jeudi 2 juin 2016

j'ai touché la vitre, jai touché le soleil





J’ai touché la vitre, j’ai touché le soleil

exergue de première page


La continuité devient extrêmement difficile quand il n’existe pas de sens du corps, c’est-à-dire le sens d’une réalité plus grande que moi, qui vaut la peine d’être vécue, à laquelle j’appartiens et dont je me sens fier, sûr, heureux.
Jorge Mario Bergoglio . futur Pape François – Exercices spirituels * (Parole et Silence . Février 2016 .  239 pages) p. 66

Lorsque nous nous demandons l’héritage que nous souhaitons laisser, nous devons prendre conscience de ce principe ignacien : ceux qui nous suivent seront ce que nous leur avons montré… et nous devons leur montrer, par notre vie, ce que nos premiers pères ont osé nous montrer. Ibid. p. 71





Le referendum de la saint-Georges semblait une habileté, il divisait l’opposition, rendait la main au président de la République alors que le Premier ministre, plus brillant et communicant que lui, se trouvait en difficulté à propos de sa feuille d’impôts, publié par le Canard enchaîné : Jacques Chaban-Delmas ne payait pas d’impôt et Valéry Giscard d’Estaing, son évident concurrent quand il y aurait à succéder à Georges Pompidou, se chargeait d’exppliquer la parfaite légalité de cette exemption : un avoir fiscal. J’avais commencé à suivre attentivement, quotidiennement, la politique. sans doute, depuis mon entrée rue Saint-Guillaume, il y avait Le Monde, mais sans que je l’interroge : une observation sans question rapporte moins que l’attente d’un événement, d’un indice. L’exposé des motifs, si complaisant, qu’avait longuement donné l’ancien Premier ministre du général de Gaulle, et vraiment selon cet honorariat, publiait la question que mon chagrin puis ma nostalgie avaient imprimés en moi depuis trois ans déjà.

Le papier parut. L’Humanité en publia un extrait dès le lendemain : j’avais évoqué les communs combats des gaullistes et des communistes contre Vichy, contre la C.E.D., l’O.A.S. J’acceptais dès ma première publication que le trait soit grossi. La première personne du pluriel ryhtmait l’article, fit croire à du monde et – le referendum étant de résultat très mitigé, ne convainquant qu’une minorité des électeurs inscrits – les observateurs et d’abord le président régnant conclurent que Georges Pompidou perdait des voix dans sa famille, qu’il était donc contesté en légitimité et en succession. Ecrire la suite était simple, l’autorité incomparable du Monde me faisait admettre par Combat qui existait encore à quelques milliers d’exemplaires, par la Croix, par des revues importantes : Etudes, Défense nationale. Quand je paraissais, des radios l’évoquaient. Soutenir le Premier ministre en difficulté qui tentait de se maintenir selon la majorité parlementaire, mais non plus par le vœu présidentiel, était logique et contester que Georges Pompidou, absent de la France combattante et pas du tout résistant, inaugure la croix de Lorraine au-dessus de Colombey-les-deux-églises, permettait le lyrisme. Des lecteurs m’écrivaient, des camarades ou des anciens de l’Ecole nationale d’administration protestaient auprès du directeur qui, pour me donner quelque raison ou appartenance accompagnant la signature que – décisivement – je lui devrai toujours, en libellé et en notoriété, mentionnait l’E.N.A.
Un premier article n’inscrit pas dans le marbre. Le second importa beaucoup, à deux points de vue. Il fut publié par le journal, mon angle d’attaque ne pouvait être le sien puisqu’en principe Hubert Beuve-Méry n’avait jamais voulu être compté parmi les soutiens du général de Gaulle, alors qu’il lui devait pourtant Le Monde, mais c’était sans aucun doute, dans la conjoncture d’alors, le plus efficace. Alain Peyrefitte a attesté que mes chroniques exaspéraient Georges Pompidou : j’avais donc le lecteur que je visais. A sa mort, je lui rendis hommage, sa relation à l’homme du 18-Juin reste si dense. A la Pentecôte de 1972, j’avais adressé un même propos au Monde, et aussi au Nouvel Observateur car je n’étais pas du tout sûr que se renouvellerait le premier accueil, et je tenais à ce nouvel article : c’était la faute d’un total ignorant des usages de ce monde où finalement je ne suis jamais entré. L’hebdomadaire de Jean Daniel s’apprêtait à le faire sien, quand il fut doublé rue des Italiens. Jamais, je n’ai pu y être ré-accueilli. Eussè-je bénéficié d’une longévité dans nos organes de presse jusqu’aujourd’hui ? car Le Monde n’a – pour moi – duré que dix ans. De temps à autre, il semble que je sois au point d’être publié, et l’oued se perd, ma réflexion n’a que moi comme diffuseur. Quand elle avait le soutien de Jacques Fauvet, son effet me faisait participer à la vie politique comme si j’avais eu une fonction m’y établissant. L’appréciation qu’en Juin 1972, je proposai sur le Programme commun de la gauche – très balancée – m’opposa à Pierre Joxe et demanda l’arbitrage de Georges Vedel, ce n’était pas rien, mais coincidant – en parution – avec mon premier passage devant le jury du concours d’agrégation de droit public, elle me barra. Je contribuai aussi à éteindre le débat sur les institutions quand allait se renouveler l’Assemblée nationale.

Cette collaboration, qui figura même dans les organigrammes publiés du journal, m’a alors appris ce que mes scolarités et études supérieures ne pouvaient m’enseigner. J’énumère. Evidemment, la jalousie de certains n’étant pas publiés ou bien moins. La considération que mes camarades me portèrent ne tint jamais à mes démonstrations, mais au support de celle-ci : Le Monde que j’avais donc, selon toutes apparences, quasi-annexé ou converti à ma façon de lire passé, présent et avenir selon le général de Gaulle… C’était une école pratique, que je n’avais jamais envisagée d’intégrer et dont la discipline ne m’a plus quitté. Les médias audio-visuels, aussi des conversations ou entretiens avec des tiers ou avec de grands collaborateurs du père fondateur, une échéance me mobilisaient. Il fallait écrire dans l’heure, le bouclage et la décision de publier se jouaient à des heures qui me furent indiqués et je déposais l’article, au nom du directeur, dans la nuit, puis – encore mieux introduit – je le dictai aux sténographes. Le plus souvent ma réplique au président de la République, quel qu’il fût, ou mon soutien – François Mitterrand – était dans les kiosques dans les douze heures de son écriture. Il arriva que la Chine tentant de franchir la frontière vietnamienne et l’Union soviétique avançant aussitôt ses pièces, je compris que pour la première fois depuis 1939, il y avait peut-être un renversement possible des fronts et des habitudes d’hostilité. J’étais dans le train roulant de Paris à Lisbonne, mon affectation diplomatique, et parvins à dicter, fragment par fragment, à chaque gare d’arrêt en Catalogne, le papier. Je commençai surtout d’accumuler une mémoire précise, constamment tenue à jour, de tout ce qui pouvait argumenter ma foi et mes propositions, car le procès en fidélité avait cessé à la mort de Georges Pompidou et l’avenir promettait de durer. L’histoire contemporaine, je la composais selon l’actualité et je n’ai jamais cessé : discernement de fils conducteurs, de dialectiques et d’alternatives autant qu’une documentation. Intellectuellement stimulé par les précédents si nombreux qu’avait posés de Gaulle pendant trente ans, je commençai aussi d’imaginer et de proposer le souhaitable, le démontrant possible.

L’exercice que je continue encore – à défaut d’être publié, j’impose ma lecture depuis une dizaine d’années au premier collaborateur du président régnant, le secrétaire général de l’Elysée, par courriel après qu’un temps j’ai usé de la télécopie (les numéros d’ailleurs à Matignon et rue du Faubourg-Saint-Honoré n’ont pas changé depuis vingt ans) – est un exercice indépendant. Je n’ai aucune précaution à prendre, je ne suis candidat à rien, je n’appartiens à aucun groupe, parti, personnalité. Cela ne fait pas une carrière politique – je sais d’expérience, tout en feignant de croire à quelque écoute nouvelle quand le mandat présidentiel change de titulaire, que la qualité du propos ne fait recevoir celui qui l’énonce, mais la position ou le hasard. A la suite du referendum d’Avril 1972, si peu concluant pour celui qui avait cru en recevoir une légitimité plus forte que celle de son élection présidentielle assez forcée en Avril 1969, Jacques Vendroux, me recevant, imaginait quelque coordination pour les remontrances à adresser à Georges Pompidou. J’en aurais été le zélateur. Pourquoi pas ? Je fut témoin d’un début de carrière politique, qui n’a pas été le mien. Tandis qu’entre le Bois de Boulogne, versant de Neuilly, et l’hôtel particulier, sans apparence extérieure, d’André et de Liliane Bettencourt que je rencontrerai aussi : l’ancien ministre, je me faisais vraiment féliciter pour mes papiers et positions, Michel Debré, ministre d’Etat, chargé de la Défense nationale, téléphona à l’illustre beau-frère pour lui demander – en toute simplicité – de donner à l’un de ses fils, magistrat quelconque, la mairie de Calais si et quand il devait l’abandonner. Rien ne se conclut cet après-midi là, ni l’institution du groupe de récalcitrants, ni le passage de relais à Calais. Jean-Louis Debré a occupé depuis des postes et positions où à défaut de faire bien ou beaucoup, on voit et entend beaucoup de gens, c’est-à-dire beaucoup de choses. Un de mes regrets de n’en avoir jamais reçu aucune, est bien de n’avoir donc bénéficié d’aucun point de vue ni d’aucune expérience dépassant la culture et l’information d’un simple citoyen du rang. Mais, admis au secret et dans quelques cercles, aurais-je gardé la spontanéité de mes jugements et même mon échelle de valeurs ?

Publié et soudain voyant, passant pour bien plus que je n’étais, je gênais à mes débuts les bienséances de la succession à de Gaulle, quelques parcours précis, ainsi celui de Gaston Palewski, président du modeste Institut Charles de Gaulle, vite établi, au 5 rue de Solférino : il me fut dit que l’Elysée souhaitait une neutralité, à défaut d’un soutien politique. Or, j’y travaillais sans qu’il y ait d’organigramme, j’y copiais d’ailleurs les enregistrements magnétiques de toutes les interventions du Général et animais un groupe d’études sur la presse vis-à-vis de de Gaulle. Un peu plus tard, ce ne fut plus la critique mais le soutien qui faisait également un courant d’idées, alors que j’étais aussi seul qu’en postant mon opinion sur la saint-Georges. Soutient à l’investiture de François Mitterrand, préféré de justesse à Michel Rocard par le congrès de Metz à six mois du terme de 1981. Factuellement, ces succès et cette notoriété ne valaient que répétés. Ils n’ont pas fait un héritage, encore moins un socle. Ils ne m’ont pas fait adopter par des maisons d’édition. Je fis d’ailleurs une erreur du même genre et de même conséquence qu’avec le Nouvel Observateur quand, à l’automne de 1976, voulant répliquer à l’essai politique : Démocratie française, que publiait Valéry Giscard d’Estaing, je me trouvais sur de la Chaise entre Ramsay et Jean-Erden Hallier : mon manuscrit, prêt de dispositif, mais à argumenter selon une lecture immédiate du livre, était déjà évalué par eux, et Grasset, par Bernard-Henri Lévy, à six mois de la célébrité, donc encore inconnu, en avait eu connaissance par un de mes seuls camarades de la rue des Saints-Pères. Grasset ne tient pas la course, de peur d’offenser le pouvoir et je choisis le battant. J’ai eu tort, l’édition tarda qu’il eût fallu immédiate, Ramsay puis les éditions du Cherche-Midi existent, mais les invendus des éditions Hallier ne sont pas même restés disponibles. Mon succès fut d’estime : formule. Il me fit figurer à une dédicace de livres où l’ordre alphabétique me faisait asseoir entre André Frossard et Jacques Faizant. Celui-ci me commenta les mains de son confrère du Figaro, le « cavalier seul », quand elles manièrent la recette en espèces. Intéressant.


Reniac, jeudi 2 Juin 2016 . 17 heures 50 à 19 heures 40

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