général de Gaulle, au premier étage du palais de l’Elysée. Je rédigeai facilement, vite et escomptai que je ferai nombre dans la salve d’articles et de remontrances que n’allait pas manquer de provoquer la présentation du referendum – à tenir pour la saint-Georges – que, de plus en plus exaxpéré, je venais de voir, écouter. Papier expédié par la poste, silence des gaullistes, Louis Vallon au Maroc, Maurice Couve de Murville silencieux alors que le sujet était le sien : l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché dit commun. Lui et de Gaulle, chacun selon son génie particulier,  l’avait empêché. Le successeur allait donc changer le cap et la stratégie. Pourqioi pas, ensuite, la réintégration de l’organisation du traité de l’Atlantique Nord ? Silence dans la majorité dont avait hérité Georges Pompidou, applaudi à peine moins que de Gaulle, dans le cortège du 30 Mai, montant les Champs-Elysées. La gauche socialiste allait sabstenir, seuls les communistes diraient non. Je disais : non ! comme eux mais sur fond de oui, au précédent referendum, à celui du Général. J’attendis, puis téléphonai au journal. Une de mes soeurs était liée à l’une des filles du directeur, et j’avais été reçu par Jacques Fauvet en 1967 pour qu’il me recommande à l’éditrice de la collection Petite planète. Je souhaitais y placer une rédaction de mon crû sur la Mauritanie. Simonne Lacouture me reçut et me détailla le mince livre que je devais lui proposer, moi qui pensais connaître le sujet et ses anecdotes, s’il était nécessaire, mieux que personne. J’ignorais l’édition, je l’ignore encore, même si j’ai eu l’honneur et le bonheur de plusieurs conversations avec Françoise Verny, tant chez Grasset que chez Flammarion, ou à l’Hôtel des Saints-Pères, et si j’ai déjà dit que des poèmes inspirés par des situations au Brésil, des rencontres et de la tristesse, des deuils avaient failli se faire admettre par les jeunes éditeurs d’Arles, et qu’une écriture d’auto-suggestion ou de psycho-thérapie en vue d’un mariage dû à une femme assurément aimée de moi mais sans que je trouve le rassemblement intérieur de la décision. Pierre Viansson-Ponté me reçut au téléphone, m’apprit que la dernière ligne de mon papier ne pouvait tenir : l’idée du referendum était de Michel Debré. Lui et Pompidou préféraient de beaucoup l’Angleterre familière à l’Allemagne dont ils avaient peur. Le même Michel Debré, parangon de la fidélité à de Gaulle, avait d’ailleurs inspiré cinq ans avant de procéder par ordonnances dans certains domaines sociaux, tant la majorité issue des élections de Mars 1967 était douteuse pour la Cinquième République. Sans la voix de Tahiti, il eût fallu peut-être consentir à un gouvernement de coalition. Peut-être même de Gaulle serait-il parti, deux ans plus tôt. Je revivais ces jours de Mars-Avril 1972 cette guette des radios et de la télévision, des unes de journaux aux kiosques ou en pile sur des tables légères aux angles de rue : guette et anxiété de Mai-Juin 1968. L’enjeu était bien moindre, de Gaulle n’était plus menacé de perdre le pouvoir et son eemprise sur l’esprit public, mais la confusion de son œuvre avec les insuffisances ou les décisions tout à fait différentes, contraires d’un Georges Pompidou de plus en plus sécessionniste, me paraissait dangereuse pour le pays, pour notre avenir. Il fallait prendre date, dénoncer si l’on avait aimé de Gaulle.

                    Ma prise de parti n’était pas nouvelle, mais elle restait solitaire.

Ibidem, mardi 31 Mai 2016 . 22 heures 10 à 23 heures 37

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